Juke-Box à Poésie › Paul Verlaine

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En sourdine
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.
 
Fondons nos âmes, nos cœurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.
 
Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton cœur endormi
Chasse à jamais tout dessein.
 
Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.
 
Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.
Gaspard Hauser chante
Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.
 
À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.
 
Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.
 
Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !
Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches 
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. 
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches 
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. 

J’arrive tout couvert encore de rosée 
Que le vent du matin vient glacer à mon front. 
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée 
Rêve des chers instants qui la délasseront. 

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête 
Toute sonore encor de vos derniers baisers ; 
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête, 
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Il pleure dans mon cœur...
               Il pleut doucement sur la ville
                                  ARTHUR RIMBAUD

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
 
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le chant de la pluie !
 
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! Nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
 
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
Les Ingénus
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! — et nous aimions ce jeu de dupes.
 
Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
 
Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps, tremble et s’étonne.
Je ne sais pourquoi
                        Je ne sais pourquoi
                        Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
                        Tout ce qui m’est cher,
                        D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
 
            Mouette à l’essor mélancolique,
            Elle suit la vague, ma pensée,
            À tous les [...]
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