Juke-Box à Poésie › Gérard de Nerval | |||
Le Christ aux Oliviers I Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras Sous les arbres sacrés, comme font les poètes, Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes, Et se jugea trahi par des amis ingrats ; Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes... Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes, Et se [...] El Desdichado Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l’Inconsolé, Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie : Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie. Dans le nuit du Tombeau, Toi qui m’a consolé, Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie, La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé, Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie. Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ? Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène... Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron : Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée. Épitaphe Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet, Tour à tour amoureux insoucieux et tendre, Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre, Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait. C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ; Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre Au fond du coffre froid où son corps frissonnait. Il était paresseux, à ce que dit l'histoire, Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire. Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu. Et quand vint le moment où, las de cette vie, Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie, Il s'en alla disant : « Pourquoi suis-je venu ? » | Fantaisie Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux [...] Politique Dans Sainte-Pélagie, Sous ce règne élargie, Où, rêveur et pensif, Je vis captif, Pas une herbe ne pousse Et pas un brin de mousse Le long des murs grillés Et frais taillés. Oiseau qui fends l’espace... Et toi, brise, qui passe Sur l’étroit horizon De la prison, Dans votre vol superbe, Apportez-moi quelque herbe, Quelque gramen, mouvant Sa tête au vent [...] Vers dorés Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? Des forces que tu tiens ta liberté dispose, Mais de tous tes conseils l’univers est absent. Respecte dans la bête un esprit agissant : Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; Un mystère d’amour dans le métal repose ; « Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant. Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie : À la matière même un verbe est attaché... Ne la fais pas servir à quelque usage impie ! Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ; Et comme un œil naissant couvert par ses paupières, Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! | ||
Le juke-box à poésie
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