À la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent
tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures
policières Portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue
des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades
René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez
du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité C’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Énoch Élie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte
la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles À tire-d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pihis longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis voici la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pihis de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un
monastère Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont
ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin
de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à
Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse Et l’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et
dans l’angoisse C’est toujours près de toi cette image qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves
belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je
voudrais sangloter Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Une famille transporte un édredon rouge comme vous
transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis
cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma
bouche Tu es seul le matin va venir Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil cou coupé
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l’onde si lasse Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure L’amour s’en va comme cette eau courante L’amour s’en va Comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
À Paul Léautaud. Et je chantais cette romance En 1903 sans savoir Que mon amour à la semblance Du beau Phénix s’il meurt un soir Le matin voit sa renaissance. Un soir de demi-brume à Londres Un voyou qui ressemblait à Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu’il me jeta Me fit baisser les yeux de honte Je suivis ce mauvais garçon Qui sifflotait mains dans les poches Nous semblions entre les maisons Onde ouverte de la mer Rouge Lui les Hébreux moi Pharaon Que tombent ces vagues de briques Si tu ne fus pas bien aimée Je suis le souverain d’Égypte Sa sœur-épouse son armée Si tu n’es pas l’amour unique Au tournant d’une rue brûlant De tous les feux de ses façades Plaies du brouillard sanguinolent Où se lamentaient les façades Une femme lui ressemblant C’était son regard d’inhumaine La cicatrice à son cou nu Sortit saoule d’une taverne Au moment où je reconnus La fausseté de l’amour même Lorsqu’il fut de retour enfin Dans sa patrie le sage Ulysse Son vieux chien de lui se souvint Près d’un tapis de haute lisse Sa femme attendait qu’il revînt L’époux royal de Sacontale Las de vaincre se réjouit Quand il la retrouva plus pâle D’attente et d’amour yeux pâlis Caressant sa gazelle mâle J’ai pensé à ces rois heureux Lorsque le faux amour et celle Dont je suis encore amoureux Heurtant leurs ombres infidèles Me rendirent si malheureux Regrets sur quoi l’enfer se fonde Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux Pour son baiser les rois du monde Seraient morts les pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre J’ai hiverné dans mon passé Revienne le soleil de Pâques Pour chauffer un cœur plus glacé Que les quarante de Sébaste Moins que ma vie martyrisés Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir Adieu faux amour confondu Avec la femme qui s’éloigne Avec celle que j’ai perdue L’année dernière en Allemagne Et que je ne reverrai plus Voie lactée ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses Je me souviens d’une autre année C’était l’aube d’un jour d’avril J’ai chanté ma joie bien-aimée Chanté l’amour à voix virile Au moment d’amour de l’année
C’est le printemps viens-t’en Pâquette Te promener au bois joli Les poules dans la cour caquètent L’aube au ciel fait de roses plis L’amour chemine à ta conquête Mars et Vénus sont revenus Ils s’embrassent à bouches folles Devant des sites ingénus Où sous les roses qui feuillolent De beaux dieux roses dansent nus Viens ma tendresse est la régente De la floraison qui paraît La nature est belle et touchante Pan sifflote dans la forêt Les grenouilles humides chantent Beaucoup de ces dieux ont péri C’est sur eux que pleurent les saules Le grand Pan l’amour Jésus-Christ Sont bien morts et les chats miaulent Dans la cour je pleure à Paris Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d’esclave aux murènes La romance du mal-aimé Et des chansons pour les sirènes L’amour est mort j’en suis tremblant J’adore de belles idoles Les souvenirs lui ressemblant Comme la femme de Mausole Je reste fidèle et dolent Je suis fidèle comme un dogue Au maître le lierre au tronc Et les Cosaques Zaporogues Ivrognes pieux et larrons Aux steppes et au décalogue Portez comme un joug le Croissant Qu’interrogent les astrologues Je suis le Sultan tout-puissant Ô mes Cosaques Zaporogues Votre Seigneur éblouissant Devenez mes sujets fidèles Leur avait écrit le Sultan Ils rirent à cette nouvelle Et répondirent à l’instant À la lueur d’une chandelle
Plus criminel que Barrabas Cornu comme les mauvais anges Quel Belzébuth es-tu là-bas Nourri d’immondice et de fange Nous n’irons pas à tes sabbats Poisson pourri de Salonique Long collier des sommeils affreux D’yeux arrachés à coup de pique Ta mère fit un pet foireux Et tu naquis de sa colique Bourreau de Podolie Amant Des plaies des ulcères des croûtes Groin de cochon cul de jument Tes richesses garde-les toutes Pour payer tes médicaments Voie lactée ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses Regret des yeux de la putain Et belle comme une panthère Amour vos baisers florentins Avaient une saveur amère Qui a rebuté nos destins Ses regards laissaient une traîne D’étoiles dans les soirs tremblants Dans ses yeux nageaient les sirènes Et nos baisers mordus sanglants Faisaient pleurer nos fées marraines Mais en vérité je l’attends Avec mon cœur avec mon âme Et sur le pont des Reviens-t’en Si jamais revient cette femme Je lui dirai Je suis content Mon cœur et ma tête se vident Tout le ciel s’écoule par eux Ô mes tonneaux des Danaïdes Comment faire pour être heureux Comme un petit enfant candide Je ne veux jamais l’oublier Ma colombe ma blanche rade Ô marguerite exfoliée Mon île au loin ma Désirade Ma rose mon giroflier Les satyres et les pyraustes Les égypans les feux follets Et les destins damnés ou faustes La corde au cou comme à Calais Sur ma douleur quel holocauste Douleur qui doubles les destins La licorne et le capricorne Mon âme et mon corps incertain Te fuient ô bûcher divin qu’ornent Des astres des fleurs du matin Malheur dieu pâle aux yeux d’ivoire Tes prêtres fous t’ont-ils paré Tes victimes en robe noire Ont-elles vainement pleuré Malheur dieu qu’il ne faut pas croire Et toi qui me suis en rampant Dieu de mes dieux morts en automne Tu mesures combien d’empans J’ai droit que la terre me donne Ô mon ombre ô mon vieux serpent Au soleil parce que tu l’aimes Je t’ai menée souviens-t’en bien Ténébreuse épouse que j’aime Tu es à moi en n’étant rien Ô mon ombre en deuil de moi-même L’hiver est mort tout enneigé On a brûlé les ruches blanches Dans les jardins et les vergers Les oiseaux chantent sur les branches Le printemps clair l’avril léger Mort d’immortels argyraspides La neige aux boucliers d’argent Fuit les dendrophores livides Du printemps cher aux pauvres gens Qui resourient les yeux humides Et moi j’ai le cœur aussi gros Qu’un cul de dame damascène Ô mon amour je t’aimais trop Et maintenant j’ai trop de peine Les sept épées hors du fourreau Sept épées de mélancolie Sans morfil ô claires douleurs Sont dans mon cœur et la folie Veut raisonner pour mon malheur Comment voulez-vous que j’oublie
La première est toute d’argent Et son nom tremblant c’est Pâline Sa lame un ciel d’hiver neigeant Son destin sanglant gibeline Vulcain mourut en la forgeant La seconde nommée Noubosse Est un bel arc-en-ciel joyeux Les dieux s’en servent à leurs noces Elle a tué trente Bé-Rieux Et fut douée par Carabosse La troisième bleu féminin N’en est pas moins un chibriape Appelé Lul de Faltenin Et que porte sur une nappe L’Hermès Ernest devenu nain La quatrième Malourène Est un fleuve vert et doré C’est le soir quand les riveraines Y baignent leurs corps adorés Et des chants de rameurs s’y traînent La cinquième Sainte-Fabeau C’est la plus belle des quenouilles C’est un cyprès sur un tombeau Où les quatre vents s’agenouillent Et chaque nuit c’est un flambeau La sixième métal de gloire C’est l’ami aux si douces mains Dont chaque matin nous sépare Adieu voilà votre chemin Les coqs s’épuisaient en fanfares Et la septième s’exténue Une femme une rose morte Merci que le dernier venu Sur mon amour ferme la porte Je ne vous ai jamais connue Voie lactée ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses Les démons du hasard selon Le chant du firmament nous mènent À sons perdus leurs violons Font danser notre race humaine Sur la descente à reculons Destins destins impénétrables Rois secoués par la folie Et ces grelottantes étoiles De fausses femmes dans vos lits Aux déserts que l’histoire accable Luitpold le vieux prince régent Tuteur de deux royautés folles Sanglote-t-il en y songeant Quand vacillent les lucioles Mouches dorées de la Saint-Jean Près d’un château sans châtelaine La barque aux barcarols chantants Sur un lac blanc et sous l’haleine Des vents qui tremblent au printemps Voguait cygne mourant sirène Un jour le roi dans l’eau d’argent Se noya puis la bouche ouverte Il s’en revint en surnageant Sur la rive dormir inerte Face tournée au ciel changeant Juin ton soleil ardente lyre Brûle mes doigts endoloris Triste et mélodieux délire J’erre à travers mon beau Paris Sans avoir le cœur d’y mourir Les dimanches s’y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise Soirs de Paris ivres du gin Flambant de l’électricité Les tramways feux verts sur l’échine Musiquent au long des portées De rails leur folie de machines Les cafés gonflés de fumée Crient tout l’amour de leurs tziganes De tous leurs siphons enrhumés De leurs garçons vêtus d’un pagne Vers toi toi que j’ai tant aimée Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d’esclave aux murènes La romance du mal-aimé Et des chansons pour les sirènes
Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne
À Max Jacob.
Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve
Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée
Le palais don du roi comme un roi nu s’élève
Des chairs fouettées des roses de la roseraie
On voit venir au fond du jardin mes pensées
Qui sourient du concert joué par les grenouilles
Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles
Et le soleil miroir des roses s’est brisé
Le stigmate sanglant des mains contre les vitres
Quel archer mal blessé du couchant le troua
La résine qui rend amer le vin de Chypre
Ma bouche aux agapes d’agneau blanc l’éprouva
Sur les genoux pointus du monarque adultère
Sur le mai de son âge et sur son trente et un
Madame Rosemonde roule avec mystère
Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns
Dame de mes pensées au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n’égale l’orient
Qui donc attendez-vous
De rêveuses pensées en marche à l’Orient
Mes plus belles voisines
Toc toc Entrez dans l’antichambre le jour baisse
La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’or cuit
Pendez vos têtes aux patères par les tresses
Le ciel presque nocturne a des lueurs d’aiguilles
On entra dans la salle à manger les narines
Reniflaient une odeur de graisse et de graillon
On eut vingt potages dont trois couleurs d’urine
Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon
Puis les marmitons apportèrent les viandes
Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau
Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes
Et mes souvenirs faisandés en godiveaux
Or ces pensées mortes depuis des millénaires
Avaient le fade goût des grands mammouths gelés
Les os ou songe-creux venaient des ossuaires
En danse macabre aux plis de mon cervelet
Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles
Mais nom de Dieu !
Ventre affamé n’a pas d’oreilles
Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux
Ah ! nom de Dieu ! qu’ont donc crié ces entrecôtes
Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons
Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes
Pour mes pensées de tous pays de tous les temps
À Mademoiselle Marie Laurencin
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Sur la côte du Texas Entre Mobile et Galveston il y a Un grand jardin tout plein de roses Il contient aussi une villa Qui est une grande rose Une femme se promène souvent Dans le jardin toute seule Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls Nous nous regardons Comme cette femme est mennonite Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas de boutons Il en manque deux à mon veston La dame et moi suivons presque le même rite
À Maurice Raynal
S’étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l’encadrait comme un cloître
À l’intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l’éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J’étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture
Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d’une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l’infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m’accostèrent
Avec des mines de l’autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l’observaient
Comme si véritablement
C’eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d’œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
À la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s’éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu’ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n’avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu’un nouveau tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d’un buisson d’épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s’il le faut
Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l’autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l’humanité
L’étudiant passa une bague
À l’annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l’absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
À nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l’église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s’ils étaient d’argent ou d’or
D’émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l’aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d’éclore
Que le thym la rose ou qu’un brin
De lavande ou de romarin
Les musiciens s’en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d’un lac
On s’amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l’eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
À l’avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d’une robe jaune
D’un corsage noir
Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris
Orné d’une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l’insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l’anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
À un endroit où les chevau-légers
Savaient qu’un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l’interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d’à-propos
Que c’était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l’eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s’entr’aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l’effet d’un fantôme
Les enfants déchiraient l’air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
À demain
À bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s’en allaient tout droit
Au cimetière
Où
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s’était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C’était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu’ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d’avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu’on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
À se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l’on n’a plus besoin de personne
L’anémone et l’ancolie Ont poussé dans le jardin Où dort la mélancolie Entre l’amour et le dédain Il y vient aussi nos ombres Que la nuit dissipera Le soleil qui les rend sombres Avec elles disparaîtra Les déités des eaux vives Laissent couler leurs cheveux Passe il faut que tu poursuives Cette belle ombre que tu veux
À M. Léon Bailby. Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l’air À la limite où notre sol brille déjà Baisse ta deuxième paupière la terre t’éblouit Quand tu lèves la tête Et moi aussi de près je suis sombre et terne Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes Une main qui tout à coup se pose devant les yeux Une voûte entre vous et toutes les lumières Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres Et d’alignements d’yeux des astres bien-aimés Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l’air À la limite où brille déjà ma mémoire Baisse ta deuxième paupière Ni à cause du soleil ni à cause de la terre Mais pour ce feu oblong dont l’intensité ira s’augmentant Au point qu’il deviendra un jour l’unique lumière Un jour Un jour je m’attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui-là que je suis Moi qui connais les autres Je les connais par les cinq sens et quelques autres Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens
à milliers De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères La monnaie des aveugles les mains des muets Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l’écriture Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans Il me suffit de sentir l’odeur de leurs églises L’odeur des fleuves dans leurs villes Le parfum des fleurs dans les jardins publics Ô Corneille Agrippa l’odeur d’un petit chien m’eût suffi Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline Qui t’inspirait l’erreur touchant toutes les femmes Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu’on cultive
pour que j’aime ou que je bafoue Et de toucher les vêtements Pour ne pas douter si l’on est frileux ou non Ô gens que je connais Il me suffit d’entendre le bruit de leurs pas Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu’ils ont prise Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit De ressusciter les autres Un jour je m’attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux que j’aime Parmi lesquels je n’étais pas Les géants couverts d’algues passaient dans leurs villes Sous-marines où les tours seules étaient des îles Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur Puis sur terre il venait mille peuplades blanches Dont chaque homme tenait une rose à la main Et le langage qu’ils inventaient en chemin Je l’appris de leur bouche et je le parle encore Le cortège passait et j’y cherchais mon corps Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même Amenaient un à un les morceaux de moi-même On me bâtit peu à peu comme on élève une tour Les peuples s’entassaient et je parus moi-même Qu’ont formé tous les corps et les choses humaines Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes Et détournant mes yeux de ce vide avenir En moi-même je vois tout le passé grandir Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore Près du passé luisant demain est incolore Il est informe aussi près de ce qui parfait Présente tout ensemble et l’effort et l’effet
Dans la Haute-Rue à Cologne Elle allait et venait le soir Offerte à tous en tout mignonne Puis buvait lasse des trottoirs Très tard dans les brasseries borgnes Elle se mettait sur la paille Pour un maquereau roux et rose C’était un juif il sentait l’ail Et l’avait venant de Formose Tirée d’un bordel de Changaï Je connais gens de toutes sortes Ils n’égalent pas leurs destins Indécis comme feuilles mortes Leurs yeux sont des feux mal éteints Leurs cœurs bougent comme leurs portes
À Fernand Fleuret. Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant La vie est variable aussi bien que l’Euripe Tu regardais un banc de nuages descendre Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures Et de tous ces regrets de tous ces repentirs Te souviens-tu Vagues poissons arqués fleurs surmarines Une nuit c’était la mer Et les fleuves s’y répandaient Je m’en souviens je m’en souviens encore Un soir je descendis dans une auberge triste Auprès de Luxembourg Dans le fond de la salle il s’envolait un Christ Quelqu’un avait un furet Un autre un hérisson L’on jouait aux cartes Et toi tu m’avais oublié Te souviens-tu du long orphelinat des gares Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient Et vomissaient la nuit le soleil des journées Ô matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons Souvenez-vous-en Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé Le plus jeune en mourant tomba sur le côté Ô vous chers compagnons Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses Traîneau d’un boucher régiment des rues sans nombre Cavalerie des ponts nuits livides de l’alcool Les villes que j’ai vues vivaient comme des folles Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des
paysages Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres J’écoutais cette nuit au déclin de l’été Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre Mais tandis que mourants roulaient vers l’estuaire Tous les regards tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts herbus silencieux Et la montagne à l’autre rive était très claire Alors sans bruit sans qu’on pût voir rien de vivant Contre le mont passèrent des ombres vivaces De profil ou soudain tournant leurs vagues faces Et tenant l’ombre de leurs lances en avant Les ombres contre le mont perpendiculaire Grandissaient ou parfois s’abaissaient brusquement Et ces ombres barbues pleuraient humainement En glissant pas à pas sur la montagne claire Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies Te souviens-tu du jour où une abeille tomba dans le feu C’était tu t’en souviens à la fin de l’été Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés L’aîné portait au cou une chaîne de fer Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant La vie est variable aussi bien que l’Euripe
Vous y dansiez petite fille Y danserez-vous mère-grand C’est la maclotte qui sautille Toutes les cloches sonneront Quand donc reviendrez-vous Marie Les masques sont silencieux Et la musique est si lointaine Qu’elle semble venir des cieux Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine Et mon mal est délicieux Les brebis s’en vont dans la neige Flocons de laine et ceux d’argent Des soldats passent et que n’ai-je Un cœur à moi ce cœur changeant Changeant et puis encor que sais-je Sais-je où s’en iront tes cheveux Crépus comme mer qui moutonne Sais-je où s’en iront tes cheveux Et tes mains feuilles de l’automne Que jonchent aussi nos aveux Je passais au bord de la Seine Un livre ancien sous le bras Le fleuve est pareil à ma peine Il s’écoule et ne tarit pas Quand donc finira la semaine
Les anges les anges dans le ciel L’un est vêtu en officier L’un est vêtu en cuisinier Et les autres chantent Bel officier couleur du ciel Le doux printemps longtemps après Noël Te médaillera d’un beau soleil D’un beau soleil Le cuisinier plume les oies Ah ! tombe neige Tombe et que n’ai-je Ma bien-aimée entre mes bras
En voyant des drapeaux ce matin je ne me suis pas dit Voilà les riches vêtements des pauvres Ni la pudeur démocratique veut me voiler sa douleur Ni la liberté en honneur fait qu’on imite maintenant Les feuilles ô liberté végétale ô seule liberté terrestre Ni les maisons flambent parce qu’on partira pour ne plus
revenir Ni ces mains agitées travailleront demain pour nous tous Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pas profiter de
la vie Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille Je sais que seuls le renouvellent ceux qui sont fondés en
poésie On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s’y
marie Nous nous sommes rencontrés dans un caveau maudit Au temps de notre jeunesse Fumant tous deux et mal vêtus attendant l’aube Épris épris des mêmes paroles dont il faudra changer le sens Trompés trompés pauvres petits et ne sachant pas encore
rire La table et les deux verres devinrent un mourant qui nous
jeta le dernier regard d’Orphée Les verres tombèrent se brisèrent Et nous apprîmes à rire Nous partîmes alors pèlerins de la perdition À travers les rues à travers les contrées à travers la raison Je le revis au bord du fleuve sur lequel flottait Ophélie Qui blanche flotte encore entre les nénuphars Il s’en allait au milieu des Hamlets blafards Sur la flûte jouant les airs de la folie Je le revis près d’un moujik mourant compter les béatitudes En admirant la neige semblable aux femmes nues Je le revis faisant ceci ou cela en l’honneur des mêmes
paroles Qui changent la face des enfants et je dis toutes ces
choses Souvenir et Avenir parce que mon ami André Salmon se
marie Réjouissons-nous non pas parce que notre amitié a été le
fleuve qui nous a fertilisés Terrains riverains dont l’abondance est la nourriture que
tous espèrent Ni parce que nos verres nous jettent encore une fois le
regard d’Orphée mourant Ni parce que nous avons tant grandi que beaucoup
pourraient confondre nos yeux et les étoiles Ni parce que les drapeaux claquent aux fenêtres des
citoyens qui sont contents depuis cent ans d’avoir la
vie et de menues choses à défendre Ni parce que fondés en poésie nous avons des droits sur
les paroles qui forment et défont l’Univers Ni parce que nous pouvons pleurer sans ridicule et que nous
savons rire Ni parce que nous fumons et buvons comme autrefois Réjouissons-nous parce que directeur du feu et des poètes L’amour qui emplit ainsi que la lumière Tout le solide espace entre les étoiles et les planètes L’amour veut qu’aujourd’hui mon ami André Salmon se marie
J’ai cueilli ce brin de bruyère L’automne est morte souviens-t’en Nous ne nous verrons plus sur terre Odeur du temps brin de bruyère Et souviens-toi que je t’attends
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste Sire je danserais mieux que les séraphins Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste En robe de comtesse à côté du Dauphin Mon cœur battait battait très fort à sa parole Quand je dansais dans le fenouil en écoutant Et je brodais des lys sur une banderole Destinée à flotter au bout de son bâton Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces Ne pleure pas ô joli fou du roi Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid Sire marchez devant trabants marchez derrière Nous creuserons un trou et l’y enterrerons Nous planterons des fleurs et danserons en rond Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière Le roi sa tabatière L’infante son rosaire Le curé son bréviaire
La porte de l’hôtel sourit terriblement Qu’est-ce que cela peut me faire ô ma maman D’être cet employé pour qui seul rien n’existe Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste Anges frais débarqués à Marseille hier matin J’entends mourir et remourir un chant lointain Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille
Le soleil ce jour-là s’étalait comme un ventre Maternel qui saignait lentement sur le ciel La lumière est ma mère ô lumière sanglante Les nuages coulaient comme un flux menstruel Au carrefour où nulle fleur sinon la rose Des vents mais sans épine n’a fleuri l’hiver Merlin guettait la vie et l’éternelle cause Qui fait mourir et puis renaître l’univers Une vieille sur une mule à chape verte S’en vint suivant la berge du fleuve en aval Et l’antique Merlin dans la plaine déserte Se frappait la poitrine en s’écriant Rival Ô mon être glacé dont le destin m’accable Dont ce soleil de chair grelotte veux-tu voir Ma Mémoire venir et m’aimer ma semblable Et quel fils malheureux et beau je veux avoir Son geste fit crouler l’orgueil des cataclysmes Le soleil en dansant remuait son nombril Et soudain le printemps d’amour et d’héroïsme Amena par la main un jeune jour d’avril Les voies qui viennent de l’ouest étaient couvertes D’ossements d’herbes drues de destins et de fleurs Des monuments tremblants près des charognes vertes Quand les vents apportaient des poils et des malheurs Laissant sa mule à petits pas s’en vint l’amante À petits coups le vent défripait ses atours Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes L’entrelacs de leurs doigts fut leur seul laps d’amour Elle balla mimant un rythme d’existence Criant Depuis cent ans j’espérais ton appel Les astres de ta vie influaient sur ma danse Morgane regardait du haut du mont Gibel Ah ! qu’il fait doux danser quand pour vous se déclare Un mirage où tout chante et que les vents d’horreur Feignent d’être le rire de la lune hilare Et d’effrayer les fantômes avant-coureurs J’ai fait des gestes blancs parmi les solitudes Des lémures couraient peupler les cauchemars Mes tournoiements exprimaient les béatitudes Qui toutes ne sont rien qu’un pur effet de l’Art Je n’ai jamais cueilli que la fleur d’aubépine Aux printemps finissants qui voulaient défleurir Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines D’agneaux mort-nés et d’enfants-dieux qui vont mourir Et j’ai vieilli vois-tu pendant ta vie je danse Mais j’eusse été tôt lasse et l’aubépine en fleurs Cet avril aurait eu la pauvre confidence D’un corps de vieille morte en mimant la douleur Et leurs mains s’élevaient comme un vol de colombes Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour Puis Merlin s’en alla vers l’est disant Qu’il monte Le fils de la Mémoire égale de l’Amour Qu’il monte de la fange ou soit une ombre d’homme Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel Le front nimbé de feu sur le chemin de Rome Il marchera tout seul en regardant le ciel La dame qui m’attend se nomme Viviane Et vienne le printemps des nouvelles douleurs Couché parmi la marjolaine et les pas-d’âne Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs
À Louis Dumur.
Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises
Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L’ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage
chœur Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui larron Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé vieillard Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau Naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé chœur Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits larron Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon de s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues l’acteur Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignaient trop vite Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient aux éclairs chœur Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment l’acteur Et le larron des fruits cria Je suis chrétien chœur Ah ! Ah ! les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah ! Ah ! le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux femme Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau chœur Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Édesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit ! la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix
Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtant Et l’on entend aussi se lamenter l’autan Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales Les elfes rire au vent ou corner aux rafales Attys Attys Attys charmant et débraillé C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé Parce qu’un de tes pins s’abat au vent gothique La forêt fuit au loin comme une armée antique Dont les lances ô pins s’agitent au tournant Les villages éteints méditent maintenant Comme les vierges les vieillards et les poètes Et ne s’éveilleront au pas de nul venant Ni quand sur leurs pigeons fondront les gypaètes
À Louis de Gonzague Frick.
Sirènes j’ai rampé vers vos
Grottes tiriez aux mers la langue
En dansant devant leurs chevaux
Puis battiez de vos ailes d’anges
Et j’écoutais ces chœurs rivaux
Une arme ô ma tête inquiète
J’agite un feuillard défleuri
Pour écarter l’haleine tiède
Qu’exhalent contre mes grands cris
Vos terribles bouches muettes
Il y a là-bas la merveille
Au prix d’elle que valez-vous
Le sang jaillit de mes otelles
À mon aspect et je l’avoue
Le meurtre de mon double orgueil
Si les bateliers ont ramé
Loin des lèvres à fleur de l’onde
Mille et mille animaux charmés
Flairent la route à la rencontre
De mes blessures bien-aimées
Leurs yeux étoiles bestiales
Éclairent ma compassion
Qu’importe ma sagesse égale
Celle des constellations
Car c’est moi seul nuit qui t’étoile
Sirènes enfin je descends
Dans une grotte avide J’aime
Vos yeux Les degrés sont glissants
Au loin que vous devenez naines
N’attirez plus aucun passant
Dans l’attentive et bien-apprise
J’ai vu feuilloler nos forêts
Mer le soleil se gargarise
Où les matelots désiraient
Que vergues et mâts reverdissent
Je descends et le firmament
S’est changé très vite en méduse
Puisque je flambe atrocement
Que mes bras seuls sont les excuses
Et les torches de mon tourment
Oiseaux tiriez aux mers la langue
Le soleil d’hier m’a rejoint
Les otelles nous ensanglantent
Dans le nid des Sirènes loin
Du troupeau d’étoiles oblongues
La tzigane savait d’avance Nos deux vies barrées par les nuits Nous lui dîmes adieu et puis De ce puits sortit l’Espérance L’amour lourd comme un ours privé Dansa debout quand nous voulûmes Et l’oiseau bleu perdit ses plumes Et les mendiants leurs Ave On sait très bien que l’on se damne Mais l’espoir d’aimer en chemin Nous fait penser main dans la main À ce qu’a prédit la tzigane
À Félix Fénéon.
Un ermite déchaux près d’un crâne blanchi
Cria Je vous maudis martyres et détresses
Trop de tentations malgré moi me caressent
Tentations de lune et de logomachies
Trop d’étoiles s’enfuient quand je dis mes prières
Ô chef de morte Ô vieil ivoire Orbites Trous
Des narines rongées J’ai faim Mes cris s’enrouent
Voici donc pour mon jeûne un morceau de gruyère
Ô Seigneur flagellez les nuées du coucher
Qui vous tendent au ciel de si jolis culs roses
Et c’est le soir les fleurs de jour déjà se closent
Et les souris dans l’ombre incantent le plancher
Les humains savent tant de jeux l’amour la mourre
L’amour jeu des nombrils ou jeu de la grande oie
La mourre jeu du nombre illusoire des doigts
Seigneur faites Seigneur qu’un jour je m’énamoure
J’attends celle qui me tendra ses doigts menus
Combien de signes blancs aux ongles les paresses
Les mensonges pourtant j’attends qu’elle les dresse
Ses mains énamourées devant moi l’Inconnue
Seigneur que t’ai-je fait Vois Je suis unicorne
Pourtant malgré son bel effroi concupiscent
Comme un poupon chéri mon sexe est innocent
D’être anxieux seul et debout comme une borne
Seigneur le Christ est nu jetez jetez sur lui
La robe sans couture éteignez les ardeurs
Au puits vont se noyer tant de tintements d’heures
Quand isochrones choient des gouttes d’eau de pluie
J’ai veillé trente nuits sous les lauriers-roses
As-tu sué du sang Christ dans Gethsémani
Crucifié réponds Dis non Moi je le nie
Car j’ai trop espéré en vain l’hématidrose
J’écoutais à genoux toquer les battements
Du cœur le sang roulait toujours en ses artères
Qui sont de vieux coraux ou qui sont des clavaires
Et mon aorte était avare éperdument
Une goutte tomba Sueur Et sa couleur
Lueur Le sang si rouge et j’ai ri des damnés
Puis enfin j’ai compris que je saignais du nez
À cause des parfums violents de mes fleurs
Et j’ai ri du vieil ange qui n’est point venu
De vol très indolent me tendre un beau calice
J’ai ri de l’aile grise et j’ôte mon cilice
Tissé de crins soyeux par de cruels canuts
Vertuchou Riotant des vulves des papesses
De saintes sans tétons j’irai vers les cités
Et peut-être y mourir pour ma virginité
Parmi les mains les peaux les mots et les promesses
Malgré les autans bleus je me dresse divin
Comme un rayon de lune adoré par la mer
En vain j’ai supplié tous les saints aémères
Aucun n’a consacré mes doux pains sans levain
Et je marche Je fuis ô nuit Lilith ulule
Et clame vainement et je vois de grands yeux
S’ouvrir tragiquement Ô nuit je vois tes cieux
S’étoiler calmement de splendides pilules
Un squelette de reine innocente est pendu
À un long fil d’étoile en désespoir sévère
La nuit les bois sont noirs et se meurt l’espoir vert
Quand meurt le jour avec un râle inattendu
Et je marche je fuis ô jour l’émoi de l’aube
Ferma le regard fixe et doux de vieux rubis
Des hiboux et voici le regard des brebis
Et des truies aux tétins roses comme des lobes
Des corbeaux éployés comme des tildes font
Une ombre vaine aux pauvres champs de seigle mûr
Non loin des bourgs où des chaumières sont impures
D’avoir des hiboux morts cloués à leur plafond
Mes kilomètres longs Mes tristesses plénières
Les squelettes de doigts terminant les sapins
Ont égaré ma route et mes rêves poupins
Souvent et j’ai dormi au sol des sapinières
Enfin Ô soir pâmé Au bout de mes chemins
La ville m’apparut très grave au son des cloches
Et ma luxure meurt à présent que j’approche
En entrant j’ai béni les foules des deux mains
Cité j’ai ri de tes palais tels que des truffes
Blanches au sol fouillé de clairières bleues
Or mes désirs s’en vont tous à la queue leu leu
Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe
Car toutes sont venues m’avouer leurs péchés
Et Seigneur je suis saint par le vœu des amantes
Zélotide et Lorie Louise et Diamante
Ont dit Tu peux savoir ô toi l’effarouché
Ermite absous nos fautes jamais vénielles
Ô toi le pur et le contrit que nous aimons
Sache nos cœurs sache les jeux que nous aimons
Et nos baisers quintessenciés comme du miel
Et j’absous les aveux pourpres comme leur sang
Des poétesses nues des fées des fornarines
Aucun pauvre désir ne gonfle ma poitrine
Lorsque je vois le soir les couples s’enlaçant
Car je ne veux plus rien sinon laisser se clore
Mes yeux couple lassé au verger pantelant
Plein du râle pompeux des groseillers sanglants
Et de la sainte cruauté des passiflores
Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux Et s’en allant là-bas le paysan chantonne Une chanson d’amour et d’infidélité Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises
À André Billy.
Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu’on se vête
La foule en tous les sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière
S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l’Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais
Car revenir c’est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d’oiseaux muets et de singes
Les mannequins pour lui s’étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé
Au rabais l’habilla comme un millionnaire
Au-dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées
Intercalées dans l’an c’étaient les journées veuves
Les vendredis sanglants et lents d’enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d’automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s’assit
Les vents de l’Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d’autres en pleurant s’étaient agenouillés
Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d’enfant tremblaient à l’horizon
Un tout petit bouquet flottant à l’aventure
Couvrit l’Océan d’une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins
Et l’on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d’une sirène moderne sans époux
Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales
Jusqu’à l’aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments
À André Derain.
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j’avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j’ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m’en allai
Pour quêter la Rose du Monde
À Paul-Napoléon Roinard. J’ai jeté dans le noble feu Que je transporte et que j’adore De vives mains et même feu Ce Passé ces têtes de morts Flamme je fais ce que tu veux Le galop soudain des étoiles N’étant que ce qui deviendra Se mêle au hennissement mâle Des centaures dans leurs haras Et des grand’plaintes végétales Où sont ces têtes que j’avais Où est le Dieu de ma jeunesse L’amour est devenu mauvais Qu’au brasier les flammes renaissent Mon âme au soleil se dévêt Dans la plaine ont poussé des flammes Nos cœurs pendent aux citronniers Les têtes coupées qui m’acclament Et les astres qui ont saigné Ne sont que des têtes de femmes Le fleuve épinglé sur la ville T’y fixe comme un vêtement Partant à l’amphion docile Tu subis tous les tons charmants Qui rendent les pierres agiles Je flambe dans le brasier à l’ardeur adorable Et les mains des croyants m’y rejettent multiple
innombrablement Les membres des intercis flambent auprès de moi Éloignez du brasier les ossements Je suffis pour l’éternité à entretenir le feu de mes délices Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil Ô Mémoire Combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs Voici ma vie renouvelée De grands vaisseaux passent et repassent Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan Voici le paquebot et ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses Il n’y a plus rien de commun entre moi Et ceux qui craignent les brûlures Descendant des hauteurs où pense la lumière Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles L’avenir masqué flambe en traversant les cieux Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie J’ose à peine regarder la divine mascarade Quand bleuira sur l’horizon la Désirade Au-delà de notre atmosphère s’élève un théâtre Que construisit le ver Zamir sans instrument Puis le soleil revint ensoleiller les places D’une ville marine apparue contremont Sur les toits se reposaient les colombes lasses Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie À petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide Comme les astres dont se nourrit le vide Et voici le spectacle Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles Donnent des ordres aux hommes apprivoisés Terre Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme Écoutez la chanson lente d’un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n’entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes les filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin Des dames regardaient du haut de la montagne Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne Qui donc a fait pleurer les saules riverains Or des vergers fleuris se figeaient en arrière Les pétales tombés des cerisiers de mai Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée Les pétales flétris sont comme ses paupières Sur le chemin du bord du fleuve lentement Un ours un singe un chien menés par des tziganes Suivaient une roulotte traînée par un âne Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes Sur un fifre lointain un air de régiment Le mai le joli mai a paré les ruines De lierre de vigne vierge et de rosiers Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Ottomar Scholem et Abraham Lœweren Coiffés de feutres verts le matin du sabbat Vont à la synagogue en longeant le Rhin Et les coteaux où les vignes rougissent là-bas Ils se disputent et crient des choses qu’on ose à peine
traduire Bâtard conçu pendant les règles ou Que le diable entre
dans ton père Le vieux Rhin soulève sa face ruisselante et se détourne
pour sourire Ottomar Scholem et Abraham Lœweren sont en colère Parce que pendant le sabbat on ne doit pas fumer Tandis que les chrétiens passent avec des cigares allumés Et parce qu’Ottomar et Abraham aiment tous deux Lia aux yeux de brebis et dont le ventre avance un peu Pourtant tout à l’heure dans la synagogue l’un après l’autre Ils baiseront la thora en soulevant leur beau chapeau Parmi les feuillards de la fête des cabanes Ottomar en chantant sourira à Abraham Ils déchanteront sans mesure et les voix graves des hommes Feront gémir un Léviathan au fond du Rhin comme une voix
d’automne Et dans la synagogue pleine de chapeaux on agitera les
loulabim Hanoten ne Kamoth bagoim tholahoth baleoumim
Mon beau tzigane mon amant Écoute les cloches qui sonnent Nous nous aimions éperdument Croyant n’être vus de personne Mais nous étions bien mal cachés Toutes les cloches à la ronde Nous ont vus du haut des clochers Et le disent à tout le monde Demain Cyprien et Henri Marie Ursule et Catherine La boulangère et son mari Et puis Gertrude ma cousine Souriront quand je passerai Je ne saurai plus où me mettre Tu seras loin Je pleurerai J’en mourrai peut-être
À Jean Sève.
À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer
D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j’en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu’au couvent cette femme en démence
Va-t’en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s’en vient une nacelle
Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle
Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
À Marius-Ary Leblond.
Dans la forêt avec sa bande
Schinderhannes s’est désarmé
Le brigand près de sa brigande
Hennit d’amour au joli mai
Benzel accroupi lit la Bible
Sans voir que son chapeau pointu
À plume d’aigle sert de cible
À Jacob Born le mal foutu
Juliette Blaesius qui rote
Fait semblant d’avoir le hoquet
Hannes pousse une fausse note
Quand Schulz vient portant un baquet
Et s’écrie en versant des larmes
Baquet plein de vin parfumé
Viennent aujourd’hui les gendarmes
Nous aurons bu le vin de mai
Allons Julia la mam’zelle
Bois avec nous ce clair bouillon
D’herbes et de vin de Moselle
Prosit Bandit en cotillon
Cette brigande est bientôt soûle
Et veut Hannes qui n’en veut pas
Pas d’amour maintenant ma poule
Sers-nous un bon petit repas
Il faut ce soir que j’assassine
Ce riche juif au bord du Rhin
Au clair des torches de résine
La fleur de mai c’est le florin
On mange alors toute la bande
Pète et rit pendant le dîner
Puis s’attendrit à l’allemande
Avant d’aller assassiner
À Toussaint-Luca.
Les enfants des morts vont jouer
Dans le cimetière
Martin Gertrude Hans et Henri
Nul coq n’a chanté aujourd’hui
Kikiriki
Les vieilles femmes
Tout en pleurant cheminent
Et les bons ânes
Braillent hi han et se mettent à brouter les fleurs
Des couronnes mortuaires
C’est le jour des morts et de toutes leurs âmes
Les enfants et les vieilles femmes
Allument des bougies et des cierges
Sur chaque tombe catholique
Les voiles des vieilles
Les nuages du ciel
Sont comme des barbes de biques
L’air tremble de flammes et de prières
Le cimetière est un beau jardin
Plein de saules gris et de romarins
Il vous vient souvent des amis qu’on enterre
Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
Vous mendiants morts saouls de bière
Vous les aveugles comme le destin
Et vous petits enfants morts en prière
Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
Vous bourgmestres vous bateliers
Et vous conseillers de régence
Vous aussi tziganes sans papiers
La vie vous pourrit dans la panse
La croix vous pousse entre les pieds
Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument
Et les feuilles mortes
Viennent couvrir les morts
Des enfants morts parlent parfois avec leur mère
Et des mortes parfois voudraient bien revenir
Oh ! je ne veux pas que tu sortes
L’automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des chères mortes
Ce sont tes mains coupées
Nous avons tant pleuré aujourd’hui
Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
Sous le ciel sans soleil
Au cimetière plein de flammes
Puis dans le vent nous nous en retournâmes
À nos pieds roulaient des châtaignes
Dont les bogues étaient
Comme le cœur blessé de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des châtaignes d’automne
Les sapins en bonnets pointus De longues robes revêtus Comme des astrologues Saluent leurs frères abattus Les bateaux qui sur le Rhin voguent Dans les sept arts endoctrinés Par les vieux sapins leurs aînés Qui sont de grands poètes Ils se savent prédestinés À briller plus que des planètes À briller doucement changés En étoiles et enneigés Aux Noëls bienheureuses Fêtes des sapins ensongés Aux longues branches langoureuses Les sapins beaux musiciens Chantent des noëls anciens Au vent des soirs d’automne Ou bien graves magiciens Incantent le ciel quand il tonne Des rangées de blancs chérubins Remplacent l’hiver les sapins Et balancent leurs ailes L’été ce sont de grands rabbins Ou bien de vieilles demoiselles Sapins médecins divagants Ils vont offrant leurs bons onguents Quand la montagne accouche De temps en temps sous l’ouragan Un vieux sapin geint et se couche
Dans la maison du vigneron les femmes cousent Lenchen remplis le poêle et mets l’eau du café Dessus — Le chat s’étire après s’être chauffé — Gertrude et son voisin Martin enfin s’épousent Le rossignol aveugle essaya de chanter Mais l’effraie ululant il trembla dans sa cage Ce cyprès là-bas a l’air du pape en voyage Sous la neige — Le facteur vient de s’arrêter Pour causer avec le nouveau maître d’école — Cet hiver est très froid le vin sera très bon — Le sacristain sourd et boiteux est moribond — La fille du vieux bourgmestre brode une étole Pour la fête du curé La forêt là-bas Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue Le songe Herr Traum survint avec sa sœur Frau Sorge Kæthi tu n’as pas bien raccommodé ces bas — Apporte le café le beurre et les tartines La marmelade le saindoux un pot de lait — Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît — On dirait que le vent dit des phrases latines — Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît — Lotte es-tu triste Ô petit cœur — Je crois qu’elle aime — Dieu garde — Pour ma part je n’aime que moi-même — Chut À présent grand’mère dit son chapelet — Il me faut du sucre candi Leni je tousse — Pierre mène son furet chasser les lapins Le vent faisait danser en rond tous les sapins Lotte l’amour rend triste — Ilse la vie est douce La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus Devenaient dans l’obscurité des ossuaires En neige et repliés gisaient là des suaires Et des chiens aboyaient aux passants morfondus Il est mort écoutez La cloche de l’église Sonnait tout doucement la mort du sacristain Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint Les femmes se signaient dans la nuit indécise
Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne Partant j’aime les fruits je déteste les fleurs Je regrette chacun des baisers que je donne Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs Mon Automne éternelle ô ma saison mentale Les mains des amantes d’antan jonchent ton sol Une épouse me suit c’est mon ombre fatale Les colombes ce soir prennent leur dernier vol
Un aigle descendit de ce ciel blanc d’archanges Et vous soutenez-moi Laisserez-vous trembler longtemps toutes ces lampes Priez priez pour moi La ville est métallique et c’est la seule étoile Noyée dans tes yeux bleus Quand les tramways roulaient jaillissaient des feux pâles Sur des oiseaux galeux Et tout ce qui tremblait dans tes yeux de mes songes Qu’un seul homme buvait Sous les feux de gaz roux comme la fausse oronge Ô vêtue ton bras se lovait Vois l’histrion tire la langue aux attentives Un fantôme s’est suicidé L’apôtre au figuier pend et lentement salive Jouons donc cet amour aux dés Des cloches aux sons clairs annonçaient ta naissance Vois Les chemins sont fleuris et les palmes s’avancent Vers toi
Toc toc Il a fermé sa porte Les lys du jardin sont flétris Quel est donc ce mort qu’on emporte Tu viens de toquer à sa porte Et trotte trotte Trotte la petite souris
À Picasso.
Le printemps laisse errer les fiancés parjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues
Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu
Une Madone à l’aube a pris les églantines
Elle viendra demain cueillir les giroflées
Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet
Au petit bois de citronniers s’énamourèrent
D’amour que nous aimons les dernières venues
Les villages lointains sont comme leurs paupières
Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris Je buvais à pleins verres les étoiles Un ange a exterminé pendant que je dormais Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries De faux centurions emportaient le vinaigre Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles La ville cette nuit semblait un archipel Des femmes demandaient l’amour et la dulie Et sombre sombre fleuve je me rappelle Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies
Je n’ai plus même pitié de moi Et ne puis exprimer mon tourment de silence Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoiles Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun de mes yeux Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses Qu’ai-je fait aux bêtes théologales de l’intelligence Jadis les morts sont revenus pour m’adorer Et j’espérais la fin du monde Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan
J’ai eu le courage de regarder en arrière Les cadavres de mes jours Marquent ma route et je les pleure Les uns pourrissent dans les églises italiennes Ou bien dans de petits bois de citronniers Qui fleurissent et fructifient En même temps et en toute saison D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes Où d’ardents bouquets rouaient Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait la poésie Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore Dans le jardin de ma mémoire
Pardonnez-moi mon ignorance Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers Je ne sais plus rien et j’aime uniquement Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes Je médite divinement Et je souris des êtres que je n’ai pas créés Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour J’admirerais mon ouvrage
J’observe le repos du dimanche Et je loue la paresse Comment comment réduire L’infiniment petite science Que m’imposent mes sens L’un est pareil aux montagnes au ciel Aux villes à mon amour Il ressemble aux saisons Il vit décapité sa tête est le soleil Et la lune son cou tranché Je voudrais éprouver une ardeur infinie Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures Le tonnerre te sert de chevelure Et tes griffes répètent le chant des oiseaux Le toucher monstrueux m’a pénétré m’empoisonne Mes yeux nagent loin de moi Et les astres intacts sont mes maîtres sans épreuve La bête des fumées a la tête fleurie Et le monstre le plus beau Ayant la saveur du laurier se désole
À la fin les mensonges ne me font plus peur C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée Voici mon bouquet de fleurs de la Passion Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines Les rues sont mouillées de la pluie de naguère Des anges diligents travaillent pour moi à la maison La lune et la tristesse disparaîtront pendant Toute la sainte journée Toute la sainte journée j’ai marché en chantant Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardé longtemps M’éloigner en chantant
Au tournant d’une rue je vis des matelots Qui dansaient le cou nu au son d’un accordéon J’ai tout donné au soleil Tout sauf mon ombre Les dragues les ballots les sirènes mi-mortes À l’horizon brumeux s’enfonçaient les trois-mâts Les vents ont expiré couronnés d’anémones Ô Vierge signe pur du troisième mois
Templiers flamboyants je brûle parmi vous Prophétisons ensemble ô grand maître je suis Le désirable feu qui pour vous se dévoue Et la girande tourne ô belle ô belle nuit Liens déliés par une libre flamme Ardeur Que mon souffle éteindra Ô Morts à quarantaine Je mire de ma mort la gloire et le malheur Comme si je visais l’oiseau de la quintaine Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez Le soleil et l’amour dansaient dans le village Et tes enfants galants bien ou mal habillés Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage
Lune mellifluente aux lèvres des déments Les vergers et les bourgs cette nuit sont gourmands Les astres assez bien figurent les abeilles De ce miel lumineux qui dégoutte des treilles Car voici que tout doux et leur tombant du ciel Chaque rayon de lune est un rayon de miel Or caché je conçois la très douce aventure J’ai peur du dard de feu de cette abeille Arcture Qui posa dans mes mains des rayons décevants Et prit son miel lunaire à la rose des vents
La dame avait une robe En ottoman violine Et sa tunique brodée d’or Était composée de deux panneaux S’attachant sur l’épaule Les yeux dansants comme des anges Elle riait elle riait Elle avait un visage aux couleurs de France Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges Elle avait un visage aux couleurs de France Elle était décolletée en rond Et coiffée à la Récamier Avec de beaux bras nus N’entendra-t-on jamais sonner minuit La dame en robe d’ottoman violine Et en tunique brodée d’or Décolletée en rond Promenait ses boucles Son bandeau d’or Et traînait ses petits souliers à boucles Elle était si belle Que tu n’aurais pas osé l’aimer J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux Le fer était leur sang la flamme leur cerveau J’aimais j’aimais le peuple habile des machines Le luxe et la beauté ne sont que son écume Cette femme était si belle Qu’elle me faisait peur
I
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Septembre 1911.
Automne malade et adoré Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies Quand il aura neigé Dans les vergers Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs Au fond du ciel Des éperviers planent Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines Qui n’ont jamais aimé Aux lisières lointaines Les cerfs ont bramé Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs Les fruits tombant sans qu’on les cueille Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille Les feuilles Qu’on foule Un train Qui roule La vie S’écoule
La chambre est veuve Chacun pour soi Présence neuve On paye au mois Le patron doute Payera-t-on Je tourne en route Comme un toton Le bruit des fiacres Mon voisin laid Qui fume un âcre Tabac anglais Ô La Vallière Qui boite et rit De mes prières Table de nuit Et tous ensemble Dans cet hôtel Savons la langue Comme à Babel Fermons nos portes À double tour Chacun apporte Son seul amour
Notre histoire est noble et tragique Comme le masque d’un tyran Nul drame hasardeux ou magique Aucun détail indifférent Ne rend notre amour pathétique Et Thomas de Quincey buvant L’opium poison doux et chaste À sa pauvre Anne allait rêvant Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit parmi le vent
Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi Je vivais à l’époque où finissaient les rois Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes Et trois fois courageux devenaient trismégistes Que Paris était beau à la fin de septembre Chaque nuit devenait une vigne où les pampres Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux De ma gloire attendaient la vendange de l’aube Un soir passant le long des quais déserts et sombres En rentrant à Auteuil j’entendis une voix Qui chantait gravement se taisant quelquefois Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine La plainte d’autres voix limpides et lointaines Et j’écoutai longtemps tous ces chants et ces cris Qu’éveillait dans la nuit la chanson de Paris J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde Venez toutes couler dans ma gorge profonde Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris Vendangeait le raisin le plus doux de la terre Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants Ces grappes de nos sens qu’enfanta le soleil Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille Nous t’apportons tous les cerveaux les cimetières les
murailles Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendras pas Et d’amont en aval nos pensées ô rivières Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées Aux doigts allongés nos mains les clochers Et nous t’apportons aussi cette souple raison Que le mystère clôt comme une porte la maison Ce mystère courtois de la galanterie Ce mystère fatal fatal d’une autre vie Double raison qui est au-delà de la beauté Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient Double raison de la Bretagne où lame à lame L’océan châtre peu à peu l’ancien continent Et les villes du Nord répondirent gaiement Ô Paris nous voici boissons vivantes Les viriles cités où dégoisent et chantent Les métalliques saints de nos saintes usines Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées Comme fit autrefois l’Ixion mécanique Et nos mains innombrables Usines manufactures fabriques mains Où les ouvriers nus semblables à nos doigts Fabriquent du réel à tant par heure Nous te donnons tout cela Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières Désaltère-toi Paris avec les divines paroles Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent Toujours le même culte de sa mort renaissant Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir Et des grappes de têtes à d’ivres oiseaux s’offrir Les villes du Midi répondirent alors Noble Paris seule raison qui vis encore Qui fixes notre humeur selon ta destinée Et toi qui te retires Méditerranée Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties Ces très hautes amours et leur danse orpheline Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes Et un râle infini qui venait de Sicile Signifiait en battement d’ailes ces paroles Les raisins de nos vignes on les a vendangés Et ces grappes de morts dont les grains allongés Ont la saveur du sang de la terre et du sel Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel Obscurci de nuées faméliques Que caresse Ixion le créateur oblique Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d’Afrique Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille L’avenir et la vie dans ces treilles s’ennuyent Mais où est le regard lumineux des sirènes Il trompa les marins qu’aimaient ces oiseaux-là Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla Où chantaient les trois voix suaves et sereines Le détroit tout à coup avait changé de face Visages de la chair de l’onde de tout Ce que l’on peut imaginer Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées Il souriait jeune nageur entre les rives Et les noyés flottant sur son onde nouvelle Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives Elles dirent adieu au gouffre et à l’écueil À leurs pâles époux couchés sur les terrasses Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent les astres Lorsque la nuit revint couverte d’yeux ouverts Errer au site où l’hydre a sifflé cet hiver Et j’entendis soudain ta voix impérieuse Ô Rome Maudire d’un seul coup mes anciennes pensées Et le ciel où l’amour guide les destinées Les feuillards repoussés sur l’arbre de la croix Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican Macèrent dans le vin que je t’offre et qui a La saveur du sang pur de celui qui connaît Une autre liberté végétale dont tu Ne sais pas que c’est elle la suprême vertu Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles Les hiérarques la foulent sous leurs sandales Ô splendeur démocratique qui pâlit Vienne la nuit royale où l’on tuera les bêtes La louve avec l’agneau l’aigle avec la colombe Une foule de rois ennemis et cruels Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle Sortiront de la terre et viendront dans les airs Pour boire de mon vin par deux fois millénaire La Moselle et le Rhin se joignent en silence C’est l’Europe qui prie nuit et jour à Coblence Et moi qui m’attardais sur le quai à Auteuil Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles Du cep lorsqu’il est temps j’entendis la prière Qui joignait la limpidité de ces rivières Ô Paris le vin de ton pays est meilleur que celui Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible Mes grappes d’hommes forts saignent dans le pressoir Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe Parce que tu es beau et que seul tu es noble Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir Et tous mes vignerons dans ces belles maisons Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux Dans ces belles maisons nettement blanches et noires Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire Mais nous liquides mains jointes pour la prière Nous menons vers le sel les eaux aventurières Et la ville entre nous comme entre des ciseaux Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux Dont quelque sifflement lointain parfois s’élance Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence Les villes répondaient maintenant par centaines Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines Et Trèves la ville ancienne À leur voix mêlait la sienne L’univers tout entier concentré dans ce vin Qui contenait les mers les animaux les plantes Les cités les destins et les astres qui chantent Les hommes à genoux sur la rive du ciel Et le docile fer notre bon compagnon Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante Tous les noms six par six les nombres un à un Des kilos de papier tordus comme des flammes Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment Des armées rangées en bataille Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres Au bord des yeux de celle que j’aime tant Les fleurs qui s’écrient hors de bouches Et tout ce que je ne sais pas dire Tout ce que je ne connaîtrai jamais Tout cela tout cela changé en ce vin pur Dont Paris avait soif Me fut alors présenté Actions belles journées sommeils terribles Végétation Accouplements musiques éternelles Mouvements Adorations douleur divine Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les
bélandres Écoutez-moi je suis le gosier de Paris Et je boirai encore s’il me plaît l’univers Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie Et la nuit de septembre s’achevait lentement Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine Les étoiles mouraient le jour naissait à peine
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Première mise en ligne le 17 mars 2007.
Présente version générée le 25 mars 2008.