Vincent Delerm
Dans cet appartement, 23 rue Saint-Vivien tu viens de passer trois ans et tu t'en vas demain Y a des traces de punaises partout dans le papier peint un carton sur une chaise, quatorze piles de bouquins tu t'endors les yeux ouverts sur le parquet désert Dans cet appartement, 23 rue Saint-Vivien trois joyeux anniversaires, une seule Saint-Valentin le chauffage qui déconne et la douche explosée répondeur, interphone, vous êtes bien chez Chloé la cuisine inondée, la voisine désolée Et puis aussi un soir d'avril il y a deux ans au milieu du couloir toute seule avec Alban t'as parlé avec lui pendant quatorze minuteries Dans cet appartement, 23 rue Saint-Vivien y a des soirées qui traînent à trois heures du matin C'est la sauce bolognaise en plein sur la moquette la fumée des anglaises et la fenêtre ouverte une voix qui a demandé : « Est-ce que quelqu'un peut me ramener ? » C'est Sacha qui répare pour la quatrième fois l'halogène trouvé un soir dans les poubelles d'Habitat c'est Gwenaëlle qui squatte huit jours le canapé un problème d'ouvre-boîte et un double des clés des amis inséparables qui se sont séparés et puis aussi un soir avec du Martini-gin t'as avalé pour voir toute la boîte d'Aspirine 23, rue Saint-Vivien ça n'allait pas si bien Toutes les lampes allumées à cinq heures en hiver l'auto-collant Nestlé en haut du frigidaire le mercredi passé sans un projet spécial les dessins animés, l'Assemblée Nationale descendre un peu plus tard s'il s'arrête de pleuvoir Devant l'appartement, 23 rue Saint-Vivien peut-être que dans trois ans tu passeras avec quelqu'un Et derrière ton visage tout ce qui ne se dit pas les histoires, les images que tu gardes pour toi une soirée de juin 23, rue Saint-Vivien Dans cet appartement, 23 rue Saint-Vivien tu viens de passer trois ans et tu t'en vas demain