Jehan Rictus

Les Soliloques du Pauvre

 

 

Faire enfin dire quelque chose à quelqu’Un qui serait le Pauvre, ce bon pauvre dont tout le monde parle et qui se tait toujours.

Voilà ce que j’ai tenté.

J. R.

 

L’Hiver


Merd’ ! V’là l’Hiver et ses dur’tés,
V’là l’ moment de n’ pus s’ mettre à poils :
V’là qu’ ceuss’ qui tienn’nt la queue d’ la poêle
Dans l’ Midi vont s’ carapater !

V’là l’ temps ousque jusqu’en Hanovre
Et d’ Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l’ soir, vont plaind’ les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !

Et v’là l’ temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc’ments d’ putains,
On va r’découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !

Les jornaux, mêm’ ceuss’ qu’a d’ la guigne,
À côté d’artiqu’s festoyants
Vont êt’ pleins d’appels larmoyants,
Pleins d’ sanglots... à trois sous la ligne !

Merd’, v’là l’Hiver, l’Emp’reur de Chine 
S’ fait flauper par les Japonais !
Merd’ ! v’là l’Hiver ! Maam’ Sév’rine
Va rouvrir tous ses robinets !

C’ qui va s’en évader des larmes !
C’ qui va en couler d’ la piquié !
Plaind’ les Pauvr’s c’est comm’ vendr’ ses charmes
C’est un vrai commerce, un méquier !

Ah ! c’est qu’on est pas muff en France,
On n’ s’occupe que des malheureux ;
Et dzimm et boum ! la Bienfaisance
Bat l’ tambour su’ les Ventres creux !

L’Hiver, les murs sont pleins d’affiches
Pour Fêt’s et Bals de charité,
Car pour nous s’courir, eul’ mond’ riche
Faut qu’y gambille à not’ santé !

Sûr que c’est grâce à la Misère
Qu’on rigol’ pendant la saison ;
Dam’ ! Faut qu’y viv’nt les rastaqoères
Et faut ben qu’y r’dor’nt leurs blasons !

Et faut ben qu’ ceux d’ la Politique
Y s’ gagn’nt eun’ popularité !
Or, pour ça, l’ moyen l’ pus pratique
C’est d’ chialer su’ la Pauvreté.

Moi, je m’ dirai : « Quiens, gn’a du bon ! »
L’ jour où j’ verrai les Socialisses
Avec leurs z’amis Royalisses
Tomber d’ faim dans l’ Palais-Bourbon.

Car tout l’ mond’ parl’ de Pauvreté
D’eun’ magnèr’ magnifique et ample,
Vrai de vrai y a d’ quoi en roter,              
Mais personn’ veut prêcher d’exemple !

Ainsi, r’gardez les Empoyés
(Ceux d’ l’Assistance évidemment)
Qui n’assistent qu’aux enterr’ments
Des Pauvr’s qui paient pas leur loyer !

Et pis contemplons les Artisses,
Peint’s, poèt’s ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag’nt dans la gloire et les bons vins !

Pour euss, les Pauvr’s, c’est eun’ bath chose,
Un filon, eun’ mine à boulots ;
Ça s’ met en dram’s, en vers, en prose,
Et ça fait fair’ de chouett’s tableaux !

Oui, j’ai r’marqué, mais j’ai p’têt’ tort,
Qu’ les ceuss qui s’ font « nos interprètes »
En geignant su’ not’ triste sort
S’arr’tir’nt tous après fortun’ faite !

Ainsi, t’nez, en littérature
Nous avons not’ Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D’ quoi caser sa progéniture !

Oh ! c’lui-là, vrai, à lui l’ pompon !
Quand j’ pens’ que, malgré ses meillons,
Y s’ fit ballader les rognons
Du Bois d’ Boulogn’ au Panthéon

Dans l’ corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d’ Beni-Bouff’-Tout
Et d’ vieux birb’s à barb’s vénérables...
J’ai idée qu’y s’a foutu d’ nous.

Et gn’a pas qu’ lui ; t’nez Jean Rich’pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune.
F’ra rien chaud quand j’ bouffrai d’ son pain
Ou qu’y m’ laiss’ra l’ taper d’eun’ thune.

Ben pis Mirbeau et pis Zola
Y z’ont « plaint les Pauvres » dans des livres,
Aussi, c’ que ça les aide à vivre
De l’une à l’aute Saint-Nicolas !

Même qu’Émile avait eun’ bedaine
À décourager les cochons
Et qu’ lui, son ventre et ses nichons
N’ passaient pus par l’av’nue Trudaine.

Alorss, honteux, qu’a fait Zola ?
Pour continuer à plaindr’ not’ sort
Y s’a changé en harang-saur
Et déguisé en échalas*.

Ben en peintur’, gn’y a z’un troupeau
De peintr’s qui gagn’nt la forte somme
À nous peind’ pus tocs que nous sommes :
Les poux aussi viv’nt de not’ peau !

Allez ! tout c’ mond’ là s’ fait pas d’ bile,
C’est des bons typ’s, des rigolos,
Qui pinc’nt eun’ lyre à crocodiles
Faite ed’ nos trip’s et d’ nos boïaux !

L’en faut, des Pauvr’s, c’est nécessaire,
Afin qu’ tout un chacun s’exerce,
Car si y gn’ aurait pus d’ misère
Ça pourrait ben ruiner l’ Commerce.

Ben, j’ vas vous dir’ mon sentiment :
C’est un peu trop d’hypocrisie,
Et plaindr’ les Pauvr’s, assurément
Ça rapport’ pus qu’ la Poésie :

Je l’ prouv’, c’est du pain assuré ;
Et quant aux Pauvr’s, y n’ont qu’à s’ taire.
L’ jour où gn’ en aurait pus su’ Terre,
Bien des gens s’raient dans la Purée !

Mais Jésus mêm’ l’a promulgué,
Paraît qu’y aura toujours d’ la dèche
Et paraît qu’y a quèt’ chos’ qu’ empêche
Qu’un jour la Vie a soye pus gaie.

Soit ! — Mais, moi, j’ vas sortir d’ mon antre
Avec le Cœur et l’Estomac
Pleins d’ soupirs... et d’ fumée d’ tabac.
(Gn’a pas d’ quoi fair’ la dans’ du ventre !)

J’en ai ma claqu’, moi, à la fin,
Des « P’tits carnets » et des chroniques
Qu’on r’trouv’ dans les poch’s ironiques
Des gas qui s’ laiss’nt mourir de faim !

J’en ai soupé de n’ pas briffer
Et d’êt’ de ceuss’ assez... pantoufles
Pour infuser dans la mistoufle
Quand... gn’a des moyens d’ s’arrbiffer.

Gn’a trop longtemps que j’ me balade
La nuit, le jour, sans toit, sans rien ;
(L’excès même ed’ ma marmelade
A fait s’ trotter mon Ang’ gardien !)

(Oh ! il a bien fait d’ me plaquer :
Toujours d’ la faim, du froid, d’ la fange,
Toujours dehors, gn’a d’ quoi claquer ;
Faut pas y en vouloir à c’t’ Ange !)

Eh donc ! tout seul, j’ lèv’ mon drapeau ;
Va falloir tâcher d’êt’ sincère
En disant l’ vrai coup d’ la Misère,
Au moins, j’aurai payé d’ ma peau !

Et souffrant pis qu’ les malheureux
Parc’ que pus sensible et nerveux
Je peux pas m’ faire à supporter
Mes douleurs et ma Pauvreté.

Au lieu de plaind’ les Purotains
J’ m’en vas m’ foute à les engueuler,
Ou mieux les fair’ débagouler,
Histoir’ d’embêter les Rupins.

Oh ! ça n’ s’ra pas comm’ les vidés
Qui, bien nourris, parl’nt de nos loques,
Ah ! faut qu’ j’écriv’ mes « Soliloques » ;
Moi aussi, j’en ai des Idées !

Je veux pus êt’ des Écrasés,
D’ la Mufflerie contemporaine ;
J’ vas dir’ les maux, les pleurs, les haines
D’ ceuss’ qui s’appell’nt « Civilisés » !

Et au milieu d’ leur balthasar
J’ vas surgir, moi (comm’ par hasard),
Et fair’ luire aux yeux effarés
Mon p’tit « Mané, Thécel, Pharès ! »

Et qu’on m’ tue ou qu’ j’aille en prison,
J’ m’en fous, j’ n’ connais pus d’ contraintes :
J’ suis l’Homme Modern’, qui pouss’ sa plainte,
Et vous savez ben qu’ j’ai raison !

                            1894-1895

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* Note de l’Auteur. — À l’époque où ce poème fut écrit, Émile Zola, qui était affligé d’une obésité considérable, suivit un traitement qui le réduisit à rien.

Impressions de promenade


Quand j’ pass’ triste et noir, gn’a d’ quoi rire.
Faut voir rentrer les boutiquiers
Les yeux durs, la gueule en tir’lire,
Dans leurs comptoirs comm’ des banquiers.

J’ les r’luque : et c’est irrésistible,
Y s’ caval’nt, y z’ont peur de moi,
Peur que j’ leur chopp’ leurs comestibles,
Peur pour leurs femm’s, pour je n’ sais quoi.

Leur conscienc’ dit : « Tu t’ soign’s les tripes,
« Tu t’ les bourr’s à t’en étouffer.
« Ben, n’en v’là un qu’a pas bouffé ! »
Alors, dame ! euss y m’ prenn’nt en grippe !

Gn’a pas ! mon spectr’ les embarrasse,
Ça leur z’y donn’ comm’ des remords :
Des fois, j’ plaqu’ ma fiole à leurs glaces,
Et y d’viennent livid’s comm’ des morts !

Du coup, malgré leur chair de poule,
Y s’ jett’nt su’ la porte en hurlant :
Faut voir comme y z’ameut’nt la foule
Pendant qu’ Bibi y fout son camp !

« — Avez-vous vu ce misérable,
« Cet individu équivoque ?
« Ce pouilleux, ce voleur en loques
« Qui nous r’gardait croûter à table ?

« Ma parole ! on n’est pus chez soi,
« On n’ peut pus digérer tranquilles...
« Nous payons l’impôt, gn’a des lois !
« Qu’est-c’ qu’y font donc, les sergents d’ ville ? »

J’ suis loin, que j’ les entends encor :
L’ vent d’hiver m’apport’ leurs cris aigres.
Y piaill’nt, comme à Noël des porcs,
Comm’ des chiens gras su’ un chien maigre !

Pendant c’ temps, moi, j’ file en silence,
Car j’aim’ pas la publicité ;
Oh ! j’ connais leur état d’ santé,
Y m’ f’raient foutre au clou... par prudence !

Comm’ ça, au moins, j’ai l’ bénéfice
De m’ répéter en liberté
Deux mots lus su’ les édifices :
« Égalité ! Fraternité ! »

Souvent, j’ai pas d’aut’ nourriture :
(C’est l’ pain d’ l’esprit, dis’nt les gourmets.)
Bah ! l’Homme est un muff’ par nature,
Et la Natur’ chang’ra jamais.

Car, gn’a des prophèt’s, des penseurs
Qui z’ont cherché à changer l’Homme.
Ben quoi donc qu’y z’ont fait, en somme,
De c’ kilog d’ fer qu’y nomm’nt son Cœur ?

Rien de rien... même en tapant d’ssus
Ou en l’ prenant par la tendresse
Comm’ l’a fait Not’ Seigneur Jésus,
Qui s’a vraiment trompé d’adresse :

Aussi, quand on a lu l’histoire
D’ ceuss’ qu’a voulu améliorer
L’ genre humain..., on les trait’ de poires ;
On vourait ben les exécrer :

On réfléchit, on a envie
D’ beugler tout seul « Miserere »,
Pis on s’ dit : Ben quoi, c’est la Vie !
Gn’a rien à fair’, gn’a qu’à pleurer.

Songe-Mensonge, Espoir, Déception (trilogie)


Songe-Mensonge

                            I

P’têt’ ben qu’un jour gn’aura du bon
Pour l’ Gas qui croit pus à grand’ chose,
Qu’ a ben sommeil, qu’ est ben morose
Et qui bourlingue à l’abandon ;

Pour l’ Gas qui marche en ronflant d’bout
Et qui veut pus en foutre eun’ datte
Et qui risqu’rait p’têt’ un sal’ coup
S’il l’tait pus vaillant su’ ses pattes

Et s’y n’ saurait pas qu’en fin d’ compte
Pus ya d’ misère et d’ scélérats,
Pus ya d’ l’horreur, pus ya d’ la honte,
Pus ya d’ pain pour les magistrats !

Oh ! p’têt’ ben qu’ oui, oh ! p’têt’ ben qu’ non,
Gn’aura du mieux... du neuf... du bon
Pour C’lui qui va la gueul’ penchée
À l’heure où les aut’s sont couchés,

Car c’ soir... faut r’filer la Comète,
Malgré qu’ mes pieds soyent en viand’ crue ;
Ce soir... c’ doit êt’ un soir de fête,
C’est plein d’ rigolos dans les rues !

[Ô joie ! ô candeur !... non c’ qu’y gueulent,
Gn’en a déjà qu’ ont leur muffée ;
Y tienn’nt un copain qui dégueule
Alorss que moi j’ai rien briffé.]

C’est des michets, c’est des maqu’reaux,
C’est des « rastas », c’est des rapins,
Des calicots et des youpins,
Des band’s de rouchies et d’ poivrots,

Des candidats au copahu,
Des jeun’s genss’ qui fait dans l’ Commerce
Et qui s’ sont dit : « Faut qu’on s’exerce
À la grand’ noce, au grand chahut ! »

(Ceuss’-là y gagn’nt cinq cigs par mois
Et veul’nt la faire aux mecs braisés)
Or pour s’offrir eun’ fill’ de joie
Ce soir... n’a fallu s’ cotiser !

Chacun deux thun’s... viv’ la jeunesse !
Et les v’là quat’ pour eun’ gothon :
Mais la pauv’ môm’ n’a qu’ deux tétons
Et quoi qu’a fass’... qu’eun’ pair de fesses !

Un seul couch’ra... hein, quel succès !
Les aut’s y s’ tap’ront... sans personne
(Ah ! qu’on est fier d’être Français
Quand on regarde la Colonne !)

Vrai, les pauv’s gas..., les malheureux,
Les crèv’-d’amour..., les faméliques !
Y pass’nt, les viveurs fastueux
De la troisième République !

Euss’, leur gueltre et leur faux chambard
Et leurs punais’s à trois francs l’heure,
C’est d’ la misère et du cauch’mar
C’est d’ la cruauté qui m’effleure.

Quand gn’en a pus... gn’en a encore,
Y piaill’nt, y rouspèt’nt... y s’ querell’nt
C’est du suffrage universel
Qui passe et qu’ est content d’ son sort !


                            II

Ah ! les veaux tout d’ mêm’, les vagins,
Les salopiots..., les pauv’s loufoques,
C’est pas euss qui f’ront v’nir l’Époque
Où qu’ les z’Homm’s y s’ront tous frangins,

Où qu’ les Nations s’ pass’ront des langues,
Comm’ des charlott’s en amiquié,
Euss, y r’tourn’nt à l’orang-outangue
De la cocotte au cocotier !

Ça s’rait bath d’en faire un cocu,
D’y soul’ver eun’ de ses bergères,
Mais d’pis longtemps... j’ai mal vécu,
J’ suis pas sûr d’êt’ eun’ bonne affaire ;

(Dam’ !... j’ai fait l’ jacqu’ moi, et par trop,
L’ poireau d’amour pour caus’ de dèche,
La crêm’ de ma rac’ doit êt’ sèche
Comm’ la moëll’ morte du sureau ;

Pis... mal fringué... fauché... sans treffe,
J’os’rai seul’ment pas y causer :
Donc un béguin, c’est comm’ des nèfes,
Quant au lapin... c’est tout posé !)

Enfin ! N’empêch’ que v’là la puïe
Qu’y m’ faut cor’ n’ tortorer qu’ la brume
(Mêm’ que c’est comm’ ça qu’on s’enrhume
Et qu’on s’obtient des pneumonies).

Et n’empêch’ qu’en c’te nuit d’ plaisir
Où trottaille ed’ d’ la bell’ gonzesse
Au fin fond d’ ma putain d’ jeunesse
Y s’ lèv’ comme un troupeau d’ désirs !

Et quels désirs ! Des éperdus,
Des ceuss’ qui font qu’on d’viendrait pègre,
Des douloureux... des ben tendus,
Vrai band’ de loups et d’ gorets maigres.

[Pourtant la lanc’ d’vrait les noyer,
Oui, j’ t’en fous, ma viande hurl’ tout’ seule,
Mon cœur va me sauter d’ la gueule
Mes limandins vont aboyer !] 


                            III

Ah ! qu’ mes flaquants sont lourds ce soir...
Oh ! un bain d’ pieds... eun’ pair’ d’ pantoufes
(J’ai trop marné dans la mistoufe
Dans la bouillasse et l’ désespoir !)

Oh ! n’ pus êt’ planqué à la dure
Et n’ s’rait-ce qu’eun’ nuit frimer l’ marlou
Et m’ les rouler dans d’ la guipure
Ousqu’on verrait guincher mes poux.

Deux ronds d’ tendresse... un sou d’ sourire
Et deux tétons en oneillers
Pour s’y blottir, y roupiller
Et les mamourer sans rien dire :

Voui, deux tétons frais et joyeux,
Marmots lourds à gueulett’s fleuries,
Lingots d’amour et d’ chair chérie
Beaux et miséricordieux,

Oh ! d’ la santé... eun’ bonne haleine !
D’ la peau jeun’... des bras de fraîcheur
Et su’ tout ça coucher ma peine
Et ma fatigue de marcheur...

Car c’ soir vraiment j’ peux pus m’ cont’nir,
J’éclate ! Y a trop d’ joie, trop d’ morues,
Gn’ a trop d’ rigolos dans les rues,
J’ m’en vas chialer... j’ m’en vas m’ périr...

Assez ! ou j’ vas m’ sortir les tripes
Et buter dans l’ blair des passants,
Des premiers v’nus, des « innocents »,
Dans c’ troupeau d’ carn’s qu’ est les bons types.

Ceuss’-là dont la joie n’ fait pas grâce,
J’ m’en vas leur z’y mett’ un bouchon...
Noël ! Noël ! L’ preumier qui passe
Y bouff’ra d’ la têt’ de cochon !...


                            IV

À moins qu’ ça n’ soye moi qui n’écope
Y aurait des chanc’s pour qu’ d’eun’ mandale
Un d’euss’ m’envoye râper les dalles
Du « Rat Mort » au café Procope. 

Car euss’ n’ont pas dîné... d’ mépris
Ni déjeuné d’un paradoxe :
Tous ces muff’s-là, c’est ben nourri,
Ça fait du sport... ça fait d’ la boxe.

Pis quand même ej’ s’rais l’ pus costaud
(Faut ben voir la réalité),
Quand on est seul à s’ révolter
Les aut’s boug’nt pas pus qu’ des poteaux.

Alorss ? Quoi fair’ ? S’ foutre à la Seine ?
Mais j’ suis su’ Terr’, faut ben qu’ j’y reste ;
Allons r’marchons... rentrons not’ geste
Pour cett’ fois... ça vaut pas la peine !


Espoir

                            V

Comment qu’ ça s’ fait qu’ les taciturnes,
Les fout-la-faim, les gars comm’ moi,
Les membr’s du « Brasero nocturne »,
Gn’en a pus d’un su’ l’ pavé d’ bois ;

Ceuss’ qu’ont du poil et d’ la fierté,
Les inconnus... que tout l’ mond’ frôle,
Souffrent c’ qu’y souffr’nt sans rouspéter
Et pass’nt en couchant les épaules ?

C’est-y que quand le ventre est vide
On n’ peut rien autr’ que s’ résigner,
Comm’ le bétail au front stupide
Qui sent d’avanc’ qu’y s’ra saigné ?

Comment qu’ ça s’ fait qu’ la viande est lâche
Et qu’on n’ tent’rait pas un coup d’ chien
Et qu’ moins on peut... moins qu’on s’ maintient,
Pus on s’ cramponne et pus qu’on tâche ?

(Car c’est pas drôl’ d’êt’ sans coucher
Pour la raison qu’on est fauché,
Ou d’ pas s’ connaître eun’ tit’ maîtresse
À caus’ qu’on est dans la détresse !)

(L’ droit au baiser existe trop
Pour les rupins qu’ est débauchés,
Pour les barbes, pour les michets ;
Le sans-pognon..., lui, bais’... la peau !)

(Pourtant, vrai, on sait c’ qu’est la Vie
Qui s’ traduit par l’ mêm’ boniment
Qu’ dans la galette ou l’ sentiment
On vous fait jamais qu’ des vach’ries !)

Donc, comment qu’ ça s’ fait qu’on fait rien,
Qu’on a cor’ la forc’ de poursuivre
Et qu’ malgré tout, ben, on s’ laiss’ vivre
À la j’ m’en-fous, à la p’têt’-bien ?

Oh ! C’est qu’ chacun a sa chimère
Et qu’ pus il est bas l’ purotain,
Pus qu’y marin’ dans les misères,
Pus que son gniasse est incertain,

Et qu’ moins y sait où donner d’ l’aile,
Comme en plein jour l’oiseau du soir,
Pus qu’y se r’suc’ dans la cervelle
Deux grains d’ mensonge et un d’espoir !

Espoir de quoi ? Dam’ ! ça dépend :
Gn’en a qu’espèr’nt en eun’ Justice,
D’aut’s en la Gloir’ (ça, c’est un vice...
Leur faut dans l’ fign’ trois plum’s de paon !).

Mais l’ pus grand nombr’... l’est comm’ mézigue,
Y rêv’ d’un coin qui s’rait quéqu’ part,
N’importe, y n’ sait, où, pour sa part,
Y verrait flancher sa fatigue :

Un endroit ousque, sans charger,
Ça r’ssemblerait à d’ la vraie Vie,
À d’ l’Amour et à du manger, 
Mais pas comm’ dans les théories.

Un soir d’été, deux brins d’ persil,
Eun’ tit’ bicoque à la campagne
Et quéqu’ chose à s’ mett’ dans l’ fusil
(C’est pas des châteaux en Espagne !)

Car y vient eune heure à la fin
Où qu’ chacun veut vivre en artisse :
L’ rupin... à caus’ des rhumatisses
Et l’ pauvr’ pour bouffer à sa faim.

Voui ! D’ la guimauv’, du sirop d’ gomme
Pour chacun en particulier ;
Mais v’là l’ chiendent, v’là l’ singulier,
On vourait ça pour tous les hommes !


                            VI

Car, gn’a pas, on est fatigué,
On n’ donn’ pus dans la Politique,
Ses pantins noirs et leur chiqué,
On sait qu’ tout ça, c’est des « pratiques ».

On rigol’ d’eun’ Fraternité
Où même’ quand c’est l’ Milord qu’ étrenne
Et qu’ c’est son tour d’êt’ dans la peine,
Ses frangins (!) l’y laissent barboter.

On s’ fout d’un Dieu qui, s’il existe,
A sûr’ment dû nous oublier ;
Car d’pis l’ temps qu’on l’a supplié,
L’aurait pu fair’ la Vie moins triste !

On commenc’ par avoir son crible
Des loufoqu’ries de nos Aïeux ;
On vourait pas, si c’tait possible,
On vourait pas trinquer pour eux...

Nous on est droits... nous on respire
(Ça n’est déjà pas si cocasse) ;
Porquoi qu’y faut payer la casse
Du preumier et du s’cond Empire ?

On a soupé des comédies,
Des moral’s, des phizolofies,
L’Homm’ doit pus fair’ que son plaisir
Et la beauté de ses désirs.

On s’en fout des Idéalisses
Qui su’ not’ râb’ se chamaillaient
Et des z’avocats socialisses
Poilus, gueulards et marseillais !

On marche pus pour êt’ martyrs
Ou d’ la confitur’ d’insurgés,
Comm’ ceuss dont les z’oss’ments doiv’nt dire :
— Malheurs ! Quand c’est qu’on s’ra vengés ?

Porquoi qu’on s’rait viande à mitrailles
Pour flingots à « persécussions » ?
De Fourmies on r’monte à Versailles,
C’est toujours les mêm’s solutions.

On croit s’ battr’ pour l’Humanité,
J’ t’en fous... c’est pour qu’ les Forts s’engraissent
Et c’est pour que l’ Commerce y r’naisse
Avec bien pus d’ sécurité.

On se souvient des Communeux
Dont on questionnait la cervelle
En leur enfonçant les vitreux
À coups d’ sorlots et d’ point’s d’ombrelles

Et quand on r’tombe au temps présent,
On n’ trouv’ pas ça pus amusant ;
Y font vomir les satisfaits
À qui pus rien ne fait d’effet ;

Et vomir, les poir’s, les bett’raves,
Les résignés à tronch’s d’esclaves
Et tous les genr’s de révoltés
Qui finissent par êt’... députés !

Nous, on veut pus se l’ laisser mettre,
Vaut mieux s’ tourner les pouc’s en rond ;
Quand un larbin y parvient maître
L’est cor pus carn’ que son patron !

De quoi ? S’ fair’ scier pour ces gas-là ?
Fair’ monter l’ tirag’ des gazettes ?
Y val’nt pas l’ coup, vrai, nom de l’ là,
Qu’ z’y restn’t aux wouater-clozettes !

À part quéqu’s-uns qu’ ont d’ la bonté,
Les aut’s sont par trop sûrs d’eux-mêmes ;
Laissons les flemmards à leur flemme
Et les salauds dans leur sal’té !

Voui, qu’y z’y pionc’nt dans leur purin
Fait d’or, d’ laideurs et d’arrogance ;
Vrai, y manqu’nt par trop d’élégance.
Y m’ dégout’nt, mes Contemporains !

[Car les modernes Aristos
N’ont pas bezef des Paladins
Qui se faisaient crever la peau
Pour la Veuve et pour l’Orphelin.]


                            VII

Donc, chacun il a sa chimère,
(Mêm’ qu’il en est l’unique amant) ;
Bibi a la sienne égal’ment...
Suffit... j’ m’entends... c’est m’ n’ affaire !

Voui, j’ suis un typ’, moi, j’en ai d’ bonnes ;
Quand les aut’s y sont dans leur lit,
Bibi y trimballe eun’ Madone :
Notre-Dame-des-Démolis !

Et pis l’ pus crevant d’ l’aventure,
Qui fait mon chagrin panaché,
C’est qu’ c’est lorsque j’ suis l’ pus fauché,
L’ pus dans la nasse el’ pus dans l’ordure,

C’est quand j’ vaudrais pas mêm’ eun’ claque,
Quand j’ donn’rais pas deux ronds d’ ma peau
Et qu’ « le long, le long du ruisseau »
J’ vourais m’ fondre et devenir flaque,

C’est quand j’ me sens l’ pus loqu’taillon,
Quand j’ mâch’ mes cris comm’ des cartouches
C’est quand j’ suis l’ pus rauque et farouche
Qu’a m’apparaît comme un rayon !

Voui, quand j’ vas ruer dans les brancards,
Tout par un coup v’là qu’a s’élève,
La Cell’ qui dort au fond d’ mes rêves
Comme eun’ bonn’ Vierg’ dans un placard !

Qui c’est ? J’ sais pas, mais alle est belle :
A s’ lève en moi en Lun’ d’Été,
Alle est postée en sentinelle
Comme un flambeau, comme eun’ clarté !

A m’ guette, alle écout’ si j’ l’appelle
Du fond du soir et du malheur ;
Mêm’ qu’alle a les tétons en fleur
Et tout l’Amour dans les prunelles !

Qui c’est ? J’ sais pas... p’têt’ la Beauté
(À moins qu’ ça n’ soye la Charité).
En tous cas c’est moi qu’alle attend
Et v’là déjà pas mal de temps !

Sûr qu’ c’est pas eun’ gerce à la roue
Qui m’ mépris’ra pour manqu’ de carme
Et tant que j’ pilonn’rai la boue
Arpions en sang, châsses en larmes.

Sûr que c’est pas eune Égérie
Qui, bien qu’ repoussant du flingot,
F’rait p’têt’ sa tourte et sa sûrie
Pass’ que j’ jacqut’rai en parigot ;

Et non pus eun’ fill’ de romances
Qui s’enverrait l’Hercul’ du Nord
Ou, pour endormir ses souffrances,
M’ f’rait des queues avec un ténor !

Ni eun’ virago, sac à schnick,
Qui, pour soigner mon estomac,
M’ pass’rait tous les jours à tabac
Comm’ si qu’ j’aye épousé un flic (!)

Ni eun’ bergeois’ qui f’rait ses magnes
(Eune épateus’ de calicots)
Et l’ raffût des toupies d’All’magne
(Voyez rayon des boucicauts).

Ni eun’ détraquée, eun’ pourrie,
Eune écriveuse à faux jaspin,
Ni eun’ poufiasse à front d’ Marie
Qui s’appuierait des marloupins.

Qui c’est ? J’ sais pas, alle est si loin !
Alle est si pâl’ dans l’ soir qui tombe
Qu’on jur’rait qu’ a sort de la tombe
Ousqu’on s’ marierait sans témoins.

Mais à forc’ d’errer et d’ muser
Su’ des kilomèt’s de bitume,
Quéqu’ soir d’horreur et d’amertume
J’ me cogn’rai p’têt’ dans son baiser !

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

(— Mais d’ qui donc, feignant, mâche-angoisse,
Princ’ des Couillons, mine à croquis,
Gibier d’ Poissy qu’a l’ taf qu’on l’ poisse,
Non, mais dis-nous donc l’ baiser d’ qui ?

— T’en as d’ l’astuc’, c’est épatant !
Ousqu’alle est ta Blanch’, ta Radieuse,
Tu t’es pas vu, eh ! dégoûtant,
Toi et ta requinpett’ pouilleuse ?)

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

Ben, ma foi, si gn’a pas moyen,
C’est pas ça qu’empêch’ra que j’ l’aime !
Allons, r’marchons, suivons not’ flemme
Rêvons toujours, ça coûte rien !


Déception

                            VIII

Quand j’ m’amèn’rai su’ la Mason
Qu’ j’ai dans l’idée, au coin d’ ma vie,
Elle a s’ra just’ su’ sa sortie
Pour aller fair’ ses provisions.

Dès qu’a m’ verra, mince ed’ girie !
(Un vrai coup d’ tronche en plein nichons)
Et comm’ tout par un coup r’froidie,
A d’viendra blanch’ comme un torchon !

— Ah ! (Et a s’ mettra pour prier :)
— Seigneur ! Jésus ! Mari’-Mad’leine !
Et tous ceuss’ du calendrier
Qui s’ foutent d’ la misère humaine.

— Ah ! ben vrai... bonsoir ? Quiens ! Te v’là ?
Ça n’est pas trop tôt, mon bonhomme,
Allons, approch’, pos’ ton cul là,
D’où c’est qu’ tu viens ? Comment qu’ tu t’ nommes ?

— T’as l’air tout chos’... tu t’ sais en r’tard ;
Mais j’ te dis rien pass’ que tu t’ traînes
Et qu’ t’ as l’air d’avoir ben d’ la peine
D’êt’ ben massif, d’êt ben mastar !

— Mon guieu qu’ t’es grand ! Mon guieu qu’ t’es maigre !
Ben sûr... tu n’es pas... financier,
Ni député..., ni marl’..., ni pègre,
Sûr que t’as z’un foutu méquier !

— Tes clignotants sont fatigués !
Tes ployants grinc’nt comm’ des essieux,
T’es moch’..., t’es vidé..., t’es chassieux,
T’es à fond d’ cal’..., t’es déglingué ;

— Sûr ! T’as pas eu ta suffisance
De brich’ton, d’ sommeil et d’amour,
Et tes z’os qu’on doit voir à jour,
Ça n’est guèr’ d’ la « réjouissance ».

— T’as pus d’ grimpant... t’as pus d’ liquette,
Tes lappe-la-boue bâill’nt de douleur,
Et pour c’ qui est d’ ta riquinpette
Alle est taillée dans du malheur !

— Qui c’est ton parfum ? dis ? des fois ?
(On pourrait t’ pister à la trace.)
— Mossieu a mis son sifflet d’ crasse ?
Mossieu va dans l’ monde à, c’ que j’ vois !

— Ton bloum ! y dat’ du grand Empire !
Ta plur’ grelotte, eh ! grelotteux !
Et j’ devin’ cor à ton sourire
Qu’ ton cœur aussi est ben loqu’teux !

— T’ as dû n’avoir l’âme azurée
D’ l’instruction... d’ l’astuce et d’ l’acquis
Car avec ça t’as l’air... marquis,
Oh ! mais... d’un marquis d’ la Purée.

— J’ te connais comm’ si j’ t’avais fait,
T’ es un rêveur..., t’ es z’eun’ vadrouille ;
T’ as chassé que c’ que tu rêvais
Et t’ es toujours rev’nu bredouille :

— T’ as tell’ment r’filé la comète
Qu’on la croirait cor’ su’ ton front ;
T’ as du blanc d’ billard su’ la tête,
T’ as comme eune Étoil’ su’ l’ citron !

— Cause un peu si ça t’est possible !
Aie pas peur, caus’ ?... Pheu ! c’est natté.
Oh ! c’ qu’il est gonflé ton Sensible,
On croirait qu’ y va éclater !

— Gn’a ben longtemps que j’ t’espérais
Et j’ comptais pu su’ toi, à c’t’ heure ;
Mais pisque te v’là et qu’ tu pleures,
Stope ! on verra à voir après :

— Si ça t’ botte on f’ra compagnons
(Bien qu’ tu soye schnocke et qu’ tu trouillotes)
Mais j’ t’aim’ comm’ ça.... c’est mes z’ognons
Et tout l’ reste il est d’ la gnognotte !

— Arr’pos’-toi donc, va... fais un somme,
T’ es pas pressé... tu viens d’ si loin ;
Les purs-sangs qui sont pas des hommes
Roupill’nt ben tout l’ long d’ leur besoin ;

— Dors... laiss’ tout ça s’organiser,
J’ suis la Beauté... j’ suis la Justice,
Et v’là trente ans que tu t’ dévisses,
Qu’ t’ es en marche après mon baiser !

— T’ es ben un galant d’ not’ Époque,
Un d’ nos cochons d’ contemporains
Qu’ ont l’ cœur et la sorbonne en loques 
Et n’ savent où donner du groin.

— Ah ! c’ que t’ as pris... non, c’est un rêve !
Et j’ai qu’à voir ton ciboulot
Pour m’ figurer qu’ ta part d’ gâteau
Ne cont’nait sûr’ment pas la fève.

— T’ as d’ l’orgueil, d’ la simplicité,
Et d’vant la Vie t’ as fait ta gueule ;
T’ as d’ l’usage... d’ la timidité,
T’ es dign’, t’ es maigr’, t’ es jeun’... t’ es meule !

— Aussi on n’ te gob’ pas beaucoup,
T’ offens’s les muffs ; t’ es bon pour l’ bagne.
Comment, sagouin, t’ avais pas l’ sou
Et tu f’sais ta poire et tes magnes ?

— Quiens... maint’nant, causons des gonzesses
(Qué Sologn’ ce fut... tes vingt ans !)
Aucune a compris les tendresses
Qui braisoyent dans tes miroitants :

— Et t’ es cor deuil et plein d’ méfiance
À cause des fauvett’s qui dans l’ temps
Ont fait pipi su’ tes croyances
Et caca su’ ton Palpitant ;

— Et des nombreus’s qui censément
T’ont mené au pat’lin jonquille
Et chahuté les sentiments
Comm’ des croquants couch’nt un jeu d’ quilles.

— Et les ment’ries qu’ tu sais déjà ;
Nib ! T’ en veux pus pour un empire :
Hein : — « Cœurs de femm’s, cœurs de goujats »,
Et les meilleur’s... a sont les pires !

— N’ te tracass’ pas, va... dors, mon gosse ;
Dodo, mon chagrin.., mon chouné,
La France est un pays d’ négoce,
Tu sauras jamais t’y r’tourner !

(Car la Femme a n’a qu’un pépin,
Son mâl s’rait-y l’ roi des Rupins,
L’ pus marioll’ de tous les royaumes,
Pour Ell’... c’est jamais qu’un pauv’ môme.)


                            IX

Et v’là. — A caus’ra jusqu’au jour
Comm’ ça en connaissanc’ de cause ;
Ses mots... y s’ront des grains d’amour,
Et en m’ disant tout’s ces bonn’s choses,

Jusqu’à c’ que la Blafarde a s’ couche
Dans son plumard silencieux,
A mettra ses mains su’ ma bouche
Et pis ses bécots plein mes yeux.

(Car nous deux ça bich’ra tout d’ suite
Et pour savoir si j’ suis amé
Sûr, j’aurai pas besoin d’ plumer
L’ volant mignon des marguerites !)

J’ m’y vois. — A m’ prendra dans ses bras
Comme eun’ moman quient son moutard,
Comme un goualant d’ rues sa guitare
Et a m’ f’ra chialer c’ qu’a voudra.

Pour moi, ça s’ra mossieu Dimanche
(J’y caus’rai pas... gn’en aurait d’ trop !)
J’ s’rai là, crevé, langu’ dans les crocs
Comme un vieux canasson qui flanche.

Dormir alors... ah ! j’ dormirai
L’instant où j’ la rencontrerai !
Oh ! là là, qué coup d’ traversin :
(Le tsar y s’ra pas mon cousin !)

Dormir... dormir, jusqu’à Midi !
Qu’a soye putain, qu’a soye pucelle,
Le blair’ dans l’ poil de son aisselle
Comme un moignieau qui rentre au nid !

Sûr qu’a s’ra franch’, gironde et bonne,
Son cœur y s’ra là pour un coup,
Et ses tétons y s’ront si doux
Que j’ la prendrai pour eun’ daronne.

Et loin des gonciers charitables,
Des philanthrop’s... des gas soumis,
J’aurai d’ la soup’, du rif, eun’ table
Et du perlo pour les z’amis.

(Fini l’ chiqué des vieux gratins,
Des pauv’s vieux cochons baladeurs !
Fini, Mam’ Poignet et ses leurres
Solitaires et clandestins !)

Ah ! nom de d’là ! ce que j’ l’am’rai
(Gn’aura qu’Ell’ qui s’ra ma Patrie)
Elle et pis sa jeuness’ fleurie
Comm’ le Luxembourg au mois d’ Mai !

Ah ! quand c’est que j’y parviendrai
À la Mason de Son Sourire,
Quand c’est donc que je pourrai m’ dire :
— Ma vieill’, ça y est, tu vas t’ plumer !

Si c’est l’Hiver... p’têt’ qu’y f’ra chaud,
Si c’est l’ Printemps p’têt’ qu’y f’ra tendre,
Mais qu’y lansquine ou qu’y fass’ beau,
Mon guieu... comme y f’ra bon d’ s’étendre !

Voui, dormir... n’ pus jamais rouvrir
Mes falots sanglants su’ la Vie,
Et dès lorss ne pus rien savoir
Des espoirs et des désespoirs,

Qu’ ça soye le soir ou ben l’ matin,
Qu’y fass’ moins noir dans mon destin,
Dormir longtemps... dormir... dormir !
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  
Ho ! mais bon sang ! Cell’ que j’appelle
Ça s’rait-t’y pas la Femme en Noir
Qu’est à coup sûr la pus fidèle ?

Oh ! là là, vrai ! La Dame en Noir
(Qu’un jour tout un chacun doit voir
Aux lueurs des trent’-six chandelles
Qu’on allum’ pour la recevoir) ;

Tonnerr’ de Dieu !... la Femme en Noir,
La Sans-Remords... la Sans-Mamelles,
La Dure-aux-Cœurs, la Fraîche-aux-Moelles,
La Sans-Pitié, la Sans-Prunelles,
Qui va jugulant les pus belles
Et jarnacquant l’ jarret d’ l’Espoir :

Vous savez ben... la Grande en Noir
Qui tranch’ les tronch’s par ribambelles
Et dans les tas les pus rebelles,
Envoye son tranchoir en coup d’aile
Pour fair’ du Silence et du Soir !

(Et faire enfin qu’y ait du bon
Pour l’ gas qui rôde à l’abandon).

Le Revenant

I

                            I

Des fois je m’ dis, lorsque j’ charrie
À douète... à gauche et sans savoir
Ma pauv’ bidoche en mal d’espoir,
Et quand j’ vois qu’ j’ai pas l’ droit d’ m’asseoir
Ou d’ roupiller dessus l’ trottoir
Ou l’ macadam de « ma » Patrie,

Je m’ dis : — Tout d’ même, si qu’y r’viendrait !
Qui ça ?... Ben quoi ! Vous savez bien,
Eul’ l’ trimardeur galiléen,
L’ Rouquin au cœur pus grand qu’ la Vie !

De quoi ? Ben, c’lui qui tout lardon
N’ se les roula pas dans d’ beaux langes
À caus’ que son double daron
Était si tell’ment purotain

Qu’y dut l’ fair’ pondr’ su’ du crottin
Comm’ ça à la dure, à la fraîche,
À preuv’ que la paill’ de sa crèche
Navigua dans la bouse de vache.

Si qu’y r’viendrait, l’Agneau sans tache ;
Si qu’y r’viendrait, l’ Bâtard de l’ Ange ?
C’lui qui pus tard s’ fit accrocher
À trent’-trois berg’s, en plein’ jeunesse
(Mêm’ qu’il est pas cor dépendu !),
Histoir’ de rach’ter ses frangins
Qui euss’ l’ont vendu et r’vendu ;
Car tout l’ monde en a tiré d’ l’or
D’pis Judas jusqu’à Grandmachin !

L’ gas dont l’ jacqu’ter y s’en allait
Comm’ qui eût dit un ruisseau d’ lait,
Mais qu’a tourné, qui s’a aigri
Comm’ le lait tourn’ dans eun’ crém’rie
Quand la crémière à ses anglais !

(La crémièr’, c’est l’Humanité
Qui n’ peut approcher d’ la Bonté
Sans qu’ cell’-ci, comm’ le lait, n’ s’aigrisse
Et n’ tourne aussitôt en malice !)
 
Si qu’y r’viendrait ! Si qu’y r’viendrait,
L’Homm’ Bleu qui marchait su’ la mer
Et qu’était la Foi en balade :

Lui qui pour tous les malheureux
Avait putôt sous l’ téton gauche
En façon d’ cœur... un Douloureux.
(Preuv’ qui guérissait les malades
Rien qu’à les voir dans l’ blanc des yeux,
C’ qui rendait les méd’cins furieux.)

L’ gas qu’en a fait du joli
Et qui pour les muffs de son temps
N’tait pas toujours des pus polis !

Car y disait à ses Apôtres :
— Aimez-vous ben les uns les autres,
Faut tous êt’ copains su’ la Terre,
Faudrait voir à c’ qu’y gn’ait pus d’ guerres
Et voir à n’ pus s’ buter dans l’ nez,
Autrement vous s’rez tous damnés.

Et pis encor :
                   — Malheur aux riches !
Heureux les poilus sans pognon,
Un chameau s’ enfil’rait ben mieux
Par le petit trou d’eune aiguille
Qu’un michet n’entrerait aux cieux !

L’ mec qu’était gobé par les femmes
(Au point qu’ c’en était scandaleux),
L’Homme aux beaux yeux, l’Homme aux beaux rêves
Eul’ l’ charpentier toujours en grève,
L’artiss’, le meneur, l’anarcho,
L’entrelardé d’ cambrioleurs
 
(Ça s’rait-y paradoxal ?)
L’ gas qu’a porté su’ sa dorsale
Eune aut’ croix qu’ la Légion d’Honneur !


                            II 

Si qu’y r’viendrait, si qu’y r’viendrait !
Tout d’un coup... ji... en sans façons,
L’ modèl’ des méniss’s économes,
Lui qui gavait pus d’ cinq mille hommes
N’avec trois pains et sept poissons.

Si qu’y r’viendrait juste ed’ not’ temps
Quoi donc qu’y s’ mettrait dans l’ battant ?
Ah ! lui, dont à présent on s’ fout
(Surtout les ceuss qui dis’nt qu’ils l’aiment).

P’têt’ ben qu’y n’aurait qu’ du dégoût
Pour c’ qu’a produit son sacrifice,
Et qu’ cette fois-ci en bonn’ justice
L’aurait envie d’ nous fout’ des coups !

Si qu’y r’viendrait... si qu’y r’viendrait
Quéqu’ jour comm’ ça sans crier gare,
En douce, en pénars, en mariolle,
De Montsouris à Batignolles,
Nom d’un nom ! Qué coup d’ Trafalgar !

Devant cett’ figur’ d’honnête homme
Quoi y diraient nos négociants ?
(Lui qui bûchait su’ les marchands)
Et c’est l’ Pap’ qui s’rait affolé
Si des fois y pass’rait par Rome

(Le Pap’, qu’est pus riche que Crésus.)
J’en ai l’ frisson rien qu’ d’y penser.
Si pourtant qu’y r’viendrait Jésus,

Lui, et sa gueul’ de Désolé !

II

                            III

Eh ben ! moi... hier, j’ l’ai rencontré
Après menuit, au coin d’eun’ rue,
Incognito comm’ les passants
Des tifs d’argent dans sa perrugue
Et pour un Guieu qui s’ paye eun’ fugue
Y n’était pas resplendissant !

Y n’est v’nu su’ moi et j’y ai dit :
— Bonsoir... te v’là ? Comment, c’est toi ?
Comme on s’ rencontr’... n’en v’là d’eun’ chance !
Tu m’épat’s... t’es sorti d’ ta Croix ?
Ça n’a pas dû êt’ très facile...
Ben... ça fait rien, va, malgré l’ foid,
Malgré que j’ soye sans domicile,
J’ suis content d’ fair’ ta connaissance

— C’est vraiment toi... gn’a pas d’erreur ! 
Bon sang d’ bon sang... n’en v’là d’eun’ tuile ! 
Qué chahut d’main dans Paris !
Oh ! là là, qué bouzin d’ voleurs :
Les jornaux vont s’ vend’ par cent mille !
— Eud’mandez : « Le R’tour d’ Jésus-Christ ! »
— Faut voir : « L’Arrivée du Sauveur !!! »

— Ho ! tas d’ gouapeurs ! Hé pauv’s morues, 
Sentinell’s des miséricordes,
Vous savez pas, vous savez pas ?
(Gn’a d’ quoi se l’esstraire et s’ la morde !)

Rappliquez chaud ! Gn’a l’ fils de Dieu
Qui vient d’ déringoler des cieux
Et qui comme aut’fois est sans pieu,
Su’ l’ pavé... quoi... sans feu ni lieu
Comm’ nous les muffs, comm’ vous les grues !!!

— (Chut ! fermons ça... v’là les agents !) 
T’entends leur pas... intelligent ?
Y s’ charg’raient d’ nous trouver eun’ turne. 
(Viens par ici... pet ! crucifié.) 
Tu sais... faurait pas nous y fier. 
Déjà dans l’ squar’ des Oliviers, 
Tu as fait du tapag’ nocturne ;

— Aujord’hui... ça s’rait l’ mêm’ tabac,
Autrement dit, la même histoire,
Et je n’ te crois pus l’estomac 
De r’subir la scèn’ du Prétoire !
— Viens ! que j’ te r’garde... ah ! comm’ t’es blanc. 
Ah ! comm’ t’es pâl’... comm’ t’as l’air triste. 
(T’as tout à fait l’air d’un artiste !
D’un d’ ces poireaux qui font des vers
Malgré les conseils les pus sages, 
Et qu’ les borgeois guign’nt de travers,
Jusqu’à c’ qu’y fass’nt un rich’ mariage !)

— Ah ! comm’ t’es pâle... ah ! comm’ t’es blanc, 
Tu guerlott’s, tu dis rien... tu trembles.
(T’ as pas bouffé, sûr... ni dormi !) 
Pauv’ vieux, va... si qu’on s’rait amis 
Veux-tu qu’on s’assoye su’ un banc, 
Ou veux-tu qu’on balade ensemble...

— Ah ! comm’ t’ es pâle... ah ! comm’ t’ es blanc, 
T’ as toujours ton coup d’ lingue au flanc ?
De quoi... a saign’nt encor tes plaies ? 
Et tes mains... tes pauv’s mains trouées 
Qui c’est qui les a déclouées ? 
Et tes pauv’s pieds nus su’ l’ bitume, 
Tes pieds à jour... percés au fer, 
Tes pieds crevés font courant d’air,
Et tu vas chopper un bon rhume !

— Ah ! comm’ t’ es pâle... ah ! comm’ t’ es blanc, 
Sais-tu qu’ t’ as l’air d’un Revenant,
Ou d’un clair de lune en tournée ? 
T’ es maigre et t’ es dégingandé, 
Tu d’vais êt’ comm’ ça en Judée 
Au temps où tu t’ proclamais Roi ! 
À présent t’ es comme en farine. 
Tu dois t’en aller d’ la poitrine 
Ou ben... c’est ell’ qui s’en va d’ toi !

— Quéqu’ tu viens fair’ ? T’ es pas marteau ? 
D’où c’est qu’ t’ es v’nu ? D’en bas, d’en haut ? 
Quelle est la rout’ que t’ as suivie ?
C’est-y qu’ tu r’commenc’rais ta Vie ?
Es-tu v’nu sercher du cravail ?
(Ben... t’ as pas d’ vein’, car en c’ moment,
Mon vieux, rien n’ va dans l’ bâtiment) ;
(Pis, tu sauras qu’ su’ nos chantiers
On veut pus voir les étrangers !)

— Quoi tu pens’s de not’ Société ? 
Des becs de gaz... des électriques. 
Ho ! N’en v’là des temps héroïques ! 
Voyons ? Cause un peu ? Tu dis rien ! 
T’ es là comme un paquet d’ rancœurs. 
T’ es muet ? T’ es bouché, t’ es aveugle ? 
Yaou... ! T’ entends pas ce hurlement ? 
C’est l’ cri des chiens d’ fer, des r’morqueurs, 
C’est l’ cri d’ l’Usine en mal d’enfant,

C’est l’ Désespoir présent qui beugle !


                            IV

— Ed’ ton temps, c’était comme aujord’hui ? 
Quand un gas tombait dans la pure
Est-c’ qu’on l’ laissait crever la nuit 
Sans pèz’, sans rif et sans toiture ?

— (Pass’ que maint’nant gn’a du progrès, 
Ainsi quand gn’a trop d’ vagabonds
Ben on les transmet au Gabon.)
Ceux d’ bon gré et ceux d’ mauvais gré
Et ceuss comm’ toi qu’ont la manie 
D’ trouver que l’ monde est routinier, 
Ben on les fout dans l’ mêm’ pagnier. 
(Dam ! le Français est casanier, 
Faut ben meubler les colonies !)

— On parle encor de toi, tu sais ! 
Voui on en parle en abondance, 
On s’ fait ta tête et on s’ la paie, 
T’ es à la roue... t’ es au théâtre, 
On t’ met en vers et en musique, 
T’ es d’venu un objet d’ Guignol, 
(Ça, ça veut dir’ qu’ tu as la guigne.)

— Ousqu’il est ton ami Lazare ? 
Et Simon Pierre ? Et tes copains... 
Et Judas qui bouffait ton pain 
Tout en t’ vendant comme au bazar ? 
Et tes frangins et ta daronne
Et ton dab, qu’était ben jean-jean !

Te v’là, t’es seul ! On t’abandonne !

— Et Mad’leine... ousqu’alle est passée ? 
(Ah ! pauv’ Mad’leine... pauv’ défleurie, 
Elle et ses beaux nénés tremblants, 
Criant pitié, miaulant misère,
Ses pauv’s tétons en pomm’s d’amour 
Qu’ étaient aussi deux poir’s d’angoisse 
Qu’on s’ s’rait ben foutu dans l’ clapet.)

— C’était la paix, c’était la Vie.
Ah ! tout fout l’ camp et vrai, ma foi, 
T’ aurais mieux fait d’ te mett’ en croix 
Contr’ son ventr’ nu... contr’ sa poitrine, 
Ces dardés-là t’euss’nt pas blessé,
Sûr t’aurais mieux fait... d’ l’embrasser : 
A n’avait un pépin pour toi !


                            V

Ah ! Généreux !... ah ! Bien-aimé, 
Tout ton monde y s’a défilé 
Et comm’ jadis, au Golgotha : 
Eli lamma Sabacthani, 
Ou n, i, ni c’est ben fini.

Eh ! blanc youpin... eh ! pauv’ raté ! 
Tout ton Œuvre il a avorté 
Toi, ton Étoile et ta Colombe 
Déringol’nt dans l’éternité ; 
Tu dois en avoir d’ l’amertume. 
Même à présent quand la neig’ tombe :

(On croirait tes Ang’s qui s’ déplument !)

Là, là, mon pauv’ vieux, qué désastre !
Gn’en a pas d’ pareil sous les astres, 
Et faut qu’ ça soye moi qui voye ça ? 
Et dir’ que nous v’là toi z’et moi, 
Des bouff-la-guign’, des citoyens 
Qu’ ont pas l’ moyen d’avoir d’ moyens.

Et que j’ suis là, moi, bon couillon, 
À t’ causer... à t’ fair’ du chagrin, 
Et que j’ sens qu’ tu vas défaillir 
Et que j’ai mêm’ rien à t’offrir, 
Pas un verre... un bol de bouillon !

Ohé, les beaux messieurs et dames 
Qui poireautez dans les Mad’leines, 
Curés, évêques, sacristains, 
Maçons, protestants, tout’ la clique, 
Maqu’reaux d’ vot’ Dieu, hé ! catholiques, 
Envoyez-nous un bout d’hostie :

G’na Jésus-Christ qui meurt de faim !


                            VI

— Et pourtant, vrai, c’ qu’on caus’ de toi !
(Ah ! faut voir ça dans les églises,
Dans les jornaux, dans les bouquins !) 
Tout l’ monde y bouff’ de ton cadavre 
(Mêm’ les ceuss qui t’en veul’nt le plus !)

Sous la meilleur’ des Républiques 
Gn’en a qu’ ont voulu t’ décrocher, 
D’aut’s inaugur’nt des basiliques 
Où tu peux seul’ment pas coucher.

— Et tout ça s’ passe en du clabaud !
Et quand y faut payer d’ sa peau, 
Quand faut imiter l’ Fils de l’Homme, 
Oh ! là, là, gn’a rien d’ fait... des pommes !

Les sentiments sont vit’ bouclés, 
À la r’voyure, un tour de clé ! 
Les uns y z’ont les pieds nick’lés, 
Les aut’s y les ont en dentelles !

— (Toi au moins t’ étais un sincère, 
Tu marchais... tu marchais toujours ; 
(Ah ! cœur amoureux, cœur amer) 
Tu marchais mêm’ dessur la mer
Et t’ as marché... jusqu’au Calvaire !)

— Et dir’ que nous v’là dans les rues 
(Moi, passe encor, mais toi ! oh ! toi !) 
Et nous somm’s pas si loin d’ Noël ; 
T’es presque à poils comme autrefois,
Tout près du jour où ta venue 
Troublait les luisants et les Rois !

Ah ! mes souv’nirs... ah ! mon enfance 
(Qui s’est putôt mal terminée),
Mes ribouis dans la cheminée, 
Mes mirlitons... mes joujoux d’ bois !

— Ah ! mes prièr’s... ah ! mes croyances !
— Mais ! gn’a donc pus rien dans le ciel !

—  Sûr ! gn’a pus rien ! Quelle infortune ! 
(J’ suis mêm’ pas sûr qu’y ait cor la Lune.) 
Sûr ! gn’a pus rien, mêm’ que peut-être 
Y gn’a jamais, jamais rien eu...


                            VII

Mais à présent... quoi qu’ tu vas foutre ? 
Fair’ des bagots... ou ben encor 
Aux Hall’s... décharger les primeurs ! 
(N’ va pas chez Drumont on t’ bouff’rait) 
Après tout, tu n’étais qu’un youtre !

— Si j’ te servais tes Paraboles !

Heureux les Simpl’s, heureux les Pauvres,
Eul’ Royaum’ des Cieux est à euss.

— (C’est avec ça qu’on nous empaume, 
Qu’on s’ cal’ des briqu’s et des moellons) 
Ben, tu sais, j’ m’en fous d’ ton Royaume ; 
J’am’rais ben mieux des patalons
Eun’ soupe, eun’ niche et d’ l’amitié.

(Car quoiqu’ t’ ay’ ben fait ton métier 
Toi, ton grand cœur et ta pitié, 
N’empêch’nt pas d’avoir foid aux pieds !)

— Ainsi arr’gard’ les masons closes 
Où roupill’nt ceuss’ qui croient en Toi. 
Sûr qu’ t’es là, su’ des bénitiers 
Dans les piaul’s... à la têt’ des pieux ; 
Crois-tu qu’un seul de ces genss’ pieux 
Vourait t’abriter sous son toit ?


                            VIII

Ah ! toi qu’on dit l’Emp’reur des Pauvres
Ben ton règne il est arrivé.
Tu d’vais r’venir, tu l’as promis,
Assis su’ ton trône et « plein d’ gloire »
Avec les Justes à ta droite ;
Et te v’là seul dans la nuit noire
Comm’ un diab’ qu’est sorti d’ sa boîte !
Sais-tu seul’ment où est ta gauche ?

Oh ! voui t’es là d’pis deux mille ans 
Su’ un bout d’ bois t’ouvr’ tes bras blancs 
Comme un oiseau qu’ écart’ les ailes, 
Tes bras ouverts ouvrent... le ciel 
Mais bouch’nt l’espoir de mieux bouffer 
Aux gas qui n’ croient pus qu’à la Terre.

Oh ! oui t’es là, t’ouvr’ tes bras blancs
Et vrai d’pis Y temps qu’on t’a figé
C’ que t’en as vu des affligés,
Des fous, des sag’s ou des d’moiselles
Combien d’ mains s’ sont tendues vers toi
Sans qu’ t’aye pipé, sans qu’ t’aye bronché !

Avoue-le va... t’ es impuissant, 
Tu clos tes châss’s, t’ as pas d’ scrupules, 
Tu protèg’s avec l’ mêm’ sang-froid 
L’ sommeil des Bons et des Crapules. 
Et quand on perd quéqu’un qu’on aime, 
Tu décor’s, mais tu consol’s pas.

Ah ! rien n’ t’émeut, va, ouvr’ les bras,
Prends ton essor et n’ reviens pas ; 
T’ es l’Étendard des sans-courage,
T’ es l’Albatros du Grand Naufrage,
T’ es le Goëland du Malheur !


                            IX

Quiens ! ôt’-toi d’ là et prends ta course, 
Débin’, cavale ou tu vas voir,

Aussi vrai qu’ j’ai un nom d’ baptême 
Et qu’ nous v’là tous deux dans la boue,
Aussi vrai que j’ suis qu’eun’ vadrouille, 
Un bat-la-crève, un fout-la-faim 
Et toi un Guieu magasin d’ giffes.

Ej’ m’en vas t’ buter dans la tronche, 
J’ vas t’ boulotter la pomm’ d’Adam, 
J’ m’en vas t’ rincer, gare à ta peau !

En v’là assez... j’ m’en vas t’ saigner. 
J’ai soupé, moi, des Résignés 
J’ai mon blot des Idéalisses !

— Arrière, arrièr’, n’ va pas pus loin ! 
Un moment vient où tout s’ fait vieux, 
Où les pus bell’s chos’s perd’nt leurs charmes :

(Oh ! v’là qu’ tu pleur’s, et des vraies larmes ! 
Tout va s’écrouler, nom de Dieu !)

— Ah ! je m’ gondole... ah ! je m’ dandine...
Rien n’ s’écroule, y aura pas d’ débâcle ;
Eh l’Homme à la puissance divine !
Eh ! fils de Dieu ! fais un miracle !


                            X

— Et Jésus-Christ s’en est allé
Sans un mot qui pût m’ consoler,
Avec eun’ gueul’ si retournée
Et des mirett’s si désolées
Que j’ m’en souviendrai tout’ ma vie.

Et à c’ moment-là, le jour vint
Et j’ m’aperçus que l’Homm’ Divin..
C’était moi, que j’ m’étais collé
D’vant l’ miroitant d’un marchand d’ vins !

On perd son temps à s’engueuler...

III


                    Il suffit d’un Homme pour
                changer la face du monde.
                                                       J. R.


                            XI

Mais ça fait rien si qu’y r’viendrait 
Quéqu’ nuit d’Hiver quand l’ frio semble 
Fair’ péter pavés et carreaux 
(Mais durcir les cœurs les pus tendres), 
Et g’ler les pleurs aux cils qui tremblent, 
Si qu’y planquait son blanc mensonge
Quéqu’ nuit autour d’un brasero !

Ça s’rait p’têt’ moi qui yi dirait 
Les mots qui s’raient l’ pus nécessaire 
Et ça s’rait p’têt’ ben moi qui s’rait 
L’ pus au courant d’ sa grand’ misère, 
Ça s’rait p’ têt’ moi qui l’ consol’rais...

— Ah ! qu’ j’y crierais, n’ va pas pus loin,
A branl’nt dans l’ manch’ tes cathédrales ;
N’ va pas pus loin, n’ va pas pus loin,
Ton pat’lin bleu est cor pus vide
Qu’ nos péritoin’s réunis.
Ah ! enfonc’-toi les poings dans l’ bide
Jusqu’à la colonn’ vertébrale !

— Arrière, arrièr’, n’ va pas pus loin ! 
Ou n’ viens qu’ la s’main’ des quat’-jeudis
Car tu r’trouv’rais tes Ponce-Pilate 
Présent en limace écarlate,
Trempée dans l’ sang des raccourcis !

— Arrière, arrièr’, n’ va pas pus loin ! 
(Car l’Iscariot a fait des p’tits)
Tu pourrais pus confier ta peine 
Qu’aux grands torchons ou... à la Seine.

T’ as cru à l’Homm’ toi, ma pauv’ vieille ? 
Ah ben ! tu sais, moi je n’ sais pus !
{Ventre affamé n’a pas d’oreilles 
Et les vent’s pleins n’en ont pas plus !)


                            XII

— Pleur’ ! Pleure encor, pleur’ tout’s tes r’ssources
(Comm’ pleur’ le gas qui n’ peut payer
Son enterr’ment ou son loyer).
Qu’ tes trous à voir d’vienn’nt deux gross’s sources
Et qu’ l’Univers en soye noyé !

— Pleur’ ! pleure encore et sois béni,
Ta banq’ d’amour a fait faillite
Coffret d’ sanglots, boîte à génie.

Ah ! le beau rêv’ que t’ as conté. 
Ton Paradis ? La belle histoire 
Sans c’te vach’ de Réalité :

— T’ étais l’ pus pauv’ d’entre les Hommes 
Car tu sentais qu’ tu pouvais rien
Contre leur débine indurée :

(Or comm’ les Pauv’s n’ont d’aut’ moyen 
Pour bouffer un peu leur chagrin 
Que d’ se réciter leur détresse 
Ou d’en dir’ du mal à part eux 
Et rêvasser quéqu’ chose de mieux 
Pour le surlend’main des lend’mains)

— Toi, t’ as voulu sécher d’un coup 
Le très vieux cancer des Humains 
Et pour ça leur en faire accroire...
Ton Paradis ? la belle histoire ! 
Et tu leur aimantas les yeux 
Vers le vide enivrant des cieux 
Qui dans ton pat’lin sont si bleus !

(Ton Paradis ? Eh ben ! c’était 
Un soliloque de malheureux !)


                            XIII

— Ah ! sors-toi l’ cœur, va, pauv’ panné, 
Ton cœur de pâle illuminé,
Au lieur d’histoir’s à la guimauve 
Hurle ta peine à plein gosier.

— Pisqu’y gn’a pus personn’ qui t’aime 
Et qu’ te v’là comme abandonné
Le cul su’ ta Mason ruinée,
Sors-moi ton cœur désordonné 
Lui qui n’a su que pardonner,
Tremp’-le dans la boue et dans l’ sang
Et dans ton poing qu’y d’vienne eun’ fronde
Et fous-le su’ la gueule au monde
Y t’en s’ra p’têt’ reconnaissant !

(T’ en as déjà donné l’exemple
Mais d’puis... l’a passé d’ l’eau sous l’ pont)
Faut rester l’ gas au coup d’ tampon
Qui boxait les marchands du Temple !

— Chacun a la Justice en lui,
Chacun a la Beauté en lui,
Chacun a la Force en lui-même, 
L’Homme est tout seul dans l’Univers,
Oh ! oui, ben seul et c’est sa gloire,

Car y n’a qu’ deux yeux pour tout voir.

Le Ciel, la Terre et les Étoiles
Sont prisonniers d’ ses cils en pleurs.
Y n’ peut donc compter qu’ su’ lui-même.
J’ m’en vas m’ remuer, qu’ chacun m’imite,
C’est là qu’est la clef du Problème,
L’Homm’ doit êt’ son Maître et son Dieu !


                            XIV

— Quiens ! V’là l’ Souriant en flanquet bleu, 
V’là l’ coq qui crach’ son vieux catarrhe 
Comme au matin d’ ton agonie 
Alors que Pierr’ copiait Judas

(Tu vois c’te bête alle a s’en fout
A sonn’ la diane de la Vie,
La Vie qui n’ meurt pas comm’ les Dieux !)

— Viens çà un peu que j’ te délie 
Et que j’ t’aide à sortir tes clous 
(Eustach’s pour qui qui nous touch’ra)

Viens avec moi par les Faubourgs, 
Par les mines, par les usines 
On ballad’ra su’ les Patries 
Où tes frangins sont cor à g’noux 
(Car c’est toi qui les y a mis !)

Faut à présent leur prend’ les pattes, 
Les aider à se r’mett’ debout, 
Y faut secouer au cœur des Hommes 
Le Dieu qui pionc’ dans chacun d’ nous !


                            XV

Ou ben alorss si tu peux pas,
Si tu n’as pus rien dans les moëlles,
[Retourn’ chez l’Accrocheur d’Étoiles] 
Remont’ là-haut ! Va dire au Père,
À celui qui t’a envoyé,
Quéqu’ chos’ qu’aurait l’air d’eun’ prière
Qui s’rait d’ not’ temps, eh ! crucifié.


                            XVI

Notre dab qu’on dit aux cieux,

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Notre daron qui êt’s si loin 
Si aveug’, si sourd et si vieux,

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Que Notre effort soit sanctifié,
Que Notre Règne arrive

À Nous les Pauvr’s d’pis si longtemps, 

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Su’ la Terre où nous souffrons
Où l’on nous a crucifiés
Ben pus longtemps que vot’ pauv’ fieu
Qu’a d’jà voulu nous dessaler.

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Que Notre volonté soit faite 
Car on vourait le Monde en fête, 
D’ la vraie Justice et d’ la Bonté,

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Donnez-nous tous les jours l’ brich’ton régulier
(Autrement nous tâch’rons d’ le prendre) ; 
Fait’s qu’un gas qui meurt de misère
Soye pus qu’un cas très singulier.

(C’est y qu’on n’ pourrait pas s’entendre !)

Donnez-nous l’ poil et la fierté 
Et l’estomac de nous défendre,

(Des fois qu’on pourrait pas s’entendre !)

Pardonnez-nous les offenses
Que l’on nous fait et qu’on laiss’ faire
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation
De nous endormir dans la misère
Et délivrez-nous de la douleur
                   (Ainsi soit-il !)

Le Printemps


I — La Journée

                            I

Merl’ v’là l’ Printemps ! Ah ! salop’rie, 
V’là l’ monde enquier qu’est aux z’abois
Et v’là t’y pas c’te putain d’ Vie
Qu’a r’biffe au truc encore eun’ fois !

La Natur’ s’achète eun’ jeunesse,
A s’ déguise en vert et en bleu,
A fait sa poire et sa princesse,
A m’ fait tarter, moi, qui m’ fais vieux.

Ohé ! ohé ! saison fleurie,
Comme y doit fair’ neuf en forêt !
V’là l’ mois d’ beauté, ohé Marie !
V’là l’ temps d’aimer, à c’ qu’y paraît !

Amour ! Lilas ! Cresson d’ fontaine,
Les palpitants guinch’nt en pantins,
Et d’ Montmertre à l’av’nue du Maine
Ça trouillott’, du côté d’ Pantin !

V’là les poèt’s qui pinc’nt leur lyre
(Malgré qu’y n’aient rien dans l’ fusil),
V’là les Parigots en délire
Pass’ qu’y pouss’ trois branch’s de persil !

L’est fini l’ temps des z’engelures,
Des taup’s a sort’nt avec des p’lures
Dans de l’arc en ciel agencées
De tous les tons, de tous les styles ;

Du bleu, du ros’, tout’s les couleurs ;
Et ça fait croir’ qu’a sont des fleurs
Dont la coroll’ s’rait renversée
Et ballad’rait su’ ses pistils.


                            II

Pis v’là des z’éclairs, des z’orages
Et d’ la puïe qui vous tombe à siaux,
Rapport à d’ gros salauds d’ nuages
Qu’ont pas pitié d’ mes godillots.

Car c’t’ épatant, d’pis quéqu’s z’années,
Les saisons a sont comm’ pourries ;
Semb’ que l’ Bon Guieu pass’ qu’on l’oublie
Pleur’ comm’ eun’ doche abandonnée ;

Et c’est affreux et si tell’ment
Malpropre, obscur et délétère,
Qu’on s’ figur’rait qu’ les z’éléments
Sont sous l’ régim’ parlementaire.

[Voui ! les cieux sont si dégueulas, 
Corrompus et vomitatoires
Qu’on s’ dit : — C’est cor’ eun’ drôl’ d’histoire,
Arton a dû passer par là.]


                            III

Mais les salad’s, a sort’nt de terre
Et les genss’ y sort’nt su’ l’ boul’vard.
Les flics sort’nt de leur caractère :
J’ vourais ben, moi, sortir d’ quéqu’ part !

L’ rupin qu’a z’eu des aventures
Regard’ c’ qui lui sort su’ la hure,
Et l’ pauvre avec mélancolie
Les punais’s sortir d’ son bois d’ lit.

Les marrogniers sont comm’ des folles, 
Et dans leurs branch’s et sous les toits
Ces vach’s de bécans batifolent
En gueulant pus fort qu’ des putois. 

Les objets mêm’ les pus moraux,
Les pus vioqu’s, n’ont quét’ chos’ qui jase
Et gn’a pas jusqu’aux becs de gaz
Qui n’ont envie d’ finir poireaux !

V’là l’ Quatorz’ Juillet des z’asperges,
Des p’tits z’ozeaux et des hann’tons,
Et les bléchard’s, les veuv’s, les vierges
A z’ont mal au bout des tétons.

Voui, l’ v’là l’ Printemps, l’ marchand d’ rameaux ;
Y vient, y trott’, quoiqu’ rien n’ le presse,
« Par les sentiers remplis d’ivresse »,
Le v’là qui radin’, le chameau !


                            IV

Ah ! nom de Dieu, v’là qu’ tout r’commence.
L’Amour, y « gonfle tous les cœurs »,
D’après l’ chi-chi des chroniqueurs,
Quand c’est qu’y m’ gonflera... la panse ?

Quand c’est qu’y m’ foutra eun’ pelure,
Eun’ liquette, un tub’, des sorlots.
Si qu’a fait peau neuv’ la Nature,
Moi, j’ suis cor’ mis comme un salaud !

Mes chaussett’s ? C’est pus qu’ des mitaines !
Mes s’mell’s ? Des gueul’s d’alligators :
Ma reguingote a fait d’ la peine              
Et mon phalzar, y m’ fait du tort !

Quant à mon bloum, ah ! parlons-en,
Rien qu’ d’y penser ça m’ fout la flemme,
À côté d’ lui Mathusalem
N’est qu’un cynique adolescent.

C’te vach’-là m’ donn’ l’air ridicule,
Y m’ tomb’ su’ les yeux, m’ les rabat :
Si mes esgourd’s le sout’naient pas
Y m’arriv’rait aux clavicules !

Avec ça l’ Glorieux m’ roussit l’ crâne
Et éclaire comm’ par calcul
Mes nipp’s couleur de pissat d’âne,
Les trous d’ mes coud’s et ceux d’ mon cul !

Ah ! ben il est frais l’ mois d’Avril,
Le v’là l’ temps des métamorphoses,
Moi, j’ chang’ pas d’ peau comm’ les reptiles,
J’ suis tous les Printemps la mêm’ chose.

N’empêch’ ! Je m’ sens des goûts d’ richesse,
J’ suis comm’ ça, moi, né élégant,
J’am’rais ben, moi, fair’ mon Sagan
Et mon étroit’ chez les duchesses !

Et m’ les baigner dans des étoffes,
Car pour moi, quand l’ turquois est gai,
La pir’ de tout’s les catastrophes
C’est d’êt’ mochard et mal fringué.


                            V

En attendant, les gas d’ la Haute,
(Ceuss’ qui nous sont dévoués l’Hiver)
Se caval’nt et vont s’ mett’ au vert ;
Si gn’a d’ la dèch’, c’est-y d’ leur faute ?

Sûr que non ! Y z’ont fait ripaille ;
Mais, c’était pour les malheureux
Et y sont quasi su’ la paille,
À forc’ d’avoir carmé pour eux ;

On a guinché chez les comtesses,
On s’a empiffré aux buffets,
On s’a décoll’té jusqu’aux fesses,
Pour quêter comm’ Nini Buffet !

— Maint’nant, qu’y dis’nt, la Vie est belle,
Les pauvr’s y n’ont pus grand besoin
(Et l’ fait est que d’pis qu’y sont loin,
Gn’a pus qu’ du vent dans leurs poubelles !)

(Tout c’ mond’-là, mêm’ quand c’est sincère,
Y s’ figur’ pas qu’ la charité
Entretient la mendicité
Et fait qu’ perpétuer la misère.)

Aussi, moi, j’ m’en fous d’ leur galette,
Qu’y se l’enfonc’nt dans l’ troufignon,
Et ceuss’ qui viv’nt de leur pognon,
J’ les méprise ! – Y sont moins qu’ des bêtes !


                            VI

Tout’fois n’en rest’ des rigoleurs
Qui prenn’nt jour, pour pas tomber meule
Et s’ transmett’ des ros’s su’ la gueule :
Y z’appell’nt ça « la Fêt’ des Fleurs » !

Nom de d’là ! Si pourtant l’un d’ nous
(Histoire ed’ venger la faiblesse)
Leur éclaboussait leur noblesse
D’eun’ vieill’ pomme ou d’un trognon d’ chou...

(Ah ! ma chère ! Yaurait pas d’ police
Assez fort’ pour cet attentat
Et ça f’rait eune affair’ d’État.
Malheur ! Ousqu’alle est la Justice ?)

D’aut’s en pus d’ dix endroits d’ la Ville
Vont voir pendr’ des fil’s de croûtons 
Par des peintr’s qui sont ben cent mille
(Et su’ tout c’ tas, gn’en a trois d’ bons !)

D’autr’s enquiquin’nt des canassons
Su’ des pist’s, des concours z’hippiques,
Auteuil-Lonchamps ! C’est là qu’y sont
Tous les marlous d’ la République !

Oh ! là, ça pue bon l’écurie,
La sueur d’ jockeys et d’ bookmakers,
Là gn’a tous les Robert-Macaire
Qu’est la richess’ de ma Patrie !

Oh ! là gn’a d’ la gonzess’ dorée,
Du gibier d’ joie à peau nouvelle
Qui sent si bon et qu’est si belle
Qu’on s’en a des envies d’ pleurer.

(Car ça c’est pas pour nos rognons.)

Mais v’là quéqu’ chose en fil’s pressées
Qui vous r’pos’ l’œil des maquignons :
Ça c’est crémeux, frais et mignon,
C’est d’ la blancheur su’ la chaussée :

(Les v’là, les preumièr’s commugnions.)
Avec leurs petits compagnons,
A pass’nt les petit’s fiancées...
Oh ! c’ que c’est doux, c’ qu’y sont mignons !

(Et moi, j’ m’ennuie à la pensée
Qu’ la Vie n’ leur servira qu’ des gnons.)


                            VII

C’ qu’y a cor’ dans la Capitale ?
Des cravailleurs... des enfermés,
Des genss qui n’ont pas l’ droit d’aimer,
Et qu’ des clebs qui font du scandale !

Car à Paris quand r’vient l’ Printemps
Si l’Amour y tourn’ tout’s les têtes
Et si qu’y saoule un peu les gens
Y tracasse encor pus les Bêtes.

Les cadors d’ordinair’ si dignes
Tournent soudain pires que pires
C’est des boucs, des faun’s, des vampires
Qui z’ont l’ mépris d’ la feuill’ de figne.

Oh ! ceuss’-là minc’ de rigolade,
On s’en paye eun’ tranch’ chez les chiens :
Museaux dans l’ cul en enfilade,
Y fil’nt, y trott’nt, y connaiss’nt rien...

Leurs affair’s ? A sont leurs affaires :
Y prenn’nt tous la joie au sérieux,
C’est à croir’ qu’ dans la Vill’ Lumière
Le Printemps y soit fait qu’ pour eux !

Ah ! les maqu’reaux y sont pas d’ bois,
Et par meut’s entières aux z’abois,
En chapelets d’ chipolata,
Y s’ tord’nt, y gueul’nt, y s’ font du plat

Et jouent un jeu qui les enflamme.
(Caricoco, caricoco,
Et en avant les p’tits bécots
« À-qui-qui-p’lot’ra-vit’-sa-femme. »)

Leur mariag’s sont pas spirituels
Bien qu’y s’ consomm’nt dans un coup d’ vent ;
C’est des « steeple-chas’s » émouvants
Gn’a d’ quoi faire un Pari Mutuel !

Comment qu’ leurs patt’s sont pas usées !
Y font la pige aux canassons
Et aux meut’s de Madam’ d’Uzès
Voire à cell’s de Baudry d’Asson.

Des fois, y stopp’nt... et pouf, les r’v’là
Qui se recavall’nt ventre à terre.
— Azor ! par-ci, Toto ! par-là,
S’égosill’nt leurs propiétaires :

Ah ! oui, j’ t’en fous ! Y montr’nt leurs s’melles,
Y sont quinze après eun’ fumelle,
La langu’ dehors depis l’ matin,
Comm’ des vieux après un trottin !

D’autr’s, rigolards et phizolofs,
Revenus des joies d’ici-bas
Et s’ gobant pus dans l’ célibat,
Prenn’nt le pavé en guis’ de schloff. 

Les patt’s en l’air et l’ blair aux anges,
Y s’ usent eul’ râb’ su’ des cacas ;
Quant eun’ môm’ passe et qu’a voit ça
A dit : Mon Guieu ! Qué mœurs étranges !

(Mais quoi qu’on dise et quoi qu’on gronde,
Le Printemps pour tous, c’est l’ Printemps,
Et j’ connais pus d’eun’ fill’ du monde
Qui n’am’rait ben d’en faire autant.)

Pourtant, vrai ! les clebs, y m’ dépass’nt :
Chez eux, ça coûte rien la « passe » !
« Saluez ! c’est l’Amour qui passe ! ».
Y s’ fout’nt de tout, ces salauds-là !

Hé, M’am’ Pudeur, voilez vot’ face,
Vertu ! Moral’ ! Ç’ s’rait-y qu’ des mots ?
M’sieur Bérenger ! Faurait qu’on fasse
Des claqu’-dents pour les animaux !


II — Le Furtif et le Mystérieux

                            VIII

À présent rappliqu’ le Furtif
Mossieu l’ Rêveur, dit Crépuscule,
Les cravailleurs rentr’nt et s’ bousculent
C’est l’heure de l’apéritif !

Les pense-à-rien, les crache-impôts
Rumin’nt par tas noirs aux terrasses,
Eun’ bris’ d’amour leur fait la grâce
Ed’ fraîchir un peu leurs tronch’s de veaux.

Les bras ballants et la voix rêche,
Par group’s, au coin des carrefours
Populo gouale ses amours
Et l’ plaisir d’aimer... dans la dèche !

(Enfin tant pis — deux ronds d’ perlo,
Trois sous d’ liqueur, deux sous d’ mensonge,
Deux ronds d’ musique et un sou d’ songe...
Y s’ content’ de rien, Populo !)

(Et ses Dimanch’s, donc, quelle affaire !)
C’est là qu’ faut voir l’ lion populaire
Ballader ses vieux testicules
(Qu’auraient ben besoin d’un coup d’ fion),

Et s’ tasser dans des véhicules
Mal foutus, étroits, mal crépis
Sous l’œil de simili-troufions
Qu’y z’ont des galons au képi !

Malheur ! lui qu’ a pris la Bastille,
Y n’ prend pus que l’ tram du mêm’ nom,
Et y n’ prend pus d’ nombreux canons
Que chez l’ bistrot où qu’y croustille.

L’ Dimanche, y va à la campagne
Chercher des trous et des p’tits coins
Pour contenter ses p’tits besoins
Et engrosser ses pauv’s compagnes

Loin des yeux de l’autorité !
(Tout’s ses audac’s ont l’ mêm’ calibre,
C’est sa magnère à c’ peuple libre
De faire acte de liberté !)


                            IX

Mais v’là qu’arrive l’heur’ de s’en j’ter :
Dehors, aux tables des gargotes,
L’ Fauv’ Souverain s’empiffre et rote
Avec force et tranquillité,

Tandis qu’ les tram’s jouent d’ la trompette
(Quand c’est qu’y joueront du hautbois !)
Et qu’ dans leurs costum’s de lopettes
Les bicycliss’s y vont au Bois.


                            X

J’ vas vous en foutr’, moi, des romances,
Du vague à l’âme et des primeurs,
Tout l’ monde est pas heureux en France,
Gn’en a qui sont d’ mauvaise humeur.

Avant d’ sombrer au coin d’eun’ rue,
(Mézigue, un quasi-bachelier !!!)
L’ bonheur partout et, la nuit v’nue,
Sûr que j’ vas m’ mett’ à aboyer...


                            XI

Bon ! à présent quoi c’est qu’embaume ?
C’est l’ Mystérieux, c’est l’ Consolant,
L’ Soir endormeur des pauv’s tits mômes,
Qui s’ traîne en douce et à la flan.

L’ Flamboyant flanche et va s’ plumer,
Et la preumière Étoile a brille
Comme un regard de pauvre fille
Dont l’amour s’rait pas estimé.

J’ vas pas pus loin, mon tas chancelle,
Mes paturons y sont trop las,
C’pendant tout vit, éclat’, ruisselle,
Ça sent la vierge et les lilas !

V’là la Négress’, les lamp’s s’allument,
Tous les bécans sont au pagnier,
Sûr que j’ vas m’ planquer su’ l’ bitume,
(Gn’a qu’eun’ façon d’êt’ printanier).

L’Existence est comm’ démanchée,
Tout vous a un air innocent
Et y gn’a pas jusqu’au croissant
Qui ne vous prenn’ des airs penchés !

Oh ! que c’est mignon les lueurs
Qu’on voit partout superposées
À chaque étage, à tout’s croisées,
(Sûr, que ce soir gn’a qu’ du bonheur !)

C’est des abat-jour transparents,
Cœurs en fafiots brûlants d’ tendresse,
(Oh ! les ceuss qui, ce soir d’ivresse,
Ont pas d’ chérie et pas d’ parents !)

V’là des insecqu’s par tourbillons,
Qui, dès qu’y sont nés, lâch’nt la rampe,
Pis des phalèn’s, des papillons
Qui vont s’ rôtir à tout’s les lampes,

Et j’ me figur’ qu’ c’est mes désirs
(Lesquels n’ont guère eu l’ temps d’ moisir)
Qui vont itou se griller l’aile
Aux clartés roides du Réel.

Des Enlacés pass’nt deux par deux
(Comm’ la Mort toujours près d’ la Vie)
Y m’ frôl’nt, y vont — je m’ fais des ch’veux
Car moi j’ suis seul et ça m’ennuie,

Mais l’ ciel s’ met eun’ si bell’ liquette,
L’ensemble il a l’air si joyeux,
Y fait si doux, y fait si chouette
Qu’ ça s’rait p’-têt’ vrai qu’y a un Bon Guieu !


III — Prière

                            XII

Oh ! mon Guieu, si vous existez,
Fait’s moi vot’ pus gracieux sourire,
J’en ai gros su’ l’ cœur à vous dire,
J’ suis en vein’ de sincérité !

J’ai été l’ môme el’ l’ pauvr’ clampin,
L’ loupiot d’ Paris qu’ la purée berce
Et qu’a trimé dur dans « l’ Commerce »,
Pour eune apparenc’ de bout d’ pain !

(Aussi vrai, c’ que j’ les ai dans l’ nez,
Ces muffs qui, sous le nom d’ « concurrence »,
Ont créé eun’ sourc’ de souffrances
Un genr’ légal d’assassiner !)

Or, sous c’te garc’ de République,
L’ printemps d’ ma vie y fut raté,
Car l’ Pauvre y n’a d’aut’ liberté,
Qu’y masse ou pas, d’ crever phtisique.

Seigneur ! Rendez-moi mes vingt sous,
Car j’ai passé ma bell’ jeunesse
À m’ voir pousser des dents d’ sagesse
Quand j’avais rien à m’ fout’ dessous.

Des gras m’ont dit : — Toi, t’as d’ la veine,
T’ es jeun’, t’ es fort, ça s’ra ardu,
Mais tu r’prendras l’Alsace-Lorraine
(Comm’ si c’tait moi qui l’a perdue !)

(D’jà ma daronn’ m’avait battu,
L’est donc venu l’ tour d’ la Patrie
Qui m’a r’passé aux poings d’ la Vie ;
Ces trois femm’s-là s’ sont entendu.)

J’ai fait tous les méquiers d’esclave,
C’pendant j’ai jamais pu gagner
Ma boustifaille et mon loyer,
À présent, m’ v’là, j’ suis eune épave.

J’ai l’ poil tern’ des bêt’s mal nourries,
La dèch’ m’a fait la gueul’ flétrie,
Ma jeuness’ reste étiolée...
J’ pourrai jamais m’en consoler,

Mêm’ si qu’un jour j’ tournais au riche,
Par un effet de vot’ bonté,
Ce jour-là, j’ f’rai mett’ eun’ affiche :
« On cherche à vendre un cœur gâté. »

Mes poteaux ? Combien m’ont trahi !
Pourtant m’en rest’ quéqu’s-uns d’ fidèles,
Mais pour la mouïse y m’ gag’nt la belle,
C’est comme un syndicat d’ faillis.

Et l’ meilleur ? Il a peur d’ comprendre.
Aucun avec moi n’ veut descendre
Au fond d’ l’égout d’ mon désespoir
Où d’jà mon propre pas y glisse.

Pour s’en r’venir d’ chercher la gloire,
La Vérité et la Justice,
La palme, le glaive et le miroir 
Et la scionnée du sacrifice,

Des Amours mignons m’ont pâli
Et la Vie les a massacrés,
Mes mains les ont ensevelis,
Mes yeux les ont beaucoup pleurés.

Comm’ j’ pouvais pas m’ faire à la haine,
J’en ai longtemps hurlé ma peine,
Comm’ le soir hurle su’ la Seine
La tristesse d’un remorqueur :

Et j’en saigne à ce point encore
Qu’y m’ sembl’ que quand j’ me remémore
Tout c’ pauvre tas de petits morts
(Mon cimetière d’innocents),

Y m’ sembl’ qu’y m’ vient un gros flot d’ sang
Qui m’ prend l’ gaviot, m’emplit la bouche
Et m’ fait l’ jacqu’ter rouge et farouche
Et ce sang-là m’ jaillit du cœur !


                            XIII

Seigneur, mon Guieu ! j’suis près d’ périr
Et v’là ma peine elle est ben vraie, 
Quand un malade il a eun’ plaie
Faut-y rien faire ou la guérir ?

Et j’ me vois comme à l’ambulance
Du champ d’ bataill’ de mes douleurs.
Faut-y toujours téter ses pleurs
Et bouffer l’ pain d’ l’obéissance ?

Seigneur ! au respect que j’ vous dois,
Le vent y m’ souff’ dans la braguette
Et mes sorlots sont en goguette,
Au point qu’y découvr’nt mes dix doigts !

L’homm’ qui vous parle a ben souffert,
Son blair baladait sa roupie,
Tout en grelottant cet hiver ;
Y se r’biffe à la fin des fins :

Lui suffisait pas d’ crever d’ faim
(Bien qu’ beaucoup bouff’nt dans l’Univers),
V’là-t-y pas qu’il a la pépie,
Et v’là-t’y pas qu’a geint sa chair !

Ce soir l’ Printemps m’ soûle à son tour
(Mon sang ça n’est pus d’ l’eau d’ lessive),
J’ai des bécots plein les gencives,
Et j’ai les rognons pleins d’amour !


                            XIV

Hélas ! je l’ sais ben qu’ c’est la fête
Et que l’ temps d’aimer il est v’nu,
Qu’y f’rait mêm’ bon d’aller tout nu
Avec au bras eun’ gigolette,

Pour fair’ la culbut’ dans les foins
Sans culbutants et sans témoins !
Mais outr’ que j’ suis trop mal frusqué
J’ai pas d’ pèze pour en embarquer,

Aucune a vourait d’ ma tristesse :
Seigneur ! Vous avez d’ l’instruction
Porquoi qu’y en a qu’ ont des maîtresses
Malgré qu’y n’aient pas d’ position ?

J’am’rais ben moi aussi mon Guieu,
Avec les gas qui sont au sac
(Sans pour ça m’ fair’ mignonne ou mac)
Vivre en donzelle et en joyeux !

Et m’ les traîner dans des bagnoles
Pour m’ foutre avec euss des torgnoles
À coup d’ bouquets d’ fleurs su’ l’ citron
(Mais v’là ! y s’ trouv’ que j’ai pas l’ rond !)

J’ suis l’ fils des vill’s, non d’ mon village,
Si j’ai des envies, des besoins,
C’est la faute aux grands magasins,
À leurs ménifiqu’s étalages.


                            XV

Mais la nuit s’ fait d’ pus en pus douce,
Seigneur ! guettez pour l’ vagabond
Qu’est forcé d’ouvrir l’œil et l’ bon,
Rapport aux mectons de la Rousse.

On entend geindr’ le boulanger
Comm’ si qu’y s’rait près d’ son trépas
Et ses soupirs me font songer
Qu’y fait du pain où j’ mordrai pas.

(Quoi y faut dir’ ? Quoi y faut faire ?
J’ai mêm’ pus la force de pleurer.
J’ sais pas porquoi j’ suis su’ la Terre
Et j’ sais pas porquoi j’ m’en irai !)

À travers l’air, par des persiennes,
N’y vient des voix d’ musiciennes,
Qu’on croirait sortir d’ mon Sensible
Quand j’ vous réclam’ mon essentiel,

Ou ben c’est putôt d’ vos Archanges
Qu’ont p’têt’ perdu leur fleur d’orange
Et qui s’ désol’nt dans l’Invisible
D’avoir été sacqués d’ vot’ ciel !

Oh ! Seigneur, sans vous commander,
V’là qu’ ça m’ reprend, gn’a pas d’offense,
J’ vourais comm’ dans ma p’tite enfance
Coller mon cib su’ deux nénés !

Oh ! deux bras frais qui m’am’raient bien
Et ça n’ s’rait-y qu’ dans un boxon,
La pus moche, la pus chausson
(Mais y faurait qu’ ça m’ coûte rien !)


                            XVI

Seigneur mon Guieu, sans qu’ ça vous froisse,
J’ vous tends mon cœur, comm’ la Pucelle,
Et pis mes bras chargés d’angoisse, 
Lourds du malheur universel !

Car si j’étais seul à la dure
Je n’ vous pos’rais pas tant d’ porquois,
Mais l’ pus affreux de l’aventure,
C’est qu’y sont des meillons comm’ moi !

L’Homme est pas fait pour la misère
Et contrarier ses Beaux Désirs,
Ni pour qu’ ses frangins l’ forc’nt à faire
Des cravails noirs et sans plaisir.

Car y s’enferm’ dans des usines
Des quarante et des cinquante ans,
Dans des bureaux, des officines,
Alors qu’ les cieux sont miroitants.

Oh ! mon Guieu ! Si vous existez,
Donnez-nous la moell’ d’être libres
Et d’ remett’ tout en équilibre,
Suivant la grâce et la bonté !

La liberté... la liberté !
Faites-nous comme aux hirondelles
Donnez-nous du pain et des ailes,
La liberté... la liberté !


                            XVII

Et quant à moi pour le présent
J’ vourais que mes faims soy’nt assouvies 
J’ veux pus marner, j’ veux viv’ ma vie
Et tout d’ suite et pas dans dix ans !

Car c’ soir j’ai comme un r’gain d’ jeunesse
Un tout petit, oh ! bien petit,
Et si ce soir j’ sens ma détresse
Demain je r’tomb’rai abruti !

V’là Lazare qui veut s’couer sa cendre
Et flauper l’ Monde à coups d’ linceul !
La liberté où j’ vais la prendre !
J’ vas êt’ mon Bon Guieu moi tout seul !

J’ suis su’ la Terr’, c’est pour y vivre,
J’ai des poumons pour respirer,
Des yeux pour voir, non pour pleurer,
Un cerveau pour lir’ tous les livres,

Un estomac pour l’ satisfaire,
Un cœur pour aimer, non haïr,
Des mains pour cueillir le plaisir
Et pas turbiner pour mes frères !

Soupé des faiseurs de systèmes,
Des économiss’s « distingués »,
Des f’seurs de lois qui batt’nt la flemme
(Tout’ loi étrangle eun’ liberté !)

Soupé des Rois, soupé des Maîtres,
Des Parlements, des Pap’s, des Prêtres.
(Et comm’ j’ai pas d’aut’ bien qu’ ma peau,
Il est tout choisi mon drapeau !)

Soupé des vill’s, des royaumes
Où la Misèr’ fait ses monômes,
Soupé de c’ qu’est civilisé
Car c’est l’ malheur organisé !

Nos pèr’s ont assez cravaillé
Et bien assez égorgillé !
L’Homm’ de not’ temps faut qu’y s’ arr’pose
Et qu’ l’Existence lui tourne en rose.

Oh ! mon Guieu, si vous existez,
Donnez-nous la forc’ d’être libres
Et que mes souhaits s’accomplissent,

Car au Printemps, saison qu’ vous faites
Alorss que la Vie est en fête,
Y s’rait p’-têt ben bon d’être eun’ bête
Ou riche et surtout bien aimé.

(Ça s’rait ben bon, si c’ n’est justice !)

Crève-Cœur


Eun’ fois j’ai cru que j’ me mariais
Par un matin d’amour et d’ Mai ;

Il l’tait Menuit quand j’ rêvais ça,
Il l’tait Menuit, et j’ pionçais d’bout,
Pour m’ gourer d’ la lance et d’ la boue
Dans l’encognur’ d’eun’ port’ cochère.

(Hein quell’ santé !) — Voui j’ me mariais
Par un matin d’amour et d’ Mai
N’avec eun’ jeuness’ qui m’aimait,
Qu’était pour moi tout seul ! ma chère !

Et ça s’ brassait à la campagne,
Loin des fortifs et loin d’ici,
Dans la salade et dans l’ persil,
Chez un bistrot qui f’sait ses magnes.

Gn’y avait eun’ tablée qu’était grande
Et su’ la nappe en damassé,
Du pain ! du vin ! des fleurs ! d’ la viande !
Bref, un gueul’ton à tout casser,

Et autour, des parents ! d’ la soce !
Des grouins d’ muffs ou d’ bons copains
Baba d’ me voir tourné rupin, 
Contents tout d’ même d’êt’ à ma noce :

Ma colombe, selon l’usage,
Se les roulait dans la blancheur,
Et ses quinz’ berg’s et sa fraîcheur
F’saient rich’ment bien dans l’ paysage.

Je r’vois ses airs de tourterelle,
Ses joues pus bell’s que d’ la Montreuil
Et ses magnèr’s de m’ faire de l’œil
Comme eun’ personne naturelle,

Ses mirett’s bleues comme un beau jour,
Sa p’tit’ gueule en cœur framboisé
Et ses nichons gonflés d’amour,
Qu’étaient pas près d’êt’ épuisés,

Et moi qu’ j’ai l’air d’un vieux corbeau,
V’là qu’ j’étais comme un d’ la noblesse,
Fringué à neuf, pétant d’ jeunesse...
Ça peut pas s’ dir’ comm’ j’étais beau !

Je r’vois l’ décor... la tab’ servie
Ma femm’ ! la verdure et l’ ciel bleu,
Un rêv’ comm’ ça, vrai, nom de Dieu !
Ça d’vrait ben durer tout’ la vie.

(Car j’étais tell’ment convaincu
Que c’ que j’ raconte était vécu
Que j’ me rapp’lais pus, l’ diab’ m’emporte,
Que je l’ vivais sous eun’ grand porte ;

Et j’ me rapp’lais pas davantage,
Au cours de c’te fête azurée,
D’avoir avant mon « mariage »
Toujours moisi dans la purée.)

(Les vieux carcans qui jamais s’ plaint
Doiv’nt comm’ ça n’avoir des rêv’ries
Ousqu’y caval’nt dans des prairies 
Comme au temps qu’y z’étaient poulains.)

V’nait l’ soir, lampions, festin nouveau,
Pis soûlé d’un bonheur immense
Chacun y allait d’ sa romance,
On gueulait comm’ des p’tits z’oiseaux !

Enfin s’am’nait l’heur’ la pus tendre
Après l’enlèv’ment en carriole,
La minute ousque l’ pus mariolle
Doit pas toujours savoir s’y prendre !

Dans eun’ carrée sourde et fleurie,
Dans l’ silence et la tapiss’rie,
Près d’un beau plumard à dentelles
Engageant à la... bagatelle,

J’ prenais « ma femme ! » et j’ la serrais
Pour l’ Enfin Seuls obligatoire
Comm’ dans l’ chromo excitatoire
Où deux poireaux se guign’nt de près...

Près ! ah ! si près d’ ma p’tit’ borgeoise
Que j’ crois que j’ flaire encor l’odeur
De giroflée ou de framboise
Qu’étaient les bouffées d’ sa pudeur.

J’y jasais : « Bonsoir ma Pensée,
Mon lilas tremblant, mon lilas !
Ma petite Moman rosée,
Te voilà, enfin ! Te voilà !

[« Comme j’ vas t’aimer tous les jours ! 
T’ es fraîch’.. t’ es mignonn’.. t’es jolie,
T’ as des joues comm’ des pomm’s d’api
Et des tétons en pomm’s d’amour.]

« Quand j’étais seul, quand j’étais nu,
Crevant, crevé, sans feu ni lieu,
Loufoque, à cran, tafeur, pouilleux,
Où étais-tu ? Que faisais-tu ?

« Ah ! que d’ chagrins, que d’ jours mauvais
Sans carl’, sans bécots, sans asile,
Que d’ goujats cruels, d’imbéciles,
Si tu savais, si tu savais...

« Mais à présent tout ça est loin...
Voici mon Cœur qui chante et pleure,
Viens-t’en vite au dodo, ma Fleur !... »
(Vrai c’est pas trop tôt qu’ j’aye un coin.)

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

« Ohé l’ poivrot là, l’ sans probloque ?
Vous feriez pas mieux d’ cravailler
Au lieur d’êt’ là à roupiller ?
Foutez-moi l’ camp ou... gar’ le bloc ! »

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  

Non tout’ ma vie j’ me rappell’rai
La gueul’ de cochon malhonnête
Qui s’ permettait d’ m’interpeller
Pass’ que j’y bouchais sa sonnette.

Alors, comm’ j’ le r’luquais d’ travers
Il a sorti trois revolvers,
Deux canifs et son trousseau d’ clefs !
Et y s’a foutu à gueuler :

— « Au s’cours, à moi ! à l’aid’ ! Moman !
On m’ ratiboise ! on m’ saigne, on m’ viole...
Gn’y pas d’ pet qu’y vienn’nt les z’agents,
Pus souvent qu’on verrait leur fiole ! »

Et moi qu’ j’allais p’têt’ arr’sauter
Et créer un beau fait-divers...
Mal réveillé d’ mon Song’ d’Été
J’ me suis ensauvé dans l’Hiver.

Les Masons


I — Nocturne

Quand tout l’ mond’ doit êt’ dans son lit
Mézig trimarde dans Paris,
Boïaux frais, cœur à la dérive,
En large, en long, su’ ses deux rives,
En Été les arpions brûlés,
En Hiver les rognons cinglés,
La nuit tout’ la Ville est à moi,
J’en suis comm’ qui dirait le Roi,
C’est mon pépin... arriv’ qui plante,
Ça n’ peut fair’ de tort à la Rente.

À chacun son tour le crottoir. 
J’ vas dans l’ silence et le désert,
Car l’ jour les rues les pus brillantes,
Les pus pétardièr’s et grouillantes,
À Minoch’ sont qu’ des grands couloirs,
Des collidors à ciel ouvert.

J’ suis l’Empereur du Pavé,
L’ princ’ du Bitum’, l’ duc du Ribouis,
L’ marquis Dolent-de-Cherche-Pieu,
L’ comt’ Flageolant-des-Abatis,
L’ baron d’ l’Asphalte et autres lieux.

J’ suis l’ baladeur... le bouff’-purée,
Le rôd’-la-nuit... le long’-ruisseaux,
Le marque-mal à gueul’ tirée
Le mâch’-angoiss’... le cause-tout haut.

Si jamais vous êt’s dans l’ennui
Et forcé comm’ moi je le suis
À c’ que ça s’ passe à la balade,
J’ vas vous ess’pliquer mon manège :

Mettons qu’y lansquine ou qu’y neige,
Eh ben ! allez rue d’ Rivoli,
Malgré qu’y ait des vents coulis
On est pas mal sous ses arcades.

Mais si c’est l’Été... pas la peine,
Y vaut mieux s’ filer vers la Seine.
Là su’ eun’ berge ou sous un pont
Vous pouvez eun’ bonn’ couple d’heures 
Dans la flotte qu’est un vrai beurre,
Mettre à tremper vos ripatons. 

Tâtez, l’essai n’en coûte rien,
Car moi j’ connais tous les bons coins,
Tous les trucs... on peut pas me l’ mette
À forc’ comm’ ça d’ trouver des joints
Et d’ boulotter mes kilomètes.

Aussi des fois su’ la grand’ Ville
Du haut en bas, du sud au nord,
Y a si peu d’ pétard et d’ poussière
Et tout y paraît si tranquille

Qu’on s’ figur’ que Pantruche est mort,
Qu’on voyag’ dans un grand cim’tière
Et qu’y s’ réveill’ra pus jamais,
(Ah ! nom de Dieu si c’était vrai !)

Mais des fois juste à ce moment,
Là-bas... en banlieue... loin du centre,
Y nous vient de longs hurlements,
C’est le chien d’ fer ou l’ remorqueur,
Hou... yaou... on dirait mon ventre !
Ya haou... on jur’rait mon cœur !

Seul’ment ces cris-là m’ fout’nt la trouille ;
Ça m’occasionn’ des idées noires,
Et me v’là r’parti en vadrouille
À r’tricoter des paturons
Pou’ pas risquer d’êt’ fait marron
Par les escargots de trottoir.

On rencont’ ben des attardés,
Des clients en train d’ rouspéter,
Que leurs pip’lets laiss’nt poireauter
Eune heure à leur cordon d’ sonnette.

Des chiffortins, des collignons,
Des tocass’s qu’a pas fait leur plâtre,
Des cabots qui rent’nt du théâtre,
Des magistrats qui r’vienn’nt du claque,
Des poivrots, des flics ou des macs.

(Mais, marioll’, quand qu’on est honnête
On néglig’ ces fréquentations.)

Des fois que j’ traîne mes arpions d’ plomb,
J’ m’arr’pos’ et j’ m’adosse à un gaz
Pour voir « à quel point nous en sommes »,
Tout fait croir’ que j’ suis vagabond :

Et d’ Charonne au quartier Monceau,
Au milieu du sommeil des Hommes,
Me v’là seul avec ma pensée
Et ma gueul’ pâl’ dans les ruisseaux !

Les nuits où j’ai la Lun’ dans l’ dos,
J’ piste mon Ombr’ su’ la chaussée,
Quand qu’ j’ai la Lun’ en fac’ des nuits,
C’est mon Ombre alorss qui me suit ;

Et j’ m’en vas... traînaillant du noir,
Y a quét’ chose en moi qui s’ lamente,
La Blafarde est ma seule amante,
Ma Tristesse a m’ suit... sans savoir.


II — Les Masons

Or les nuits ousque j’ vagabonde,
Comm’ j’ai pas trop d’occupations,
J’ me fais inspecteur des Masons.

Quand que la Lune est gross’ dans l’ ciel,
Les nuits d’ Printemps a sont comm’ blondes,
Et on dirait des bastions d’ miel.

L’Hiver, l’Automne, on croirait voir, 
Des châteaux de camphre ou d’ivoire, 
Les nuits d’Été au clair de Lune. 
(Si on laiss’ l’odeur d’ choléra, 
Qui vous vient du côté d’ Bondy), 
Ça fait un décor d’opéra.

Les Masons ? Y a qu’ ça dans Paris
Y en a en pierr’s, en marbre, en briques,
En porcelaine ou en papier :

Y en a des tocard’s... des jolies, 
Des branlantes... des démolies, 
Des quantités qu’ est en fabrique 
Et qu’est blanch’s comm’ des mariées.

Y en a d’ tous poils... y en a d’ tout âge. 
Y en a qui z’ont des flott’s d’étages 
Et y en a qui z’ont qu’un preumier.

Y en a des r’tapées.. des tout’s neuves, 
Y en a d’ pimpant’s et y en a d’ gaies, 
Y en a qu’a l’air triste des veuves 
Qui ne sourieront pus jamais.

Quand j’ rôdaill’ dans les grands quartiers,
J’en vois qu’est comm’ des forteresses,
Bouclées, cad’nassées et grillées.
Si Jésus voulait y entrer
En disant : « — Voyez ma détresse »,
On s’rait pas long à l’ fusiller. 

Y en a qu’est si rupin’s et chouettes 
Qu’on s’ dit qu’on aurait beau marner, 
Fair’ fortun’ dans les cacahouettes, 
On pourrait jamais s’y plumer.

Y en a qui z’ont des bow-window 
Ousqu’on vourait en silhouette 
Voir poireauter eun’ tit’ Juliette 
Dont on serait le Roméo.

Et de d’ cell’s là... y en a d’ très bien, 
Qui vous la frim’nt au vieux château, 
A z’ont des tourell’s, des créneaux,
Et des gargouill’s à gueul’s de chien.

(Les Preux qui cach’nt là leur noblesse
Ont bravement, dans leur jeunesse, 
Spéculé su’ des peaux d’ lapins.)

Bon sang ! dans ces fières murailles 
Qui m’ont tout l’air d’être élevées 
Avec le mêm’ genr’ de pavés 
De granit ou de pierre de taille 
Dont est fait le Cœur des Gavés,

Doit gn’y avoir des plumards couverts 
D’égledons de fourrur’s et d’ peaux, 
Ousqu’y fait doux, ousqu’y fait chaud, 
Ben moi.. j’ suis dehors en Hiver.

Et v’là qu’à z’yeuter ces Masons,
Aveug’s et sourd’s comm’ des Prisons,
On s’ dit — « Quoi qu’y peut s’y passer ? »
Tous ces moellons forcés d’ se taire,
Ça doit n’en cacher des mystères,
Mêm’ que c’est terribe à penser.

Du haut en bas d’ ces six étages
Pens’nt-t-y un p’tit peu à c’ qu’y font ?
Ben sûr y en a qui naiss’nt, qui meurent...

Y en a qui font leurs frèr’s cocus,
Y en a qui pionc’nt, qui rêv’nt, qui pleurent,
Et y en a qu’ ont jamais vécu.

D’aut’s se zigouillent, s’empoisonnent, 
D’aut’s en faisant des galipettes 
Se bécott’nt à la tourtereaux ;

Des mectons cour’nt après leur bonne, 
Camoufle au poing, Borgne en trompette, 
Comme faisait défunt Trublot.

Et le tout sans jamais penser
À z’yeuter un coup par la f’nêtre.
Pour voir... on sait pas si peut-être 
Leur prochain s’rait pas dans les rues 
À fair’ le jacque et le pied d’ grue.

Quant aux quartiers des Purotains, 
Dans les faubourgs, dans les banlieues, 
Pas si loin d’ leurs sœurs ces Merveilles,
Là les Masons ont l’air de Vieilles 
Qui se s’raient roulé’ dans leur pisse.

La pupart sont des grand’s bâtisses,
Qui branl’nt, qui suint’nt, qui pleur’nt, qui puent,
De vrais casern’s plein’s de ménages
Où y a, quoi qu’en dis’nt les repus,
Du malheur à tous les étages.

Des p’tiot’s sont encor pus affreuses, 
A fouatt’nt le crime et la misère, 
A sont couleur de panaris, 
A sont gâtées... ruinées... lépreuses,
On croirait des chicots pourris
Bordant la gueule de l’enfer.

Les nuits d’amour, au mois de Mai,
On entend au travers d’ leurs murs,
Des soupirs, des mots... des murmures,
Ces nuits-là a s’ mett’nt à chanter.

Et les Sam’dis de paie et d’ soûl’rie 
L’ en sort des cris, des chocs, des pleurs.
C’est Populo qui s’ multiplie 
Dans la crasse et dans la douleur.

Car c’est là d’dans qu’y sont r’légués 
Ceuss’ qu’ a bâti les beaux quartiers, 
Les nobles masons par centaines 
Et les bell’s affair’s qu’a contiennent.

Y sont là n’dans... y n’ont pas l’ choix 
Dans ces cahut’s, dans ces cassines, 
Pilés, tassés à l’étroitesse 
Comm’ dans leurs barils des anchois 
(Çà qui fait bien pour la poitrine).

C’est là qu’ fonctionne Étés, Hivers, 
Tout’ cett’ pauv’ grain’ de faits divers 
Avec toujours pendus aux fesses 
L’ Proprio, l’Huissier, l’ Commissaire, 
Dont on n’ peut se débarrasser 
Qu’avec un boisseau d’ charbon d’ bois,

Malgré ça des fois je me dis
Qu’ dans n’import’ quel’ de ces taudis
Au lieur d’êt’ dehors en Hiver

Vaurait p’têt’ mieux eun’ position
Eune existenc’ pus régulière,
Un foyer quoi... un p’tit log’ment,
Eun’ tabe, un buffet... eune ormoire,
Eune ormoire où y aurait... des choses,

Et dans l’ tout eun’ fraîch’ tit’ Moman,
Eun’ joli’ Moman à bras roses 
Qui sortiraient de son peignoir 
Quand qu’alle apport’rait la soupière 
Ou allum’rait la suspension.

Voui, voui, mais voilà... comment faire ? 
Ces masons-là autant qu’ les Belles 
Au gas qui passe désolé 
A sont pas pus hospitalières.

J’ai beau m’ trémousser, j’ai pas l’ rond,
Je suis tremblant, je suis traqué, 
J’ suis l’ Déclassé... l’ gas distingué 
Qui la fait à la poésie :

J’ suis aux trois quarts écrabouillé
Ent’ le Borgeois et l’Ovréier,
J’ suis l’ gas dont on hait le labeur,

Je suis un placard à Douleurs, 
Je suis l’Artiste, le Rêveur,

Le Lépreux des Démocraties.


III — La Maison des Pauvres

N’empêch’ si jamais j’ venais riche, 
Moi aussi j’ f’rais bâtir eun’ niche 
Pour les vaincus... les écrasés, 
Les sans-espoir... les sans-baisers,

Pour ceuss’ là qui z’en ont soupé, 
Pour les Écœurés, les Trahis, 
Pour les Pâles, les Désolés, 
À qui qu’on a toujours menti 
Et que les roublards ont roulés ;

Eun’ mason.. un cottage,. eun’ planque, 
Ousqu’on trouv’rait miséricorde, 
Pus prop’s que ces turn’s à la manque 
Ousque l’on roupille à la corde ;

Pus chouatt’s que ces Asil’s de nuit 
Qui bouclent dans l’après-midi, 
Où les ronds-d’-cuir pleins de mépris 
(Les préposés à la tristesse) 
Manqu’nt d’amour et de politesse ; 

Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer 
Où y aurait pus à travailler,
Où y aurait pus d’ terme à payer, 
Pus d’ proprio, d’ pip’let, d’huissier.

Y suffirait d’êt’ su’ la Terre 
Crevé, loufoque et solitaire, 
D’ sentir venir son dergnier soir 
Pour pousser la porte et... s’asseoir.

Quand qu’on aurait tourné l’ bouton 
Personn’ vourait savoir vot’ nom 
Et vous dirait — « Quoi c’est qu’ vous faites ? 
Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? »

Non, pas d’ méfiance ou d’ paperasses,
Toujours à pister votre trace, 
Avec leur manie d’étiqu’ter ;
Ça n’est pas d’ la fraternité !

Mais on dirait ben au contraire :
— « Entrez, entrez donc, mon ami,
Mettez-vous à l’ais’, notre frère, 
Apportez vos poux par ici. »

Pein’ dedans gn’aurait des baignoires, 
Des liquett’s propes... des peignoirs, 
D’ l’eau chaud’ dedans des robinets 
Qu’on s’ laiss’rait rigoler su’ l’ masque, 
Des savons à l’opoponasque, 
Des bross’s à dents et des bidets.

Pis vite.. on s’en irait croûter
Croûter d’ la soup’ chaude en Hiver
Qui fait « plouf » quand ça tomb’ dans l’ bide,
Des frich’tis fumants, des lentilles,
Des ragoûts comm’ dans les familles,
Des choux n’avec des pomm’s de terre,
Des tambouill’s à s’en fair’ péter.

Et quand qu’ ça s’rait la bell’ saison 
On boulott’rait dans le jardin
(Gn’en aurait un dans ma Mason 
Un grand... un immense... un rupin)

Ousqu’y aurait des balançoires, 
Des hamacs... des fauteuils d’osier 
(Pou’ pouvoir fair’ son Espagnole) 
Et ça s’rait d’ la choquott’ le soir 
Quand mont’rait l’ chant du rossignol 
Et viendrait l’odeur des rosiers.

Mais l’Hiver il y f’rait l’ pus bon : 
Ça s’rait chauffé par tout’s les pièces ;
Et les chiott’s où poser ses fesses
J’ f’rais mett’ du poil de lapin d’ssus 
Pou’ pas qu’ ça vous fass’ foid au cul.

Et pis dans les chambr’s à coucher
Y gn’aurait des pieux à dentelles,
D’ la soye... d’ la vouat’... des oneillers,
Des draps blancs comm’ pour des mariés,
Des lits-cage et mêm’ des berceaux
Dans quoi qu’on pourrait s’ fair’ petiots ;

Voui des plumards, voui des berceaux 
Près d’ quoi j’ mettrais esspressément 
Des jeun’s personn’s, prop’s et girondes, 
Des rouquin’s, des brun’s et des blondes 
À qui qu’on pourrait dir’ — « Moman ! »

Ça s’rait des Sœurs modèl’ nouveau 
Qui s’raient sargées d’ vous endormir 
Et d’ vous consoler gentiment 
À la façon des petit’s-mères,
À qui en beuglant comme un veau 
(La cabèch’ su’ le polochon), 
On pourrait conter ses misères :

— « Moman, j’ai fait ci et pis ça ! » 
Et a diraient : — « Ben mon cochon ! »
— « Moman, j’ai eu ça et pis ci. »
Et a diraient : — « Ben mon salaud ! »

« Mais à présent faut pus causer, 
Faut oublier... faut pus penser ,
Tâchez moyen d’ vous endormir 
Et surtout d’ pas vous découvrir. »

Ma Mason, v’là tout, ma Mason, 
Ça s’rait un dortoir pour broyés 
Ousqu’on viendrait se fair’ choyer 
Un peu avant sa crevaison

Loin des Magistrats de mes ...
Qu’ont l’ cœur de vous foute en prison
Quand qu’on a pus l’ rond et pus d’ turne.

Mais pour compléter l’illusion
Qu’on est redevenu mignon
Tout’s mes Momans à moi, à nous,
Faurait qu’a z’ayent de beaux tétons,
Lourds, fermes, blancs, durs, rebondis
Comm’ les gros tétons des nounous
Ou des fermièr’s de Normandie ;

Et faurait qu’ ces appâts soyent nus.
Mêm’ les gas les pus inconnus,
Auraient l’ droit d’y boir’, d’y téter
Au moment ousqu’y tourn’raient d’ l’œil.

S’ils faisaient la frim’ d’êt’ pas sages
Dans leur plumard ou leur fauteuil
On s’empress’rait d’ leur apporter
Les tétons sortis du corsage,
Pleins d’amour et de majesté.

Je vois d’ici mes Nounous tendres
Introduir’ dans les pauvres gueules
De tous les Errants de Paris
Le bout de leurs tétons fleuris.

Et j’ vois d’ici mes pauv’s frangins
Aux dents allongées par la Faim
Boir’ les yeux clos et mains crispées
Par la mort et par le plaisir.

Et pour jamais et pour jamais
(Le museau un peu pus content)
J’ les vois un à un s’endormir

Le bout d’un téton dans les dents...

Cette édition électronique reproduit l’édition de 1934
des Soliloques du Pauvres.
Quelques erreurs évidentes ont été corrigées, et des passages figurant dans les éditions précédentes ajoutés entre crochets.
Quiconque peut la réutiliser librement.
Première mise en ligne le 30 septembre 2005.
Présente version générée le 13 novembre 2006.

Jehan-Rictus

Les Soliloques du Pauvre

Glossaire