Juke-Box à PoésieJehan RictusImpressions de promenade

Quand j’ pass’ triste et noir, gn’a d’ quoi rire. 
Faut voir rentrer les boutiquiers 
Les yeux durs, la gueule en tir’lire, 
Dans leurs comptoirs comm’ des banquiers. 
  
J’ les r’luque : et c’est irrésistible, 
Y s’ caval’nt, y z’ont peur de moi, 
Peur que j’ leur chopp’ leurs comestibles, 
Peur pour leurs femm’s, pour je n’ sais quoi. 
  
Leur conscienc’ dit : « Tu t’ soign’s les tripes, 
Tu t’ les bourr’s à t’en étouffer, 
Ben, n’en v’là un qu’ a pas bouffé ! » 
Alors dame ! euss y m’ prenn’nt en grippe ! 
  
Gn’a pas ! mon spectr’ les embarrasse, 
Ça leur z’y donn’ comm’ des remords : 
Des fois, j’ plaqu’ ma fiole à leurs glaces, 
Et y d’viennent livid’s comm’ des morts ! 
   
Du coup, malgré leur chair de poule, 
Y s’ jett’nt su’ la porte en hurlant : 
Faut voir comme y z’ameut’nt la foule 
Pendant qu’ Bibi y fout son camp ! 
  
« Avez-vous vu ce misérable, 
Cet individu équivoque ? 
Ce pouilleux, ce voleur en loques 
Qui nous r’gardait manger à table ? 
  
« Ma parole ! on n’est pus chez soi, 
On n’ peut pus digérer tranquilles... 
Nous payons l’impôt, gn’a des lois ! 
Qu’est-c’ qu’y font donc, les sergents d’ ville ? » 
  
J’ suis loin, que j’ les entends encor : 
L’ vent d’hiver m’apport’ leurs cris aigres. 
Y piaill’nt, comme à Noël des porcs, 
Comm’ des chiens gras su’ un chien maigre ! 
  
Pendant c’ temps, moi, j’ file en silence,  
Car j’aim’ pas la publicité ; 
Oh ! j’ connais leur état d’ santé, 
Y m’ f’raient foutre au clou... par prudence ! 
  
Comm’ ça, au moins, j’ai l’ bénéfice 
De m’ répéter en liberté 
Deux mots lus su’ les édifices : 
« Égalité ! Fraternité ! » 
  
Souvent, j’ai pas d’aut’ nourriture : 
(C’est l’ pain d’ l’esprit, dis’nt les gourmets.) 
Bah ! l’Homme est un muff’ par nature, 
Et la Natur’ chang’ra jamais. 
  
Car, gn’a des prophèt’s, des penseurs 
Qui z’ont cherché à changer l’Homme. 
Ben quoi donc qu’y z’ont fait, en somme, 
De c’ kilog d’ fer qu’y nomm’nt son Cœur ? 
  
Rien de rien... même en tapant d’ssus 
Ou en l’ prenant par la tendresse  
Comm’ l’a fait Not’ Seigneur Jésus, 
Qui s’a vraiment trompé d’adresse : 
  
Aussi, quand on a lu l’histoire 
D’ ceuss’ qu’a voulu améliorer 
L’ genre humain..., on les trait’ de poires ; 
On vourait ben les exécrer ; 
  
On réfléchit, on a envie 
D’ beugler tout seul « Miserere », 
Pis on s’ dit : Ben quoi, c’est la Vie ! 
Gn’a rien à fair’, gn’a qu’à pleurer.


Christian Tanguy