Jean Genet 

 
   

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Ô mon vieux Maroni, ô Cayenne la douce !
Je vois les corps penchés de quinze à vingt fagots
Autour du mino blond qui fume les mégots
Crachés par les gardiens dans les fleurs et la mousse.
 
Un clop mouillé suffit à nous désoler tous.
Dressé seul au-dessus des rigides fougères
Le plus jeune est posé sur ses hanches légères
Immobile, attendant d’être sacré l’époux.
 
Et les vieux assassins se pressant pour le rite
Accroupis dans le soir tirent d’un bâton sec
Un peu de feu que vole, actif, le petit mec
Plus élégant et pur qu’une émouvante bite.
 
Le bandit le plus dur, dans ses muscles polis
Se courbe de respect devant ce gamin frêle.
Monte la lune au ciel. S’apaise une querelle.
Bougent du drapeau noir les mystérieux plis.
 
T’enveloppent si fin, tes gestes de dentelle !
Une épaule appuyée au palmier rougissant
Tu fumes. La fumée en ta gorge descend
Tandis que les bagnards, en danse solennelle,
 
Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,
Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,
Une goutte, pas deux, de la ronde fumée
Que leur coule ta langue. Ô frangin triomphant,
 
Divinité terrible, invisible et méchante,
Tu restes impassible, aigu, de clair métal,
Attentif à toi seul, distributeur fatal
Enlevé sur le fil de ton hamac qui chante.
 
Ton âme délicate est par delà les monts
Accompagnant encor la fuite ensorcelée
D’un évadé du bagne, au fond d’une vallée
Mort, sans penser à toi, d’une balle aux poumons.
 
Élève-toi dans l’air de la lune ô ma gosse.
Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd
Qui roule de ta gorge à tes dents, mon Amour,
Pour féconder enfin nos adorables noces.
 
Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt
D’enculer la plus tendre et douce des fripouilles.
En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,
Mon vit de marbre noir t’enfile jusqu’au cœur.
 
Ô vise-le dressé dans son couchant qui brûle
Et va me consumer ! J’en ai pour peu de temps,
Si vous l’osez, venez, sortez de vos étangs,
Vos marais, votre boue où vous faites des bulles
 
Âmes de mes tués ! Tuez-moi ! Brûlez-moi !
Michel-Ange exténué, j’ai taillé dans la vie
Mais la beauté Seigneur, toujours je l’ai servie
Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d’émoi.
 
Les coqs du poulailler, l’alouette gauloise,
Les boîtes du laitier, une cloche dans l’air,
Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,
C’est le luisant joyeux sur la prison d’ardoise.
 
Messieurs je n’ai pas peur ! Si ma tête roulait
Dans le son du panier avec ta tête blanche,
La mienne par bonheur sur ta gracile hanche
Ou pour plus de beauté, sur ton cou mon poulet...
 
Attention ! Roi tragique à la bouche entrouverte
J’accède à tes jardins de sable désolés,
Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,
D’un voile de lin bleu ta tête recouverte.
 
Par un délire idiot je vois ton double pur !
Amour ! Chanson ! Ma reine ! Est-ce ton spectre mâle
Entrevu lors des jeux dans ta prunelle pâle
Qui m’examine ainsi sur le plâtre du mur ?
 
Ne sois pas rigoureux, laisse chanter matine
À ton cœur bohémien ; m’accorde un seul baiser...
Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser
Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine !
 
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