Juke-Box à Poésie › José María de Heredia

Le Bain
L’homme et la bête, tels que le beau monstre antique 
Sont entrés dans la mer, et nus, libres, sans frein, 
Parmi la brume d’or de l’âcre pulvérin, 
Sur le ciel embrasé font un groupe athlétique. 
  
Et l’étalon sauvage et le dompteur rustique, 
Humant à pleins poumons l’odeur du sel marin, 
Se plaisent à laisser sur la chair et le crin 
Frémir le flot glacé de la rude Atlantique. 
  
La houle s’enfle, court, se dresse comme un mur 
Et déferle. Lui crie. Il hennit, et sa queue 
En jets éblouissants fait rejaillir l’eau bleue ; 
  
Et, les cheveux épars, s’effarant dans l’azur, 
Ils opposent, cabrés, leur poitrail noir qui fume, 
Au fouet échevelé de la fumante écume.
Les Conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
 
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.
 
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;
 
Ou penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.