Juke-Box à PoésieGeorges PerrosKen Avo

J'avais quitté la Seine-et-Oise de bon matin
Ma mansarde là-haut, sur la colline
Où l'on observe les astres et les fusées
Mon poêle à pétrole, mes pipes
Mes livres, mes poussières, ma fenêtre
D'où je pouvais ne pas regarder la Tour Eiffel
Qui tourne de l'oeil tous les soirs
Le Panthéon, le Sacré-Coeur, ce fromage blanc
D'autres choses encore, indicibles
Pour le moment.
Les toits de Paris.
J'allais une fois encore vers cette Bretagne
Qui m'a très jeune fasciné
Qui m'est aimant quand j'en suis loin
Qui m'est douleur quand de trop près
J'en subis la loi inflexible
De pierres et d'horizons.
Les hommes partout se ressemblent
Les lieux n'y pourront jamais rien
Les lieux ne nous donnent à vivre
Qu'avec parcimonie
Pour renouveler le bail, le contrat qui nous lie
À nos frères, puisqu'il paraît,
Et je quittais mes amis que j'aime bien
Qu'il m'est difficile d'aimer tous à la fois
Quand par hasard ils se connaissent
Et qu'on se retrouve autour d'une table :
Je quittais mes amis dont j'ai besoin
Et qui me font souffrir comme un pays.
Comme la Bretagne
Que j'aurai maintenant tant de mal à quitter
J'ai si peur de mourir ailleurs.
L'homme est un pays pour l'homme
Quelquefois paysage
L'homme a besoin de l'homme
Bien que de la femme
Et les femmes le savent
Qui connaissent leur homme.
Je quittais mes amis, et sur mon engin,
Une motocyclette
Qu'un de mes amis, justement, m'avait payée
Connaissant mon vice, le vent,
La vitesse du vent,
Les jambes serrées contre ce ventre d'essence
Un peu comme un cheval j'imagine
Qui aurait deux roues, et ce bruit désagréable
Pour ceux qui ne profitent pas
Du mouvement,
Oui j'allais en Bretagne, le col de ma chemise ouvert
Une guêpe s'y engouffra, je dus m'arrêter, la douleur
Était très forte et inquiétante,
Et puis les hommes sont douillets,
Par Trappes, Houdan, Dreux, Verneuil, Laigle,
Le pin aux haras, Argentan, je buissonnais
Ce n'était pas la route droite,
J'allais en Bretagne une fois de plus.

[...]

Une femme m'attendait 
Je ne pouvais plus reculer 
J'en serais mort, conscience en berne 
Je ne pouvais plus dire non 
À ce oui fugitif qu'un soir 
Je mis à son oreille 
Comme boucle, mais boucle de ma vie 
Boucle de ma stupéfaction de faire acte de présence 
Sur cette terre qui n'en peut plus 
Qui geint, 
Qui est malade de partout 
Qui va bien sauter un de ces jours 
Quand on est à bout on se suicide 
Les hommes meurent de plus en plus gaiement
Comme s'ils lançaient un « à la vôtre » 
Aux malheureux qui restent. 
Les hommes sont dans une ornière 
Parfois pourtant l'inspiration 
D'un terrain resté vierge, 
À jamais indéchiffrable, 
À jamais indéfrichable, 
J'aime jouer avec les mots 
Passez m'en la fantaisie. 

[...]


Tchéky Karyo