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Ce qui est à moi aussi : une petite cellule dans le Jura, une petite cellule,
la neige la double de barreaux blancs la neige est un geôlier blanc
qui monte la garde devant une prison
Ce qui est à moi
c’est un homme seul emprisonné de blanc
c’est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche
(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)
c’est un homme seul qui fascine l’épervier blanc de la mort blanche
c’est un homme seul dans la mer inféconde de sable blanc
c’est un moricaud vieux dressé contre les eaux du ciel
La mort décrit un cercle brillant au-dessus de cet homme
la mort étoile doucement au-dessus de sa tête
la mort souffle, folle, dans la cannaie mûre de ses bras
la mort galope dans la prison comme un cheval blanc
la mort luit dans l’ombre comme des yeux de chat
la mort hoquette comme l’eau sous les cayes
la mort est un oiseau blessé
la mort décroît
la mort vacille
la mort est un patyura ombrageux
la mort expire dans une blanche mare de silence.
Gonflements de nuit aux quatre coins de ce petit matin
soubresauts de mort figée
destin tenace
cris debout de terre muette
la splendeur de ce sang n’éclatera-t-elle point ?
Au bout du petit matin ces pays sans stèle, ces chemins sans mémoire, ces vents sans tablette.
Qu’importe ?
Nous dirions. Chanterions. Hurlerions.
Voix pleine, voix large, tu serais notre bien, notre pointe en avant.
Des mots ?
Ah oui, des mots !
Raison, je te sacre vent du soir.
Bouche de l’ordre ton nom ?
Il m’est corolle du fouet.
Beauté je t’appelle pétition de la pierre.
Mais ah ! la rauque contrebande
de mon rire
Ah ! mon trésor de salpêtre !
Parce que nous vous haïssons vous et votre raison,
nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante
du cannibalisme tenace
Trésor, comptons :
la folie qui se souvient
la folie qui hurle
la folie qui voit
la folie qui se déchaîne
Et vous savez le reste
Que 2 et 2 font 5
que la forêt miaule
que l’arbre tire les marrons du feu
que le ciel se lisse la barbe
et cætera et cætera...
Qui et quels nous sommes ? Admirable question !
À force de regarder les arbres je suis devenu un arbre
et mes longs pieds d’arbre ont creusé dans le sol de larges sacs
à venin de hautes villes d’ossements
à force de penser au Congo
je suis devenu un Congo bruissant de forêts et de fleuves
où le fouet claque comme un grand étendard
l’étendard du prophète
où l’eau fait
likouala-likouala
où l’éclair de la colère lance sa hache verdâtre
et force les sangliers de la putréfaction dans la belle orée violente
des narines.
Au bout du petit matin le soleil qui toussote et crache ses poumons
Au bout du petit matin
un petit train de sable
un petit train de mousseline
un petit train de grains de maïs
Au bout du petit matin
un grand galop de pollen
un grand galop d’un petit train de petites filles
un grand galop de colibris
un grand galop de dagues pour défoncer la poitrine
de la terre
douaniers anges qui montez aux portes de l’écume la garde des prohibitions
je déclare mes crimes et qu’il n’y a rien à dire pour ma défense.
Danses. Idoles. Relaps. Moi aussi
J’ai assassiné Dieu de ma paresse de mes paroles de mes gestes de mes chansons obscènes
J’ai porté des plumes de perroquet des dépouilles de chat musqué
J’ai laissé la patience des missionnaires
insulté les bienfaiteurs de l’humanité.
Défié Tyr. Défié Sidon.
Adoré le Zambèze.
L’étendue de ma perversité me confond !
Mais pourquoi brousse impénétrable encore cacher le vif zéro de ma mendicité
et par un souci de noblesse apprise ne pas entonner
l’horrible bond de ma laideur pahouine ?
voum rooh oh
voum rooh oh
à charmer les serpents à conjurer les morts
voum rooh oh
à contraindre la pluie à contrarier les raz-de-marée
voum rooh oh
à empêcher que ne tourne l’ombre
voum rooh oh
que mes cieux à moi s’ouvrent
— moi sur une route, enfant, mâchant une racine de canne à sucre
— traîné homme sur une route sanglante une corde au cou
— debout au milieu d’un cirque immense, sur mon front noir une couronne de daturas
voum rooh
s’envoler
plus haut que le frisson plus haut que les sorcières vers d’autres étoiles
exaltation féroce de forêts et de montagnes déracinées
à l’heure où nul n’y pense les îles liées pour mille ans !
voum rooh oh
pour que revienne le temps de promission
et l’oiseau qui savait mon nom
et la femme qui avait mille noms
de fontaine de soleil et de pleurs
et ses cheveux d’alevin
et ses pas mes climats
et ses yeux mes saisons
et les jours sans nuisance
et les nuits sans offense
et les étoiles de confidence
et le vent de connivence
Mais qui tourne ma voix ? qui écorche ma voix ?
Me fourrant dans la gorge mille crocs de bambou.
Mille pieux d’oursin. C’est toi sale bout de monde. Sale bout de petit matin.
C’est toi sale haine. C’est toi poids de l’insulte et cent ans de coup de fouet.
C’est toi cent ans de ma patience, cent ans de mes soins juste à ne pas mourir,
rooh oh
nous chantons les fleurs vénéneuses éclatant dans des prairies furibondes ;
les ciels d’amour coupés d’embolie ; les matins épileptiques ;
le blanc embrasement des sables abyssaux,
les descentes d’épaves dans les nuits foudroyées d’odeurs fauves.
Qu’y puis-je ?
Il faut bien commencer.
Commencer quoi ?
La seule chose au monde qu’il vaille la peine de commencer :
La Fin du monde parbleu.
[...]