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L'express de luxe Coucher-de-Soleil lace le pays d'est en ouest. Quinze wagons blindés, pareils à des sous-sols de banque dans lesquels circulent des nègres amidonnés, avec des plateaux pleins de glace, frères des nègres qui portent des sorbets sur les fresques de Tiepolo. Quand le train passe, l'on comprend tout le chagrin que les maisons ont à être des immeubles. Le wagon traverse des déserts rouges et des déserts blancs parsemés de cactus turgides comme des asperges de cinq mètres, cannelées, poilues, quelquefois même avec des bras. Il perfore des villes de zinc et des villes de bois tiré par la grande locomotive qui sonne la cloche. En entrant dans les gares elle a un cri de la gorge que Proust eût aimé, avec son goût pour les voix enrouées. Est-ce cela, ou ce glas, ou la pensée que l'automobile de l'amoureux, n'ayant pas vu la tête de mort du passage à niveau, s'est écrasée contre le chasse-pierres, ou simplement leur puissance en chevaux-vapeur qui donne envie de pleurer quand s'avancent les locomotives du Southern Pacific ? Elles ont des perles au cou ; des mécaniciens gantés les caressent. Les machines sont les seules femmes que les Américains savent rendre heureuses.
© Gallimard
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