Gabriel-Charles de LattaignantAdieux au monde

 
   

Vaudeville

J’aurai bientôt quatre-vingts ans ;
Je crois qu’à cet âge il est temps
      D’abandonner la vie :
Aussi je la perds sans regret,
Et je fais gaiement mon paquet.
      Bonsoir la compagnie.
 
Lorsque l’on prétend tout savoir,
Depuis le matin jusqu’au soir,
      On lit, on étudie :
On n’en devient pas plus savant,
On n’en meurt pas moins ignorant.
      Bonsoir la compagnie.
 
Lorsque d’ici je partirai,
Je ne sais pas trop où j’irai ;
      Mais en Dieu je me fie :
Il ne peut que mener à bien ;
Aussi je n’appréhende rien.
      Bonsoir la compagnie.
 
J’ai goûté de tous les plaisirs ;
J’ai perdu jusques aux désirs ;
      À présent je m’ennuie.
Lorsque l’on n’est plus propre à rien,
On se retire, et l’on fait bien ;
      Bonsoir la compagnie.
 
Dieu nous fit sans nous consulter :
Rien ne saurait lui résister ;
      Ma carrière est remplie.
À force de devenir vieux,
Peut-on se flatter d’être mieux ?
      Bonsoir la compagnie.
 
Nul mortel n’est ressuscité
Pour nous dire la vérité
      Des biens de l’autre vie :
Une profonde obscurité
Est le sort de l’humanité.
      Bonsoir la compagnie.
 
Rien ne périt entièrement,
Et la mort n’est qu’un changement,
      Dit la philosophie.
Que ce système est consolant !
Je chante en adoptant ce plan :
      Bonsoir la compagnie.