Jean-Arthur Rimbaud : L'Autobus ivre 
vendredi 23 septembre 2011, 07:00 - ~ Choix : Pohaime
Comme je descendais une rue impossible,
Je ne me sentis plus guidé par le chauffeur.
Des grévistes hurleurs le choisissant pour cible
L'écartelaient tout nu sur le seuil d'un coiffeur.

J'étais insoucieux des cargaisons moroses.
Porteur de ronds de cuir, d'un contrôleur hongré,
Je quittai mon chemin comme un vers sort des proses ;
Le volant m'a laissé me ruer à mon gré.

Dans les hululements farouches de la rue,
Moi, l'autre jour, plus fou qu'un cerveau d'éléphant,
Je bondis, et l'avion qui pétarade et rue
N'a pas connu d'envol plus large et triomphant.

Et je me suis saoulé de la ville conquise,
Des vitrines, miroir paré comme un étang,
Du pavé savoureux où, confiture exquise
Et fraîche, un écrasé joyeux parfois s'étend.

Je sais les pastels mous sur les quais en délire,
La poubelle accroupie et brûlant ses parfums.
L'immeuble de carton vibrant comme une lyre
Pleurant à mon galop tous ses rêves défunts.

J'ai suivi librement vos chaînes d'émeraudes,
Baisers phosphorescents, lampadaires à arc,
Peignoirs éclos d'amour devant les maisons chaudes,
Somnolence viride et revêche du parc.

Et moi, l'autobus G, au vilebrequin ivre,
Avaleur de refuge et peigneur de trolleys,
Plus affamé d'essence et d'azur qu'une guivre,
Raclant mes garde-boue au ventre des palais,

Je regrette le calme et morne itinéraire,
Le wattman orgueilleux, au signe inattentif,
La voix du quémandeur hargneux de numéraire,
L'arrêt obligatoire et le facultatif.

Assez ! J'ai trop chauffé ! J'ai vidé tout mon rêve !
Le macadam est fade et sent le galipot.
Que fondent mes segments, que mon réservoir crève,
Que s'évade une roue et que j'aille au Dépôt !

(Jean Pellerin, Le Copiste indiscret)


Commentaire de seb (http://huggyhome.over-blog.com) :
jeudi 10 avril 2008, 08:31
Ca aussi c'est chouette. Tu fais une thèse sur le sujet ou bien ?

Commentaire de Administrator (Xian) :
jeudi 10 avril 2008, 10:34
Une thèse ? Oh non ! Je n'ai pas l'esprit universitaire. Une âme d'éditeur je ne dis pas...


Commentaire de seb :
vendredi 11 avril 2008, 09:13
Ce jour-là, pense à moi !

Commentaire de Administrator (Xian) :
vendredi 11 avril 2008, 11:46
J'ai prévu une collection « Copinages » - où (suprême dérision) je m'auto-éditerais...

Commentaire de Todor :
vendredi 23 septembre 2011, 16:09
Formidable ! Merci de l'avoir mis ici.

Commentaire de l´administrateur (Christian) :
vendredi 23 septembre 2011, 21:06
Dans le même genre, une variation sur le Sonnet d'Arvers par Georges-Armand Masson :


Comme le fruit son ver, ma vie
    Cèle un tourment secret,
Bien malin qui devinerait
    Le nom de mon envie.

Toi-même ne le connais point
    Qui nourris ma pensée,
Et qui plus distraite es passée
    Que le vent sur les coings.

Car ce désir qui me lancine,
    Il cède à ta vertu ;
Et si je t'aime, je l'ai tu,
    Ou si c'est la voisine.

           (P.-J. Toulet )

Commentaire de Âne honni :
vendredi 30 septembre 2011, 10:19
GUIRLANDE

Pour la mémoire de Carlos Pedrell.

Pilar, oublierai-je jamais
En dépit des années
Tes prunelles illuminées
Par des éclairs de jais ?

Dolorès, le duvet de pêche
Qui veloutait tes seins,
Endormie au bord du bassin
Dans une vapeur fraîche ?

Neiges, tes cheveux de velours -
Cascades - avalanches -
Qui déferlaient jusqu'à tes hanches
À flots sombres et lourds ?

Ta démarche, Gouadeloupe,
Au gré de hauts talons,
Comme un vaisseau sous l'aquilon
Dont s'éloigne la poupe ?

Angoisses, ta jeune gaîté,
Ton incessant ramage,
Ton corps docu, riante image
De la félicité ?

Maria-Dulce, tes colères,
Tes affres, tes soupirs,
Ton cilice, ton repentir
Et tes larmes amères ?

Solitude, fleur des tripots,
Tes mille tricheries,
L'esclave et l'amante chérie
Du valet de carreau ?

Gouadeloupe, Angoisses, Neiges,
Toutes, je vois venir
Des provinces du Souvenir
Votre charmant cortège.

Voici que s'unissent vos doigts.
Les brunes et les blondes
Se joignent pour faire une ronde
Qui tourne autour de moi.

Miracle : pas une ne manque !
Cruz, enfin je vous vois
Dont je n'avais su que la voix
Dans l'ombre, à Salamanque...

(Points et Contrepoints, n°12, déc 1950, pp. 28-29)


Commentaire de l´administrateur (Christian) :
jeudi 10 novembre 2011, 18:59
La Vache ivre.

Comme je m'égarais dans les forêts normandes,
Petit Poucet semant au vent mes vers rêveurs,
J'aperçus dans un pré quelques vaches gourmandes,
Des brins d'herbe piqués à leurs mufles baveurs.

Les mouches bombinaient sur leurs dos roux, les tiques
Rongeaient férocement leur cuir ensanglanté
Et - Voyant que je suis - de tableaux exotiques
Mon cerveau délirant fut aussitôt hanté .

Les vaches, à présent visqueux hippopotames,
Baignaient jusqu'au poitrail dans l'eau de marigots
Charriant - verte avec de longs reflets de flammes -
Crocodiles béats, torpides escargots.

Des sapajous issus des touffeurs de la brousse
Venaient sous mon crayon se tordre et grimacer
Et... mais mon oeil rivé sur une vache rousse
La vit réellement s'ébrouer et danser.

Le long dérèglement de tous mes sens est cause
Du mirage, pensai-je, et ce torve bovin,
S'il se présente ainsi, valsant, c'est que sa pose
Vient combler le désir secret de l'écrivain.

Mais non ! elle dansait bel et bien cette vache,
Et plus haut que Perrette avec son pot au lait...
Abandonnons nos illusions de potache,
À dix-sept ans, soyons sérieux, s'il vous plait !

Si ma vache dansait, c'est, nouvelle Ophélie,
Que la pauvre flottait sur ce sombre ruisseau
Bordé par l'ellébore et la douce ancolie,
C'est qu'un amer poison, versé dès son berceau,
L'avait, bien jeune encore, conduite à la folie.
C'était l'ignoble effet d'un gavage inhumain !
Le poète, écrasant un pleur en son oeil darne,
Vous dit : « Si vous m'en croyez n'attendez à demain
Herbivores, jamais ne mangez plus de carnes ! »

Jean Malaplate : Quelques pastiches poétiques


Commentaire de Cochonfucius (http://paysdepoesie.wordpress.com) :
lundi 21 octobre 2013, 17:34
Comme je recherchais une rime impossible,
Je ne me sentis plus guidé dans mon labeur ;
L’hommage éblouissant que j’avais eu pour cible
Se retrouvait tout nu et de pâle couleur.

J’étais insoucieux des césures épiques,
Des sonnets inspirés d’un madrigal anglais ;
Quand mon esprit cessa d’envoyer de ses piques,
Le silence m’a dit tout ce que je voulais.

Dans les griffonnements farouches de la toile,
Moi, l’autre jour, plus fou qu’un sonneur d’olifant,
J’écrivis, et mes vers montaient vers les étoiles
Quittaient le sol terrestre en Pégases piaffants.

Et j’ai chanté l’amour du monstre maritime,
De la grenouille verte au bord de son étang,
Quand d’un seul coup de foudre ils sont tous deux victimes
Et que l’amour tragique en chacun d’eux s’étend.

Je sais l’archange mou que ronge le délire,
Consommant des alcools aux ignobles parfums
Dont il croit rallumer la flamme de sa lyre
Pour chanter la douceur de ses amours défunts.

Puis il déguste aussi l’absinthe d’émeraude,
Car il veut enivrer deux âmes dans son coeur
Celle de l’oiseau-mouche en pleine saison chaude,
Celle de l’ours polaire au temps du froid vainqueur.

Alors, le vieux rhapsode, ainsi doublement ivre,
Avaleur de souffrance et raconteur d’amour
Entretient de ses vers la vision d’une vouivre
Ayant au fond des eaux plus d’un secret parcours.

Il exulte du vaste et fol itinéraire,
Qui ne lui permet point d’instant inattentif,
Le soupir de la muse aux accents littéraires
L’esprit calculatoire et le coeur inventif.

Assez ! J’ai trop rimé ! J’ai vidé tout mon rêve !
Toute rime est sans force et tout sonnet amer ;
L’encrier me demande (et la plume) une trêve,
Planons avec la mouette au-dessus de la mer !


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