Juke-Box à Poésie › Arthur Rimbaud

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Le Bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles, 
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : 
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles 
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. 
 
J’étais insoucieux de tous les équipages, 
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. 
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages 
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. 
 
Dans [...]
Chanson de la plus haute tour
Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.
 
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.
 
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
 [...]
Le Coeur volé
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal : 
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal.

Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs quolibets l'ont dépravé. 
Au gouvernail on voit des fresques 
Ithyphalliques et pioupiesques.
Ô [...]
Le Dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
 
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
 
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
 
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
L'Éternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.

Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.
Quoi ? — L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
J'ai tendu des cordes
   J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des
guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or
d'étoile à étoile, et je danse.
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