Juke-Box à PoésieAntoinette DeshoulièresBallade à l’une de ses filles, qui fut depuis religieuse

Ores est temps de vous donner conseil
Sur les périls où beauté vous expose.
Fille ressemble à ce bouton vermeil
Qu’en peu de jours on voit devenir rose.
Tant qu’est bouton, on voudrait en jouir ;
Nul ne le voit sans désir de rapine.
Dès que soleil l’a fait épanouir,
On n’en tient compte ; un matin le ruine :
De rose alors ne reste que l’épine.

Lorsqu’un amant (l’exemple est tout pareil)
Fait voir désir à quoi pudeur s’oppose,
Si l’on ne fuit, l’amour est un soleil,
Point n’en doutez, par qui fleur est éclose.
Alors en bref on voit s’évanouir
Transports et soins, par qui fille peu fine
Présume d’elle et se laisse éblouir.
Mépris succède à l’amour qui décline :
De rose alors ne reste que l’épine.

Plus de commerce avecque le sommeil ;
Ou si parfois un moment on repose,
Songe cruel donne fâcheux réveil ;
Cent et cent fois on en maudit la cause.
Voir on voudrait dans la terre enfouir
Tendre secret duquel on s’imagine
Qu’un traître ira le monde réjouir.
Parle-t-on bas ? on croit qu’on le devine :
De rose alors ne reste que l’épine.

                           ENVOI

Galants fieffés, donneurs de gabatine,
J’ai beau prêcher qu’on risque à vous ouïr,
À coqueter toute fille est encline :
Plutôt que faire approuver ma doctrine,
On filerait chanvre sans re rouïr.
Mais quand tout bas faut appeler Lucine,
De rose alors ne reste que l’épine.

                                                [Imité de Catulle]


Isabelle Huppert
musique : Jean-Louis Murat
(entendre sur Deezer)