À Mlle Léonie Godart.
Je sais un ruisseau dont le flot chantonne,
Où vous aimeriez à passer vos jours.
Il tairait dans sa chanson monotone
Le secret de nos virginals amours.
Si vous consentiez, bien loin de l’envie
Nous nous en irions cacher nos baisers.
Dès lors, les instants cruels de ma vie
Seraient par vos yeux emparadisés.
Mais vous refusez. Adieu ! tout s’écroule.
Je sais une mer, là-bas, dont la houle
Fermera sur moi son linceul flottant.
Si vous demeurez dédaigneuse, altière,
Je sais une croix dans un cimetière
Où j’irai clouer mon cœur palpitant !
Comme elle est triste la maison : La petite fée est malade. Il faut se faire une raison Malgré son cœur en marmelade Pour prendre les médicaments, Absorber toutes les tisanes ; Le docteur prescrit des calmants, Les docteurs ne sont plus des ânes ! Aussi, l’on veille cette nuit Pour que son repos soit paisible : Pas une mouche ne bruit, Pas une étoile n’est visible. Nous remplaçons l’ange gardien Sans regrets et sans défaillances, Puisque cette âme de soutien S’est enfuie avec nos croyances ! Chut ! son sommeil est enchanté, Les voix de l’ombre se sont tues, De silence et de chasteté Des formes passent revêtues : Les meubles, les menus objets, Craquant et se plaignant sans trêves, Ont tout à coup fait des projets Pour ne pas effrayer ses rêves ! « Nous, disaient-ils, dans la maison, Plus de choc, de dégringolade, Jusqu’à parfaite guérison : La petite fée est malade ! »
C’est du nanan, d’ la confiture, Mossieu Mariani, vot’ picton On s’en envoierait des bitures, On s’en f’rait pèter le bidon Ça vous r’gonfle un mec démoli ; Ça vous r’met su’ patt’s eun’ gonzesse. Ça réveill’rait des refroidis ; C’est pas un vin c’est d’ la jeunesse Moi qu j’ai passé par des purées Qui font d’un gas un carcan d’ nuit, Ça m’a tout à fait recalé Et à présent j’ai l’ poil qui r’luit. Aussi, sans trop vous commander J’ vourais cor en téter un verre Pour me saouler à vot’ santé.... (Tout un chacun ess’ploit’ ses vers)
Stupeur du badaud, gaîté du trottin, Le masque à Sardou, la gueule à Voltaire, La tignasse en pleurs sur maigres vertèbres Et la requimpette au revers fleuri D’horribles bouquets pris à la Poubelle, Ainsi se ballade à travers Paris, Du brillant Montmartre au Quartier-Latin, Bibi-la-Purée, le pouilleux célèbre, Prince des Crasseux et des Purotains ! Le Mufle au sortir d’un bon restaurant Hurle en le voyant paraître aux terrasses : — « Quel est ce cochon ? ce gâte-soirée, Ce Brummell fétide et malodorant, Vêtu de microb’s et ganté de crasse ? Vraiment la Police est plutôt mal faite ! » Mais point ne s’émeut Bibi-la-Purée Qui porte en son cœur un vaste mépris Pour quiconque n’est bohème ou poète. Et lors il s’en va promener ailleurs Sa triste élégance et sa flânerie. Cy sont ses métiers, besognes étranges Et premièrement, simple j’m’en-foutiste, Puis, chacun le sait, ami de Verlaine, Ami des ponant’s, ami des artistes, Modèle à sculpteurs dans les ateliers, Guide à étrangers, cireurs de souliers, Vadrouilleur encore, s’il vous plaît, bon ange, Bon ange à poivrots perdus dans la nuit, Estampeur, filou, truqueur proxénète, Ainsi va Bibi, l’illustre Bibi ! On dit de Bibi : — « Chut ! c’est un mouchard. » D’autres : — « Taisez-vous, il est bachelier ! » Et d’autres encor : — « Bibi est rentier. » Mais nul ne peut croire à la Vérité : Bibi-la-Purée, c’est le Grand-Déchard. Et quel âge a-t-il ? on ne sait pas bien. Son nom symbolique en le largongi Proclame qu’il est assez ancien, Quasi éternel comme la Misère, Et trimballes-tu, tu trimballeras, Ô Bibi, toujours ta rare effigie. Bibi-la-Purée jamais ne mourra. Va, comédien, noble compagnon, Cabot de misère, ami de Verlaine, Errant de Paris, spectre d’un autre âge Que ne renieraient Gringoire ou Villon, Vilain, dégoûtant, lécheur de bottines, Gibier de prison, chair à échafaud Que couve l’œil blanc de la guillotine, Dandy loqueteux, fabuleux salaud, Ô qui que tu sois, gas d’expédients, Ministre déchu, ex-étudiant, Mouchard ou voleur, suce-croquenots, Tu portes un nom bien plus beau que toi : — « Bibi-la-Purée » : a dit la Putain ; — « Bibi-la-Purée », dit la Faubourienne Aussi la Mondaine, aussi le Bourgeois ; — « Bibi-the-Piourée », daigne l’Angleterre, — Bibi-la-Purée, songe le Poète... C’est le Pèlerin, c’est le Solitaire Qui depuis toujours marche sur la Terre... C’est un sobriquet bon pour l’Être Humain.
Nous, on est les Va-comm’-j’te-pousse, Les « Pénars » et les J’m’en-bats-l’œil. Bien qu’on s’ la coul’ pas toujours douce On a ses idées, son orgueil... On n’en fait qu’à sa fantaisie Et on s’ fout du tiers comm’ du quart. À quoi bon ruer dans les brancards ? Quoi qu’on fasse, y faut vivr’ sa vie. Aussi sans pour ça s’ fair’ de mousse, Phizolofs du « moindre effort », On continue, on truque, on s’ traîne. Tant va l’Amour, tant va la Haine Qu’y faura ben qu’ la Mort nous prenne Comm’ les pus gros, comm’ les pus forts... Nous, on est les Va-comm’-j’te-pousse.
a parfois de bons moments, mais il lui manque toujours quelque chose
Y a des fois ousque j’ vas croûter Chez les camaros du « Bon-Bock » Et après que j’ai boulotté J’ leur z’y gazouille un « Soliloque ». Les Bon-Bockeurs c’est des fistons Des affranchis, des marl’s, des potes Et d’ l’apéro à la compote On s’ fait pas de mousse à leurs gueul’tons. Y sont des borgeois, des artisses Des diplomat’s, des carabins Des socialos, des anarchisses Des pouâtes, des sculpteurs, des rapins. Y’en a d’ barbus, y’en a d’ rasés Y’en a qu’ ont nib su’ la capsule Y’en a qu’ a des tronch’s de consuls (Ça veut pas dir’ des chimpanzés !). Après la croustille et l’ dessert L’ fromgi la goutte et le cawa On donn’ le signal du Concert On gouâl’ de la grande Opéra. Et pis on passe à la musique La romance ou la poyésie Le moral après le physique Si qu’on rote, c’est en ambroisie. Et tous, ténors ou barytons Disent l’amour et ses caresses Mais va t’ faire fout’ ça manqu’ de fesses Au Bon-Bock y’a pas un téton. Quand qu’ y zont piaulé des douceurs Qui vous mett’nt d’humeur amoureuse Ces vach’s-là prèt’raient pas leur sœur Afin qu’on puiss’ la rendre heureuse. Pis c’est barca de la soirée Chacun rentiffe à sa carrée Moi avant d’enterrer Minoche Je suis des gas qui r’filent la cloche. Et eun’ fois d’ plus me v’là ronchon Car d’pis trente ans de République Ya pas encor d’ chauffoirs publics Et moi j’ trouv’ ça mufle et cochon. Et j’ dis qu’ Jaurès pourrait vraiment En fout’ eun’ secousse à la Chambre Car enfin nous v’là en Décembre Tout l’ monde gagne pas quinz’ mill’ par an. En Décembre où est né Jésus À poils aussi dans eun’ cabane Mais Lui l’ avait le Bœuf et l’Âne Et sa Moman qui soufflaient d’ssus. Ohé ! Ohé ! les « Bons-Bockeurs » Qu’ êtes des copains d’ la Gouvernance J’ viens tirer la corde à vos cœurs Pourriez pas avoir ça en France ? Pour les mouisards, les ventres verts Qu’ a pus d’ ribouis, d’ femme, ou d’ bivouac J’ demande pas qu’on leur paie le claque Mais un air de rif en Hiver.
Comme c’est doux, comme c’est beau À voir Le soir Dans quelque modeste famille Le « bel Enfant » qu’on déshabille Petitgas ou petite fille Avant qu’on le mette au dodo Comme c’est doux, comme c’est beau. Ce n’est peut-être pas au gré D’un tas de « fabricants » de vers Diseurs de rienscis’leurs de mots, Bons rimeurs mais piètres poètes Ce n’est peut-être pas assez « Esthétique » ! ni « littéraire » Mais c’est pourtant rudement beau. « Petit Père » ayant tout le jour Traqué la pièce de cent sous Dans ce Paris cruel et fourbe Ou bien, peiné sur des dossiers Sous l’agressive surveillance D’un « Chef » quinteux et tracassier Voici, voici sa récompense... On est à la fin du repas ; On fume, on rêve, on boit, on cause Quand l’Enfant se met à bâiller (La salle à manger est bien close) Nous allons le déshabiller Devant l’Ami, le Familier... La pudeur ne peut être en cause (Il est si jeune, n’est-ce pas)... Puis un bébé nu, c’est si beau. Donc, la Maman le prend sur elle (Baisers goulus, tendres querelles) Et, sous le gaz ou l’abat-jour À mon ravissement immense L’ineffable labeur commence Accompagné d’un chant d’amour. — « Donne tes beaux « iers iers » mon Ange » Docile, car ensommeillé L’Enfant tend ses menus souliers Et, partis les bas ou chaussettes, Paraissent les deux petits pieds ! Ah ! les petons ! Ah ! les « papattes » Ronds comm’ petites patates Et gras comme oisillons plumés (La bouche s’en montre affamée) Chers petits pieds ; charmants « totos ». Aussi Maman les mord et mange Comme de bons petits gâteaux. Puis, au reste de la toilette Et voilà que les vives mains Vont, viennent, volent, se propagent Parcourent l’Enfant en tous sens Le dépouillant des vêtements Comme on délivre de ses feuilles Un gros bouquet de fleurs des champs. Alors, peu à peu s’en dégage Le cou portant à sa naissance Le beau collier d’ambre à gros grains Vient, la suave épaule blanche Que suit le beau petit bras rond Au coude orné de sa fossette, Le beau petit « bra-bras » dodu Pénible à tirer de la manche... Là, Mamans, j’admire Vos Mains Vos Mains, savantes et légères Lorsque, sans peur de le casser Comme un bibelot d’étagères Vous tripotez et pétrissez Le Petit Animal Humain ! Et m’enivre du doux parler Que forment vos tendres paroles Ce « bébaiement » délicieux Aux diminutifs gracieux Analogue au babil créole ! Enfin, debout et soutenu Près de ses mignonnes mamelles Par les bonnes mains maternelles Râblé, poli, frais, propre et beau Voici l’Enfantelet tout nu Potelé comme un angelot Avec ses petits reins cambrés Les fermes pommes de ses fesses Ses doux membres cerclés de graisse Son ventre et son pubis bombés Comme c’est doux, comme c’est beau. Et puis, avant qu’Elle lui passe Sa longue chemise de nuit Semblable aux Vierges des Églises Qui présentent « l’Enfant Jésus » Maman se levant, le ramasse Et me l’apporte, bras tendus Me l’apporte, me le confie Sachant bien dans sa charité Que les seuls « enfants » de ma Vie Sont « Solitude » et « Pauvreté » Et dit ces mots de bonne grâce : « Maintenant qu’on est dévêtu, Il faut aller dire : bonsoir À notre ami « Jehan Rictus ». Et voilà qu’autour de mon cou Deux jolis bras d’amour se nouent Voilà que près de mon oreille Et dans ma barbe qu’elle effleure Une bouchette en chair de fleur Balbutiante de sommeil Me souffle : « Bonsoir mon « ictus » ! Alors, je sens mon vieux cœur fondre Comme une neige de Printemps À peine si je puis répondre À la caresse de l’Enfant. Et tandis que Maman l’emporte Dans le nid de laine ou de soie Je m’en vais pour ne pas qu’on voie Outre mon trouble et ma pâleur Qu’un lait tiède et salé, sans doute Déjà perle en tremblantes gouttes Aux sein gonflé de ma Douleur.
Chant d’allégresse d’un bébé-fillette de trois ans, recueilli et mis en ordre par Jehan-Rictus
Observation : “Taote” vu son jeune âge, ne pouvait prononcer les C, les S, et les remplaçait par des T. Les J sont remplacés par des D.
« De suis Taote, Taote, Taote !
Taote Jeanson y te plaît !
Ai pas t’ois z’ans, unique au monde
Et de suis blonde
Petite fille du Toleil.
De vais, de viens, pa’tout de trotte
De perds tout le temps ma “tulotte”
Que reboutonne Maminet,
Ô maminet, ma maminet
De suis Taote, Taote, Taote, Taote !
Ma mémée me dit — “Ma thérie !”
Mon papa me dit — “Mon coco !”
Ma maman me dit — “Viens Talotte !”
Papinet me dit — “Riquiqui !”
Maminet me dit — “Mon doudou !”
De suis Taote ! De suis Taote !
Tout est à moi au Tolombet !
Les poules, les palmiers, les plantes
Le zadin et le potager :
Même la voiture
De t’assure...
T’est vrai, n’est-ce pas maminet ?
De suis Taote ! de suis Taote !
Ô Maminet, ma Maminet !
Gade mes n’yeux bleuis-bleuets
Gade mon doli corps
fuselé et tout rondelet
Gade mes “feveux” d’or fizés
Gade mes minnes à fossettes
Gade mes petons sans “çaussettes”
Avec quoi de fais que danser
De suis Taote, Taote, Taote !
Qui me dorlote ? Qui me baigne ?
Qui me met de la bonne odeur ?
Qui me fait belle ? Qui me peigne ?
T’es Maminet, ma Maminet !
Quand d’ai du “çagrin” à gros cœur
Quand de me cogne ou que de tombe
T’est à Maminet que de cours...
La “bouce” en cris, les n’œils en larmes
Mes petits bras raidis d’amour...
Et ma Maminet me “tonsole”
Et ma Maminet boit mes pleurs
De suis Taote, Taote, Taote !
Papinet me porte ou me gronde
Ou doue avec moi à “w’ou-w’ou”
Papi, Papi, t’est Papinet
De suis Taote, de suis Taote !
Les “ciens” ont mangé ma Poupée !
De leur ai donné la fessée...
Maminet a dit “T’est bien fait !”
T’est Maminet t’est la pus belle
T’est Papinet t’est le meilleur
De suis Taote, Taote, Taote !
Ô Maminet ! Ma Maminet
De suis Taote ! De suis Taote..
N’est à toi mon drand Petit cœur. »
Juillet 1927
D’après Charlotte Jeanson, Sanary (Var)