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Droitement sur l'heure de prime,
S'ébattait une demoiselle
À lire un roman. Moi vers elle
M'en vins, et lui dis doucement
Par son nom : « Ce roman, comment
L'appelez-vous, ma belle et douce ? »
Elle cloï atant la bouche ;
Sa main dessus le livre adoise.
Lors répondit comme courtoise
Et me dit : « De Cleomadès
Est appelé ; il fut bien fait
Et dicté amoureusement.
Vous l'oirez ; si direz, comment
Vous plaira, dessus votre avis. »
Je regardai lors son doux vis,
Sa couleur fraîche et ses verts yeux.
On n'oserait souhaiter mieux ;
Car chevelis avait plus blonds
Qu'un lin ne soit, tout à point longs,
Et portait si très belles mains
Que bien s'en passerait de moins
La plus frische dame du monde.
Vrai Dieu ! com' lors ert belle et monde,
De gai maintien et de gent corps !
« Belle, dis-je, adonc je m'accords
À ce que je vous ouï lire.
N'est son d'instrument ni de lyre
Où je prenne un si grand ébat. »
Et la demoiselle s'embat
En un lieu qui donnait à rire.
Or ne vous saurais-je pas dire
Le doux mouvement de sa bouche.
Il semble qu'elle n'y atouche
Tant rit suave et doucement ;
Et non mie trop longuement,
Mais à point, comme la mieux née
Du monde et tout la mieux serée,
Et bien garnie de doctrine,
Car elle était à point entrine
En regard, en parole, en fait.
Le sens de li grand bien me fait.
Et quand elle eut lut une espace,
Elle me requit par sa grâce
Que je vousisse un petit lire.
Adonc lisit tant seulement
Des feuilles, ne sais deux ou trois.
Elle l'entendait bien, entrois
Que je lisais, Dieu li mire !
Adonc laissâmes nous le lire.