Jean de Sponde 

 
   

Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre
Que me donne l’absence, et les jours, et les nuits
Font tant, qu’à tous moments je ne sais que je suis,
Si j’empire du tout ou bien si je respire.
 
Un chagrin survenant mille chagrins m’attire,
Et me cuidant aider moi-même je me nuis ;
L’infini mouvement de mes roulants ennuis
M’emporte, et je le sens, mais je ne le puis dire.
 
Je suis cet Actéon de ses chiens déchiré !
Si l’éclat de mon âme est si bien altéré
Qu’elle, qui me devrait faire vivre, me tue :
 
Deux Déesses nous ont tramé tout notre sort,
Mais pour divers sujet nous trouvons même mort,
Moi de ne la point voir, et lui de l’avoir vue.

 

   

Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre
   Que me donne l’absence, et les jours et les nuicts
   Font tant, qu’à tous moments je ne sçay que je suis,
   Si j’empire du tout ou bien si je respire.
Un chagrin survenant mille chagrins m’attire,
   Et me cuydant aider moy-mesme je me nuis ;
   L’infini mouvement de mes roulans ennuis
   M’emporte, et je le sens, mais je ne le puis dire.
Je suis cet Acteon de ses chiens deschiré !
   Si l’esclat de mon ame est si bien altéré
   Qu’elle, qui me devrait faire vivre, me tuë :
Deux Déesses nous ont tramé tout nostre sort,
   Mais pour divers sujet nous trouvons mesme mort,
   Moy de ne la point voir, et luy de l’avoir veuë.