Juke-Box à Poésie › Charles Cros

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À ma femme endormie
Tu dors en croyant que mes vers
Vont encombrer tout l’univers
De désastres et d’incendies ;
Elles sont si rares pourtant
Mes chansons au soleil couchant
Et mes lointaines mélodies.
 
Mais si je dérange parfois
La sérénité des cieux froids,
Si des sons d’acier et de cuivre
Ou d’or, vibrent dans mes chansons,
Pardonne ces hautes façons,
C’est que je me hâte de vivre.
 
Et puis tu m’aimeras [...]
Déserteuses
Un temple ambré, le ciel bleu, des cariatides. 
Des bois mystérieux ; un peu plus loin, la mer... 
Une cariatide eut un regard amer 
Et dit : C’est ennuyeux de vivre en ces temps vides. 
  
La seconde tourna ses grands yeux froids, avides, 
Vers Lui, le bien-aimé, l’homme vivant et fier 
Qui, venu de Paris, peignait d’un pinceau clair 
Ces pierres, et ce ciel, et ces lointains limpides. 
  [...]
Liberté
Le vent impur des étables
Vient d’Ouest, d’Est, du Sud, du Nord.
On ne s’assied plus aux tables
Des heureux, puisqu’on est mort.
 
Les princesses aux beaux râbles
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s’en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.
 
On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale ?... aucune.
 
Je me console à vous voir,
À vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.
Moi je vis la vie à côté...
Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c’est la fête.
Les gens disent : « Comme il est bête ! »
En somme, je suis mal coté.
 
J’allume du feu dans l’été,
Dans l’usine je suis poète ;
Pour les pitres je fais la quête.
Qu’importe ! J’aime la beauté.
 
Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers, beauté des flammes,
Beauté du bien, beauté du mal.
 
J’ai trop étudié les choses ;
Le temps marche d’un pas normal ;
Des roses, des roses, des roses !
Nocturne
Bois frissonnants, ciel étoilé,
Mon bien-aimé s’en est allé,
Emportant mon cœur désolé !

Vents, que vos plaintives rumeurs,
Que vos chants, rossignols charmeurs,
Aillent lui dire que je meurs !

Le premier soir qu’il vint ici
Mon âme fut à sa merci.
De fierté je n’eus plus souci.

Mes regards étaient pleins d’aveux.
Il me prit dans ses bras nerveux
Et me baisa près des cheveux.

J’en eus [...]
L'Orgue
Sous un roi d'Allemagne, ancien,
Est mort Gottlieb le musicien.
    On l'a cloué sous les planches.
            Hou ! hou ! hou !
    Le vent souffle dans les branches.

Il est mort pour avoir aimé
La petite Rose-de-Mai.
    Les filles ne sont pas franches.
            Hou ! hou ! hou !
    Le vent souffle dans les branches.

Elle s'est mariée, un jour,
Avec un autre, sans amour.
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