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Dans le lit vaste et dévasté J'ouvre les yeux près d'elle ; Je l'effleure : un songe infidèle L'embrasse à mon côté. Une lueur tranchante et mince Échancre mon plafond, Très loin, sur le pavé profond, J'entends un seau qui grince...
Dans le silencieux automne D'un jour mol et joyeux, Je t'écoute en fermant les yeux, Voisine monotone. Ces gammes de tes doigts hardis, C'étaient déjà des gammes Quand n'étaient pas encor des dames Mes cousines, jadis ; Et qu'aux toits noirs de la Rafette, Où grince un fer changeant, Les abeilles d'or et d'argent Mettaient l'aurore en fête.
Comme les dieux gavant leur panse, Les Prétendants aussi. Télémaque en est tout ranci : Il pense à la dépense. Neptune soupe à Djibouti, (Près de la mer salée). Pénélope s'en est allée. Tout le monde est parti. Un poète, que nuls n'écoutent, Chante Hélène et les Oeufs. Le chien du logis se fait vieux : Ces gens-là le dégoûtent.
L'immortelle, et l'oeillet de mer Qui pousse dans le sable, La pervenche trop périssable, Ou ce fenouil amer Qui craquait sous la dent des chèvres, Ne vous en souvient-il, Ni de la brise au sel subtil Qui nous brûlait aux lèvres ?
Vous qui retournez du Cathai Par les Messageries, Quand vous berçaient à leurs féeries L'opium ou le thé, Dans un palais d'aventurine Où se mourait le jour, Avez-vous vu Boudroulboudour, Princesse de la Chine, Plus blanche en son pantalon noir Que nacre sous l'écaille ? Au clair de lune, Jean Chicaille, Vous est-il venu voir, En pleurant comme l'asphodèle Aux îles d'Ouac-Wac, Et jurer de coudre en un sac Son épouse infidèle, Mais telle qu'à travers le vent Des mers sur le rivage S'envole et brille un paon sauvage Dans le soleil levant ?
Douce plage où naquit mon âme ; Et toi, savane en fleurs Que l'Océan trempe de pleurs Et le soleil de flamme ; Douce aux ramiers, douce aux amants, Toi de qui la ramure Nous charmait d'ombre et de murmure, Et de roucoulements ; Où j'écoute frémir encore Un aveu tendre et fier - Tandis qu'au loin riait la mer Sur le corail sonore.
J'ai vu le Diable, l'autre nuit ; Et, dessous sa pelure, Il n'est pas aisé de conclure S'il faut dire : Elle, ou : Lui. Sa gorge, - avait l'air sous la faille, De trembler de désir : Tel, aux mains près de le saisir, Un bel oiseau défaille. Telle, à la soif, dans Blidah bleu, S'offre la pomme douce ; Ou bien l'orange, sous la mousse, Lorsque tout bas il pleut. - « Ah ! » dit Satan, et le silence Frémissait à sa voix, « Ils ne tombent pas tous, tu vois, Les fruits de la Science ».
À Londres je connus Bella, Princesse moins lointaine Que son mari le capitaine Qui n'était jamais là. Et peut-être aimait-il la mangue ; Mais Bella, les Français Tels qu'on le parle : c'est assez Pour qui ne prend que langue ; Et la tienne vaut un talbin. Mais quoi ? Rester rebelle, Bella, quand te montre si belle Le désordre du bain ?
C'était sur un chemin crayeux Trois châtes de Provence Qui s'en allaient d'un pas qui danse Le soleil dans les yeux. Une enseigne, - au bord de la route, - Azur et jaune d'oeuf -, Annonçait : Vin de Châteauneuf, Tonnelles, Casse-croûte. Et, tandis que les suit trois fois Leur ombre violette, Noir pastou, sous la gloriette, Toi, tu t'en fous : tu bois... C'était trois châtes de Provence, Des oliviers poudreux, Et le mistral brûlant aux yeux Dans un azur immense.
Toute allégresse a son défaut Et se brise elle-même. Si vous voulez que je vous aime, Ne riez pas trop haut. C'est à voix basse qu'on enchante Sous la cendre d'hiver Ce coeur, pareil au feu couvert, Qui se consume et chante.
La vie est plus vaine une image Que l'ombre sur le mur. Pourtant l'hiéroglyphe obscur Qu'y trace ton passage M'enchante, et ton rire pareil Au vif éclat des armes ; Et jusqu'à ces menteuses larmes Qui miraient le soleil. Mourir non plus n'est ombre vaine. La nuit, quand tu as peur, N'écoute pas battre ton coeur : C'est une étrange peine.
Puisque tes jours ne t'ont laissé Qu'un peu de cendre dans la bouche, Avant qu'on ne tende la couche Où ton coeur dorme, enfin glacé, Retourne, comme au temps passé, Cueillir, près de la dune instable, Le lys qu'y courbe un souffle amer, - Et grave ces mots sur le sable : Le rêve de l'homme est semblable Aux illusions de la mer.
Ce n'est pas drôle de mourir Et d'aimer tant de choses : La nuit bleue et les matins roses, Les fruits lents à mûrir. Ni que tourne en fumée Mainte chose jadis aimée, Tant de sources tarir... Ô France, et vous Île de France, Fleurs de pourpre, fruits d'or, L'été lorsque tout dort, Pas légers dans le corridor. Le Gave où l'on allait nager Enfants sous l'arche fraîche Et le verger rose de pêches...
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