Louise Labé 

 
   

Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,
Si j’ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes.
Si, en pleurant, j’ai mon temps consumé,
 
Las que mon nom n’en soit par vous blâmé.
Si j’ai failli, les peines sont présentes,
N’aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,
 
Sans votre ardeur d’un Vulcain excuser,
Sans la beauté d’Adonis accuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses,
 
En ayant moins que moi d’occasion,
Et plus d’étrange et forte passion.
Et gardez-vous d’être plus malheureuses !

 

   

Ne reprenez, Dames, si j’ay aymé :
   Si j’ay senti mile torches ardentes,
   Mile travaus, mile douleurs mordentes :
   Si en pleurant, j’ay mon tems consumé,
Las que mon nom n’en soit par vous blamé.
   Si j’ay failli, les peines sont presentes,
   N’aigrissez point leurs pointes violentes :
   Mais estimez qu’Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d’un Vulcan excuser,
   Sans la beauté d’Adonis acuser,
   Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses :
En ayant moins que moy d’occasion,
   Et plus d’estrange et forte passion.
   Et gardez vous d’estre plus malheureuses !