Paul-Jean TOULET (1867-1920)


Les contrerimes (1921)

«Dans le lit vaste et dévasté...»
«Dans le silencieux automne...»
«Comme les dieux gavant leur panse...»
«L'immortelle et l'oeillet de mer...»
«Vous qui retournez du Cathai...»
«Douce plage où naquit mon âme...»
«J'ai vu le Diable...»
«À Londres je connus Bella...»
«C'était sur un chemin crayeux...»
«Toute allégresse a son défaut...»
«La vie est plus vaine une image...»
«Puisque tes jours ne t'ont laissé...»
Vers inédits (1936)

«Ce n'est pas drôle de mourir...»

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Dans le lit vaste et dévasté
    J'ouvre les yeux près d'elle ;
Je l'effleure : un songe infidèle
    L'embrasse à mon côté.

Une lueur tranchante et mince
    Échancre mon plafond,
Très loin, sur le pavé profond,
    J'entends un seau qui grince...



Paul-Jean TOULET



Dans le silencieux automne
    D'un jour mol et joyeux,
Je t'écoute en fermant les yeux,
    Voisine monotone.

Ces gammes de tes doigts hardis,
    C'étaient déjà des gammes
Quand n'étaient pas encor des dames
    Mes cousines, jadis ;

Et qu'aux toits noirs de la Rafette,
    Où grince un fer changeant,
Les abeilles d'or et d'argent
    Mettaient l'aurore en fête.



Paul-Jean TOULET



Comme les dieux gavant leur panse,
    Les Prétendants aussi.
Télémaque en est tout ranci :
    Il pense à la dépense.

Neptune soupe à Djibouti,
    (Près de la mer salée).
Pénélope s'en est allée.
    Tout le monde est parti.

Un poète, que nuls n'écoutent,
    Chante Hélène et les Oeufs.
Le chien du logis se fait vieux :
    Ces gens-là le dégoûtent.



Paul-Jean TOULET



L'immortelle, et l'oeillet de mer
    Qui pousse dans le sable,
La pervenche trop périssable,
    Ou ce fenouil amer

Qui craquait sous la dent des chèvres,
    Ne vous en souvient-il,
Ni de la brise au sel subtil
    Qui nous brûlait aux lèvres ?



Paul-Jean TOULET



Vous qui retournez du Cathai
    Par les Messageries,
Quand vous berçaient à leurs féeries
    L'opium ou le thé,

Dans un palais d'aventurine
    Où se mourait le jour,
Avez-vous vu Boudroulboudour,
    Princesse de la Chine,

Plus blanche en son pantalon noir
    Que nacre sous l'écaille ?
Au clair de lune, Jean Chicaille,
    Vous est-il venu voir,

En pleurant comme l'asphodèle
    Aux îles d'Ouac-Wac,
Et jurer de coudre en un sac
    Son épouse infidèle,

Mais telle qu'à travers le vent
    Des mers sur le rivage
S'envole et brille un paon sauvage
    Dans le soleil levant ?



Paul-Jean TOULET



Douce plage où naquit mon âme ;
    Et toi, savane en fleurs
Que l'Océan trempe de pleurs
    Et le soleil de flamme ;

Douce aux ramiers, douce aux amants,
    Toi de qui la ramure
Nous charmait d'ombre et de murmure,
    Et de roucoulements ;

Où j'écoute frémir encore
    Un aveu tendre et fier -
Tandis qu'au loin riait la mer
    Sur le corail sonore.



Paul-Jean TOULET



J'ai vu le Diable, l'autre nuit ;
    Et, dessous sa pelure,
Il n'est pas aisé de conclure
    S'il faut dire : Elle, ou : Lui.

Sa gorge, - avait l'air sous la faille,
    De trembler de désir :
Tel, aux mains près de le saisir,
    Un bel oiseau défaille.

Telle, à la soif, dans Blidah bleu,
    S'offre la pomme douce ;
Ou bien l'orange, sous la mousse,
    Lorsque tout bas il pleut.

- « Ah ! » dit Satan, et le silence
    Frémissait à sa voix,
« Ils ne tombent pas tous, tu vois,
    Les fruits de la Science ».



Paul-Jean TOULET



À Londres je connus Bella,
    Princesse moins lointaine
Que son mari le capitaine
    Qui n'était jamais là.

Et peut-être aimait-il la mangue ;
    Mais Bella, les Français
Tels qu'on le parle : c'est assez
    Pour qui ne prend que langue ;

Et la tienne vaut un talbin.
    Mais quoi ? Rester rebelle,
Bella, quand te montre si belle
    Le désordre du bain ?



Paul-Jean TOULET



C'était sur un chemin crayeux
    Trois châtes de Provence
Qui s'en allaient d'un pas qui danse
    Le soleil dans les yeux.

Une enseigne, - au bord de la route,
    - Azur et jaune d'oeuf -,
Annonçait : Vin de Châteauneuf,
    Tonnelles, Casse-croûte.

Et, tandis que les suit trois fois
    Leur ombre violette,
Noir pastou, sous la gloriette,
    Toi, tu t'en fous : tu bois...

C'était trois châtes de Provence,
    Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
    Dans un azur immense.



Paul-Jean TOULET



Toute allégresse a son défaut
    Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
    Ne riez pas trop haut.

C'est à voix basse qu'on enchante
    Sous la cendre d'hiver
Ce coeur, pareil au feu couvert,
    Qui se consume et chante.



Paul-Jean TOULET



La vie est plus vaine une image
    Que l'ombre sur le mur.
Pourtant l'hiéroglyphe obscur
    Qu'y trace ton passage

M'enchante, et ton rire pareil
    Au vif éclat des armes ;
Et jusqu'à ces menteuses larmes
    Qui miraient le soleil.

Mourir non plus n'est ombre vaine.
    La nuit, quand tu as peur,
N'écoute pas battre ton coeur :
    C'est une étrange peine.



Paul-Jean TOULET


Puisque tes jours ne t'ont laissé
Qu'un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu'on ne tende la couche
Où ton coeur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu'y courbe un souffle amer,
- Et grave ces mots sur le sable :
Le rêve de l'homme est semblable
Aux illusions de la mer.



Paul-Jean TOULET



Ce n'est pas drôle de mourir
    Et d'aimer tant de choses :
La nuit bleue et les matins roses,
    Les fruits lents à mûrir.

    Ni que tourne en fumée
Mainte chose jadis aimée,
    Tant de sources tarir...

Ô France, et vous Île de France,
    Fleurs de pourpre, fruits d'or,
    L'été lorsque tout dort,
Pas légers dans le corridor.

Le Gave où l'on allait nager
    Enfants sous l'arche fraîche
Et le verger rose de pêches...


Paul-Jean TOULET

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