Vaudeville
J’aurai bientôt quatre-vingts ans ;
Je crois qu’à cet âge il est temps
D’abandonner la vie :
Aussi je la perds sans regret,
Et je fais gaiement mon paquet.
Bonsoir la compagnie.
Lorsque l’on prétend tout savoir,
Depuis le matin jusqu’au soir,
On lit, on étudie :
On n’en devient pas plus savant,
On n’en meurt pas moins ignorant.
Bonsoir la compagnie.
Lorsque d’ici je partirai,
Je ne sais pas trop où j’irai ;
Mais en Dieu je me fie :
Il ne peut que mener à bien ;
Aussi je n’appréhende rien.
Bonsoir la compagnie.
J’ai goûté de tous les plaisirs ;
J’ai perdu jusques aux désirs ;
À présent je m’ennuie.
Lorsque l’on n’est plus propre à rien,
On se retire, et l’on fait bien ;
Bonsoir la compagnie.
Dieu nous fit sans nous consulter :
Rien ne saurait lui résister ;
Ma carrière est remplie.
À force de devenir vieux,
Peut-on se flatter d’être mieux ?
Bonsoir la compagnie.
Nul mortel n’est ressuscité
Pour nous dire la vérité
Des biens de l’autre vie :
Une profonde obscurité
Est le sort de l’humanité.
Bonsoir la compagnie.
Rien ne périt entièrement,
Et la mort n’est qu’un changement,
Dit la philosophie.
Que ce système est consolant !
Je chante en adoptant ce plan :
Bonsoir la compagnie.