Juke-Box à Poésie › Pierre de Ronsard

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Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve...
Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve,
Ou bien retire, et d'un garrot plus fort
Tranche ma vie et m'avance la mort :
Douce est la mort qui vient subite et brève.

Soit que le jour ou se couche ou se lève,
Je sens toujours un penser qui me mord,
Et malheureux en si heureux effort,
Me fait la guerre, et mes peines rengrève.

Que dois-je faire ? Amour me fait errer
Si hautement, que je n'ose espérer
De mon salut que la désespérance.

Puisqu'Amour donc ne me veut secourir,
Pour me défendre il me plaît de mourir,
Et par la mort trouver ma délivrance.
Amour je prends congé...
Amour, je prends congé de ta menteuse école, 
Où j’ai perdu l’esprit, la raison et le sens, 
Où je me suis trompé, où j’ai gâté mes ans, 
Où j’ai mal employé ma jeunesse trop folle. 

Malheureux qui se fie en un enfant qui vole, 
Qui a l’esprit soudain, les effets inconstants, 
Qui moissonne nos fleurs avant notre printemps, 
Qui nous paît de créance et d’un songe frivole. 

Jeunesse l’allaita, le sang chaud le nourrit, 
Cuider l’ensorcela, paresse le pourrit, 
Entre les voluptés vaines comme fumées. 

Cassandre me ravit, Marie me tint pris : 
Jà grison à la Cour, d’une autre je m’épris, 
L’ardeur d’amour ressemble aux pailles allumées.
Bonjour mon cœur, bonjour ma douce vie...
Bonjour mon cœur, bonjour ma douce vie. 
Bonjour mon œil, bonjour ma chère amie, 
      Hé bonjour ma toute belle, 
      Ma mignardise, bonjour, 
      Mes délices, mon amour, 
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle, 
Mon doux plaisir, ma douce colombelle, 
Mon passereau, ma gente tourterelle, 
      Bonjour, ma douce rebelle. 
  
Hé ! faudra-t-il que quelqu’un me reproche 
Que j’ai [...]
Ce ris plus doux...
Ce ris plus doux que l’œuvre d’une abeille,
Ces doubles lys doublement argentés,
Ces diamants à double rang plantés
Dans le coral de sa bouche vermeille,
 
Ce doux parler qui les mourants éveille,
Ce chant qui tient mes soucis enchantés,
Et ces deux cieux sur deux astres entés,
De ma Déesse annoncent la merveille.
 
Du beau jardin de son printemps riant,
Naît un parfum, qui même l’orient
Embaumerait de ses douces haleines.
 
Et de là sort le charme d’une voix,
Qui tout ravis fait sauteler les bois,
Planer les monts, et montagner les plaines.
Comme on voit sur la branche...
Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :
 
La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose :
 
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
 
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.
Dois-je voler emplumé d'espérance...
Dois-je voler emplumé d'espérance,
Ou si je dois, forcé du désespoir,
Du haut du Ciel en terre laisser choir
Mon jeune amour avorté de naissance ?

Non, j'aime mieux, léger d'outrecuidance,
Tomber d'enhaut, et fol me décevoir,
Que voler bas, dussè-je recevoir
Pour mon tombeau toute une large France.

Icare fit de sa chute nommer,
Pour trop oser, les ondes de la mer :
Et moi je veux honorer ma contrée

De mon sépulcre, et dessus engraver,
Ronsard voulant aux astres s'élever,
Fut foudroyé par une belle astrée.
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