Le pauvre pion doux si sale m’a dit : j’ai bien mal aux yeux et le bras droit paralysé. Bien sûr que le pauvre diable n’a pas de mère pour le consoler doucement de sa misère. Il vit comme cela, pion dans une boîte, et passe parfois sur son front froid sa main moite. Avec ses bras il fait un coussin sur un banc et s’assoupit un peu comme un petit enfant. Mais au lieu de traversin bien blanc, sa vareuse se mêle à sa barbe dure, grise et crasseuse. Il économise pour se faire soigner. Il a des douleurs. C’est trop cher de se doucher. Alors il enveloppe dans un pauvre linge tout son pauvre corps misérable de grand singe. Le pauvre pion doux si sale m’a dit : j’ai bien mal aux yeux et le bras droit paralysé.
Lorsque je serai mort, toi qui as des yeux bleus
couleur de ces petits coléoptères bleu de feu
des eaux, petite jeune fille que j’ai bien aimée
et qui as l’air d’un iris dans Les fleurs animées,
tu viendras me prendre doucement par la main.
Tu me mèneras sur ce petit chemin.
Tu ne seras pas nue, mais, ô ma rose,
ton col chaste fleurira dans ton corsage mauve.
Nous ne nous baiserons même pas au front.
Mais, la main dans la main, le long des fraîches ronces
où la grise araignée file des arcs-en-ciel,
nous ferons un silence aussi doux que du miel ;
et, par moment, quand tu me sentiras plus triste,
tu presseras plus fort sur ma main ta main fine
— et, tous les deux, émus comme des lilas sous l’orage,
nous ne comprendrons pas... nous ne comprendrons pas.
1897.
La maison serait pleine de roses et de guêpes. On y entendrait, l’après-midi, sonner les vêpres ; et les raisins couleurs de pierre transparente sembleraient dormir au soleil sous l’ombre lente. Comme je t’y aimerais ! Je te donne tout mon cœur qui a vingt-quatre ans, et mon esprit moqueur, mon orgueil et ma poésie de roses blanches ; et pourtant je ne te connais pas, tu n’existes pas. Je sais seulement que, si tu étais vivante, et si tu étais comme moi au fond de la prairie, nous nous baiserions en riant sous les abeilles blondes, près du ruisseau frais, sous les feuilles profondes. On n’entendrait que la chaleur du soleil. Tu aurais l’ombre des noisetiers sur ton oreille, puis nous mêlerions nos bouches, cessant de rire, pour dire notre amour que l’on ne peut pas dire ; et je trouverais, sur le rouge de tes lèvres, le goût des raisins blonds, des roses rouges et des guêpes.
J’aime l’âne si doux marchant le long des houx. Il prend garde aux abeilles et bouge ses oreilles ; et il porte les pauvres et des sacs remplis d’orge. Il va, près des fossés, d’un petit pas cassé. Mon amie le croit bête parce qu’il est poète. Il réfléchit toujours. Ses yeux sont en velours. Jeune fille au doux cœur, tu n’as pas sa douceur : car il est devant Dieu l’âne doux du ciel bleu. Et il reste à l’étable, fatigué, misérable, ayant bien fatigué ses pauvres petits pieds. Il a fait son devoir du matin jusqu’au soir. Qu’as-tu fait jeune fille ? Tu as tiré l’aiguille... Mais l’âne s’est blessé : la mouche l’a piqué. Il a tant travaillé que ça vous fait pitié. Qu’as-tu mangé petite ? — T’as mangé des cerises. L’âne n’a pas eu d’orge, car le maître est trop pauvre. Il a sucé la corde, puis a dormi dans l’ombre... La corde de ton cœur n’a pas cette douceur. Il est l’âne si doux marchant le long des houx. J’ai le cœur ulcéré : ce mot-là te plairait. Dis-moi donc, ma chérie, si je pleure ou je ris ? Va trouver le vieil âne, et dis-lui que mon âme est sur les grands chemins, comme lui le matin. Demande-lui, chérie, si je pleure ou je ris ? Je doute qu’il réponde : il marchera dans l’ombre, crevé par la douceur, sur le chemin en fleurs.
À Albert Samain.
Silence. Puis une hirondelle sur un contrevent
fait un bruit d’azur dans l’air frais et bleuissant,
toute seule. Puis deux sabots traînassent dans la rue.
La campagne est pâle, mais au ciel gris qui remue
on voit déjà le bleu qui chauffera le jour.
Je pense aux amours des vieux temps, aux amours
de ceux qui habitaient aux parcs des beaux pays
riches en vigne, en blé, en foin et en maïs.
Les paons bleus remuaient sur les pelouses vertes,
et les feuilles vertes se miraient aux vitres vertes
dans le réveillement du ciel devenu vert.
Les chaînes dans l’étable où l’ombre était ouverte
avaient un bruit tremblé de choquement de verres.
Je pense au vieux château de la propriété,
aux chasseurs s’en allant par les matins d’été,
aux aboiements longs des chiens flaireurs qui rampent...
Dans l’énorme escalier cirée était la rampe.
La porte était haute d’où les jeunes mariés,
en écoutant partir les grands-pères, riaient,
s’entrelaçaient et joignaient leurs jolies lèvres,
pendant que tremblaient, aux gîtes d’argent, les lièvres.
Que ces temps étaient beaux où les meubles-Empire
luisaient par le vernis et les poignées de cuivre...
Cela était charmant, très laid et régulier
comme le chapeau de Napoléon premier.
Je pense aussi aux soirées où les petites filles
jouaient aux volants près de la haute grille.
Elles avaient des pantalons qui dépassaient
leurs robes convenables et atteignaient leurs pieds :
Herminie, Coralie, Clémence, Célanire,
Aménaide, Athénaïs, Julie, Zulmire ;
leurs grands chapeaux de paille avaient de longs rubans.
Tout à coup un paon bleu se perchait sur un banc.
Une raquette lançait un dernier volant
qui mourait dans la nuit qui dormait aux feuillages,
pendant qu’on entendait un roulement d’orage.
L’après-midi d’un dimanche je voudrais bien, quand il fait chaud et qu’il y a de gros raisins, dîner chez une vieille fille en une grande maison de campagne chaude, fraîche, où l’on tend du linge, du linge propre, à des cordes, des liens. Dans la cour il y aurait des petits poussins, qui iraient près du puits — et une jeune fille dînerait avec nous deux seuls comme en famille. Nous ferions un dîner lourd, et le vol-au-vent serait sucré avec deux gros pigeons dedans. Nous prendrions le café tous les trois, et ensuite Nous plierions notre serviette très vite, pour aller voir dans le jardin plein de choux bleus. La vieille nous laisserait au jardin tous deux. Nous nous embrasserions longtemps, laissant nos bouches rouges collées auprès des coquelicots rouges. Puis les vêpres sonneraient doucement, — alors elle et moi nous nous presserions encor plus fort.
8 juillet 1894 Dimanche, Sainte Virginie LE CALENDRIER. C’est aujourd’hui la fête de Virginie... Tu étais nue sous ta robe de mousseline. Tu mangeais de gros fruits au goût de Mozambique, et la mer salée couvrait les crabes creux et gris. Ta chair était pareille à celle des cocos. Les marchands te portaient des pagnes couleur d’air Et des mouchoirs de tête à carreaux jaune-clair. Labourdonnais signait des papiers d’amiraux. Tu es morte et tu vis, ô ma petite amie, amie de Bernardin, ce vieux sculpteur de cannes, et tu mourus en robe blanche, une médaille à ton cou pur, dans la Passe de l’Agonie.
J’allai à Lourdes par le chemin de fer,
le long du gave qui est bleu comme l’air.
Au soleil les montagnes semblaient d’étain.
Et l’on chantait : sauvez ! sauvez ! dans le train.
Il y avait un monde fou, exalté,
plein de poussière et du soleil d’été.
Des malheureux avec le ventre en avant
étendaient leurs bras, priaient en les tordant.
Et dans une chaire, où était du drap bleu,
Un prêtre disait : « un chapelet à Dieu ! »
Et un groupe de femmes, parfois passait,
qui chantait : sauvez ! sauvez ! sauvez ! sauvez !
Et la procession chantait. Les drapeaux
se penchaient avec leur devises en or.
Le soleil était blanc sur les escaliers.
dans l’air bleu, sur les clochers déchiquetés.
Mais sur un brancard, portée par ses parents,
son pauvre père tête nue et priant,
et ses frères qui disaient : « ainsi soit-il »,
une jeune fille sur le point de mourir.
Oh ! qu’elle était belle ! elle avait dix-huit ans,
et elle souriait ; elle était en blanc.
Et la procession chantait. Les drapeaux
se penchaient avec leurs devises en or.
Moi je serrais les dents pour ne pas pleurer,
et cette fille, je me sentais l’aimer.
Oh ! elle m’a regardé un grand moment,
une rose blanche en main, souriant.
Mais maintenant où es-tu ? dis, où es-tu ?
Es-tu morte ? je t’aime, toi qui m’as vu.
Si tu existes, Dieu, ne la tue pas :
elle avait des mains blanches, de minces bras.
Dieu, ne la tue pas ! — et ne serait-ce que
pour son père nu-tête qui priait Dieu.
1889.
Avec ton parapluie bleu et tes brebis sales,
avec tes vêtements qui sentent le fromage,
tu t’en vas vers le ciel du coteau, appuyé
sur ton bâton de houx, de chêne ou de néflier.
Tu suis le chien au poil dur et l’âne portant
les bidons ternes sur son dos saillant.
Tu passeras devant les forgerons des villages,
puis tu regagneras la balsamique montagne
où ton troupeau paîtra comme des buissons blancs.
Là, des vapeurs cachent les pics en se traînant.
Là, volent des vautours au col pelé et s’allument
des fumées rouges dans les brumes nocturnes.
Là, tu regarderas avec tranquillité,
L’esprit de Dieu planer sur cette immensité.
1897.
Dans le Verger où sont les arbres de lumière, La pulpe des fruits lourds pleure ses larmes d’or, Et l’immense Bagdad s’alanguit et s’endort Sous le ciel étouffant qui bleuit la rivière. Il est deux heures. Les palais silencieux Ont des repas au fond des grandes salles froides Et Sindbad le marin, sous les tentures roides, Passe l’alcarazas d’un air sentencieux. Mangeant l’agneau rôti, puis les pâtes d’amandes, Tous laissent fuir la vie en écoutant pleuvoir Les seaux d’eau qu’au seuil blanc jette un esclave noir. Les passants curieux lui posent des demandes. C’est Sindbad le marin qui donne un grand repas ! C’est Sindbad, l’avisé marin dont l’opulence Est renommée et que l’on écoute en silence. Sa galère était belle et s’en allait là-bas ! Il sent bon, le camphre et les rares aômes. Sa tête est parfumée et son nez aquilin Tombe railleusement sur sa barbe de lin : Il a la connaissance et le savoir des hommes. Il parle, et le soleil oblique sur Bagdad Jette une braise immense où s’endorment les palmes, Et les convives, tous judicieux et calmes, Écoutent gravement ce que leur dit Sindbad.
À Paul Fort.
Bâte un âne qui porte une outre d’eau de roche
à son flanc, car dans le pays des améthystes
qu’il te faut longuement traverser l’eau n’existe
pas, ni le pain que tu clôras en ta sacoche.
Or c’est à Bassora, dans la boutique, à gauche
de chez Aboul Hassan Ebn Taher le droguiste.
Devant le souk un dromadaire laisse triste-
ment pendre de sa lèvre une espèce de poche.
C’est là que Tristan Klingsor, l’enchanteur, compose
de doux lieds auprès d’un bassin. Et les roses
l’approuvent en penchant la tête, et son rebec
se plaint comme un vent doux et précieux avec
l’inflexion d’une jeune fille qui pose
sa main dessus son cœur pour un salamalec.
Laisse les nuages blancs passer au soleil. Il n’y a ici que toi, la terre et le ciel. Ne pense à presque rien. Douces comme du miel, auprès des cressons bleus les brebis viendront boire. La fille chantera dans la métairie noire, et sur la terre tiède il tombera des poires. La vieille tremblera sur le rouet tremblant, le bélier bêlera dans le troupeau bêlant — et la fille aimera l’amour de son amant. Les ânes passeront en frissonnant de mouches. La mère chantera sur l’enfant qu’elle couche, et je t’embrasserai, la bouche sur la bouche. Puis le ciel sera bleu, puis le ciel sera gris. Les oiseaux chanteront et pousseront des cris et auprès du vieux puits il poussera des buis. Écoute, mon amie : il y a sous la grange un nid d’hirondelles petites et criardes et qui ont la douceur de la vie calme et sage. Les grands chars sont passés. Sur leurs cornes luisantes les bœufs avaient les longues fougères ombrageantes des bois glacés d’Été qui ont des sources lentes. On a coupé les blés qui dormaient au soleil ; puis la pluie est venue, elle est venue du ciel : elle a noyé le blé et a mangé le miel. On a coupé mon cœur qui dormait au soleil... Une fille est venue, elle est venue du Ciel : elle a noyé mon cœur et a mangé le miel : mais la douleur est douce et ton amour est doux. Tu m’as donné ton cœur, ta tête et tes genoux : nous ne faisons plus qu’un et ton cœur est à nous.
J’allais dans le verger où les framboises au soleil
chantent sous l’azur à cause des mouches à miel.
C’est d’un âge très jeune que je vous parle.
Près des montagnes je suis né, près des montagnes.
Et je sens bien maintenant que dans mon âme
il y a de la neige, des torrents couleur de givre
et de grands pics cassés où il y a des oiseaux
de proie qui planent dans un air qui rend ivre,
dans un vent qui fouette les neiges et les eaux.
Oui, je sens bien que je suis comme les montagnes.
Ma tristesse a la couleur des gentianes qui y croissent.
Je dus avoir, dans ma famille, des herborisateurs
naïfs, avec des boîtes couleur d’insecte vert,
qui, par les après-midi d’horrible chaleur,
s’enfonçaient dans l’ombre glacée des forêts,
à la recherche d’échantillons précieux
qu’ils n’eussent point échangés pour les vieux
trésors des magiciens des Bagdads merveilleuses
où les jets d’eau ont des fraîcheurs endormeuses.
Mon amour a la tendresse d’un arc-en-ciel
après une pluie d’avril où chante le soleil.
Pourquoi ai-je l’existence que j’ai ?... N’étais-je fait
pour vivre sur les sommets, dans l’éparpillement
de neige des troupeaux, avec un haut bâton,
à l’heure où on est grandi par la paix du jour qui tombe ?
1897.
Ce sont les travaux de l’homme qui sont grands : celui qui met le lait dans les vases de bois, celui qui cueille les épis de blé piquants et droits, celui qui garde les vaches près des aulnes frais, celui qui fait saigner les bouleaux des forêts, celui qui tord, près des ruisseaux vifs, les osiers, celui qui raccommode les vieux souliers près d’un foyer obscur, d’un vieux chat galeux, d’un merle qui dort et des enfants heureux ; celui qui tisse et fait un bruit retombant, lorsque à minuit les grillons chantent aigrement ; celui qui fait le pain, celui qui fait le vin, celui qui sème l’ail et les choux au jardin, celui qui recueille les œufs tièdes.
J’aime dans le temps Clara d’Ellébeuse, l’écolière des anciens pensionnats, qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls lire les magazines d’autrefois. Je n’aime qu’elle, et je sens sur mon cœur la lumière bleue de sa gorge blanche. Où est-elle ? Où était donc ce bonheur ? Dans sa chambre claire il entrait des branches. Elle n’est peut-être pas encore morte — ou peut-être que nous l’étions tous deux. La grande cour avait des feuilles mortes dans le vent froid des fins d’Été très vieux. Te souviens-tu de ces plumes de paon, dans un grand vase, auprès de coquillages ?... on apprenait qu’on avait fait naufrage, on appelait Terre-Neuve : le Banc. Viens, viens, ma chère Clara d’Ellébeuse : aimons-nous encore si tu existes. Le vieux jardin a de vieilles tulipes. Viens toute nue, ô Clara d’Ellébeuse.
Vieille marine. Enseigne noir galonné d’or qui allais observer le passage de Vénus et qui mettais la fille du planteur nue, dans l’habitation basse, par les nuits chaudes. C’était d’une langueur, c’était d’une tiédeur de fleurs blanches qui, près de vasières, meurent. La bien-aimée était apathique et songeuse, avec un collier noir à son cou de tubéreuse. Elle se donnait ardemment, et vos rendez-vous avaient lieu dans la petite chambre basse où étaient tes cartes et tes compas et le daguerréotype de tes petites sœurs. Tes livres étaient le manuel d’astronomie, le guide du marin et l’atlas des végétaux, achetés à la capitale, dans une librairie dont le timbre était un chapeau de matelot. Vos baisers se mêlaient aux cris du large fleuve où traînent les racines des salsepareilles qui rendent l’eau salutaire à tous ceux qu’atteint la syphilis dans ces contrées du soleil. Vous cherchiez, dans l’obscurité des étoiles, le frisson langoureux d’une mer pacifique, et tu ne cherchais plus, dans le ciel magnifique, l’éclipse mystérieuse et noire. Un souci, cependant, à ton œil lointain, ô jeune enseigne ! errait comme un insecte en l’air. Ce n’était point la crainte des dangers marins ou le souvenir des dents serrées des matelots aux fers. Que non. Quelque duel de ces vieilles marines avait, à tout jamais, empoisonné ton cœur. Tu avais tué l’ami le plus cher à ton cœur : tu gardais son mouchoir en sang dans ta poitrine. Et, dans cette nuit chaude, ta douleur ne pouvait s’apaiser, bien que, douce et lascive, la fille du colon, évanouie de langueur, nouât au tien son corps battu d’amour et ivre.
Si tu pouvais savoir toute la tristesse
qui est au fond de mon cœur, tu la comparerais
aux larmes d’une pauvre mère bien malade,
à la figure usée, creuse, torturée et pâle,
pauvre mère qui sent qu’elle va bientôt mourir
et qui déplie pour son enfant le plus petit,
déplie, déplie, pour le lui donner
un jouet de treize sous, un jouet luisant, un jouet.
1897.
À Madame Jeanne Charles Lacoste.
Les villages brillent au soleil dans les plaines,
pleins de clochers, de rivières, d’auberges noires,
au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige
avec des cris aigus de coqs, avec des blés,
avec des chars qui vont lentement aux labours,
avec des charrues qui sont couleur de la lune,
avec des voix de paysans qui ont des sabots lourds,
avec des femmes qui ont la peau en terre brune,
avec des matins bleus, avec des soirées bleues,
avec des champs de paille qui sentent la menthe,
avec des fontaines crues où l’eau claire chante,
avec des oiseaux qui font balancer leurs queues,
avec des jardins, des vieilles paralysées,
des sons d’angélus, des piaillements de poules,
avec des chants de vêpres et de noires croisées
et des hommes qui chantent et d’autres qui se soûlent ;
avec des églises calmes où, quand il y a
des journées de chaleur, on sent une odeur fade
et fraîche et un si grand silence
qu’on dirait qu’une chaise a grincé dans le froid ;
avec des routes longues et blanches où dansent
les cailloux au soleil, avec des kilomètres,
avec les pigeons des demeures des vieux prêtres,
avec des gens qui rient et d’autres de souffrance ;
avec la nuit qui tombe sur les grands champs,
avec des grincements de char, des paysans calmes
qui semblent réfléchir et qui ont l’air au loin
de se fondre dans la nuit lentement et grands ;
avec de pauvres bœufs qui beuglent dans l’étable,
les cris longs et poignants des cochons qu’on égorge,
avec des verres épais posés sur les tables
et des femmes portant leurs petits sur la gorge ;
avec des voleurs qui vont entre deux gendarmes,
avec le tonnerre qui ouvre les grands chênes
en faisant un bruit de char tout rempli de pierres
qui roulerait dans un bas-fond tout noir et large
avec un petit oiseau, dans le vieux jardin,
qui crie tout seul auprès des roses de la vigne,
avec des enfants qui vont pêcher à la ligne,
avec le bougement bleu du vent dans les lins ;
avec la terre, avec la mer, avec le ciel,
avec des feux lointains qui semblent respirer
sur les collines quand la nuit vient de tomber,
et qu’un homme chante au loin dans le grand silence ;
avec des sentiers où, quand c’est le mois d’octobre,
le vent fait voler les feuilles des châtaigniers
qui grattent les petits cailloux ronds des sentiers ;
avec des soirs de pluie pleins de lumière jaune,
avec des chiens qui aboient au loin longuement
après les lièvres, et le mois de Marie sonnant,
et puis les vieux curés des tristes presbytères
qui lisent près des roses, le soir, leur bréviaire ;
avec les étables où sont les douces génisses
et les vaches poussant de longs gémissements,
et les cochons qu’on tue en les saignant longtemps,
et leurs cris aigus de mort quand ils s’affaiblissent ;
avec les oiseaux gais dont la voix est mouillée,
près de l’eau, sur les petites branches qui plient ;
et, sautant comme des boules roulent, les pies
qui crient et dont la voix semble toute rouillée.
Ainsi vont, dans les larges plaines, les villages
éparpillés qui chantent dans l’air bleu et clair,
ou qui se taisent, sous le ciel couleur de fer,
sous les raies de pluies fine en travers qui bruissaillent ;
avec un chat immobile au milieu d’un champ,
avec les femmes à pas lents qui songent, laissant
tomber les grains de maïs et comme si elles
songeaient qu’il ne faut pas contrarier la terre ;
avec les hommes qui prennent dans un tamis
de l’engrais qu’ils lancent fort, au-dessus de terre,
qui fait au soleil un nuage de poussière ;
avec la nuit épaisse où tout est endormi.
Ainsi vont les doux villages éparpillés
sur les coteaux, aux flancs des coteaux, à leurs pieds,
dans les plaines, dans les vallées, le long des gaves,
près des routes, près des villes et des montagnes ;
avec les clochers minces au-dessus des toits,
avec, sur les chemins qui se croisent, des croix,
avec des troupeaux longs qui ont des cloches rauques
et le berger fatigué traînant ses sabots ;
avec des roues de moulin noires battant l’eau claire
et faisant au soleil de la poudrure en verre,
avec le bois à l’odeur aigre et forte, avec
des piverts qui cognent les arbres de leur bec ;
avec les vignes aux soleil et les ajoncs,
les villages s’étendent ainsi parmi les plaines :
il y en a encore et encore et les graines
sortent, les clochers sont pleins d’oiseaux et les sillons ;
avec la caille qui court inquiètement,
avec le lièvre blessé qui crie plein de sang noir,
avec les ruisseaux en cuivre, quand c’est le soir
qui ont l’air de se cailler très lentement ;
avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds
qui arrivent de loin dans le gris des nuages
et les grues qui grincent dans le froid et qui font,
comme des serrures rouillées, un bruit sauvage ;
avec les paysans en noir allant le matin
à quelque enterrement de quelque vieux village
où ils iront manger du pain et du fromage
et boire dans un verre épais un peu de vin ;
avec les prairies d’eau où se coulent les râles,
avec les crimes qu’on commet sur les chemins
et les mendiants idiots avec des képis sales
mendiant des sous noirs avec leurs pauvres mains ;
avec la prétention des hommes politiques,
avec le bruit glacé des sabots dans la rue
et les journaux collés sur la place publique
sur laquelle passe un long vol de grandes grues ;
avec les oiseaux attachés par une patte
que font souffrir des enfants devant les portes,
des enfants que l’on peigne, aux figures plates,
aux figures en suif rouge luisantes et béates ;
avec les grands coteaux où le soleil est doux
et le bois frais où claque la tiède pluie d’orage,
et les arrêts, quand ils marchent, des grands bœufs roux
que conduit en sifflant un enfant du village.
À Raymond Bonheur.
On m’éreinte dans le Musée des familles,
moi qui chante les anciens magazines
et les rires charmants des jeunes filles
qui le lisaient à l’ombre des charmilles.
Une d’elles, rêveuse, et ses yeux bleus au ciel,
le coude à son genou et la main au menton,
songeait à ce cousin : Eudore des Courcels,
qui montait à cheval parfaitement (disait-on).
Plus d’une fois, dans son pupitre, au Sacré-Cœur,
près des pensées mortes de son jardin mélancolique,
elle ouvrait le Musée, en cachette, pour lire
la suite du Diable au fumoir (?) ou de Fors l’honneur (?).
Mais, dans un numéro, à la cinquième page,
une illustration représentait un page
qui, dans la langueur des jardins d’Espagne,
parlait d’amour à une douce et longue dame.
Et ce page ressemblait à ce cousin.
Et c’est pourquoi la maîtresse générale, Madame de Grieul,
voyant l’enfant songeuse l’avait en grand soin
et lui donnait de la mélisse ou du tilleul.
Puis un jour le roman du Musée des familles
finissait, ainsi qu’un baiser dans un beau soir.
Et puis, un autre jour, la mère de Camille
faisait mander sa chère enfant dans le parloir :
Mon enfant, j’ai une nouvelle heureuse à t’apprendre.
Nous serons tous de noce à la fin de l’automne...
Céline m’a appris le mariage d’Eudore...
il épouse Cora... ils vivront à la Butte-Grande...
... À propos, ajoutait la mère : ton cousin
va s’absenter et a peur que Cora ne s’ennuie...
Où as-tu laissé ce Musée des familles
qui t’intéressait tant, celui de 45 ?
Alors l’enfant ne pouvait plus se retenir.
Son sein gonflé d’orage éclatait en sanglots...
Et elle répondait, en hoquetant, ces mots :
l’année 45, elle est dans mon pupitre.
« Le rieur alors, d’un ton sage,
Dit qu’il craignait qu’un sien ami,
Pour les grandes Indes parti
N’eût depuis un an fait naufrage. »
JEAN DE LA FONTAINE. L. VIII. f. viii.
Un gentilhomme, qui fuit la Cour et ses brigues,
Donne un repas dans ces beaux lieux si reculés...
Un vieux jour d’après-midi vert tombe sur les
Plats dont le Bois et la Mer ont été prodigues.
Maints âgés Céladons qu’a congestionnés
Une Églé demi-nue et prenant son remède,
Sous la perruque lourde et quelque opiat mède
Des crus du Bourguignon se rougissent le nez.
Tout à coup, un rieur fait silence. Et son geste
Témoigne d’un inénarrable étonnement.
— Par Neptune ! fait-il... Le liquide Élément
A des hôtes... La preuve en est ici... Ha ! Peste !...
Et ses doigts gras et blancs, tout alourdis d’anneaux,
Portent à son ouïe empoudrée une énorme
Dorade. Puis il dit : Vers l’Inde aux gens difformes,
Un mien ami s’en fut, au gré des vastes eaux...
... Et ce poisson raconte à l’oreille étonnée
Que ce beau chevalier, qu’aima la Véranchol,
Aujourd’hui, devenu l’Empereur du Mogol,
Goûte, à l’ombre, une vie aimable et fortunée.
1897.
À Paul Lafond. Dimanche des Rameaux... Les blancs hameaux, les ormeaux, les sureaux, les roseaux, les fuseaux, les bestiaux s’endorment comme des oiseaux. À l’ombre des feuilles, les eaux lentes se recueillent dimanchement. Ô Rousseau ! Où sont les sons des chalumeaux ? Les moutons sur les prairies fleuries sont monotones. J’ai accompagné le long des haies matinales le facteur rural... Les cloches sonnaient larges et toutes, comme des gouttes d’orage. Mon cœur fleurissait et je prosternais mon âme inquiète et calme vers les noires éminences des coteaux sur qui est l’azur. Les nuages blancs, malgré le beau temps, semblaient lourds d’eau d’ouragan. Nous sommes allés dans les allées creusées par les ondées. Les murs des chaumières avaient des éviers de pierre, de fougères et de lierre. Maintenant je prie, ô mon Dieu, mon Dieu, devant le ciel bleu où un moineau crie. 1897.
Les dimanches, les bois sont aux vêpres. Dansera-t-on sous les hêtres ? Je ne sais... Qu’est-ce que je sais ? Une feuille tombe de la croisée... C’est tout ce que je sais .. L’église. On chante. Une poule. La paysanne a chanté, c’est la fête. Le vent dans l’azur se roule. Dansera-t-on sous les hêtres ? Je ne sais pas. Je ne sais. Mon cœur est triste et doux Dansera-t-on sous les hêtres ? Mais tu sais bien que, les dimanches, les bois sont aux vêpres. Penser cela, est-ce être poète ? Je ne sais pas. Qu’est-ce que je sais ? Est-ce que je vis ? Est-ce que je rêve ? Oh ! ce soleil et ce bon, doux, triste chien... Et la petite paysanne à qui j’ai dit : vous chantez bien... Dansera-t-elle sous les hêtres ? Je voudrais être, voudrais être celui qui lentement laisse tomber, comme un arbre ses baies, ca tristesse pareille, sa tristesse pareille aux bois qui sont aux vêpres.
Il y a une armoire à peine luisante qui a entendu les voix de mes grand-tantes qui a entendu la voix de mon grand-père, qui a entendu la voix de mon père. À ces souvenirs l’armoire est fidèle. On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire, car je cause avec elle. Il y a aussi un coucou en bois. Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix. Je ne peux pas le lui demander. Peut-être bien qu’elle est cassée, la voix qui était dans son ressort, tout bonnement comme celle des morts. Il y a aussi un vieux buffet qui sent la cire, la confiture, la viande, le pain et les poires mûres. C’est un serviteur fidèle qui sait qu’il ne doit rien nous voler. Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes qui n’ont pas cru à ces petites âmes. Et je souris que l’on me pense seul vivant quand un visiteur me dit en entrant : — comment allez-vous, monsieur Jammes ?
À Gustave Kahn. Un jeune homme qui a beaucoup souffert traverse la place du hameau vert. La chaleur est immense. Il passe devant l’auberge et une modeste grille où s’entortillent des roses et de la vigne. La douce hirondelle poursuit les guêpes dans le silence. C’est l’heure des vêpres. Il entre doucement, sans être aperçu, dans l’église pauvre où les voix aiguës des Filles de Marie font un chant frais. Au dehors, silence. La vieille forêt où dorment les écureuils et les piverts rappelle ces beaux dessins qui ornent quelque botanique d’une autre époque donnée en prix à des personnes mortes. Le jeune homme voit dans le banc, qui luit d’ombre douce, de vieux paysans. Il voit l’autel pâle aux belles fleurs peintes, le curé chantant et les belles teintes que la lumière jette sur les dalles. Une jeune fille qui est très belle, sous le jour d’un vitrail est violette. Ce jeune homme sort des vêpres ému par la piété de la jeune fille. C’est une jeune fille de bonne famille qui habite une vieille maison perdue sous des arbres, avec son père et sa mère. Le jeune homme dont la vie a été amère revient plusieurs fois à ces mêmes vêpres. Il devient pieux. Il est présenté aux parents de la jolie jeune fille par le vénérable et bon curé. Bientôt les deux jeunes gens sont fiancés et, le soir, quand le jeune homme y a dîné, ils vont tous les deux se promener le long des fleurs en nuit dans les allées. Il dit : je vous aime. Alors elle est heureuse. Un rossignol enchante la nuit amoureuse, musicale chose pluvieuse, et son chant délicieux se mêle au parfum des iris et à la chanson de l’eau. Ainsi va la vie. Ils furent mariés par le bon curé quelques jours après. Et le jeune homme au cœur malheureux fut guéri pour toujours, et pieux. Mars 1897.
J’ai fumé ma pipe en terre et j’ai vu les bœufs, avec la barre au front et le museau morveux, résister aux paysans qui leur piquaient la croupe par-dessus les cornes — et j’ai vu, douce troupe, défiler les brebis touffues aux jambes faibles. Le bon chien faisait semblant d’être en colère. Et le berger lui criait : Loup ! Viens ! Loup ! Ici ! Alors le chien joyeux gambadait jusqu’à lui et mordait son bâton d’un air facétieux sous la tranquillité du chaud ciel pluvieux.
À André Gide.
Le vieux village était rempli de roses
et je marchais dans la grande chaleur
et puis ensuite dans la grande froideur
de vieux chemins où les feuilles s’endorment.
Puis je longeai un mur long et usé ;
c’était un parc où étaient de grands arbres,
et je sentis une odeur du passé,
dans les grands arbres et dans les roses blanches.
Personne ne devait l’habiter plus...
Dans ce grand parc, sans doute, on avait lu...
Et maintenant, comme s’il avait plu,
les ébéniers luisaient au soleil cru.
Ah ! des enfants des autrefois, sans doute,
s’amusèrent dans ce parc si ombreux...
On avait fait venir des plantes rouges
des pays loin, aux fruits très dangereux.
Et les parents, en leur montrant les plantes,
leur expliquaient : celle-ci n’est pas bonne...
c’est du poison... elle arrive de l’Inde...
et celle-là est de la belladone.
Et ils disaient encore : cet arbre-ci
vient du Japon où fut votre vieil oncle...
Il l’apporta tout petit, tout petit,
avec des feuilles grandes comme l’ongle.
Ils disaient encore : nous nous souvenons
du jour où l’oncle revint d’un voyage aux Indes ;
il arriva à cheval, par le fond
du village, avec un manteau et des armes...
C’était un soir d’été. Des jeunes filles
couraient au parc où étaient de grands arbres,
des noyers noirs avec des roses blanches,
et des rires sous les noires charmilles.
Et les enfants couraient, criant : c’est l’oncle !
Lui descendait avec son grand chapeau,
du grand cheval, avec son grand manteau...
Sa mère pleurait : ô mon fils... Dieu est bon...
Lui, répondait : nous avons eu tempête...
L’eau douce a bien failli manquer à bord.
Et la vieille mère le baisait sur la tête
en lui disant : mon fils tu n’es pas mort...
Mais à présent où est cette famille ?
A-t-elle existé ? A-t-elle existé ?
Il n’y a plus que des feuilles qui luisent,
aux arbres drôles, comme empoisonnés...
Et tout s’endort dans la grande chaleur...
Les noyers noirs pleins de grande froideur...
Personne là n’habite plus...
Les ébéniers luisent au soleil cru.
Je le trouvai assis près des étoffes bleues et crues
dont il faisait le commerce pour le Sénégal.
L’été chaud était frais parce que dans la rue
l’arrosage vert était traîné par un cheval.
Il ressemblait à Robert-Robert, au collégien
malade et rêvasseur des maisons antiques
où les paons longs se balancent près des grilles,
dans la cour, près des colonnes d’ordre dorien,
au collégien qui allait aux Indes.
Et, pendant que je me taisais, l’ombre du soleil
tombait sur des choses nègres, et dans l’odeur des tissus teints
le Sénégal pleurait dans sa cuillère en bois.
1895.
À Odilon Redon
Neige endolorissante et morne, tu déroules
Ta nappe liliale au toit cher que je sais,
Neige endolorissante, ô neige qui t’écroules !
Et la maison vieillote aux carreaux verts cassés
A des airs de jeunesse et de pâle frileuse
Et ne se souvient plus des contes jacassés :
Des contes jacassés, au soir, par la fileuse,
En la cuisine antique où le pot noir chantait
Au rauque dévidoir sa chanson douce et creuse.
La chandelle en résine en un coin crépitait.
Près de la plaque en fer, les cris-cris aux cris grêles
S’enfuyaient dans la suie et le matou grondait.
Maintenant, dans le vieux salon, les herbes frêles,
Les avoines ornant les vases surannés,
Ne se souviennent plus des champs fauchés des grêles :
Et des plumes de paon, des bimbelots fanés,
Sont là qu’un bisaïeul rapporta de la Chine
D’où, jadis, bien des gens revinrent ruinés.
Comme alors un gros chat plie en arc son échine
Et cligne en grommelant de longs yeux mordorés
— Et miaule, et l’on voit une expression fine
En les blancs, solennels regards des hauts portraits.
Au beau soleil qui sonnait, de pauvres femmes, au seuil d’une maison pauvre comme mon âme, désignaient quelque chose. On entendait un char. Sur les coteaux marrons le ciel était en nacre comme les écailles d’huîtres en arc-en-ciel. Le chemin grimpait, doux comme un grand sommeil, et les poules chaudes ondulaient dans la poussière, avec, sous les ailes, un roseau en lumière. ... Une autre femme à un enfant cherchait des poux. Un coq chantait. Une pie volait. Tout était doux. On allait inoculer de la tuberculine à la pauvre vache qui tousse et qui s’escrime. Les pieux de la haie, près des lierres, étaient roses comme ta bouche, amie aimée à la main douce...
Le pauvre chien a peur, il marche dans la neige et
s’arrête. Les enfants lui crient : allez couchéééé !
Le ciel est en argent, en ombre, en cendre, et l’on
n’entend pas les pas taper la rue sourde et froide sans son.
Une laitière passe et, pour ne pas tomber,
tremble. Et, dans ma chambre bleue et grise,
le bois du feu jute, roule, sent fort aux doigts et siffle.
1895.
La vallée d’Alméria. La vallée d’Alméria
doit être une vallée en tubéreuse aux eaux d’argent
et aux montagnes claires et bleues et aux torrents
pleins de fleurs claires, de grenadiers rouges et luisants.
La vallée d’Alméria. La vallée d’Alméria
doit être une vallée où est un château clair,
des histoires d’amour pleines de seringas,
de jardins en sommeil et de belladones.
La vallée d’Alméria. La vallée d’Alméria
est comme une guitare aux fleurs des citronniers.
Les duègnes surveillaient mal et les cavaliers
engrossaient les belles jeunes filles sous les ombrages noirs.
La vallée d’Alméria. La vallée d’Alméria,
c’est un rêve clair comme le silence des vallées.
Vers les hôtelleries elles s’en sont allées,
celles qu’un muletier descendit dans ses bras.
1895.
Il vint à l’étude avec une petite veste.
Il était notaire dans une campagne lointaine...
Il était triste et gai et il s’était fait beau
pour la réunion et le dîner de tantôt.
Il souriait, avec des commissions sous le bras,
comme quelqu’un qui fera des actes, puis mourra.
Il mourra dans la poésie triste des chambres froides
et des planisphères aux murs froids.
1895.
À A. G.
Dans le petit jardin d’amour de votre vie,
avec vos lauriers doux faites une tonnelle
où vous reposerez pareil à l’air, et elle
comme l’eau de cet air que l’on voit dans le puits.
La campagne prie pour vous sa naïveté.
Nous vivons orgueilleux loin des choses savantes,
mais dans nos pays tristes les vieilles servantes
ont le chapelet des chaînes des puits rouillées.
Elles l’égrèneront sur l’eau de vos bonheurs.
Dans mon royaume je ferai prier pour vous
les cris secs des grillons et les poules qui gloussent,
gonflées et en cachant leurs petits sur leur cœur.
Ainsi, Gide, cachons nos pensées les plus sages
comme la poule cache ses petits poussins ;
et, n’en laissons voir, pour amuser les voisins,
qu’une multitude de très petites pattes.
Mais toujours dans l’ombre d’amour de la tonnelle,
et que vous aurez faite avec vos doux lauriers,
la pensée que vous eûtes de vous marier
sera dans ces lauriers la rose simple et belle.
À Madame Henri Duparc.
Comme un chant de cloche pour les vêpres douces
s’arrête doucement sur la colline en mousse
près d’une tourterelle aux pattes roses,
mon âme qui chante auprès de vous se pose.
Comme un lis blanc au jardin du vieux presbytère
se parfume doucement par la douceur des pluies,
par votre douceur, qui est une rosée de taillis,
mon âme triste et douce comme un lis s’est parfumée.
Que la cloche, le lis, les pluies, la tourterelle
vous rappellent désormais un enfant un peu amer
qui passa près de vous en laissant tomber
à vos pieds son âme en roses trémières.
Cette nouvelle m’arrive à la Fête-Dieu.
Jeanne, c’est l’époque où les blés sont bleus,
Jeanne, les petites filles douces à faire pleurer se préparent
à chanter en foulant les campanules gorgées d’azur.
Avec de l’eau sucrée (on donne le sucre) on sépare
leurs cheveux en beaucoup de petites tresses pures...
Ô enfant ! Jeanne, sois bénie de Dieu,
car la procession va chanter dans mon âme
et, le jour où j’apprends ta naissance, les grandes feuilles
des lisières des bois reposés se recueillent.
20 juin 1897.
À Arthur Chassériau
J’ai été visiter la vieille maison triste
du village où vécurent les anciens parents :
la route en cabriolet, pleine de soleil,
était toute triste et douce comme le miel.
Il y avait la plaine bleue et des pigeons
qui volaient le long des labours que nous longions.
La jument était bien vieille et bien fatiguée.
Elle me faisait de la peine et semblait âgée
comme les choses de l’ancien temps où j’allais.
Je savais que, depuis cent ans, ils étaient morts,
les vieux parents naïfs, doux, aux yeux sans remords,
qui allaient sans doute à la messe le dimanche
avec leur plus magnifiques chemises blanches.
J’avais appris qu’ils avaient demeuré jadis
dans ce village loin où alors je partis
pour voir si je reconnaîtrais cette patrie
où doivent être leurs tombes pleines d’orties.
En arrivant je déposai le petit chien
doux qui dormait sur mes genoux entre mes mains.
Le paysan se mit à l’ombre de la place
qui était au soleil froide comme la glace.
C’était midi au vieux clocher tout ruiné,
près d’une tour vieille comme le passé,
et des gens à qui je m’adressais répondaient :
les gens dont vous parlez... nous n’avons pas idée...
Il y a très longtemps, sans doute, très longtemps...
Il y avait une femme de quatre-vingts ans
qui est morte il y a quelques jours. Elle aurait pu
vous renseigner, peut-être, sur ces disparus.
Et j’allais de porte en porte — et chez le notaire
qui a l’étude du père de mon arrière-grand-père
et chez le curé qui ne connaissait pas non plus...
Et je passais devant les portails vermoulus,
de jardins abandonnés où, par les grosses grilles,
on voyait près des maisons sans plus de familles
des roses trémières roses dans l’herbe bleue,
près des portes fermées par la vieille poussière
comme les portes des cercueils des cimetières.
Et je passais sans vouloir voir les âneries,
les nouveautés, des drapeaux neufs sur la mairie
et des lettres d’or qui disent, je crois, la république.
Non : je n’avais au cœur que mes vieilles reliques ;
et, arrière-arrière-petit-fils, je venais
me rappeler les morts aimés dont je suis né.
Enfin, je traversai la magnifique grille
d’une très ancienne et très bonne famille :
la vieille dame avec un sourire très bon,
le vieux monsieur courbé allant avec un bâton,
et le fils de cette bonne et noble famille
poétique ainsi que les plantes de la grille.
Vous êtes, dit la dame, un Jammes ! Oui, jadis,
ils habitèrent le village... un vieux notaire
dont les fils vers les aventures s’en allèrent...
Notre famille a acheté la maison en ruine.
Et ils prirent la clef rouillée à la cuisine
et me conduisirent à la porte cloutée,
triste et bâtie contre l’église triste et vieille,
à la porte cloutée au marteau plein de rouille,
et les murs avaient des fenêtres tristes aussi
fermées par la poussière de la mort, du temps.
Et ils m’ouvrirent la porte forte en grinçant.
Et je montai les escaliers vermoulus, tristes.
C’est là, qu’ils étaient passés, eux aussi, les Vieux
qui maintenant sans doute reposent aux Cieux ;
et dans l’intérieur de la maison,
sur le plâtre qui était crevé, sur les cloisons,
sur les portes que les années avaient noircies,
comme si elles avaient été des incendies,
le soleil n’entrait pas et tout était si noir
que c’était un deuil aussi que je croyais voir.
Et ils disaient : « Voyez ici... C’était l’étude... »
L’étude... l’étude... et la décrépitude
de la maison était pleine d’un grand silence,
et je croyais entendre que les morts dans le Ciel
se taisaient dans la maison triste où je venais.
Avec une tristesse douce je saluai
la bonne famille obligeante et je m’en allai.
Je remontai dans la carriole au grand soleil
pour regagner la petite ville lointaine.
Et le pauvre cheval tristement repartit,
et le petit chien triste et très doux s’endormit
entre moi et le paysan doux son maître.
Et près des champs, des pigeons tristes s’envolèrent.
... Dont les fils vers les aventures s’en allèrent,
avait dit la bonne dame vieille derrière
la grille pleine de roses trémières roses
dans l’herbe bleue.
Et ce fut une douce chose,
lorsque je repassai devant mon lieu natal,
devant la petite gare aux vieux catalpas
de l’endroit où je suis né. J’ai vu encore
l’impression de mes quatre ans : l’eau claire, à l’ombre,
coulant entre des berceaux de feuilles glacées
de quand je me demandais où allait l’eau,
au soleil, si loin, l’eau, dans cette obscurité
qu’elle a au soleil. Et j’ai revu l’enfance,
quand je cherchais où était la fin de cette eau.
Et depuis, j’ai revu de même ce ruisseau.
À Pierre Loti
Les grues sont passées dans le ciel gris et leurs longues
lignes filaient en grinçant, cris de neige et d’ombre ;
c’est la saison où l’on va pour orner les tombes.
Les misérables, les aveugles mendieront
avec leurs mains rouges et luisantes. Ils iront
mourir dans les soirs noirs en riant de frissons.
Les bêtes souffriront. J’ai vu un vieux mendiant
avec des taches sur les yeux et maltraitant
son pauvre chien la queue sous le ventre, tremblant.
Il le traînait, l’étranglant avec une corde,
disant : je l’ai jeté à l’eau trois fois. La corde
a cassé. Il revient, le cochon ! Et la corde
tirait. Et le vieux chien, compagnon de misère
de ce vieux, semblait lui dire : laisse-moi sur terre
m’accrocher encore à tes habits pleins de poussière.
Et lui, étant homme, plus mauvais que le chien,
disait : cochon ! cochon ! va ! je te noierai bien...
Et ils allaient tous deux sous le grand ciel d’étain.
Il y a par là un vieux château triste et gris comme mon cœur, où quand il tombe de la pluie dans la cour abandonnée des pavots plient sous l’eau lourde qui les effeuille et les pourrit. Autrefois, sans doute, la grille était ouverte, et dans la maison les vieux courbés se chauffaient auprès d’un paravent à la bordure verte où il y avait les quatre saisons coloriées. On annonçait les Percival, les Demonville qui arrivaient, dans leurs voitures, de la ville. Et dans le vieux salon soudain plein de gaîté, les vieux se présentaient leurs civilités. Puis les enfants allaient jouer à cache-cache ou bien chercher des œufs. Puis dans les froides chambres ils revenaient voir les grands portraits aux yeux blancs, ou, sur la cheminée, de drôles coquillages. Et pendant ce temps les vieux parents se parlaient de quelque petit-fils au portrait peint à l’huile, disant : il était mort des fièvres typhoïdes, au collège. Que son uniforme lui allait ! La mère qui vivait encore se souvenait de ce cher fils mort presque au moment des vacances, à l’époque où les feuilles épaisses se balancent dans les grandes chaleurs auprès des ruisseaux frais. Pauvre enfant ! — disait-elle — il aimait tant sa mère, il évitait toujours de faire de la peine. Et elle pleurait encore en se rappelant ce pauvre fils très simple et bon, mort à seize ans. Maintenant la mère est morte aussi. Que c’est triste. C’est triste comme mon cœur par ce jour de pluie, et comme cette grille où les pavots roses plient sous l’eau de pluie lourde qui luit et qui les pourrit.
Je mettrai des jacinthes blanches à ma fenêtre, dans l’eau claire qui paraîtra bleue dans le verre. Je mettrai sur ta gorge blanche et luisante comme un caillou du ruisseau, des boules de houx. Je mettrai sur la pauvre tête du malheureux chien tout rogneux qui a des taches dans les yeux la plus douce de mes caresses, pour qu’il s’en aille grelottant un tout petit peu plus content. Je mettrai ma main dans la tienne, et tu me conduiras dans l’ombre où tournent les feuilles d’automne, jusqu’au sable de la fontaine que la pluie si douce a troué, où se détrempe le vieux pré. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . la pluie fine ma pensée douce comme la bruine. Je mettrai sur l’agneau qui bêle une branche de lierre amer qui est noir parce qu’il est vert.
J’étais gai et l’église était calme au soleil, près des jardins où sous la vigne il y a des roses, près de la route où les oies et les canards causent, les belles oies qui sont blanches comme du sel. Sainte-Suzanne est le nom du petit village : c’est un nom doux ainsi qu’un vieux nom de grand-mère. L’auberge est pleine de fumée et de gros verres. Les vieilles femmes n’y ont pas de babillage. Il y a au soleil des chemins très obscurs, pleins de feuillages frais, et qui n’ont pas de fin. On s’y donnerait des baisers longs, doux et durs, par les après-midi des dimanches beaux et simples. Je pense à tout cela. Alors une tristesse me vient d’avoir laissé la femme que j’aimais. J’avais vu autrement, alors, le mois de mai, car mon cœur est fait pour aimer, aimer sans cesse. Je sens que je suis fait pour un amour très pur comme le soleil blanc qui glisse au bas du mur. Et j’ai dans mon cœur des amours froids comme ceux quand je passais ma main à travers mes cheveux. Le soleil pur, le nom doux du petit village, les belles oies qui sont blanches comme le sel, se mêlent à mon amour d’autrefois, pareil aux chemins obscurs et longs de Sainte-Suzanne.
À Henri Ghéon.
Le vent triste souffle dans le parc,
comme dans un livre que je lus enfant,
où une écolière perdue était hagarde.
Le vent.
Il va casser, peut-être, le tulipier.
Il fait voir le dessous des feuilles blanc
du vernis du Japon qu’il semble essuyer,
Le vent.
Le baromètre est descendu subitement.
Peut-être que ça va être un ouragan.
Il ne peut pas pleuvoir, mais on entend
Le vent.
Dans les livres de prix, monsieur et madame d’Arvan
reviendraient en pressant le pas chez eux,
vers un château tout bleu malgré le mauvais temps.
Le vent.
Sortez de ma tête, ô manoirs moisissants
où devaient se passer d’étranges adultères,
par les temps tristes, en Angleterre.
Le vent.
Sortez de ma tête, gentilles écolières
qui jouiez à cache-cache dans la clairière
et reveniez vers le grenier sombre, à cause du grand
vent.
Sortez de ma tête, vieux marquis des villes
qui, dans les maisons pluvieuses, lisiez Virgile
dans des fauteuils à oreillettes, par des temps
de vent.
Sors de ma tête, ma douce tristesse,
et va-t’en vers le coteau fané, va-t’en
où va, sur un air un peu Chateaubriand,
le vent.
Elle va à la pension du Sacré-Cœur.
C’est une belle fille qui est blanche.
Elle vient en petite voiture sous les branches
des bois, pendant les vacances, au temps des fleurs.
Elle descend le coteau doucement. Sa charrette
est petite et vieille. Elle n’est pas très riche
et elle me rappelle les anciennes familles
d’il y a soixante ans, gaies, bonnes et honnêtes.
Elle me rappelle les écolières d’alors
qui avaient des noms rococos, des noms de livres
de distribution des prix, verts, rouges, olives,
avec un ornement ovale, un titre en or :
Clara d’Ellébeuse, Éléonore Derval,
Victoire d’Étremont, Laure de la Vallée,
Lia Fauchereuse, Blanche de Percival,
Rose de Liméreuil et Svlvie Laboulaye.
Et je pense à ces écolières en vacances
dans des propriétés qui produisaient encor,
mangeant des pommes vertes, des noisettes rances
devant le paon du parc frais, noir, aux grilles d’or.
C’était de ces maisons où il y avait table ouverte.
On y mangeait beaucoup de plats et on riait.
Par la fenêtre on voyait la pelouse verte
et la vitre, quand le soleil baissait, brillait.
Et puis un beau jeune homme épousait l’écolière
— une très belle fille qui était rose et blanche —
et qui riait quand au lit il baisait sa hanche.
Et ils avaient beaucoup d’enfants, sachant les faire.
1889.
Au bord de l’eau verte, les sauterelles
sautent ou se traînent,
ou bien sur les fleurs des carottes frêles
grimpent avec peine.
Dans l’eau tiède filent les poissons blancs
auprès d’arbres noirs
dont l’ombre sur l’eau tremble doucement
au soleil du soir.
Deux pies qui crient s’envolent loin, très loin,
loin de la prairie,
et vont se poser sur des tas de foin
pleins d’herbes fleuries.
Trois paysans assis lisent un journal
en gardant les bœufs
près de râteaux aux manches luisants que
touchaient leurs doigts calleux.
Les moucherons minces volent sur l’eau,
sans changer de place.
En se croisant ils passent, puis repassent,
vont de bas en haut.
Je tape les herbes avec une gaule
en réfléchissant
et le duvet des pissenlits s’envole
en suivant le vent.
1889.
I
Je suis dans un pré où coule l’eau froide dans l’herbe,
le long des cerisiers, sur des joncs, des cailloux.
Les filles mettront les fleurs du pré vert en gerbes
pour la procession quand le temps sera doux :
les fleurs qu’on appelle bouquets faits, les joncs roses.
Les jeunes filles seront en blanc et, le soir,
la procession jonchera le reposoir
et le curé dira de bien, bien belles choses.
II
Il élèvera le Saint-Sacrement doré
et les larmes viendront aux yeux — ô gloire, gloire,
gloire à Dieu, dira-t-on, que son nom soit sacré,
il est le Dieu puissant, le Dieu de la victoire !
Les encensoirs fumeront et les fleurs en l’air
se mêleront ; les filles feront leur voix aiguë,
et la procession reviendra dans la rue
vers quatre heures, quand le soir est encore clair.
III
Les ronces pendent dans le chemin, le vent passe
dans les feuilles transparentes des peupliers,
et dans le lavoir jaune il y a des laveuses,
et souvent des linges à côté sont pliés.
Les canards, les poussins jaunes sont dans la boue,
les grillons chantent dans la haie, les moucherons
au-dessus de l’eau volent en faisant des ronds.
Les frelons volent et les petits enfants jouent.
IV
Le ciel est bleu. Les herbes près de l’eau sont bleues,
et au soleil les maisons en chaux sont plus blanches,
et les paysans suivent à long pas les bœufs
et derrière la herse qui racle ils se penchent.
Le vent souffle tout doucement sur le blé vert,
mais je passe ennuyé devant toutes ces choses
et sur les ajoncs qui piquent près des jardins
et près des fermes bien fraîches où aboient les chiens,
sur le farouche rouge et sur le trèfle rose.
V
Bien que je m’ennuie, moi, je veux retourner là
quand je serai malade encore, voir des bûches
dans les vieux jardins et secouer des lilas
pour faire pleuvoir les hannetons, boire aux cruches
sur l’évier frais, dans la cuisine qui sent fort,
et rester seul avec moi d’un air doux et triste
et puis me promener seul sans aller trop vite.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VI
Les nuages sont blancs, la terre grise est tiède.
Devant la ferme l’évier frais sue en dehors ;
cet évier est une pierre usée qui est froide
même à midi, quand tout est chaud et que tout dort.
Les lézards courent sur les briques des murailles
dont les ongles peuvent enlever des morceaux.
Il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud,
et l’on s’égratigne les jambes aux broussailles.
VII
La terre se fendille et nous avons été
cueillir de la mousse pour une croix de tombe ;
elle était jaune et sèche et j’ai gratté
pour l’arracher ; sur des flaques d’eau jaune tombent
des feuilles, et au fond il y a des têtards.
Dans les prés il y a des fleurs fines qui bougent ;
les pies viennent en criant sur les chênes ronds,
et sitôt que quelqu’un arrive, elles s’en vont.
Vers sept heures tout le fond du ciel est très rouge.
VIII
Il y a sur la place un soleil chaud et blanc.
Sur la place on entend des marteaux qui résonnent
dans la forge noire et rouge : un retombement.
Les poulets piquent le grain dans la paille jaune.
L’herbe a poussé entre les pavés près des bancs
où sont des femmes qui causent et qui s’arrêtent
de bavarder pour regarder passer les gens.
On dirait que les coqs ont du sang à la crête.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I
Il y a des roses sur le mur où il a plu ;
et dans la haie aussi et les feuilles sont molles.
Ce matin il y a du brouillard gris, et plus
on regarde loin, il est épais. Il se pose
sur le coteau au haut des feuilles des pins noirs ;
il fait un peu frais, mais pas trop. Je viens de voir
des laitières près du mur mouillé plein de roses.
II
Sur la route il y a un peuplier écorcé
dont le bois blanc est un peu jauni par la pluie ;
j’avais les doigts froids pour les y avoir passés.
L’osier mouillé qui tient les portes des champs crie ;
le foin du pré est couché ; dans la haie on voit
des branches noires de bois sec pleines de gouttes ;
une pie est posée sur le bord de la route,
la pluie coule de la paille des chars et des toits.
III
Le temps est gris, sans nuages : les hirondelles
poussent des cris dans le ciel gris, humide et froid
et elles font des croix noires avec leurs ailes.
Leur cri est aigu et long au-dessus des toits
d’où la fumée sort doucement des briques rouges.
L’intérieur des mansardes est noir et profond,
et l’on ne peut pas voir ce qu’il y a au fond.
Il commence à pleuvoir un peu à grosses gouttes.
1889.
La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
ouvertes.
On ne sait pas pourquoi
elle rit. Par moment
elle crie et cela
est perçant.
Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
des fleurs ?
On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
tout bas.
« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » — Elle dit
comme ça.
Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle se tait :
et ne rit plus, tout
étonnée.
Dans les petits chemins
elle remplit ses mains
de piquants de bruyères,
de fougères.
Elle est grande, elle est blanche,
elle a des bras très doux.
Elle est très droite et penche
le cou.
1889.
Je parle de Dieu — mais pourtant
est-ce que j’y crois ? — À cinq ans
on me disait : tiens un croquant...
Va le manger avec Marie
aux vêpres. Sois bien sage et prie
le bon Dieu, la vierge Marie.
— Puis c’était la procession
que la bonne et moi nous suivions,
et de belles fleurs en coton
dans des vases de loterie.
Les petites filles fleuries
jetaient en l’air des fleurs jolies.
Je levais la tête pour voir
le curé, le grand ostensoir
qui luisait sur le reposoir.
Et on chantait : ô bonne vierge !
Ô lis sans tache ! Fleur des berges !
— Et l’on voyait briller des cierges.
Et l’on jetait encor des fleurs,
et l’on chantait : prenez mon cœur,
notre Dame des sept douleurs !
Le curé était magnifique
levant les bras pour les cantiques.
Et j’entendais dans ces cantiques :
tu-u-us... tu uus...
Ritus.... ... uum
Us... .. tuus.
Et l’on jetait encor des roses.
Les femmes pleuraient presque à cause
de ces si belles, belles choses.
Je voyais le petit Jésus
à Noël, dans la crèche, nu.
L’âne regardait par-dessus.
Et maman disait : les rois mages
portent la myrrhe, les images
au petit Jésus qui est sage.
Et je croyais que Dieu était
un vieux tout blanc qui vous donnait
toujours ce qu’on lui demandait.
Ça m’est bien égal, ceux qui disent
qu’il existe ou non — car l’église
du village était douce et grise.
1888.
La poussière froide tourne et fait voler des papiers,
et le vent gratte la terre ainsi qu’un balai qui racle,
et les chevaux ont froid dans la rue et c’est un spectacle
que de voir sur les pavés les réverbères briller.
Ce matin le soleil froid rendait comme de la corne
les feuilles des platanes encore vertes des cours
où le vent remuait de temps en temps ce jaune jour
qui fait dire aux gens que le temps du mois d’octobre est morne.
Le brouillard sent la fumée ; un jet d’eau ne bouge pas,
et l’on dirait qu’il est en suif très blanc ou bien en glace,
dans le ciel en laine sale où les feuilles sèches passent.
Et le son du vent continue et l’on presse le pas.
Les contrevents grincent, cognent le mur et rebondissent,
et l’on entend quelquefois tomber la tuile d’un toit,
ou bien les vitres d’un tambour se casser et l’on voit
les gens qui courent sous les nuages de fer qui glissent.
La poussière froide tourne et fait voler des papiers
et le froid très cru vous donne une espèce de migraine.
La poussière mince tourne et sur les pavés se traînent
les fiacres dont on entend les vitres froides trembler.
1888
À André Gide. Dans la grange, sur le sol dur, bossué, battu, le char dormait avec des rameaux de chêne cassés dans les joints de son bois boueux et fendu. La batteuse au ronflement qui s’enfle avait cessé de tourner au milieu des bœufs patients, et des tas de débris minces jonchaient la terre. Les poules du Bon Dieu qui sont les hirondelles, et qui avaient leur nid sur la poutre, tombèrent. Alors deux métayers, lents et adroits, sautèrent sur d’autres et, avec des clous, fixèrent au plafond un morceau de fer-blanc retroussé. Ils l’emplirent de paille et y mirent les petits tombés. Alors on vit la mère des petits oiseaux glisser craintivement dans l’azur, en réseaux allongés. Peu à peu, elle arriva au nid. Je m’étais assis près des herses et du soc qui luit, et j’avais dans le cœur une tristesse tendre comme si j’avais eu dans le fond de mon âme un rayon de soleil où vole un peu de cendre. Vinrent huit petits cochons extrêmement si jolis qu’on eût pu les offrir à de petites filles. Ils n’avaient pas plus de trois semaines, ils luttaient entre eux, arc-boutés comme des chèvres, et leurs très petits pas étaient précipités. La truie aux mamelles flasques et ridées, aux soies rudes, groinait vers le sol, embouée. La vie pauvre, par ce beau jour d’été, m’a paru revêtir toute sa dignité. Et lorsque sont passés, près de mon escabeau, les paysans tristes, silencieux et beaux, faisant rouler les roues dans l’ombre noire et fraîche ; je ne leur ai rien dit et j’ai baissé la tête. 1897.
À Remy de Gourmont. Au mois de Mars (le Bélier ♈ ) on sème le trèfle, les carottes, les choux et la luzerne. On cesse de herser, et l’on met de l’engrais au pied des arbres et l’on prépare les carrés. On finit de tailler la vigne où l’on met en place, après l’avoir aérée, les échalas. Pour les bestiaux les rations d’hiver finissent. On ne mène plus, dans les prairies, les génisses qui ont de beaux yeux et que leurs mères lèchent, mais on leur donnera des nourritures fraîches. Les jours croissent d’une heure cinquante minutes. Les soirées sont douces et, au crépuscule, les chevriers traînards gonflent leurs joues aux flûtes. Les chèvres passent devant le bon chien qui agite la queue et qui est leur gardien. Si la pleine lune le veut, la PASSION échoit vers le milieu ou vers la fin de ce beau mois. Ensuite vient le beau dimanche des RAMEAUX. Quand j’étais enfant, on m’y attachait des gâteaux, et j’allais à vêpres, docile et triste. Ma mère disait : dans mon pays il y avait des olives... Jésus pleurait dans le jardin des oliviers... On était allé, en grande pompe, le chercher... À Jérusalem, les gens pleuraient en criant son nom... Il était doux comme le Ciel, et son petit ânon trottinait joyeusement sur les palmes jetées. Des mendiants amers sanglotaient de joie, en le suivant, parce qu’ils avaient la foi... De mauvaises femmes devenaient bonnes en le voyant passer avec son auréole si belle qu’on croyait que c’était le soleil. Il avait un sourire et des cheveux en miel. Il a ressuscité des morts... Ils l’ont crucifié... Je me souviens de cette enfance et des vêpres, et je pleure, le gosier serré, de ne plus être ce tout petit garçon de ces vieux mois de Mars, de n’être plus dans l’église du village où je tenais l’encens à la procession et où j’écoutais le curé dire la PASSION. Il te sera agréable, au mois de Mars, d’aller avec ton amie sur les violettes noires. À l’ombre, vous trouverez les pervenches bleu de lait qu’aimait Jean-Jacques, le triste passionné. Dans les bois, vous trouverez la pulmonaire dont la fleur est violette et vin, la feuille vert- de-gris, tachée de blanc, poilue et très rugueuse. Il y a sur elle une légende pieuse ; la cardamine où va le papillon-aurore, l’isopyre légère et le noir ellébore, la jacinthe qu’on écrase facilement et qui a, écrasée, de gluants brillements ; la jonquille puante, l’anémone et le narcisse qui fait penser aux neiges des berges de la Suisse ; puis le lierre-terrestre bon aux asthmatiques. Si ton amie est jeune et a les jambes fines, et si son corps est une douce et simple ligne de lumière qui bouge à peine, et glisse, le mois de Mars sera à tes amours propice, car sa lumière est pure et s’accorde aux bras lisses. L’épaule de ton amie sera plus luisante et tout son corps sera comme une source blanche qui, de la tête aux pieds, se gonfle sur la hanche. Si, lassé d’amour, on retourne à la chasse, on peut tuer encore quelques bécasses. Ami, je t’invite, dans mon modeste asile, si tu es fatigué des choses de la ville, à venir simplement goûter le mois de Mars. Nous ne distinguerons pas la vie d’avec l’art. Mais s’il te plaît, ayant bu clair, de me dire de beaux vers où tu auras vanté le sourire de celle qui t’a donné sa gorge de raisin, je te remercierai et te tendrai la main. 1896.
À Paul Claudel. Le mois de Septembre, expliquent les savants qui ont des bonnets carrés pour voir s’il fait du vent, est soumis au régime de la Balance. À cette époque, les bateaux sur la mer dansent furieusement. Les livres parlent d’équinoxe. J’en ai même vu un où sont des PARADOXES, des écliptiques, des zodiaques et des reflux qui expliquent la terre au moment de Septembre. C’est d’une grande poésie et, dans ma chambre, j’ai vu sur le papier des ronds blancs et noirs, avec des rubans et des rayons emplis d’astres. Et cela fait penser à Christophe Colomb, ce fou sublime qui allait devant lui, et qu’un méchant roi a mis en prison parce que l’ingratitude est la sœur de la jalousie. Maintenant je chanterai les animaux de ce mois, qui sont les mêmes que ceux des autres, je le crois, mais je ne nommerai que les principaux, à cause du papier qui coûte cher aux poètes. Muse ! Inspire-moi et que le simple pipeau où je m’essaie enchante aux rives de ces eaux les poètes amis qui président aux luttes. L’âne, aux longues oreilles, baisse la tête. Les paysans aisés lui fichent des culottes, car le mois de Septembre est couronné d’abeilles qui dorent la grappe gluante de la treille, puis s’envolent et piquent les pauvres aliborons. Le coq, pressé, luit et monte à califourchon sur la poule pour qu’elle fasse des œufs. Il s’éveille dès l’heure où, remontant aux cieux, le soleil, dissipant les brouillards de l’aurore, emplit de majesté la campagne sonore. Le bœuf lent, que l’on vit dans les fêtes antiques, est utile entre tous à nos us domestiques. On voit sa bonne tête et son goitre bougeant quitter l’étable ombreuse et, des crottes aux cuisses, il s’achemine vers l’horizon d’un bleu d’argent, précédé du troupeau naïf des roses génisses. Autre animal : sur l’eau, la libellule bleue vibre immobilement près d’un jonc coupé en deux. La chèvre, à la barbe en pointe, au corps noueux, au poil rude : elle broute, près des fossés poudreux, les vignes sauvages avec un bruit de ciseaux. Les brebis sont devant le berger : sur elles on dirait toujours qu’il a neigé. Le chien qui les garde est très agité. Il gambade et l’on voit sous le bras du berger, comme une loque, un agneau nouveau-né qu’essaie de lécher sa mère sanglante. Le cochon : on le voit, sur le fumier des fermes, renifler quelque pelure de pomme de terre. Il est aussi ridicule, aussi laid qu’on voudra, mais personne au monde ne m’empêchera de frissonner, lorsqu’on le saigne, et qu’on entend sortir un cri aigu et long, de temps en temps, de son pauvre gros cou saigné par une brute, et qu’il ferme les yeux et tord son groin sanglant pour demander pitié à l’homme qui a seul une âme et de la pitié — en somme. Aux fils du télégraphe, on voit les hirondelles qui font rêver d’amour les chastes demoiselles. Ane, bœuf, cochon, génisses, d’autres, je les ai vus bien souvent au marché d’Orthez, au crépuscule de Septembre, quand le soleil, sombrant sur les auberges, faisait luire au loin les ardoises et les verres. Les voix qui discutaient faisaient remuer l’ombre. Les paysans étaient grandis par les aiguillons. Les chars criaient, écailleux de boue, ébranlés. Des faucheurs essayaient des faux sur un pavé. Des bouviers essayaient le son rauque des cloches. Des cuves qui puaient la figue étaient traînées vers les pressoirs pleins de nuit. Et, alors, j’ai pensé, les larmes aux yeux, par ces beaux soirs de Septembre, que le Bon Dieu est au Ciel ; qu’il me faudra quitter, un jour ou l’autre, le calme de ma petite chambre ; que je devrai m’en aller là où sont les domestiques et les purs, non point orgueilleusement comme un Christophe Colomb à travers les éléments, mais tout bonnement et tout simplement, comme je fais ces vers, et donnant à des parents la main comme quand j’étais un tout petit et que, pour marcher, je devais courir, et que je pleurais, ô mon Dieu ! sans savoir pourquoi et sans savoir sur qui, et sans savoir de quoi. Qu’importent donc Septembre et sa faune et sa flore ? Qu’importent donc hiver, printemps, été, automne ? Qu’importe que l’on sème, avec les amandiers, les pâles cerisiers et les abricotiers ? Qu’importent les produits pour le printemps prochain ? Qu’importent du persil et du cerfeuil les graines, le céleri qu’on butte et la laitue amère, s’il faut mourir ? J’aurai passé sur la terre, et l’on m’aura appelé sceptique et poète, parce que j’aurai ri à force de pleurer, parce que j’ai compris que Dieu est si grand qu’il faut nous dédaigner devant lui en riant. Ô Muse ! Apaise un cœur douloureux. Si ma cendre doit un jour retourner aux vignes de Septembre : fais, du sang de mon cœur, naître une grappe d’or, douce à la grive agile et pépieuse. Mais encore : que la fille qui passera, un jour, auprès, la cueille et la mange, en riant, sans penser au tombeau où mon cœur dormira éternellement beau. Qu’elle la mange et dise à ses amies : Septembre, cette année, a mûri longuement ces grains d’ambre, j’ai mangé cette grappe douce, et suis contente. Et maintenant, amis, c’est à vous de gonfler à vos pipeaux, vos joues aimées des belles filles. Je me rends : car, déjà, par l’azur des charmilles, ainsi que des oiseaux, sortent vos notes tendres. Allez. Chantez les mois qui ne sont pas Septembre. 1897.
À Tristan Klingsor. Aujourd’hui, le long de la nuit transparente des sentiers froids, sous la chaleur terrible, j’ai bien senti qu’en une autre existence j’ai vécu dans les Petites Antilles. Une impression de grands calices blancs aux pistils noirs, et de grande tristesse... Un cimetière aux colibris volant sur des tabacs frais dans la sécheresse. La forêt à laquelle j’ai songé avait les mêmes filtrations faibles de lumière, le même sommeil des herbes, et des cris bleus pareils à ceux des geais. Que ne puis-je partir ? Vous m’attendez, je le sais, rouges fleurs qui éclatent... Je crois entendre. Mais est-ce que j’ai rêvé ? Voici des enfants qui prennent des crabes ?... Ces crabes sont bleus ? L’océan. Un point. C’est un aviso annoncé. Le Saint- Jérôme. Il vient du Hâvre... Oh ! Comme il est loin ! Son hunier ?... L’enfant, donnez-lui la main. Vous attendez quelqu’un ? — Oui... Delonelle. C’est le neveu de Madame Physica... L’Océan bruit comme un harmonica et se déchire comme un flot de dentelles. 1897.
À Amaury de Cazanove. Il est près de Salles, à droite, une source claire. Des fougères noires, de la mousse et du lierre se mirent doucement à sa limpidité. La grand-route la longe et la chaleur d’été fait sur la terre une blanche vibration. Celui qui suit la route (on disait un piéton) sent la terre brûler aux cordes de ses sandales. Autour de lui bourdonne la chaleur pâle ; mais, quand il approche de la petite source, il se sent inondé par une fraîcheur douce. Bien souvent j’ai suivi jusqu’à votre hameau cette route blanche qui va à Hagetmau. Mes yeux qui se fixaient à l’horizon des côtes y voyaient, agrandies, des silhouettes d’hommes. Mais c’est en vain que mon regard triste a cherché la diligence qui, avant que je fusse né, ramena au pays, le long de la source vive, mon grand-père qui revenait des Antilles. 1897.
À Mademoiselle M.R. On dit qu’à Noël, dans les étables, à minuit, l’âne et le bœuf, dans l’ombre pieuse, causent. Je le crois. Pourquoi pas ? Alors, la nuit grésille : les étoiles font un reposoir et sont des roses. L’âne et le bœuf ont ce secret pendant l’année. On ne s’en douterait pas. Mais, moi, je sais qu’ils ont un grand mystère sous leurs humbles fronts. Leurs yeux et les miens savent très bien se parler. Ils sont les amis des grandes prairies luisantes où des lins minces, aux fleurs en ciel bleu, tremblent auprès des marguerites pour qui c’est dimanche tous les jours puisqu’elles ont des robes blanches. Ils sont les amis des grillons aux grosses têtes qui chantent une sorte de petite messe délicieuse dont les boutons d’or sont les clochettes et les fleurs des trèfles les admirables cierges. L’âne et le bœuf ne disent rien de tout cela parce qu’ils ont une grande simplicité et qu’ils savent bien que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Bien loin de là. Mais moi, lorsque l’Été, les piquantes abeilles volent comme de petits morceaux de soleil, je plains le petit âne et je veux qu’on lui mette de petits pantalons en étoffe grossière. Et je veux que le bœuf qui, aussi, parle au Bon Dieu, ait, entre ses cornes, un bouquet frais de fougères qui préserve sa pauvre tête douloureuse de l’horrible chaleur qui lui donne la fièvre. 1897.
La paix est dans le bois silencieux et sur les feuilles en sabre qui coupent l’eau qui coule, l’eau reflète, comme en un sommeil, l’azur pur qui se pose à la pointe dorée des mousses. Je me suis assis au pied d’un chêne noir et j’ai laissé tomber ma pensée. Une grive se posait haut. C’était tout. Et la vie, dans ce silence, était magnifique, tendre et grave. Pendant que ma chienne et mon chien fixaient une mouche qui volait et qu’ils auraient voulu happer, je faisais moins de cas de ma douleur et laissais la résignation calmer tristement mon âme.
Ce fils de paysan qui était bachelier,
Nous avons suivi son convoi le long des lierres.
Le Dimanche il quittait la petite ville
et il allait déjeuner avec sa famille.
... L’après-midi, me disait-il, j’y lis Virgile.
En pensant à cela mon cœur s’enfle et se tord
— et je sens dans l’azur comme un parfum de mort.
... Oui, tu lisais Virgile, ami. Car l’on t’avait
appris le latin dans un triste et pieux collège.
Ton père aux mains de terre, ta mère aux mains de chanvre,
étaient joyeux de voir dans ta petite chambre
les dessins qui faisaient de toi un bon élève.
Et, pendant qu’il faisait soleil ou de la neige,
pendant que se pliaient les blés aux tiges bleues,
à cause de leur fils ils étaient bien joyeux.
Des mots compliqués n’avaient pas gâté ton âme.
Tu étais pareil à la modestie du village
lorsque les cheminées fument aux pieds de Dieu
et que s’arrêtent, en tournant le cou, les bœufs.
Virgile, c’est pour moi, ami, ce que tu fus :
quelque dimanche soir — si triste — où une flûte
de coudrier chantait comme une pluie de nuit...
Une ruche. Un mouton. Un laurier-tin et puis
une tombe où, respectueux, on jette du buis.
1897
L’eau coule dans la boue et dans le bois, après
la pluie. C’est maintenant que sont trempés les prés.
Les merles vivent dans l’humidité des gaules
qui servent à faire les paniers, gaules jaunes.
J’ai bu au tuyau de fer de la source douce
entouré de mousse en soleil transparent et de rouille.
Je t’aurais aimée là, autrefois, près de la mousse,
parce que tu avais une figure douce.
Mais à présent, je souris en fumant ma pipe.
Les rêves que j’ai eus étaient comme les pies
qui filent. J’ai réfléchi. J’ai lu des romans
et des vers faits à Paris par des hommes de talent.
Ah ! Ils n’habitent pas auprès des sources douces
où vont se baigner les bécasses en feuilles mortes.
Qu’ils viennent avec moi voir les petites portes
des maisons des bois abandonnées et crevées.
Je leur montrerai les grives, les paysans doux,
les bécassines en argent, les luisants houx.
Alors ils souriront en fumant dans leur pipe,
et, s’ils souffrent encore, car les hommes sont tristes,
ils guériront beaucoup en écoutant les cris
des éperviers pointus sur quelque métairie.
1894.
Avec les pistolets aux fontes,
il monte, il monte, il monte, il monte,
monte la côte de la route,
le soir dans la campagne rousse.
Chapeau tricorne : il est marquis ;
relevés sont ses pans d’habit.
Du tricorne une roide tresse
tombe et en avant il se baisse.
Il est rasé, rasé, rasé,
a les yeux bleus, un rouge nez.
Et il arrive près d’un bois :
il écoute, écoute des voix.
Les maisons sont loin, dans du bleu,
sur le coteau rayé de feu.
« Bourse ou vie ! » quelqu’un a crié...
Il se dresse sur ses étriers.
Et ses mains garnies de dentelles
fouillent les fontes de sa selle.
Et il prend les lourds pistolets
aux canons de cuivre ouvragés.
Et à deux mains, à droite, à gauche,
il tire, roide comme roche.
Le pistolet pète et crache un tas
de feu avec un grand fracas.
Et il continue et il monte
avec sa queue derrière le cou,
avec ses pistolets aux fontes,
le chemin qui mène à Ramous.
1888
J’ai vu, dans de vieux salons, des tableaux flamands,
où, dans une auberge noire, on voyait un type
qui buvait de la bière, et sa très mince pipe
avait un point rouge et il fumait doucement.
Il avait le nez violet et bonne mine,
c’était peut-être un très heureux négociant
qui avait des vaisseaux très lourds, des bâtiments
pleins de beaux ornements dorés, allant en Chine.
Il faisait le commerce des draps recherchés,
des épices, et devait avoir dans sa chambre
des choses drôles, des pipes à gros bout d’ambre,
des vestes de femmes turques, de beaux objets.
Il avait sans doute une femme rouge et blanche
qu’il caressait le soir dans son lit de richard.
Et il vivait considéré, se levant tard,
pour aller se promener, le poing sur la hanche.
Mais parfois ses affaires réclamaient ses soins.
Il était obligé de courir la contrée
pour offrir ses marchandises, mais à l’entrée
de la nuit, il gagnait une auberge bien loin.
Pour le défendre des larrons, sa belle épée
était par lui suspendue au pied de son lit,
près des beaux coffres de fer des Indes, sortis
des grands bazars des capitales fortunées.
Et le peuple l’honorait lorsque, près des quais,
ses beaux bâtiments pleins de belles galeries
gonflaient, comme les belles bannières qui plient,
leurs voiles où les marins luisants étaient gais.
1888.
Le paysan, le soir, vient de la foire et toutes
ses brebis marchent avec lui le long des routes.
Il y a des veaux qui ne veulent pas marcher
et il est obligé, pour les faire avancer,
de les tirer par le cou avec une corde.
Mais les veaux aux museaux blancs et morveux la mordent.
Les brebis se mettent à courir fort parfois
et le chien de l’homme qui a l’air d’être en bois,
qui est jaune, les poursuit, aboie en arrière,
et sur la route — cela fait de la poussière.
Il y a la haie après la route — et les champs
après la haie et après des prés — on entend
le gave de là ; plus loin les coteaux paraissent
avec de grands carrés verts, jaunes, roux. Où cessent
les coteaux, par-dessus eux, mais bien plus loin,
des montagnes, puis, après elles, l’air sans fin.
1888.
Les pâturages, au bord des eaux, sont épais. La pluie lourde a couché les blés trempés, et les feuilles des berges sont très vertes, excepté que les saules sont en cendre légère. Les foins, comme des ruches, sont dressés. Les coteaux sont si doux qu’ils semblent caressés. Poète ami, tout serait doux sans la douleur qui nous enlève tous les plaisirs du cœur. Je crois qu’il est inutile d’essayer de la fuir, car la guêpe ne quitte guère les prairies. Laissons donc la Vie aller, et les vaches noires paître près des endroits où elles ont à boire. Plaignons tous ceux qui souffrent lentement, tous ceux qui sont comme nous, et tous le sont vraiment, excepté qu’ils n’ont pas tous du talent. C’est la seule différence, mais c’est important. Une bonne consolation est un amour charmant, comme une jeune fraise au bord d’un vieux torrent.
Caügt avait deux jolis coqs dans son panier.
Il a quatre-vingts ans. Il vit près des sentiers
de Saint-Boès qui sont désolés et sauvages.
Les bécassines y font luire leur plumage.
Caügt m’a dit : salut ! Et dans le champ sauvage
ma chienne essoufflée ramassait la bécassine
tuée. Caügt m’a dit : j’ai connu vos parents
qui sont morts. J’ai quatre-vingts ans.
Mon fils avait pareille une chienne de chasse.
Et le coteau était noir, roux comme les bécasses,
Caügt m’a dit : salut ! Et vers le bois terrible
je suis allé. Caügt me regardait partir.
J’étais dans les touyas avec ma chienne douce,
et nous allions au bois d’argent, d’ombre et de mousse.
Et j’ai pensé à toi qui as la peau douce
comme un grain de raisin et une nèfle rousse.
Les éperviers aigus volaient sans avoir l’air de bouger.
La tête lourde des corbeaux comme un clou épais.
Les piverts volent comme des vagues, en courbées
et, droits, ils griffent l’écorce, cachant leurs plumes vertes.
Les ruisseaux après la pluie sont un peu jaunes
et, au printemps, au bord, il y a des anémones.
Le coteau est comme en sang noir et, du haut,
les montagnes nagent au ciel doux, simple et beau.
De l’autre côté des coteaux sont les villages
doux qui dorment au soleil comme des haches.
Là, il y a des tonnelles tristes au vieux jardin
où les poules grattent près des buis, des ricins.
La tonnelle en lauriers luisants est verte et noire.
Il y a un banc, au fond, en bois couleur de soir,
et qui est un peu humide, à cause de l’ombre,
même l’été quand le soleil est en bleu plomb.
Viens-y ! L’après-midi sera luisant. Ta bouche
sur ma bouche, nous nous tairons, et les cigales
cliqueront sur les roses en eau rose du Bengale.
Nous nous aimerons tant que nous ne respirerons plus,
en nous pressant sur le banc noir et vermoulu,
aux pieds en bûches. Puis nous reviendrons, le soir.
Les génisses douces tendront le cou vers toi, à l’abreuvoir.
Puis nous irons voir Caügt dont le nom me plaît
comme une flûte et comme des violettes,
Caügt qui dit : salut ! qui a quatre-vingts ans,
des joues rouges ridées, maigres, des yeux luisants,
qui regarde, méfiant, par les haies d’églantiers,
et qui porte de jolis coqs dans son panier.
1895.
Je crève de pitié, d’aimer et de sourire : mais, sourire, ne m’est pas toujours possible, et ce petit chat m’a rempli d’une tristesse grise. Il miaulait sous la grande porte de la mairie, par ce soir pluvieux, boueux, et j’ai senti toute l’infinité résignée et muette de la douleur des bêtes, de la douleur des bêtes. Mon Dieu : qu’allait-il faire ? Qu’allait-il faire ? Son malheur est si triste sous la pluie. Qui va le nourrir ? Qui va le nourrir ? Oh ! s’il allait, en tremblotant, là, mourir, — ou devenir un triste chat des saligues qui crève, dans la boue malsaine, de famine, de grelottement, de croûtes et de fièvre — ou être tué par un chien qui le prend pour un lièvre.
Tu serais nue sur la bruyère humide et rose, comme ces femmes qu’on apprend en classe, près de chèvres se donnant des coups au bas des prés. Tu dormirais en ne rêvant d’aucune chose, et tes jambes pareilles, tièdes et douces luiraient dans la pluie verte et glacée de la mousse. Ton corps serait comme l’air et l’eau qui sont purs. Un grillon aigre chanterait dans le vieux mur d’une maison abandonnée et qui aurait, à ses pieds, les champignons roses des forêts. Les alouettes qui ont la couleur de l’argent siffleraient en volant vite. Et, tout en dormant, tu mettrais une main dans tes cheveux remplis de brins de paille agaçants de roides épis.
Tu seras nue dans le salon aux vieilles choses, fine comme un fuseau de roseau de lumière, et, les jambes croisées, auprès du feu rose, tu écouteras l’hiver. À tes pieds, je prendrai dans mes bras tes genoux. Tu souriras, plus gracieuse qu’une branche d’osier, et, posant mes cheveux à ta hanche douce, je pleurerai que tu sois si douce. Nos regards orgueilleux se feront bons pour nous, et, quand je baiserai ta gorge, tu baisseras les yeux en souriant vers moi et laisseras fléchir ta nuque douce. Puis, quand viendra la vieille servante malade et fidèle frapper à la porte en nous disant : le dîner est servi, tu auras un sursaut rougissant, et ta main frêle préparera ta robe grise. Et tandis que le vent passera sous la porte, que la pendule usée sonnera mal, tu mettras tes jambes au parfum d’ivoire dans leurs petits étuis noirs.
Un nuage est une barre noire
au-dessus des pins en nuit,
vers six heures. Le ciel luit
au fond, comme la mer, le soir.
Si tu étais une palombe,
et si j’étais un petit lièvre,
je me coucherais dans l’ombre
douce, violette et longue.
J’aplatirais mes oreilles
sur mon dos luisant, et toi
tu avancerais et retirerais
ton cou bleu en savon et en ardoise.
Les hommes tristes viendraient
pleins de haches et de fusils
prendre la résine dorée
aux pins remplis d’écaillis.
Tu n’es pas une palombe,
et je ne suis pas un lièvre.
Étends-toi sur l’ombre longue
des pins longs sur la fougère.
Les aiguilles des pins noirs,
amères, vertes mais noires,
tomberont sur ta peau douce
qui glisse comme la mousse.
Tu te mettras toute nue
où il y a des bruyères
et au loin les petits lièvres
bondiront, boulés, pattus.
Le monde est bon et très doux,
les petits lièvres aussi,
et les grands nuages gris,
les palombes et le houx.
Les paysans tristes, sauvages,
sont doux comme les palombes,
mais ils les tuent et les plombs
font saigner les plumes sages.
1894.
I La gomme coule en larmes d’or des cerisiers. Cette journée, ô ma chérie, est tropicale : Endors-toi donc dans le parterre où la cigale Crie aigrement aux cœurs touffus des vieux rosiers. Dans le salon où l’on causait, hier vous posiez... Mais aujourd’hui nous sommes seuls — Rose Bengale ! Endormez-vous tout doucement dans la percale De votre robe, endormez-vous sous mes baisers. Il fait si chaud que l’on n’entend que les abeilles... Endors-toi donc, petite mouche au tendre cœur ! Cet autre bruit ?... C’est le ruisseau sous les corbeilles Des coudriers où dorment les martins-pêcheurs... Endors-toi donc... Je ne sais plus si c’est ton rire Ou l’eau qui court sur les cailloux qu’elle fait luire... II Ton rêve est doux — si doux qu’il fait bouger tes lèvres Tout doucement, tout doucement — comme un baiser... Dis, rêves-tu que sur un roc vont se poser Parmi des thyms chèvrefeuilles de blanches chèvres ? Dis, rêves-tu que sur la mousse, en notes mièvres, La source pure au fond du bois vient à jaser. — Ou qu’un oiseau tout rose et bleu s’en va briser Les fils de Vierge et faire au loin s’enfuir les lièvres ? Rêves-tu que la lune est un hortensia ?... — Ou bien encor que sur le puits l’acacia Jette des fleurs de neige d’or sentant la myrrhe ? — Ou que ta bouche, au fond du seau, si bien se mire, Que je la prends pour une fleur qu’un coup de vent A fait tomber, du vieux rosier, dans l’eau d’argent ?
Oh ! ce parfum d’enfance dans la prairie trempée d’eau et d’azur, parfum de pieuse jonchée de joncs-fleuris sous les pas de processions des hameaux noirs, parfum de fougère écrasée au soir d’un jour torride, quand les inflexions des chants ne peuvent pas mourir et que mon âme a peur de trop aimer, parfum de lys en flammes, comme j’en voyais dans les vieux paroissiens, parfum des dimanches soirs dans les jardins, parfums d’encensoirs purs qui vont à Dieu ensemble, parfum de rosiers qui, à l’aube, tremblent...
La poussière des tamis chante au soleil et vole. Mets ton épaule et tes cheveux sur mon épaule et mes cheveux. L’air est comme l’eau, et les bœufs passent dans le matin froid des chemins boueux. Les cloches des coteaux verts sonnent le dimanche. Tu viens de te lever. Tu es toute blanche. Le silence est grand et très doux comme la ligne qui monte et descend, dans le ciel, sur les collines. On sent qu’on est sain et dans mon esprit bleu, je prie, parce que dans le ciel il y a Dieu.
Tu viendras lorsque les bruyères au soleil près des routes qui se fendent ont des abeilles. Tu viendras en riant avec ta bouche rouge comme les fleurs des grenadiers et des farouches. Tu lui diras que tu l’aimes depuis longtemps, mais en lui refusant ton baiser en riant. Mais lorsque tu voudras le lui donner, alors tremblante et suante, tu verras qu’il est mort.
À Charles de Bordeu
Le soleil faisait luire l’eau du puits dans le verre.
Les pierres de la ferme étaient cassées et vieilles,
et les montagnes bleues avaient des lignes douces
comme l’humidité qui luisait dans la mousse.
La rivière était noire et les racines d’arbres
étaient noires et tordues sur les bords qu’elle râpe.
On fauchait au soleil où les herbes bougeaient,
et le chien, timide et pauvre, par devoir aboyait.
La vie existait. Un paysan disait de gros mots
à une mendiante volant des haricots.
Les morceaux de forêt étaient des pierres noires.
Il sortait des jardins l’odeur tiède des poires.
La terre était pareille aux faucheuses de foin.
La cloche de l’église toussait au loin.
Et le ciel était bleu et blanc, et, dans la paille,
on entendait se taire le vol lourd des cailles.
Quand dans le brouillard qui faisait luire la boue
où nageaient les lumières des grands magasins,
je m’arrêtais en face des tuyaux de zinc
de ta maison ancienne où, la lampe à la joue,
tu brodais à côté de ton petit serin,
l’odeur des îles sortait par les fentes roses
de la fenêtre à carreaux verts, et je sentais
que nous avions vécu bien avant d’être nés
dans une colonie qu’une mer drôle arrose,
et il me semblait encore que j’y étais.
Je voyais de la rue les placards qui luisaient.
Le salon était vieux sans doute et des insectes
sous des épingles très longues avaient des têtes
luisantes et noires. Ils étaient tout usés :
dans le cadre étaient en débris leurs dures ailes.
Par cette journée triste tout ça me revient,
car il fait mauvais temps encore et, dans ma chambre,
il tombe du jour gris pareil à de la cendre.
Toi, les insectes, la lampe, vous êtes loin.
Je me souviens du mois qu’on appelle Novembre.
Si tu lisais ceci tu ne comprendrais pas :
et cependant si tu pouvais comprendre et lire
tu penserais aussi aux contrées exotiques,
aux colonies en jasmin et en chocolat
où allaient d’importants et lourds vaisseaux antiques.
Quand je serai mort, si quelqu’un trouve ces vers :
qu’il aille près des quais d’une ville et te cherche ;
qu’il t’explique ce que l’on appelle un poète
et que là-bas des oiseaux d’or sont sur la mer
où nous avons vécu, amie, avant de naître.
Tu ne comprendras pas ces explications.
Tu seras ramollie et prendras du tilleul
en petit bonnet vieillot et, dans mon cercueil,
je tremblerai d’avoir eu pour toi la passion
du poète à qui ne reste plus que l’orgueil.
J’ai voulu, par orgueil, dédier quelques vers
à une personne comme toi, douce, tendre,
absolument incapable de les comprendre.
Près du vieux feu il y a le bruit de la mer.
Tu es douce comme la Fête-Dieu qui chante.
1895.
Tape le linge dans l’eau claire.
Tes bras qui ont des fossettes
sont beaux. — Tes jambes tu les serres.
Tu es la laveuse. Tu jettes
Dans l’eau le linge dur et sale
des paysans aux douces têtes.
Et puis ensuite tu l’étales
à des ficelles dans les cours
qui sont près de l’obscure étable.
Les dimanches et les grands jours,
il y a des chemises blanches
pour tes frères qui font l’amour.
Tu danses sous les grandes branches,
sur la place publique, au village,
et on a envie de tes hanches.
Pendant ce temps les garçons sages
au tir font péter des capsules
et à la loterie ils gagnent.
... Tu as l’air ainsi d’être heureuse.
Mais demain tape dans l’eau claire
le linge qui fait — plac — laveuse
— en écoutant l’eau sur les pierres.
1889.
Tu t’ennuies ? —
— Elle dure
cette pluie
qui est dure.
Je prends ma
pipe en glaise
que j’allume à
une braise.
Tu es loin
et tu penses
dans un coin
aux vacances.
Les pavés
par la pluie
sont lavés.
Je m’ennuie.
Aux carreaux
blancs, j’écoute
tomber l’eau
froide en gouttes.
Tu ne vien-
dras pas, puisque
tu es loin :
pas de risque.
Tu es loin :
je m’ennuie :
je n’entends rien
dans la pluie :
C’est de l’eau
fine ou dure,
passant tôt
ou qui dure.
Je n’y vois
rien. — Entendre
là des voix
en deuil, tendres ?...
Je ne puis :
c’est la pluie
d’un jour gris
qui essuie.
1888.
À Ernest Caillebar.
Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
Si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon...
Entends là-bas, là-bas, l’âne...
L’hirondelle noire plane,
Les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
La fillette s’en va d’un pas qui fait pencher
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibre à peine se balancent.
Tu écrivais que tu chassais des ramiers
dans les bois de la Goyave,
et le médecin qui te soignait écrivait,
peu avant ta mort, sur ta vie grave.
Il vit, disait-il, en Caraïbe, dans ses bois.
Tu es le père de mon père.
Ta vieille correspondance est dans mon tiroir
et ta vie a été amère.
Tu partis d’Orthez comme docteur-médecin,
pour faire fortune là-bas.
On recevait de tes lettres par un marin,
par le capitaine Folat.
Tu fus ruiné par les tremblements de terre
dans ce pays où l’on buvait
l’eau de pluie des cuves, lourde, malsaine, amère...
Et tout cela, tu l’écrivais.
Et tu avais acheté une pharmacie.
Tu écrivais : « La Métropole
n’en a pas de pareille. » Et tu disais : « Ma vie
m’a rendu comme un vrai créole. »
Tu es enterré, là-bas, je crois, à la Goyave.
Et moi j’écris où tu es né :
ta vieille correspondance est très triste et grave.
Elle est dans ma commode, à clef.
1889.
Viens, je te mettrai des boucles d’oreilles de cerises et je te montrerai les longues treilles où volent des merles bleus et des grives. Viens, c’est la saison des grandes chaleurs et des fleurs. Sur les fossés poudreux les carottes blanches poussent : il y a encor deux ou trois pervenches. Dans le fond des bois frais les oiseaux crient. Le ciel cuit. Dans les mares il y a des joncs longs, et les grenouilles grises font des bonds. Dans les endroits chauds et frais, vois les sources qui sont douces. Dans le terrain rouge, ou bien sur la mousse, elles coulent près des abeilles rousses.
Je sais que tu es pauvre :
tes robes sont modestes.
Mine douce, il me reste
ma douleur : je te l’offre.
Mais tu es plus jolie
que les autres, ta bouche
sent bon — quand tu me touches
la main, j’ai la folie.
Tu es pauvre, et à cause
de cela tu es bonne ;
tu veux que je te donne
des baisers et des roses.
Car tu es jeune fille :
les livres t’ont fait croire
et les belles histoires,
qu’il fallait des charmilles,
des roses et des mûres,
et les fleurs des prairies ;
que dans la poésie
on parlait de ramures.
Je sais que tu es pauvre :
tes robes sont modestes.
Mine douce, il me reste
ma douleur : je te l’offre.
1888.
À Marcel Schwob.
Va, tu sais à présent que Gallus est un sage.
José-Maria de Heredia.
Il s’occupe des travaux de la terre et taille
les haies, ramasse le blé et les figues qui bâillent.
Il a un pavillon dans sa vigne, et il goûte
le vin en bois aigre qu’il examine au jour.
Un lièvre lui mange les choux dans son jardin
où quelques rosiers sont lourds de pluie, le matin.
Parfois on lui porte un acte notarié,
un paysan, pour savoir comment être payé.
Il nettoie son fusil et couche avec sa bonne.
Il fit son droit jadis.
Une photographie
nous le montre triste, pommadé et jauni,
à l’époque de son duel pour une femme.
Il tient un journal à la main et regarde
devant lui.
Que c’est triste, que c’est triste,
je trouve, ce temps où on se nommait Évariste.
Le vieux père et la mère étaient au désespoir...
On avait surpris une lettre de femme, un soir...
Un jour, il est revenu de la capitale
avec un chou de cheveux sur son front pâle.
On a enterré les vieux parents qu’il aimait,
et dont il parle avec un touchant respect.
Il n’a pas d’héritiers et sa succession,
qui sera belle, sera partagée, dit-on,
entre les Dumouras et les Cosset. Qui sait ?
Il vit ainsi, auprès des chênes, et c’est
de longues veillées qu’il passe à la cuisine
où dort le chien rose de feu, où les mouches
salissent de cacas tout ce qu’elles touchent.
Parfois, le matin, il s’essaye à un trombone
triste auquel est habituée sa bonne.
Il vit ainsi doucement, sans savoir pourquoi.
Il est né un jour. Un autre jour il mourra.
Ta figure douce souffrait. Tes larmes que j’ai avalées, petite amie, étaient salées comme une herbe de marée. Elles m’ont mordu la langue... Tu t’en allais tristement prendre l’omnibus lourd et lent, en pleurant que je m’en aille ; et ta bouche sur ma bouche, ta tête faisait des sauts, et tu étais douce en pleurant doucement... Il y a là sur la fenêtre des liserons bleus où il a plu. Ils bougent comme un baiser sur ta fine et douce tête. Tu ne m’as pas ennuyé. Les autres m’ont ennuyé. Mon cœur est triste et ennuyé comme un ange ennuyé. Les mouches volent aux vitres pendant que je pense à toi. Tout est triste comme moi. Tout est triste.
Voici les mois d’automne et les cailles graisseuses s’en vont, et le râle aux prairies pluvieuses cherche, comme en coulant, les minces escargots. Il y a déjà eu, arrivant des coteaux, un vol flexible et mou de petites outardes, et des vanneaux, aux longues ailes, dans l’air large, ont embrouillé ainsi que des fils de filet leur vol qu’ils ont essayé de rétablir, et sont allés vers les roseaux boueux des saligues. Puis les sarcelles, jouets d’enfants, mécaniques, passeront dans le ciel géométriquement, et les hérons tendus percheront hautement ; et les canards plus mols, formant un demi-cercle, trembloteront là-bas jusqu’à ce qu’on les perde. Ensuite les grues, dont la barre a un crochet, feront leurs cris rouillés, et une remplacée par une autre, à la queue, ira fendre à la tête. Viélé-Griffin, c’est ainsi que l’on est poète : mais on ne trouve pas la paix que nous cherchons, car Basile toujours saignera les cochons, et leurs cris aigus et horribles s’entendront, et nous ferons des monstres de petites choses... Mais il y a aussi la bien-aimée en roses, et son sourire en pluie, et son corps qui se pose doucement. Il y a aussi le chien malade regardant tristement, couché dans les salades, venir la grande mort qu’il ne comprendra pas. Tout cela fait un mélange, un haut et un bas, une chose douce et triste qui est suivie, et que l’homme aux traits durs a appelé la vie.
À Christian Cherfils. Confucius rendait les honneurs qui leur conviennent aux morts, dans l’Empire bleu du Milieu. Il souriait parce que l’eau éteint le feu comme la Vie éteint l’homme vers l’époque moyenne. Il n’ornait pas ses paroles merveilleusement comme certaines coupes des Grands de l’Empire. La tanche, qui est comme un vase de Pagode riche, n’a pas besoin d’être ornée artistiquement. Il allait avec une grande modestie au Palais, écoutant sans colère les joueurs de flûte qui adoucissent les sentiments comme la lune adoucit, sur la montagne brûlée, les arbres violets. Il parlait avec une respectueuse cérémonie aux principaux de la ville et au chef de la guerre. Il était bon, sans familiarité vulgaire, avec les gens du commun et mangeait leur riz. Il se plaisait aux choses de la Musique, mais préférait les instruments de simple roseau cueilli près des marais de vase douce et jaune où l’oiseau sans nom qui fait yu-yu se niche. Il se permettait, pour le bien de son estomac, les épices. Il aimait, vers le soir, à discuter de belles sentences, et il aurait voulu qu’on suspendît aux potences qui servent aux lanternes, des moraleries. Il parlait peu d’amour, davantage de la mort, quoiqu’il déclarât que l’homme ne peut la connaître. Il aimait voir les jeunes gens à la fenêtre, les trouvant bien, à demi cachés par les ricins gris mais rouges. Le soir il allumait des baguettes de parfum, puis tournait gravement un moulinet où les prières s’enlaçaient comme de belles pensées dans la cervelle d’un jurisconsulte ou d’un poète de talent. Il allait aussi voir les bâtiments de la Province, se réjouissant de leur propreté et du bon ton des navigateurs policés dont les réflexions étaient profondes et claires comme le désert marin. À ceux lui demandant des choses sur la chair, Confucius dit : la vôtre est pareille à l’autre et la mienne à la vôtre ; le sens de ceci est clair. Puis il regarda en souriant son cercueil. 1895.
I Je t’aime et ne sais ce que je te voudrais. Hier mes jambes douces et claires ont tremblé quand ma gorge t’a touché, lorsque je courais. II Moi, le sang a coulé plus fort comme une roue, jusqu’à ma gorge, en sentant tes bras ronds et doux luire à travers ta robe comme des feuilles de houx. I Je t’aime et je ne sais pas ce que je voudrais. Je voudrais me coucher et je m’endormirais... La gentiane est bleue et noire à la forêt. II Je t’aime. Laisse-moi te prendre dans mes bras... La pluie luit au soleil sur les arbres du bois... Laisse-moi t’endormir et tu m’endormiras. I J’ai peur. Je t’aime et ma tête tourne, pareille aux ruches du vieux banc où sonnaient les abeilles qui revenaient gluantes des raisins des treilles. II Il fait chaud. Les blés sont remplis de fleurs rouges. Couche-toi dans les blés et donne-moi ta bouche. Les mouches bleues au bas de la prairie — écoute ? I La terre est chaude. Il y a là-bas des cigales près du vieux mur où sont des roses du Bengale, sur l’écorce blanche et rugueuse des platanes. II La vérité est nue et mets-toi nue aussi. Les épis crépiteront sous ton corps durci par la jeunesse de l’amour qui le blanchit. I Je n’ose pas, mais je voudrais être nue ce soir... Mais tu me toucherais et j’aurais peur de toi. Je serais toute blanche et le soir serait noir. II Les geais ont crié dans le bois, car ils aiment. Les capricornes luisants s’accrochent aux chênes. Les abeilles qui aiment les longs vols blonds essaiment. I Prends-moi entre tes bras. Je ne peux plus qu’aimer et ma chair est en air, en feu et en lumière, et je veux te serrer comme un arbre un lierre. II Les troupeaux de l’Automne vont aux feuilles jaunes, la tanche d’or à l’eau et la beauté aux femmes et le corps va au corps et l’âme va à l’âme.
En songeant à ta maison à carreaux verts dont le loquet de la porte est tiède en été, je me suis dit que tu étais, mais grandie, peut-être, une petite fille qui avait cinq années lorsque je la vis dans une propriété où elle habitait avec son tremblant grand-père. Te souviens-tu ? C’était un dimanche lourd et blanc, à cette époque où nous étions tous deux enfants. Il y avait des rosiers près des poiriers en cône, et des hannetons en métal vert sur les roses, et, petite fille que je suivais tout doucement, tu marchais à petits pas vers un moineau posé en me disant : je vais prendre l’oiseau. Mais maintenant la douceur d’enfance est partie comme une grive. Oh ! quand nous étions les petits... Mon cœur a débordé comme ces pots de terre où l’on cuit, au feu noir, la cuisine des pauvres.
Tu rirais d’un pauvre diable qui t’aimerait
et cependant tu pourrais devenir la chienne
d’un homme qui ne t’aimerait pas et rirait.
Crois-moi : préfère le pauvre diable sans haine
qui serait pour toi très complaisant et très doux.
Puis, qu’est-ce qui te dit que, comme une chérie,
tu ne mettrais pas tes minces bras à son cou
en croisant tes petits doigts comme quand on prie ?
Va : n’attends pas un grand poète à cheveux longs :
il n’en existe pas plus que des mousquetaires
ou que des princes russes distingués et blonds :
le bien-aimé ne se trouve pas sur la terre ;
et pourtant devant le pauvre diable tu ris
parce que tu lisais, étant toute petite,
dans les livres de distribution des prix
que les beaux fiancés se faisaient aimer vite.
Regarde les vieux qui sont ridés et tout blancs
et qui dans leur temps croyaient, eux aussi, des choses :
ils ont de grosses veines dans leurs doigts tremblants
et sont confus de s’être offert jadis des roses.
Puis, je crois que, si l’on a plus tard des enfants,
il vaut bien mieux qu’un peu d’amitié vous rapproche :
car l’amitié fait mieux aimer l’enfant — souvent
la femme embrasse son mari contre son mioche.
1888.
Je souffre, mais ma douleur n’est pas en colère, bien que des gens aient ri parce que je souffrais. Un homme m’a fait du mal, mais je paierai, avec un peu d’argent économisé, mon âme claire. Je pense à toi qui ne m’as fait ni mal ni bien. Tu as, en posant le pied, tout ton corps qui chante et se lève, ton corps pur comme la source où la menthe brille, près des génisses gardées par le chien. Le monde ne veut pas tout ce que je voudrais. Sans cela ce serait simple puisque je t’aime. Que cette musique est triste dans la petite rue en neige... Et pourtant, ce qui ne se peut pas se pourrait. Tu viendrais maintenant à ma petite table. Je te regarderais comme toi. Doucement, en oubliant, mes bras glisseraient en tremblant sur tes bras qui glissent comme l’eau sur le sable. Ma bouche sur ta bouche et mon corps sur ton corps, tu sourirais. Les chênes ont les feuilles pourries. Les enfants poursuivaient un petit chien timide. Cela est vivant, mais l’amour de toi est mort. Si j’avais été un Arabe, je t’aurais placée dans un pays d’eaux vives et de grenades et où des chameaux bleus roulent sous des arcades, porteurs d’outres et de gourdes où est l’eau glacée... Écoute ma tristesse pareille au grillon qui chante dans la suie luisante comme le sel. Viens, nous avons des bras. Tu mangeras le miel que les abeilles font, l’automne, à l’horizon.
Les petites colombes de l’escamoteur, la petite colombe et sa petite sœur, devaient souffrir, tous les jours, dans la petite boîte, dans la chambre d’hôtel, — et puis encore quand, le soir, elles étaient dans la manche de l’habit noir et qu’elles sortaient à la lumière de la représentation coutumière.
Ô toi, Rose moussue et blonde, à tes oreilles, Que mes vers chantent comme un murmure d’abeilles. Que mon regard, vers toi glisse comme la Nuit Qui glisse et qui t’endort sous l’or dont elle luit ! Que je te charme en invocations très douces, — Comme les chants de la rosée au fond des mousses ! Quand tu voudras mon cœur pour t’amuser, je veux Qu’il soit comme une fleur de sang dans tes cheveux ! Lorsque je pleurerai, je veux, ô petite oie, Que tu prennes mes cris pour des accès de joie, Et, lorsqu’on me mettra dans l’ombre du cercueil, Que ta dernière larme embellisse ton œil, Pour que ceux qui vivront, en te voyant plus belle, Admirent dans ma mort ta jeunesse immortelle.
Amie, souviens-toi de ce jour où les prairies étaient de pierre, où les vallées étaient mouillées par la lumière, où les montagnes avaient les teintes de ces liqueurs balsamiques fabriquées par des religieux. C’était au soir et je sentais que s’élargissait mon cœur vers la neige des hauts pics dorés, verts, et des pleurs montaient à mes yeux en songeant au pays de mon enfance, là-bas, vers l’air pur et froid, vers les neiges denses, vers les montagnards, vers les bergers, vers les brebis, vers les chèvres et les chiens gardiens et les flûtes de buis que les mains calleuses rendent luisantes, vers les cloches rauques des troupeaux piétinants, vers les presbytères doux, vers les gamins qui suivaient en chantant les conscrits qui chantaient, vers les eaux d’été, vers les poissons blancs aux ailes rouges, vers la fontaine de la place du village où j’étais un petit garçon triste et sage.
La ferme était luisante et noire et des tamis pendaient aux murs. Le Dimanche était triste et beau, et les maïs n’étaient pas mûrs. De bonne heure il avait quitté ses père et mère, pour les missions ; et il nous racontait qu’il buvait l’eau amère, en corruption. Il était en congé, et parlait de pagodes et de païens, et de fleuves pourris, de vase douce et jaune, et de chrétiens. Il parlait de supplices où l’on casse les ongles en vous brûlant, de coups de queue de raie, du grand Esprit, de l’ombre empoisonnant. Il était donc parti de la ferme luisante, près de l’église blanche, et il était allé aux pays des sanglants vomissements. Il était de retour et, auprès de l’armoire, les vieux parents étaient émus, voyant la longue barbe noire du prêtre errant. Il disait : je fumais, nu-pieds, la nuit, ma pipe... Les Annamites cernèrent la case. Ils étaient armés de piques... J’avais une trique... Et il disait cela, et la ferme était triste où il était né... Dans la nuit du soleil on croyait voir pleurer la mère triste.
Je regardais le ciel et je ne voyais
que le ciel gris,
et un oiseau qui volait haut. Je n’entendais
pas un seul cri.
Et l’on aurait dit qu’il ne savait où aller
dans le ciel mou,
et qu’il se laissait tomber, au lieu de voler,
comme un caillou.
Puis il est parti. — Alors j’ai regardé bas :
j’ai vu les toits.
Que faisait cet oiseau si haut ? — Je ne sais pas ;
mais, cette fois,
en regardant ce point noir — je n’avais pensé
qu’à ce point noir
et qu’au grand ciel gris où ce petit point passait.
C’était hier soir.
1889.
Le chat est auprès du feu ; le pot bout.
Cette cuisine est très noire
et deux saucisses rouges sont au bout
d’une vieille canne noire.
Il pleut sur le vitrage de la cour.
Les vitres sont toutes noires,
et dehors la pluie qui est fine court
devant les fenêtres noires.
Je pense que je voudrais bien baiser,
dans sa robe toute noire,
une jeune fille auprès du brasier
de cette cuisine noire.
On verrait luire la lampe à gaz-mill
sur la cheminée qui est noire...
Ma petite chatte qui est très gentille
fait ronron et paraît noire.
Les carreaux rouges sont luisants, mouillés.
Les souches de vigne sont noires,
et les chenets en fer sont tout rouillés.
La cuisine est toute noire.
Mais si tu étais en chemise auprès
des tisons tout noirs, je pense
que là, toute seule tu serais
blanche, blanche, blanche, blanche.
1889.
À Laurent Deville.
Pourquoi les bœufs traînent-ils les vieux chars pesants ?
Cela fait pitié de voir leur gros front bombé,
leurs yeux qui ont l’air de souffrance de tomber.
Ils font gagner le pain aux pauvres paysans.
S’ils ne peuvent plus marcher, les vétérinaires
les brûlent avec des drogues et des fers rouges.
Et puis dans les champs pleins de coquelicots rouges
les bœufs vont encore herser, racler la terre.
Il y en a qui se casse un pied quelquefois ;
alors on tue celui-là pour la boucherie,
pauvre bœuf qui écoutait le grillon qui crie
et qui était obéissant aux rudes voix
des paysans qui hersaient sous le soleil fou,
pauvre bœuf qui allait il ne savait où.
À Léopold Bauby Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce ? J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien. J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre, pendant que la neige lourde tombait dehors, J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors je fume une pipe en bois avec un bout d’ambre. Ma vieille commode en chêne sent toujours bon. Mais moi j’étais bête parce que ces choses ne pouvaient pas changer et que c’est une pose de vouloir chasser les choses que nous savons. Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C’est drôle ; nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas et cependant nous les comprenons, et les pas d’un ami sont plus doux que de douces paroles. On a baptisé les étoiles sans penser qu’elles n’avaient pas besoin de nom, et les nombres qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre passeront, ne les forceront pas à passer. Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses de l’an dernier ? À peine si je m’en souviens. Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien, si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce ? 1888.
À Mademoiselle M. R.
C’était affreux ce pauvre petit veau qu’on traînait
tout à l’heure à l’abattoir et qui résistait,
et qui essayait de lécher la pluie
sur les murs gris de la petite ville triste.
Ô mon Dieu ! Il avait l’air si doux
et si bon, lui qui était l’ami des chemins en houx.
Ô mon Dieu ! Vous qui êtes si bon,
dites qu’il y aura pour nous tous un pardon
— et qu’un jour, dans le Ciel en or, il n’y aura
plus de jolis petits veaux qu’on tuera,
et, qu’au contraire, devenus meilleurs,
sur leurs petites cornes nous mettrons des fleurs.
Ô mon Dieu ! Faites que ce petit veau
ne souffre pas trop en sentant entrer le couteau...
L’évier sent fort, la muraille est blanche, les cruches sont fraîches, le soleil fend la terre sèche. Entre... Ce sont de pauvres pauvres. Voici leur chienne gonflée de lait et qui dort. Entre... La lessive coule Tristement, tristement On l’entend. On l’entend. Entre... Si tu ne peux plus supporter ton cœur dans la ville qui t’a perdu, entre... Tu prendras ma main en baissant le front, et nous pleurerons. Entre... Tout sera plus gai, tout sera plus tendre. Je te consolerai. Entre...
J’ai une pipe en bois, noire et ronde comme le sein d’une petite négresse dont j’ai vu le dessin dans un livre intéressant où elle était nue... Cette pipe me fait songer que dans la rue et dans les jardins publics pleins de moineaux, de petits pains brisés dans la boue, de jets d’eau, on rencontre de bonnes négresses en foulards jaunes. Elles sont douces et tristes comme les mois de l’Automne. Elles sont l’esclavage d’autrefois. L’esclavage... Ce mot fait penser à de lointains parages, aux colons de Saint-Domingue, à de la mélasse, à des chairs noires et à du sang et à des faces en dents blanches où rit la douleur. Douces négresses, promenez-vous tout doucement dans les allées. Au lieu de fers aux poignets, que des bracelets y brillent comme les soleils de votre pays. Vous vous arrêterez quelquefois, femmes au doux cœur, devant les magasins des oiseleurs où tout crie. Et vous penserez un peu, mais pas trop, étant un peu abruties, à des soirs en feu, à des jeux d’enfance où brillaient des plumages et à des crabes qui étaient sur la plage.
À Charles de Bordeu
L’âne était petit et plein de pluie et tirait
la charrette qui avait passé la forêt.
La femme, sa petite fille, et le pauvre âne
faisaient leur devoir doux, puisque dans le village
ils vendaient pour le feu le bois des fruits de pin.
La femme et la petite fille auront du pain
qu’elles mangeront dans leur cuisine, ce soir,
près du feu que la chandelle rendra plus noir.
Voici Noël. Elles ont des figures douces
comme la pluie grise qui tombe sur la mousse.
L’âne doit être le même âne qu’à la crèche
qui regardait Jésus dans la nuit noire et fraîche :
car rien ne change et s’il n’y a pas d’étoile,
cette nuit, qui mène à Jésus les mages vieux,
c’est que cette comète au tremblement d’eau bleue
pleure la pluie. C’était aussi simple autrefois,
quand les anges chantaient dans la paille du toit ;
sans doute que les étoiles étaient des cierges
comme ceux qu’il y a aujourd’hui près des vierges
et, sans doute, comme aujourd’hui les gens sans or,
que Jésus, sa mère et Joseph étaient des pauvres.
Il y a cependant nous autres qui changeons
si rien ne change. — Et ceux qu’aime bien le bon Dieu,
comme autrefois aussi sous l’étoile d’eau bleue,
c’est les ânes très doux aux oreilles bougeantes,
avec leurs jambes minces, roides et tremblantes,
et les paysannes douces et naïves du matin
qui vendent pour le feu le bois des fruits du pin.
Je pense à Jean-Jacques Rousseau, aux matinées de cerises mouillées, avec des jeunes filles. Il était fantasque et aimant par les belles soirées, au clair de lune, avec Madame d’Erneville (?) Il disait, à peu près des phrases comme ici : Non ! Je ne vis jamais gorge mieux faite... C’est dans ce temps que je lus un nouveau poète... Mes bas étant troués, elle m’en fit raillerie. Où es-tu, vieux temps ? Où es-tu, triste botaniste qui cueillais dans les bois la mousse et le colchique ? Dans les Académies, on posait des principes. On demandait raison au nom de la Justice. Ô Jean-Jacques ! Au fond des humides bois noirs, sur le flanc des collines vertes, par les beaux dimanches, tu causais avec l’Éternel et tu allais boire à la source de la Vérité toute blanche. Thérèse préparait la soupe. Pendant ce temps tu répondais à d’injustes accusations, ou bien à quelque amie pour qui ta passion acheva de ruiner ta santé chancelante. Je crois entendre encore claquer un clavecin. Une avait un point noir tout au coin de la lèvre, et un autre pareil sur le milieu du sein !... La lune qui brillait augmentait votre fièvre. Jamais tu n’aimas mieux que cette fois encore. Des enfants qui jouaient abîmaient la pelouse. Tu fus pressant. Mais elle, avec grâce jalouse, ne te permit que ce que la bienséance accorde. Ô Jean-Jacques ! Ton singulier souvenir est comme une vieille et jaune liasse de lettres décachetées et couvertes de taches d’encre et de pluie, triste à faire mourir.
À F. Rosenberg Au moulin du bois froid où coule de l’eau claire, près des rochers, il y a de la fougère. Tout près du bois bleu, une jeune fille blonde lavait le linge et l’eau coulait à l’ombre. Et elle avait retroussé sa robe assez haut : on voyait ses jambes blanches dans l’eau. Et les chemins étaient frais, étroits, mauvais, noirs, comme si ç’avait été le soir. Les chênes ronds et durs empêchaient la chaleur et, sur la mousse, il y avait des fleurs. Nous marchions sur les petits cailloux des sentiers, près des ronces rouges, des églantiers. Parce qu’on dépiquait du froment, la batteuse ronflait au soleil sur la paille creuse. Mais je repasserai dans le bois où dans l’eau une fille fraîche a la robe haut. J’irai sur la noire et violette bruyère couper avec effort de la fougère. Est-ce que la nuit, quand il y a des étoiles, elle lave encore au ruisseau ses toiles ? Pourquoi cela ? — Bah ! sur la bruyère violette, sur la fille chantera l’alouette. Et je repasserai dans le bois où dans l’eau cette fille blanche a la robe haut. 1889.
À Charles Veillet. Il y avait des carafes d’eau claire dans le petit jardin noir du ministre protestant, à sa maison qui a un air sévère ; et il y avait aussi de gros verres sur la nappe. Il y avait des feuilles aux contrevents. Le mois de Juin. Sur la petite allée, un morceau de canne à ligne, cassée et en roseau, avait été jeté, et la journée était grise et, comme l’on dit, chargée, et comme quand il doit tomber de grosses gouttes d’eau. Par la fenêtre noire, triste, ouverte, on entendait un piano dans les lauriers luisants. Les petites fenêtres étaient vertes. Là on devait être bien heureux, certes, comme dans livres de Rousseau il y a longtemps. 1889.
Les badauds faisaient des expériences où l’on voyait la foule en pantalons courts. On tirait des étincelles avec ignorance et on risquait d’être foudroyé du coup. On montait des ballons ornés comme un théâtre. Ils n’allaient pas bien et on se tuait. Les frères Montgolfier avaient de l’audace. L’Académie des sciences s’émouvait.
La jeune fille un peu souffrante me sourit et me dit : vous croyez ? Elle est en innocence et porte une petite bague d’argent tressé. Je vois tout près de moi ce petit corps si faible et je me penche en souriant vers cette enfant et lui dis : mademoiselle, qu’est devenue la supérieure du couvent ? Elle me répond : elle a été nommée ailleurs, — ou autre chose. — Et en disant cela elle a l’air d’une rose pas encore en fleur. — Oh ! vous... dit-elle — et n’achève pas sa phrase commencée qui est finie. Et je lui dis tout bas : est-ce que vous souffrez ? — Un peu moins ; cette nuit un peu des bras. — C’est égal !... Vous êtes bien mieux. Et un rayon qui rit glisse de ses yeux à travers ses cils et très bas. Elle a l’air d’une jolie petite poupée, — d’une poupée d’enfant riche. Elle est mince et pourtant sous son châle s’arrondit son épaule timide.
Quand verrai-je les îles où furent des parents ?
Le soir, devant la porte et devant l’océan
on fumait des cigares en habit bleu barbeau.
Une guitare de nègre ronflait, et l’eau
de pluie dormait dans les cuves de la cour.
L’océan était comme des bouquets en tulle
et le soir triste comme l’été et une flûte.
On fumait des cigares noirs et leurs points rouges
s’allumaient comme ces oiseaux aux nids de mousse
dont parlent certains poètes de grand talent.
Ô Père de mon Père, tu étais là, devant
mon âme qui n’était pas née, et sous le vent
les avisos glissaient dans la nuit coloniale.
Quand tu pensais en fumant ton cigare,
et qu’un nègre jouait d’une triste guitare,
mon âme qui n’était pas née existait-elle ?
Était-elle la guitare ou l’aile de l’aviso ?
Était-elle le mouvement d’une tête d’oiseau
caché lors au fond des plantations,
ou le vol d’un insecte lourd dans la maison ?
Choü, mai 1895.
À Stéphane Mallarmé
Il y a un petit cordonnier naïf et bossu
qui travaille devant de douces vitres vertes.
Le dimanche il se lève et se lave et met sur
lui du linge propre et laisse la fenêtre ouverte.
Il est si peu instruit que, bien que marié,
il ne parle jamais, paraît-il, sur semaine.
Je me demande si le Dimanche, quand ils promènent,
il parle à sa femme vieille et toute courbée.
Pourquoi fabrique-t-il des souliers, marchant peu ?
Ah !... Il fait son devoir et fait marcher les autres.
Aussi il y a une pureté dans le petit feu
qui s’allume chez lui et luit comme de l’or.
Aussi, lorsqu’il mourra, les gens au cimetière
le porteront, lui qui les aura fait marcher.
Car Dieu aime bien les pauvres et les pierres
et lui donnera la gloire d’être porté.
Ne riez pas ! Qu’est-ce que tu as fait de bon ?
Tu n’as pas la douceur de cette lueur verte
qui passe doucement par la vitre entr’ouverte
où il taille le cuir et croise les cordons.
Crois-tu donc, toi qui mets des ornements,
et parce que tu plais à des femmes en parfum,
que tu as sur le front ce vert rayonnement
d’une douleur triste et douce comme une chanson ?
Ô petit cordonnier ! cloue tes clous encore longtemps.
Les oiseaux qui passeront au doux printemps
ne regarderont pas plus les couronnes de roi
que ton vieux couteau qui coupe le pauvre pain noir.
Je m’embête ; cueillez-moi des jeunes filles et des iris bleus à l’ombre des charmilles où les papillons bleus dansent à midi, parce que je m’embête et que je veux voir de petites bêtes rouges sur les choux, les ails (on dit aulx), les lys. Je m’embête. Ces vers que je fais m’embêtent aussi, et mon chien se met à loucher, assis, en écoutant la pendule qui l’embête comme je m’embête. Vraiment ces trois cils de ce chien de chasse, de ce chien de poète, sont cocasses. Je voudrais savoir peindre. Je peindrais une prairie bleue, avec des mousserons, où des jeunes filles nues danseraient en rond autour d’un vieux botaniste désespéré, porteur d’un panama et d’une boîte verte et d’un énorme filet à papillons vert. Car j’apprécie les jeunes filles et les gravures excessivement coloriées où l’on voit un vieux botaniste éreinté qui longe un torrent et se dirige vers l’auberge.
J’écris dans un vieux kiosque si touffu
qu’il en est humide et, comme un Chinois,
j’écoute l’eau du bassin et la voix
d’un oiseau — là, près de la chute (chutt !!)
d’eau. Je vais allumer ma pipe.
Ça y est. J’en égalise la cendre.
Puis le souvenir doucement descend
en inspiration poétique.
« Je suis venu trop tard dans un monde
trop vieux » et je m’embête, je m’embête
de ne pas assister à une ronde
de petites filles aux grands chapeaux étalés.
— Cora ! tu vas salir le bas de ton
pantalon, en touchant à ce vilain chien.
Voilà ce qu’eussent dit, dans un soir ancien,
les petites filles au bon ton.
Elles m’auraient regardé, en souriant,
fumer ma pipe tout doucement,
et ma petite nièce eût dit gravement :
Il rentre faire des vers maintenant.
Et ses petites compagnes, sans comprendre,
auraient arrêté une seconde
le charmantage de leur ronde,
croyant que les vers allaient se voir — peut-être.
— Il a été à Touggourt, ma chère,
eut dit le cercle des écolières
plus âgées. Et Nancy eût déclaré :
il y a des sauvages et des dromadaires.
Puis, j’aurais vu déboucher sur la route
le caracolement des ânes
de plusieurs messieurs et de plusieurs dames
revenant, le soir, d’une cavalcade.
Mon cœur, mon cœur, ne retrouveras-tu
que dans la mort cet immense amour
pour ceux que tu n’as pas connus
en ces tendres et défunts jours ?
1897
À Eugène Carrière. Voici le grand azur qui inonde la petite ville. Les paysans sont arrivés pour le marché. Des petits enfants ont des bas couleur de cerise. Ils sont venus le long de la fraîcheur des haies. Là-bas, la neige des montagnes casse le ciel. Oh ! que tout cela est doux, est édifiant !... On voit des vaches d’or et des cochons d’argent, et des vieilles qui vendent du fromage et du sel. La mairie est carrée avec sa vieille horloge qui retarde toujours même lorsqu’elle avance. Et les platanes bleus sous qui l’ombre s’allonge abritent les ménétriers et les hommes qui dansent en rebondissant, légèrement, sur leurs blanches sandales. Et les filles arrivent et se mêlent à eux. Elles posent à terre des paniers pleins d’œufs et, sérieusement et douces, elles dansent. Ce n’est qu’un calme, avec des mouches silencieuses qui tournent au soleil dans l’azur accablant et, là-bas, du côté du foirail en feu blanc, un âne aux dents jaunes brait sous les tranquilles cieux. Les enfants regardent luire dans de belles fioles des bonbons tout suants et doux à la salive, et l’on voit passer de bien élégantes filles, aux doux cheveux noirs et luisants, aux jupes sonores. Elles causent avec les doux adolescents qui tiennent l’aiguillon qui piquera la croupe des bœufs au front barré, qui l’un à l’autre s’arc-boutent, les jambes obliques, pour traîner les chars criants. Le retentissement des auberges s’enflamme. Le café est versé sur les tables de bois. Les pactes se concluent et lents, magnifiques et graves, les pères des maisons et les jeunes fils boivent. Voici le pharmacien aux boules vertes et rouges, voici le cordonnier des pauvres pauvres gens, voici la mercière aussi grise qu’un songe dans sa pauvre boutique où entrent peu de chalands. Voici mon métayer avec ses mains calleuses qui a coupé la tuie sur le coteau aride et dont le cou de brique garde de saintes rides. Voici le ronflement des tremblantes batteuses. Voici les petits garçons revenant de l’école, de l’encre aux doigts, avec de modestes cartables, voici les chevaux lourds et luisants des gendarmes, voici les marchandes d’agneau frisées aux tempes. Voici le facteur rural qui va là-bas, vers les chemins qui sont comme des fleurs en ruisseaux, voici les moineaux roux plus doux que des enfants, voici les pigeons bleus plus doux que des moineaux. Voici le cimetière à la tristesse gaie, où, un jour, si Dieu veut, je m’en irai dormir... Je veux des églantiers plus doux que des désirs... Allez, et cueillez-les dans la plus belle haie. Voici dégringoler les noires petites rues, voici le clocher blanc tout fleuri d’hirondelles et le marchand de bibles et la tranquille allée où l’on promène doucement au crépuscule. Voici les doux enfants jouant à la marelle : Marie-Louise, Aurélie et bien d’autres encore... Ils sont plus innocents que la rosée des roses qui pleurent sur la douce et usée margelle... Ils chantent, se tenant les mains en un rondeau. Ils chantent, doucement ineffables, ces mots : « Au rondeau du Mayaud, au rondeau du Mayaud, Ma grand’mère, ma grand’mère, ma grand’mère a fait un saut. » Voici d’autres enfants portant des arrosoirs, et la tranquillité des tombées tendres des soirs. Voici le cliquetis des sabots d’écoliers qui courent, comme des graines, au vent léger. Voici, au-dessus des murs de lézards et de lierre, de roses arbres plus doux que ma bien-aimée n’est douce, mon aimée plus douce que les eaux, plus douce que l’écorce légère des roseaux. Voici des abricots sucrés comme sa bouche, voici sur les platanes le cri aigre des cigales, et voici la colline où, après les averses douces, l’arc-en-ciel fleurit comme un grand verger pâle. Voici des papillons plus papillons que l’azur, et voici le gazon qui ressemble à l’azur. Voici une hirondelle et voici un mendiant, et les rogations qui enchantent par leurs chants. Voici les ânes doux qui crèvent sous les bâts. Voici les vieilles fées qui portent dans leur cabas l’ombre mystérieuse, fraîche et centenaire, des baisers échangés à l’ombre des chaumières. Voici une daüne montée sur une grande mule. C’est la maîtresse d’une grande maison paysanne. Elle range le linge au fond frais d’une armoire immense, en une salle aux grands rideaux de tulle où, l’été, voltigent et bourdonnent les mouches bleues. Voici encore les jeunes filles des environs, plus fraîches qu’aux mousses ne sont les mousserons, plus fraises que la fraise au fond du ravin bleu. Voici encore le calme de ma douce chambre, voici Flore ma chienne, voici Marbot mon chien, voici Nice mon chat et Li-Ti-Pu ma chatte, et les portraits d’amis dans tout cet air ancien. Voici le châle guadeloupéen de ma grand’mère, voici aussi ici la toute petite chaise où mon père, à sept ans, devait être bien à l’aise, alors qu’il traversait les étoiles des mers... Laisse-moi, ô mon Dieu, m’agenouiller à terre. Je veux te célébrer en pleurant dans mes mains. Si je suis malheureux, c’est que c’est un mystère : tu as consolé Job souffrant sur le purin. Tu m’as donné la vie. N’est-ce assez, ô mon Maître ? Voici les toits de zinc, le pont, le gave vert, et la petite ville aux obscures fenêtres, et les brebis avec le chien et le berger. 1897.
Cette personne a dit des méchancetés :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Alors j’ai été révolté.
Et j’ai été me promener près des champs
où les petits brins d’herbes ne sont pas méchants,
avec ma chienne et mon chien couchants.
Là, j’ai vu des choses qui jamais
n’ont dit aucune méchanceté,
et de petits oiseaux innocents et gais.
Je me disais, en voyant au-dessus des haies
s’agiter les tiges tendres des ronciers :
ces feuilles sont bonnes. Pourquoi y a-t-il des gens mauvais ?
Mais je sentais une grande joie
dans ce calme que tant ne connaissent pas,
et une grande douceur se faisait en moi.
Je pensais : oiseaux, soyez mes amis.
Petites herbes, soyez mes amies.
Soyez mes amies, petites fourmis.
Et là-bas, sur un champ en pente,
auprès d’une prairie belle et luisante,
je voyais, près de ses bœufs, un paysan
qui paraissait glisser dans l’ombre claire
du soir qui descendait comme une prière
sur mon cœur calmé et sur la terre.
1897
Du courage ? Mon âme éclate de douleur.
Cette vie me déchire. Je ne puis plus pleurer.
Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il, qu’y a-t-il, dans mon cœur ?
Il est silencieux, terrible et déchiré.
Pourtant qu’avais-je fait que de fumer ma pipe
devant les doux enfants qui jouaient dans la rue ?
Un serrement affreux me casse la poitrine.
Je ne puis plus railler... C’est trop noir, trop aigu.
Ô toi que j’ai aimée, conduis-moi par la main
vers ce que les hommes ont appelé la mort,
et laisse, à tout jamais, sur le mortel chemin,
ton sourire clair comme un ciel d’azur dans l’eau.
L’espoir n’existe plus. C’était un mot d’enfance.
Souviens-toi de ta triste enfance et des oiseaux
qui te faisaient pleurer, tristes dans les barreaux
de la cage où ils piaillaient de souffrance.
Aimer. Aimer. Aimer. Abîmez-moi encore.
Je crève de pitié. C’est plus fort que la vie.
Je voudrais pleurer seul comme une mère douce
qui essuie avec son châle la tombe de son fils.
1897.
Avant que nous rentrions, nous promenâmes.
Il me semblait que nous tenions un bouquet d’âmes,
et nous disions des mots qui nous faisaient nous taire.
La nuit pure coulait dans l’eau du torrent vert
et, sur les pics, flottaient des nuées immobiles
pareilles aux nuées de quelque vieille bible.
Une bonté d’amour faisait pencher ta tête ;
je ne sais quoi de grave et de grand comme un poète
faisait nos cœurs pareils à de la vérité.
Nous hésitions longuement et lentement à rentrer,
sachant que nos bras nus devaient s’ouvrir ensemble,
sans une hypocrisie et sans timidité.
Plus douces que des orphelines qui ont chanté,
les âmes des étoiles blanches et tristes priaient.
Tu me disais des choses délicieuses que l’on a dites.
Tu me disais : « Tu es un tout petit enfant. »
Et ta voix se traînait sur ces mots, détachant
les syllabes et disant : « Un-tout-pe-tit-en-fant. »
Je te disais : nous sommes allés à la même école,
quand tu avais quatre ans. N’est-ce pas que c’est drôle ?
Et tu relevais la tête et tes yeux noyés de douceur
me donnaient un regard qui me buvait le cœur.
« Petit ami, » me disais-tu, « que c’est calme ! »
Et nous nous taisions, ne sachant plus nos âmes...
Nos deux corps se sont fondus comme des pêches
brûlantes de soleil sur un même pêcher.
Tu disais : « Cette nuit n’a été qu’un baiser...
C’est fou. » Et quand, soûls d’amour,
le jour parut, tu dis : « Que vient faire le jour ? »
Tes dents mordaient mes dents et me brisaient la bouche...
L’aube tremblait sur ton profil presque farouche.
Je te disais : tais-toi ! quand tu ne disais rien.
Puis nous sommes sortis dans la campagne fraîche.
Nous nous sommes assis sur un mur ébréché.
Sur la montagne immense un oiseau criait.
Nous avions peur qu’il ne fût triste à ainsi crier...
Et moi je te disais, pour calmer ton doute :
la mère de l’oiseau qui crie ainsi, comme toutes les
mères des oiseaux, va lui apporter à manger.
« Tu crois ? » me disais-tu, et tu me souriais.
Et nous avons marché, et t’ai donné à boire
de l’eau de source avec nos lèvres ensemble.
Tu as crié : « Qu’elle est fraîche ! Oh ! qu’elle est fraîche ! »
... Alors il plut. La pluie courait sur la montagne.
C’était la pluie qui fait rêver les villages,
la pluie au bruissaillement tendre et léger,
la pluie qui tinte, la pluie qui pleure du soleil,
la pluie qui arrose les clairs arcs-en-ciel,
la pluie qui fait courir et frissonner les poules.
Et nous fîmes attention à la boue...
Nous sommes rentrés doucement pour déjeuner
et, à table, nous nous sommes disputés
sérieusement, et tu as failli pleurer
que je n’admette pas une de tes idées...
Tout cela pour, plus tard, retomber dans nos bras nus,
et pour recommencer des caresses où tu
pâlissais dans la lourdeur de tes beaux cheveux.
Maintenant, tu es loin, amie. Mais je veux
que ces vers que liront quelques lointains amis
fassent qu’ils t’aiment un peu sans te connaître
et que, s’ils passent un jour sous la fenêtre
de cette chambre douce où nous nous sommes aimés...
ils ne sachent point que c’est là...
1897.
Écoute, dans le jardin qui sent le cerfeuil, chanter, sur le pêcher, le bouvreuil. Son chant est comme de l’eau claire où se baigne, en tremblant, l’air. Mon cœur est triste jusqu’à la mort, bien que de lui plusieurs aient été, et une soit — folles. La première est morte. La seconde est morte ; — et je ne sais pas où est une autre. Il y en a cependant encore une qui est douce comme la lune... Je m’en vais la voir cet après-midi. Nous nous promènerons dans une ville... Ce sera-t-il dans les clairs quartiers de villas riches, de jardins singuliers ? Roses et lauriers, grilles, portes closes ont l’air de savoir quelque chose. Ah ! si j’étais riche, c’est là que je vivrais avec Amaryllia. Je l’appelle Amaryllia. Est-ce bête ! Non, ce n’est pas bête. Je suis poète. Est-ce que tu te figures que c’est amusant d’être poète à vingt-huit ans ? Dans mon porte-monnaie, j’ai dix francs et deux sous pour ma poudre. C’est embêtant. Je conclus de là qu’Amaryllia m’aime, et ne m’aime que pour moi. Ni le Mercure ni l’Ermitage ne me donnent de gages. Elle est vraiment très bien Amaryllia, et aussi intelligente que moi. Il manque cinquante francs à notre bonheur. On ne peut pas avoir tout, et le cœur. Peut-être que si Rothschild lui disait : Viens-t’en... Elle lui répondrait : non, vous n’aurez pas ma petite robe, parce que j’en aime un autre... Et que si Rothschild lui disait : quel est le nom de ce... de ce... de ce... poète ? Elle lui dirait : c’est Francis Jammes. Mais ce qu’il y aurait de triste en tout cela : c’est que je pense que Rothschild ne saurait pas qui est ce poète-là.
C’était à la fin d’une journée bleue, tiède et claire.
Un piano chantait dans ces quartiers blancs et neufs
où les lauriers, les grilles, les sycomores trembleurs
font penser à des amours de pensionnaires.
Les vignes-vierges, comme des cordes de piments rouges,
rampaient dans le vent triste comme une flûte,
qui soufflait doucement dans le crépuscule,
à cette heure où, comme les cœurs, les feuilles bougent.
Mon âme, que ce soit le matin ou le soir,
aime les grands murs blancs qui ont des lèvres de roses.
Elle aime les portes fermées qui gardent des choses
qui s’enfoncent dans l’ombre où est la véranda.
Amaryllia se promenait à mon côté.
Soucieuse, elle saisit ma canne d’ébène,
comme en devaient avoir, au déclin des Étés,
les vieux rêveurs comme Bernardin de Saint-Pierre.
Elle me regarda et dit : « Comme je t’aime...
Je ne me lasse pas de répéter ces mots...
Dis-moi encore que tu m’aimes ». Je dis : « Je t’aime... »
Et mon cœur tremblait comme de noirs rameaux.
Il me sembla alors que mon amour pour elle
s’échappait en tremblant dans le jour rose et mûr,
et que j’allais fleurir, derrière les doux murs,
les sabres des glaïeuls dans les tristes parterres.
Vers elle, je penchai ma lèvre, mais sans prendre
le baiser qu’elle s’attendait à recueillir.
Ce fut plus tendre encore qu’une guêpe chantante
qui voudrait sans vouloir se poser sur un lys.
C’était l’heure où l’on voit les premières lumières
éclairer la buée des vitres, dans les chambres
où, penchés sur un atlas clair, les écoliers
peignent l’Océanie avec des couleurs tendres.
Amaryllia me dit : « Ah ! les petites riches...
En voici deux qui rentrent avec l’institutrice... »
Alors mon cœur devint grave comme l’Évangile,
en entendant ces mots, et triste à en mourir.
Ô mon Dieu ! Je crus voir, à plus de vingt ans de là,
la petite enfant que fut Amaryllia.
Ah ! elle était sans doute un peu pauvre et malade...
Ô Amaryllia ! Dis ? Où est ton cartable ?
Et, au moment où les enfants riches passèrent,
je me sentis trembler au bras de mon amie.
Mon cœur se contractait à la pensée d’un Christ
qui n’appelait à lui que les fils d’ouvriers.
1897.
Que je t’aime, ô amie, toi qui as dans le sang le sang de tes parentes qui vinrent d’Orient. Tu es pareille à celles qui, dans le Sud, dansent, avec de petits mouchoirs, au son des flûtes. Ô ma petite amie, quand tu as été en chemise, l’autre jour, ta chair dure et tes cheveux chéris secouaient dans la chambre un parfum d’orange fauve... Mais tes pieds civilisés étaient tout charmants et drôles, et tes jambes, à travers ta petite chemise rose, avaient l’air de celles d’un bébé incassable qui fait le bonheur des petits enfants sous la lumière joyeuse d’un premier de l’an. Nous aimons tant nous aimer et, c’est si amusant quand, dans mes bras, la tête en arrière, tu pousses, à un moment donné, de petits cris très drôles qu’ensuite tu me dis ne te rappeler pas. Je brave l’honnêteté, mais pas en latin. Je t’aime, mon amie, que tu m’aimes. Un point. Mais que c’est embêtant que je n’aie pas d’argent pour te faire, ô amie, un petit bonheur matériel. Comment le monde n’a-t-il pas honte de laisser ainsi souffrir ma petite Elle, en ne me payant pas mes murmures d’abeille très cher, avec de l’or qui tombe sur les treilles ?
Une feuille morte tombe, puis une autre, des platanes
dont la cime au soleil semble de corne pâle,
et j’entends des cailloux froids que les hommes cassent.
Je ne sais où les fleurs du jardin sont allées.
Sous le frisson brillant de la nuit des rosées,
les derniers géraniums lourds fleurissent glacés.
Une enfant rouge est immobile sur la route
et, dans l’allée grinçante, picore une poule rousse,
deux poules rousses aux ondulations douces.
Les pissenlits amers et laiteux des prairies
s’espacent, et l’arbousier donne ses fades fruits
aux lèvres des tendres petites filles.
Telle est la vie. J’ai vu, haut, devant ses brebis,
et défaisant de l’air à sa flûte de buis,
le berger les compter une à une, et puis
se remettre à marcher à côté de son âne
qui portait les bidons vers la brumeuse montagne
où les herbes odoriférantes font le bon fromage.
Entre les haies fanées les dernières mélisses
à l’odeur fade et forte, aux fleurs blanches, flétrissent
sans que l’abeille d’or, aux ailes nervées, y glisse.
Dans le buffet poli les poires sont trop mûres
et, de la treille jaune, il tombe au pied du mur
des grains de raisins noirs que le froid rend durs.
Les premiers petit-houx, coriaces et piquants,
portent des boules lisses, rouges comme du sang,
dont on fait des bouquets d’automne charmants.
Engourdie par le froid, au soleil se repose
une sauterelle. Là-bas une belle rose
éclatée va mourir comme meurent les choses...
Il est loin, le jardin d’Été où sont les sauges,
où, près des tomates écarlates et des roses,
tombait le triste et blanc calme des Dimanches chauds.
Il est bien loin ce jour où j’ai pensé à toi
avant de te connaître, en traversant les bois,
mes chiens devant, sous le mouillé soleil matinal.
Alors, la noire épaisseur des feuilles ne laissait
que par moments entrevoir la vue, et c’était,
dans mon cœur et mes yeux, la clarté des vallées.
Alors, c’était des montagnes claires comme la pensée
la plus pure, c’était des pics violets,
c’était un tremblement rose sur les sommets.
C’était des larmes dans mon cœur et des sourires
plus divinement doux que ceux des petites filles
qui essaient sagement leurs premières aiguilles.
Il est bien loin ce jour où j’ai pensé à toi,
où, dans mon âme, planèrent comme des voix
d’anges, quand j’eus franchi la lisière du bois.
Mon âme grave se prosterna sur la grand-route.
Une espèce de chose religieuse et douce
nageait dans l’azur pur où peinaient les bœufs roux...
C’était comme un chant que l’on n’entend pas,
comme un mendiant d’hiver qui traîne ses pas
vers la paille d’auberge où la nuit l’endormira.
Ce jour-là, tout à coup, dans une grande tendresse,
le village, à genoux et triste, s’est montré
et, des acacias, il tombait des caresses.
Les canards, balançant leurs pieds, allaient aux mares.
Les vignes bleues couraient sous les fenêtres noires,
et l’on entendait, dans l’école communale,
le murmure d’abeilles que font les alphabets,
lorsque les enfants doux chantent l’A, B, C, D
devant les beaux tableaux de sciences utiles.
Sur les vieux seuils brisés où les vieillards filent,
du ciel bleu se posait comme près d’une rive
se pose le martin-pêcheur aux plumes vives.
Maintenant tu es loin, petite caressante.
Où est ta gorge tendue et mince, et ta hanche
qui s’arrondit et se ramasse comme une vague ?
Je te revois avec tes cheveux noirs comme une hirondelle,
tes yeux beaux comme toi, ta bouche un peu épaisse,
et ton cou pur, large à l’épaule, et volontaire.
Nous rîmes. Je te disais : oh ! tu as l’air
d’une de ces vieilles gravures de dans Musset
où on est sur un âne sur de la mousse.
Alors tu m’embrassais. Ton tremblement de rire aigu
se mêlait aux baisers de nos lèvres confondues...
Puis nous redevenions sérieux et tout seuls.
Et tu regardais sur mon grand chapeau de soleil,
que j’avais posé là, une branche de glaïeul
que j’y avais jetée négligemment.
1897.
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Première mise en ligne le 8 avril 2009.
Présente version générée le 22 avril 2010.