Juke-Box à Poésie › Paul Verlaine

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Âme te souvient-il...
Âme, te souvient-il, au fond du paradis, 
De la gare d’Auteuil et des trains de jadis 
T’amenant chaque jour, venus de La Chapelle ? 
Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle 
Mes stations au bas du rapide escalier 
Dans l’attente de toi, sans pouvoir oublier 
Ta grâce en descendant les marches, mince et leste 
Comme un ange le long de l’échelle céleste, 
Ton sourire amical ensemble et [...]
Chanson d'automne
Les sanglots longs
Des violons
   De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur 
   Monotone.
 
Tout suffocant
Et blême, quand
   Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
   Et je pleure ;
 
Et je m’en vais
Au vent mauvais
   Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
   Feuille morte.
Clair de lune
Votre âme est un paysage choisi 
Que vont charmant masques et bergamasques 
Jouant du luth et dansant et quasi 
Tristes sous leurs déguisements fantasques. 
  
Tout en chantant sur le mode mineur 
L’amour vainqueur et la vie opportune, 
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur 
Et leur chanson se mêle au clair de lune, 
  
Au calme clair de lune triste et beau, 
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres 
Et sangloter d’extase les jets d’eau, 
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
 
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
 
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.
 
— Te souvient-il de notre extase ancienne ?
— Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
 
— Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom [...]
Colombine
Léandre le sot,
Pierrot qui d’un saut
        De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
        Capuce,
 
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
        Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
        Son masque,
 
— Do, mi, sol, mi, fa, —
Tout ce monde va,
        Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
        Méchante
 
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
        Des chattes
Gardent ses appas
Et disent : « À bas
        Les pattes ! »
 
— Eux ils vont toujours ! —
Fatidique cours
        Des astres,
Oh ! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
        Désastres
 
L’implacable enfant,
Preste et relevant
        Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
        De dupes ?
Écoutez la chanson bien douce
Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
  
La voix vous fut connue (et chère ?),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
  
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité [...]
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