Max ElskampHuit chansons reverdies dont quatre pleurent et quatre rient

 
   

Le matin

Et la première est d’un matin
Dit tout en bleu, dit tout en blanc,
Et la première est d’un matin
Ici pour le commencement,
 
De paix d’abord, cloches sonnant,
Et Flandre étant — Vive la Rose —
Douce à chacun à sa façon,
Suivant son bien, suivant ses choses.
 
Or Mai mettant les fleurs en cause,
Et la première est d’un matin,
Or Mai mettant les fleurs en cause,
Et la première est d’un jardin,
 
Voici qu’il sent le romarin,
Et qu’on dirait — Vive la vie —
Voici qu’il sent le romarin,
Et qu’on dirait qu’on se marie,
 
Et la première est d’un matin
Ainsi de paix et d’ornement,
Avec du pain, avec du vin,
Ici pour le commencement.

 
L’oiseau

Mais lors voici qu’un oiseau chante,
Dans une pauvre cage en bois,
Mais lors voici qu’un oiseau chante
Sur une ville et tous ses toits,
 
Et qu’il dit qu’on le voit le monde
Et sur la mer la pluie tomber,
Et des voiles s’en aller rondes,
Sur l’eau si loin qu’on peut aller.
 
Puis voix dans l’air plus haut montée,
Alors voici que l’oiseau dit
Que tout l’hiver s’en est allé
Et qu’on voit l’herbe qui verdit,
 
Et sur les chemins la poussière
Déjà, et les bêtes aussi,
Et toits fumant dans la lumière
Que l’on dirait qu’il est midi,
 
Et puis encore sa voix montée,
Que l’air est d’or et resplendit,
Et puis le bleu du ciel touché
Qu’il est ouvert le paradis.

 
Le navire

La troisième, elle, est d’un navire
Avec tous ses drapeaux au ciel,
La troisième, elle, est d’un navire
Ainsi qu’ils vont sous le soleil,
 
Avec leurs mâts, avec leurs ancres,
Et leur proue peinte en rouge ou vert,
Avec leurs mâts, avec leurs ancres,
Et tout en haut leur guidon clair.
 
Or, la troisième, elle, est dans l’air,
Et puis aussi, elle, est dans l’eau,
Or, la troisième sur la mer
Est comme y sont les blancs bateaux,
 
Et les rochers, et les accores,
Et terre dure ou sable mol,
Et les rochers, et les accores,
Et les îles et les atolls ;
 
Et la troisième est seule au monde
En large, en long, en vert, en bleu,
Et la troisième est seule au monde
Avec le soleil au milieu.

 
L’ange

Et puis après, voici un ange,
Un ange en blanc, un ange en bleu,
Avec sa bouche et ses deux yeux,
Et puis après voici un ange,
 
Avec sa longue robe à manches,
Son réseau d’or pour ses cheveux,
Et ses ailes pliées en deux,
Et puis ainsi voici un ange,
 
Et puis aussi étant dimanche,
Voici d’abord que doucement
Il marche dans le ciel en long
Et puis aussi étant dimanche,
 
Voici qu’avec ses mains il prie
Pour les enfants dans les prairies,
Et qu’avec ses yeux il regarde
Ceux de plus près qu’il faut qu’il garde ;
 
Et tout alors étant en paix
Chez les hommes et dans la vie,
Au monde ainsi de son souhait,
Voici qu’avec sa bouche il rit.

 
La femme

Mais maintenant vient une femme,
Et lors voici qu’on va aimer,
Mais maintenant vient une femme
Et lors voici qu’on va pleurer,
 
Et puis qu’on va tout lui donner
De sa maison et de son âme,
Et puis qu’on va tout lui donner
Et lors après qu’on va pleurer
 
Car à présent vient une femme,
Avec ses lèvres pour aimer,
Car à présent vient une femme
Avec sa chair tout en beauté,
 
Et des robes pour la montrer
Sur des balcons, sur des terrasses,
Et des robes pour la montrer
À ceux qui vont, à ceux qui passent,
 
Car maintenant vient une femme
Suivant sa vie pour des baisers,
Car maintenant vient une femme,
Pour s’y complaire et s’en aller.

 
La vie

Et lors la sixième est aveugle
Comme un pinson tout à chanter,
Et la sixième, elle, est aveugle
Car voici qu’on est à aimer,
 
Et que des mets sont sur des tables,
Et que du vin coule de nuit,
À bougies brûlant sur des tables
Où sont des fleurs avec des fruits.
 
Or gestes alors qui se pressent,
Vins bus, paroles échangées,
Lèvres tendues, yeux qui se baissent,
Chair ici qui jette les dés.
 
C’est temps allé qui se dérobe,
Et la tête de Jean coupée
Qu’emporte saignante en sa robe
Une fois de plus Salomé,
 
Car la sixième, elle, est aveugle,
Comme un pinson tout à chanter,
Car la sixième, elle, est aveugle,
Et puis voici qu’on a aimé.

 
Le déboire

Puis c’est l’heure et du temps qui passent
Un jour qui part, un jour qui vient,
Pour à tout faire de la place
Même à la peine ou au chagrin,
 
Et yeux déjà qui portent larmes
Pour le déboire qu’on attend,
Et fierté ici qui désarme
Lors plaie de cœur et plaie d’argent.
 
Mais Dieu alors et qu’on le prie
Sous des bougies par à peu près,
Et Vous que l’on salue, Marie,
Pour conjurer les sorts mauvais,
 
C’est de tous les jours de la vie
Précaires, graves, soucieux,
Dans la maison qu’on s’est bâtie
Que l’on se sent devenir vieux ;
 
Et trois coups frappés à la porte,
Voici qu’il est entré l’huissier,
Et trois coups frappés à la porte
Que la septième est de regrets.

 
La nuit

Et maintenant c’est la dernière
Et la voici et toute en noir,
Et maintenant c’est la dernière
Ainsi qu’il fallait la prévoir,
 
Et c’est un homme au feu du soir
Tandis que le repas s’apprête,
Et c’est un homme au feu du soir
Qui mains croisées, baisse la tête,
 
Or pour tous alors journée faite
Voici la sienne vide et noire,
Or pour tous alors journée faite,
Voici qu’il songe à son avoir,
 
Et maintenant la table prête
Que c’est tout seul qu’il va s’asseoir,
Et maintenant la table prête
Que seul il va manger et boire,
 
Car maintenant c’est la dernière
Et qui finit au banc des lits,
Car maintenant c’est la dernière
Et que cela vaut mieux ainsi.