Simone, il y a un grand mystère Dans la forêt de tes cheveux. Tu sens le foin, tu sens la pierre Où des bêtes se sont posées ; Tu sens le cuir, tu sens le blé, Quand il vient d’être vanné ; Tu sens le bois, tu sens le pain Qu’on apporte le matin ; Tu sens les fleurs qui ont poussé Le long d’un mur abandonné ; Tu sens la ronce, tu sens le lierre Qui a été lavé par la pluie ; Tu sens le jonc et la fougère Qu’on fauche à la tombée de la nuit ; Tu sens le houx, tu sens la mousse, Tu sens l’herbe mourante et rousse Qui s’égrène à l’ombre des haies ; Tu sens l’ortie et le genêt, Tu sens le trèfle, tu sens le lait ; Tu sens le fenouil et l’anis ; Tu sens les noix, tu sens les fruits Qui sont bien mûrs et que l’on cueille ; Tu sens le saule et le tilleul Quand ils ont des fleurs plein les feuilles ; Tu sens le miel, tu sens la vie Qui se promène dans les prairies ; Tu sens la terre et la rivière ; Tu sens l’amour, tu sens le feu. Simone, il y a un grand mystère Dans la forêt de tes cheveux.
Simone, tes mains douces ont des égratignures, Tu pleures, et moi je veux rire de l’aventure. L’Aubépine défend son cœur et ses épaules, Elle a promis sa chair à des baisers plus beaux. Elle a mis son grand voile de songe et de prière, Car elle communie avec toute la terre ; Elle communie avec le soleil du matin, Quand la ruche réveillée rêve de trèfle et de thym, Avec les oiseaux bleus, les abeilles et les mouches, Avec les gros bourdons qui sont tout en velours, Avec les scarabées, les guêpes, les frelons blonds, Avec les libellules, avec les papillons, Et tout ce qui a des ailes, avec les pollens Qui dansent comme des pensées dans l’air et se promènent ; Elle communie avec le soleil de midi, Avec les nues, avec le vent, avec la pluie Et tout ce qui passe, avec le soleil du soir Rouge comme une rose et clair comme un miroir, Avec la lune qui rit et avec la rosée, Avec le Cygne, avec la Lyre, avec la Voie lactée ; Elle a le front si blanc et son âme est si pure Qu’elle s’adore elle-même en toute la nature.
Simone, le soleil rit sur les feuilles de houx : Avril est revenu pour jouer avec nous. Il porte des corbeilles de fleurs sur ses épaules, Il les donne aux épines, aux marronniers, aux saules ; Il les sème une à une parmi l’herbe des prés, Sur le bord des ruisseaux, des mares et des fossés ; Il garde les jonquilles pour l’eau, et les pervenches Pour les bois, aux endroits où s’allongent les branches ; Il jette les violettes à l’ombre, sous les ronces Où son pied nu, sans peur, les cache et les enfonce ; À toutes les prairies il donne des pâquerettes Et des primevères qui ont un collier de clochettes ; Il laisse les muguets tomber dans les forêts Avec les anémones, le long des sentiers frais ; Il plante des iris sur le toit des maisons, Et dans notre jardin, Simone, où il fait bon, Il répandra des ancolies et des pensées, Des jacinthes et la bonne odeur des giroflées.
Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles de beauté où les femmes Sont belles comme des arbres et nues comme des âmes ; Nous irons vers les îles où les hommes sont doux Comme des lions, avec des cheveux longs et roux. Viens, le monde incréé attend de notre rêve Ses lois, ses joies, les dieux qui font fleurir la sève Et le vent qui fait luire et bruire les feuilles. Viens, le monde innocent va sortir d’un cercueil. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles où il y a des montagnes D’où l’on voit l’étendue paisible des campagnes Avec des animaux heureux de brouter l’herbe, Des bergers qui ressemblent à des saules, et des gerbes Qu’on monte avec des fourches sur le dos des charrettes. Il fait encore soleil et les moutons s’arrêtent Près de l’étable, devant la porte du jardin, Qui sent la pimprenelle, l’estragon et le thym. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles où les pins gris et bleus Chantent quand le vent d’ouest passe entre leurs cheveux. Nous écouterons, couchés sous leur ombre odorante, La plainte des esprits que le désir tourmente Et qui attendent l’heure où leur chair doit revivre. Viens, l’infini se trouble et rit, le monde est ivre : Nous entendrons peut-être, en rêvant sous les pins, Des mots d’amour, des mots divins, des mots lointains. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard.
Simone, la neige est blanche comme ton cou, Simone, la neige est blanche comme tes genoux. Simone, ta main est froide comme la neige, Simone, ton cœur est froid comme la neige. La neige ne fond qu’à un baiser de feu, Ton cœur ne fond qu’à un baiser d’adieu. La neige est triste sur les branches des pins, Ton front est triste sous tes cheveux châtains. Simone, ta sœur la neige dort dans la cour, Simone, tu es ma neige et mon amour.
Simone, allons au bois : les feuilles sont tombées ; Elles recouvrent la mousse, les pierres et les sentiers. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ? Elles ont des couleurs si douces, des tons si graves, Elles sont sur la terre de si frêles épaves ! Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ? Elles ont l’air si dolent à l’heure du crépuscule, Elles crient si tendrement, quand le vent les bouscule ! Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ? Quand le pied les écrase, elles pleurent comme des âmes, Elles font un bruit d’ailes ou de robes de femme. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ? Viens : nous serons un jour de pauvres feuilles mortes. Viens : déjà la nuit tombe et le vent nous emporte. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?
Simone, la rivière chante un air ingénu, Viens, nous irons parmi les joncs et la cigüe ; Il est midi : les hommes ont quitté leur charrue, Et moi, je verrai dans l’eau claire ton pied nu. La rivière est la mère des poissons et des fleurs, Des arbres, des oiseaux, des parfums, des couleurs ; Elle abreuve les oiseaux qui ont mangé leur grain Et qui vont s’envoler pour un pays lointain ; Elle abreuve les mouches bleues dont le ventre est vert Et les araignées d’eau qui rament comme aux galères. La rivière est la mère des poissons : elle leur donne Des vermisseaux, de l’herbe, de l’air et de l’ozone ; Elle leur donne l’amour ; elle leur donne les ailes Pour suivre au bout du monde l’ombre de leurs femelles. La rivière est la mère des fleurs, des arcs-en-ciel, De tout ce qui est fait d’eau et d’un peu de soleil : Elle nourrit le sainfoin et le foin, et les reines Des prés qui ont l’odeur du miel, et les molènes Qui ont des feuilles douces comme un duvet d’oiseaux ; Elle nourrit le blé, le trèfle et les roseaux ; Elle nourrit le chanvre ; elle nourrit le lin ; Elle nourrit l’avoine, l’orge et le sarrasin ; Elle nourrit le seigle, l’osier et les pommiers ; Elle nourrit les saules et les grands peupliers. La rivière est la mère des forêts : les beaux chênes Ont puisé dans son lit l’eau pure de leurs veines. La rivière féconde le ciel : quand la pluie tombe, C’est la rivière qui monte au ciel et qui retombe ; La rivière est une mère très puissante et très pure, La rivière est la mère de toute la nature. Simone, la rivière chante un air ingénu, Viens, nous irons parmi les joncs et la ciguë ; Il est midi : les hommes ont quitté leur charrue, Et moi, je verrai dans l’eau claire ton pied nu.
Simone, allons au verger Avec un panier d’osier. Nous dirons à nos pommiers, En entrant dans le verger : Voici la saison des pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Les pommiers sont pleins de guêpes, Car les pommes sont très mûres : Il se fait un grand murmure Autour du vieux doux-aux-vêpes. Les pommiers sont pleins de pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Nous cueillerons la calville, Le pigeonnet et la reinette, Et aussi des pommes à cidre Dont la chair est un peu doucette. Voici la saison des pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Tu auras l’odeur des pommes Sur ta robe et sur tes mains, Et tes cheveux seront pleins Du parfum doux de l’automne. Les pommiers sont pleins de pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Simone, tu seras mon verger Et mon pommier de doux-aux-vêpes ; Simone, écarte les guêpes De ton cœur et de mon verger. Voici la saison des guêpes, Allons au verger, Simone, Allons au verger.
Simone, le jardin du mois d’août Est parfumé, riche et doux : Il a des radis et des raves, Des aubergines et des betteraves Et, parmi les pâles salades, Des bourraches pour les malades ; Plus loin, c’est le peuple des choux, Notre jardin est riche et doux. Les pois grimpent le long des rames ; Les rames ressemblent à des jeunes femmes En robes vertes fleuries de rouge. Voici les fèves, voici les courges Qui reviennent de Jérusalem. L’ognon a poussé tout d’un coup Et s’est orné d’un diadème, Notre jardin est riche et doux. Les asperges tout en dentelles Mûrissent leurs graines de corail ; Les capucines, vierges fidèles, Ont fait de leur treille un vitrail, Et, nonchalantes, les citrouilles Au bon soleil gonflent leurs joues ; On sent le thym et le fenouil, Notre jardin est riche et doux.
Simone, le moulin est très ancien : ses roues, Toutes vertes de mousse, tournent au fond d’un grand trou : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Les murs tremblent, on a l’air d’être sur un bateau À vapeur, au milieu de la nuit et de l’eau : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Il fait noir ; on entend pleurer les lourdes meules, Qui sont plus douces et plus vieilles que des aïeules : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Les meules sont des aïeules si vieilles et si douces Qu’un enfant les arrête et qu’un peu d’eau les pousse : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles écrasent le blé des riches et des pauvres, Elles écrasent le seigle aussi, l’orge et l’épeautre : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles sont aussi bonnes que les plus grands apôtres, Elles font le pain qui nous bénit et qui nous sauve : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles nourrissent les hommes et les animaux doux, Ceux qui aiment notre main et qui meurent pour nous : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles vont, elles pleurent, elles tournent, elles grondent, Depuis toujours, depuis le commencement du monde : On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Simone, le moulin est très ancien : ses roues, Toutes vertes de mousses, tournent au fond d’un grand trou.
Simone, je veux bien. Les bruits du soir Sont doux comme un cantique chanté par des enfants ; L’église obscure ressemble à un vieux manoir ; Les roses ont une odeur grave d’amour et d’encens. Je veux bien, nous irons lentement et bien sages, Salués par les gens qui reviennent des foins ; J’ouvrirai la barrière d’avance à ton passage, Et le chien nous suivra longtemps d’un œil chagrin. Pendant que tu prieras, je songerai aux hommes Qui ont bâti ces murailles, le clocher, la tour, La lourde nef pareille à une bête de somme Chargée du poids de nos péchés de tous les jours ; Aux hommes qui ont taillé les pierres du portail Et qui ont mis sous le porche un grand bénitier ; Aux hommes qui ont peint des rois sur le vitrail Et un petit enfant qui dort chez un fermier. Je songerai aux hommes qui ont forgé la croix, Le coq, les gonds et les ferrures de la porte ; À ceux qui ont sculpté la belle sainte en bois Qui est représentée les mains jointes et morte. Je songerai à ceux qui ont fondu le bronze Des cloches où l’on jetait un petit agneau d’or, À ceux qui ont creusé, en l’an mil deux cent onze, Le caveau où repose saint Roch, comme un trésor ; À ceux qui ont tissé la tunique de lin Pendue sous un rideau à gauche de l’autel ; À ceux qui ont chanté au livre du lutrin ; À ceux qui ont doré les fermoirs du missel. Je songerai aux mains qui ont touché l’hostie, Aux mains qui ont béni et qui ont baptisé ; Je songerai aux bagues, aux cierges, aux agonies ; Je songerai aux yeux des femmes qui ont pleuré. Je songerai aussi aux morts du cimetière, À ceux qui ne sont plus que de l’herbe et des fleurs, À ceux dont les noms se lisent encore sur les pierres, À la croix qui les garde jusqu’à la dernière heure. Quand nous reviendrons, Simone, il sera nuit close ; Nous aurons l’air de fantômes sous les sapins, Nous penserons à Dieu, à nous, à bien des choses, Au chien qui nous attend, aux roses du jardin.
Ce texte électronique suit le texte de Simone paru dans Divertissements (1912).
Il a été mis au point à partir
de la numérisation du site des
Amateurs de Remy de Gourmont
et de celles de Gallica de Simone et de Divertissements.
Pour tout usage, me contacter : http://www.florilege.free.fr/florilege/mailxian.htm.
Première mise en ligne le 28 janvier 2009.
Présente version générée le 30 janvier 2009.