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Je suis la plus belle des femmes qui ont existé avant moi, de celles qui vivent maintenant et de celles qui naîtront après.
Je joue merveilleusement des instruments de musique. Ma voix a des
profondeurs marines et des élévations célestes. Les paroles que je prononce
n'ont jamais été encore entendues.
Les accords parce que les cordes sont frôlées par mes doigts blancs, les
chansons parce qu'elles sortent de ma bouche éblouissante, les paroles
parce que mes regards tout-puissants planent sur elles, sont des paroles,
des chansons et des accords éternels.
Je suis la plus belle des femmes, et ma plus grande joie est d'être vue, d'être aimée, surtout de celui qui m'a prise, mais aussi de ceux qui sont au-dessous de lui.
Toutes les fourrures prises aux bêtes sauvages les plus rares, tout ce que les hommes fabriquent d'étoffes de lin fin, de soie, tout cela m'est apporté, je m'étends dessus et mon beau corps blanc frissonne en ces moelleuses richesses aux fines odeurs.
Aux hommes forts, à celui qui a vaincu tant d'autres hommes pour me posséder,
les dures fatigues de la chasse et de la guerre ;
Moi, je me plais dans les jardins soignés, dans les petites salles parfumées,
tendues d'étoffes belles et douces, semées de coussins.
Je suis belle et forte, mais je suis femme, et je me plais dans les soins
qu'aiment aussi les hommes faibles et malades.
Les tièdes intérieurs, remplis de fleurs étincelantes.
Les palanquins pour voyager, ou bien encore les épaules des servantes pour
m'appuyer lorsque je vais nonchalamment traîner les plis de ma robe dans les
jardins soignés.
Je suis belle et forte, j'enfante sans souffrir et ma forme reste pure et
lisse. C'est pour moi une calme et lente volupté de tenir mon enfant rose
dans mes bras et de sentir sa petite bouche téter le bout de mon sein solide,
pendant que ses yeux rient et semblent répondre à mon sourire. C'est une volupté
calme et lente qui vaut la volupté tumultueuse ressentie sous les caresses de
l'amant.
Je sens mon sang monter à ma poitrine et devenir le lait tiède dont se
nourrit et grandit mon enfant rose.
Deux de mes doigts blancs pressent le bout de mon sein solide afin qu'il
ressorte et que mon enfant puisse, tout en me tétant, me regarder de ses yeux
riants et répondre ainsi à mon sourire de ravissement.
Je suis ravie en sentant ma propre substance passer en lui ; je sens mon sang
monter à ma poitrine et devenir le lait tiède qui servira à former le corps rose
et excellent à baiser de mon enfant.
Je suis belle et forte ; j'ai enfanté sans douleur et ma forme est restée
pure et lisse.
Mon amant trouve plus attirants mes seins solides depuis qu'ils ont nourri
mon enfant rose ; je ne suis plus, dit-il, la fleur en bouton aux odeurs de
verdure, mais désormais la fleur épanouie aux odeurs ambrées et capiteuses.
Mon enfant est assez grand pour jouer parmi les servantes et leur causer
de naïves terreurs par ses audaces prophétiques.
Je suis belle et forte, j'ai enfanté sans douleur un fils audacieux et je
suis devenue plus attirante pour mon amant, à cause de ma forme opulente
et lisse.
Je suis la plus belle des femmes et quand j'ai paru aux yeux des hommes,
tous ont voulu m'avoir.
Ainsi de grandes discordes et de grands désastres. J'ai parfois pleuré au nom
de ceux qui étaient tombés pour moi, car il y avait parmi eux de fiers regards
et de hautes âmes que j'aurais bien aimés.
Et pourtant j'ai été heureuse quand le plus beau de tous, celui qui avait
le regard le plus puissant, puisqu'il était le dernier vainqueur, est venu
me demander mon âme et mon corps.
Je lui ai donné mon âme et mon corps, heureuse que le sort me l'ait choisi
en ces combats où tant d'autres sont tombés, entre lesquels j'aurais peut-être
hésité.
Quand je m'abandonne sur les coussins, courbant mes bras au-dessus de ma tête,
l'attirance de mes clairs regards, de mes seins solides, de mes flancs neigeux,
de mes lourdes hanches est toute-puissante.
C'est pour cela que tant d'hommes ont été ravis, que tant d'hommes se sont
tués.
Et celui qui m'a prise est tout entier possédé par l'attirance de mes yeux
clairs qui reluiront en des poèmes éternels, est subjugué par l'abandon de
mes seins solides, de mes flancs neigeux et de mes lourdes hanches. Il sent,
en ces formes que je lui livre, le charme du beau absolu et la volonté créatrice
qui fait de mon corps la source des plus nobles races futures.