Nous sommes partis bien des fois déjà, mais cette fois
est la bonne.
Adieu, vous tous à qui nous sommes chers, le train qui
doit nous prendre n’attend pas.
Nous avons répété cette scène bien des fois, mais cette
fois-ci est la bonne.
Pensiez-vous donc que je ne puis être séparé de vous
pour de bon ? alors vous voyez que ce n’est pas le cas.
Adieu, mère. Pourquoi pleurer comme ceux qui ont de
l’espérance ?
Les choses qui ne peuvent être autrement ne valent pas
une larme de nous.
Ne savez-vous pas que je suis une ombre qui passe,
vous-même ombre en transparence ?
Nous ne reviendrons plus vers vous.
Et nous laissons toutes les femmes derrière nous, les
vraies épouses, et les autres, et les fiancées.
C’est fini de l’embarras des femmes et des gosses, nous
voilà tout seuls et légers.
Pourtant à ce dernier moment encore, à cette heure
solennelle et ombragée,
Laisse-moi voir ton visage encore, avant que je ne sois le
mort et l’étranger,
Avant que dans un petit moment je ne sois plus, laisses
moi voir ton visage encore ! avant qu’il soit à un autre.
Du moins, prends bien soin où tu seras de l’enfant, l’enfant
qui nous était né de nous,
De l’enfant qui est dans ma chair et mon âme et qui
donnera le nom de père à un autre.
Nous ne reviendrons plus vers vous.
Adieu, amis ! Nous arrivions de trop loin pour mériter votre
croyance.
Seulement un peu d’amusement et d’effroi. Mais voici le
pays jamais quitté qui est familier et rassurant.
Il faut garder notre connaissance pour nous, comprenant,
comme une chose donnée dont l’on a d’un coup la
jouissance,
L’inutilité de l’homme et le mort en celui qui se croit vivant.
Tu demeures avec nous, certaine connaissance,
possession dévorante et inutile !
« L’art, la science, la vie libre »…, -ô frères, qu’y a-t-il entre
vous et nous ?
Laissez-moi seulement m’en aller, que ne me
laissiez-vous tranquille ?
Nous ne reviendrons plus vers vous.
Envoi
Vous restez vous, et nous sommes à bord, et la planche
entre nous est retirée.
Il n’y a plus qu’un peu de fumée dans le ciel, vous ne nous
reverrez plus avec vous.
Il n’y a plus que le soleil éternel de Dieu sur les eaux qu’Il
a créées.
Nous ne reviendrons plus vers vous.