« Tant il était simple, le travail paraissait grossier et d’un idiot. Mais en examinant le manteau de plus près, ils virent qu’un sylphe subtil l’avait tramé si harmonieusement et de si légère façon, qu’on pouvait à peine le saisir. »
(Contes d’Asie) A. CHASSÉRIAU.
À Pierre Loti, maître dont la tristesse mortelle a écrit un livre immortel et à Chassériau qui a écrit DEUIL DE FILS, livre qui est son cœur, et qui est doux comme un missel d’aïeule morte : je dédie ces vers de mes vingt-quatre et vingt-cinq ans, parce que l’un et l’autre, unis par un lien de mélancolie, en ont aimé et compris la pensée, difficile parce qu’elle est simple — et parce qu’ils se sont arrêtés un moment pour en écouter l’harmonie.
Ainsi des chercheurs de miel s’arrêtent un instant, l’Été, pour écouter vibrer une abeille sur la paix des bruyères.
Francis JAMMES.
J’ai été visiter la vieille maison triste du village où vécurent les anciens parents : la route en cabriolet, pleine de soleil était toute triste et douce comme le miel. Il y avait la plaine bleue et des pigeons qui volaient le long des labours que nous longions. La jument était bien vieille et bien fatiguée. Elle me faisait de la peine et semblait âgée comme les choses de l’ancien temps où j’allais. Je savais que, depuis cent ans, ils étaient morts, les vieux parents naïfs, doux, aux yeux sans remords, qui allaient sans doute à la messe le dimanche avec leur plus magnifiques chemises blanches. J’avais appris qu’ils avaient demeuré jadis dans ce village loin où alors je partis pour voir si je reconnaîtrais cette patrie où doivent être leurs tombes pleines d’orties. En arrivant je déposai le petit chien doux qui dormait sur mes genoux entre mes mains. Le paysan se mit à l’ombre de la place qui était au soleil froide comme la glace. C’était midi au vieux clocher tout ruiné, près d’une tour vieille comme le passé, et des gens à qui je m’adressais répondaient : les gens dont vous parlez... nous n’avons pas idée... il y a très longtemps, sans doute, très longtemps... il y avait une femme de quatre-vingts ans qui est morte il y a quelques jours. Elle aurait pu vous renseigner peut-être sur ces disparus. Et j’allais de porte en porte — et chez le notaire qui a l’étude du père de mon arrière-grand-père et chez le curé qui ne connaissait pas non plus... Et je passais devant des portails vermoulus, des jardins abandonnés où, par les grosses grilles, on voyait près des maisons sans plus de familles des roses trémières roses dans l’herbe bleue près des portes fermées par la vieille poussière comme les portes des cercueils des cimetières. Et je passais sans vouloir voir les âneries, les nouveautés, des drapeaux neufs sur la mairie et des lettres d’or qui disent je crois la république. Non : je n’avais au cœur que mes vieilles reliques et, arrière-arrière-petit-fils, je venais me rappeler les morts aimés dont je suis né. Enfin je traversai la magnifique grille d’une très ancienne et très bonne famille : la vieille dame avec un sourire très bon, le vieux monsieur courbé allant avec un bâton, et le fils de cette bonne et noble famille poétique ainsi que les plantes de la grille. Vous êtes, dit la dame, un J..... ! oui, jadis, ils habitèrent le village... un vieux notaire dont les fils vers les aventures s’en allèrent... Notre famille a acheté la maison en ruine. Et ils prirent la clef rouillée à la cuisine et me conduisirent à la porte cloutée, triste et bâtie contre l’église triste et vieille, à la porte cloutée au marteau plein de rouille, et les murs avaient des fenêtres tristes aussi fermées par la poussière de la mort, du temps. Et ils m’ouvrirent la porte forte en grinçant. Et je montai les escaliers vermoulus, tristes. C’est là, qu’ils étaient passés, eux aussi, les Vieux qui maintenant sans doute reposent aux cieux ; et dans l’intérieur de la maison, sur le plâtre qui était crevé, sur les cloisons, sur les portes que les années avaient noircies, comme si elles avaient été des incendies, le soleil n’entrait pas et tout était si noir que c’était un deuil aussi que je croyais voir. Et ils disaient : « Voyez ici... C’était l’étude... » L’étude... l’étude... et la décrépitude de la maison était pleine d’un grand silence, et je croyais entendre que les morts dans le ciel se taisaient dans la maison triste où je venais Avec une tristesse douce je saluai la bonne famille obligeante et je m’en allai. Je remontai dans la carriole au grand soleil pour regagner la petite ville lointaine. Et le pauvre cheval tristement repartit, et le petit chien triste et très doux s’endormit entre moi et le paysan doux son maître. Et près des champs, des pigeons tristes s’envolèrent.
Dont les fils vers les aventures s’en allèrent, avait dit la bonne dame vieille, derrière la grille pleine de roses trémières roses dans l’herbe bleue. Et ce fut une douce chose, lorsque je repassai devant mon lieu natal, devant la petite gare aux vieux catalpas de l’endroit où je suis né. J’ai vu encore l’impression de mes quatre ans : l’eau claire à l’ombre, coulant entre des berceaux de feuilles glacées, de quand je me demandais où allait l’eau, au soleil, si loin, l’eau, dans cette obscurité qu’elle a au soleil. Et j’ai revu l’enfance, quand je cherchais où était la fin de cette eau. Et depuis, j’ai revu de même ce ruisseau.
Il y a par là un vieux château triste et gris comme mon cœur, où quand il tombe de la pluie dans la cour abandonnée, des pavots plient sous l’eau lourde qui les effeuille et les pourrit. Autrefois sans doute la grille était ouverte, et dans la maison les vieux courbés se chauffaient auprès d’un paravent à la bordure verte où il y avait les quatre saisons coloriées. On annonçait les Percival, les Demonville qui arrivaient dans leurs voitures, de la ville, et dans le vieux salon soudain plein de gaîté, les vieux se présentaient leurs civilités. Puis les enfants allaient jouer à cache-cache ou bien chercher des œufs. Puis dans les froides chambres ils revenaient voir les grands portraits aux yeux blancs, ou, sur la cheminée, de drôles coquillages. Et pendant ce temps les vieux parents se parlaient de quelque petit-fils au portrait peint à l’huile, disant : il était mort des fièvres typhoïdes, au collège. Que son uniforme lui allait ! La mère qui vivait encor se souvenait de ce cher fils mort presque au moment des vacances, à l’époque où les feuilles épaisses se balancent dans les grandes chaleurs auprès des ruisseaux frais. Pauvre enfant — disait-elle — il aimait tant sa mère, il évitait toujours de faire de la peine. Et elle pleurait encore en se rappelant ce pauvre fils très simple et bon, mort à seize ans. Maintenant la mère est morte aussi. Que c’est triste. C’est triste comme mon cœur par ce jour de pluie et comme cette grille où les pavots roses plient sous l’eau de pluie lourde qui luit et qui les pourrit.
Les villages brillent au soleil dans les plaines, pleins de clochers, de rivières, d’auberges noires, au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige avec des cris aigus de coqs, avec des blés, avec des chars qui vont lentement aux labours, avec des charrues qui sont couleur de la lune, avec des voix de paysans qui ont des sabots lourds, avec des femmes qui ont la peau en terre brune, avec des matins bleus, avec des soirées bleues, avec des champs de paille qui sentent la menthe, avec des fontaines crues où l’eau claire chante, avec des oiseaux qui font balancer leurs queues, avec des jardins, des vieilles paralysées, des sons d’angélus, des piaillements de poules, avec des chants de vêpres et de noires croisées et des hommes qui chantent et d’autres qui se soûlent ; avec des églises calmes où quand il y a des journées de chaleur on sent une odeur fade et fraîche et un si grand silence qu’on dirait qu’une chaise a grincé dans le froid ; avec des routes longues et blanches où dansent les cailloux au soleil, avec des kilomètres, avec les pigeons des demeures des vieux prêtres, avec des gens qui rient et d’autres de souffrance, avec la nuit qui tombe sur les grands champs, avec des grincements de char, des paysans calmes qui semblent réfléchir et qui ont l’air au loin de se fondre dans la nuit lentement et grands ; avec de pauvres bœufs qui beuglent dans l’étable, les cris longs et poignants des cochons qu’on égorge, avec des verres épais posés sur les tables et des femmes portant leurs petits sur la gorge ; avec des voleurs qui vont entre deux gendarmes, avec le tonnerre qui ouvre les grands chênes en faisant un bruit de char tout rempli de pierres qui roulerait dans un bas-fond tout noir et large ; avec un petit oiseau, dans le vieux jardin, qui crie tout seul auprès des roses de la vigne, avec des enfants qui vont pêcher à la ligne, avec le bougement bleu du vent dans les lins ; avec la terre, avec la mer, avec le ciel, avec des feux lointains qui semblent respirer sur les collines, quand la nuit vient de tomber, et qu’un homme chante au loin dans le grand silence ; avec des sentiers où, quand c’est le mois d’octobre, le vent fait voler les feuilles des châtaigniers qui grattent les petits cailloux ronds des sentiers ; avec des soirs de pluie pleins de lumière jaune, avec des chiens qui aboient au loin longuement après les lièvres, et le mois de Marie sonnant, et puis les vieux curés des tristes presbytères qui lisent près des roses, le soir, leur bréviaire ; avec les étables où sont les douces génisses et les vaches poussant de longs gémissements, et les cochons qu’on tue en les saignant longtemps et leurs cris aigus de mort quand ils s’affaiblissent ; avec les oiseaux gais dont la voix est mouillée, près de l’eau, sur les petites branches qui plient ; et, sautant comme des boules roulent, les pies qui crient et dont la voix semble toute rouillée. Ainsi vont, dans les larges plaines, les villages éparpillés qui chantent dans l’air bleu et clair, ou qui se taisent, sous le ciel couleur de fer, sous les raies de pluies fine en travers qui bruissaillent ; avec un chat immobile au milieu d’un champ, avec les femmes à pas lents qui songent, laissant tomber les grains de maïs et comme si elles songeaient qu’il ne faut pas contrarier la terre ; avec les hommes qui prennent dans un tamis le froment qu’ils lancent fort, au-dessus de terre, qui fait au soleil un nuage de poussière ; avec la nuit épaisse où tout est endormi. Ainsi vont les doux villages éparpillés sur les coteaux, aux flancs des coteaux, à leurs pieds, dans les plaines, dans les vallées, le long des gaves, près des routes, près des villes et des montagnes ; avec les clochers minces au-dessus des toits, avec, sur les chemins qui se croisent, des croix, avec des troupeaux longs qui ont des cloches rauques et le berger fatigué traînant ses sabots ; avec des roues de moulin noires battant l’eau claire et faisant au soleil de la poudrure en verre, avec le bois à l’odeur aigre et forte, avec des piverts qui cognent les arbres de leur bec ; avec les vignes aux soleil et les ajoncs, les villages s’étendent ainsi parmi les plaines : il y en a encore et encore et les graines sortent, les clochers sont pleins d’oiseaux et les sillons ; avec la caille qui court inquiètement, avec le lièvre blessé qui crie plein de sang noir, avec les ruisseaux en cuivre, quand c’est le soir qui ont l’air de se cailler très lentement ; avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds qui arrivent de loin dans le gris des nuages et les grues qui grincent dans le froid et qui font, comme des serrures rouillées, un bruit sauvage ; avec les paysans en noir allant le matin à quelque enterrement de quelque vieux village où ils iront manger du pain et du fromage et boire dans un verre épais un peu de vin ; avec les prairies d’eau où se coulent les râles, avec les crimes qu’on commet sur les chemins et les mendiants idiots avec des képis sales mendiant des sous noirs avec leurs pauvres mains ; avec la prétention des hommes politiques, avec le bruit glacé des sabots dans la rue et les journaux collés sur la place publique sur laquelle passe un long vol de grandes grues ; avec les oiseaux attachés par une patte que font souffrir des enfants devant les portes, des enfants que l’on peigne, aux figures plates, aux figures en suif rouge luisantes et béates ; avec les grands coteaux où le soleil est doux et le bois frais où claque la tiède pluie d’orage, et les arrêts, quand ils marchent, des grands bœufs roux que conduit en sifflant un enfant du village.
Je mettrai des jacinthes blanches à ma fenêtre, dans l’eau claire qui paraîtra bleue dans le verre. Je mettrai sur ta gorge blanche et luisante comme un caillou du ruisseau, des boules de houx. Je mettrai sur la pauvre tête du malheureux chien tout rogneux qui a des taches dans les yeux la plus douce de mes caresses, pour qu’il s’en aille grelottant un tout petit peu plus content. Je mettrai ma main dans la tienne, et tu me conduiras dans l’ombre où tournent les feuilles d’automne, jusqu’au sable de la fontaine que la pluie si douce a troué, où se détrempe le vieux pré. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . la pluie fine ma pensée douce comme la bruine. Je mettrai sur l’agneau qui bêle une branche de lierre amer qui est noir parce qu’il est vert.
J’étais gai et l’église était calme au soleil, près des jardins où sous la vigne y a des roses, près de la route où les oies et les canards causent, les belles oies qui sont blanches comme du sel. Sainte-Suzanne est le nom du petit village : c’est un nom doux ainsi qu’un vieux nom de grand-mère. L’auberge est pleine de fumée et de gros verres. Les vieilles femmes n’y ont pas de babillage. Il y a au soleil des chemins très obscurs, pleins de feuillages frais, et qui n’ont pas de fin. On s’y donnerait des baisers longs, doux et durs, par les après-midi des dimanches beaux et simples. Je pense à tout cela. Alors une tristesse me vient d’avoir laissé la femme que j’aimais. J’avais vu autrement, alors, le mois de mai, car mon cœur est fait pour aimer, aimer sans cesse. Je sens que je suis fait pour un amour très pur comme le soleil blanc qui glisse au bas du mur, et j’ai dans mon cœur des amours froids comme ceux quand je passais ma main à travers ses cheveux. Le soleil pur, le nom doux du petit village, les belles oies qui sont blanches comme le sel, se mêlent à mon amour d’autrefois, pareil aux chemins obscurs et longs de Sainte-Suzanne.
Tu serais nue sur la bruyère humide et rose, comme ces femmes qu’on apprend en classe, près de chèvres se donnant des coups au bas des prés. Tu dormirais en ne rêvant d’aucune chose, et tes jambes pareilles, tièdes et douces luiraient dans la pluie verte et glacée de la mousse. Ton corps serait comme l’air et l’eau qui sont purs. Un grillon aigre chanterait dans le vieux mur d’une maison abandonnée et qui aurait, à ses pieds, les champignons roses des forêts. Les alouettes qui ont la couleur de l’argent siffleraient en volant vite. Et, tout en dormant, tu mettrais une main dans tes cheveux remplis de brins de paille agaçants de roides épis.
Les grues sont passées dans le ciel gris et leurs longues lignes filaient en grinçant, cris de neige et d’ombre : c’est la saison où l’on va pour orner les tombes. Les misérables, les aveugles mendieront avec leurs mains rouges et luisantes. Ils iront mourir dans les soirs noirs en riant de frissons. Les bêtes souffriront. J’ai vu un vieux mendiant avec des taches sur les yeux et maltraitant son pauvre chien la queue sous le ventre, tremblant. Il le traînait, l’étranglant avec une corde, disant : je l’ai jeté à l’eau trois fois. La corde a cassé. Il revient, le cochon ! et la corde tirait. Et le vieux chien, compagnon de misère de ce vieux, semblait lui dire : laisse-moi sur terre m’accrocher encore à tes habits pleins de poussière. Et lui, étant homme, plus mauvais que le chien, disait : cochon ! cochon ! va ! je te noierai bien, et ils allaient tous deux sous le grand ciel d’étain.
La maison serait pleine de roses et de guêpes. On y entendrait, l’après-midi, sonner les vêpres ; et les raisins couleurs de pierre transparente sembleraient dormir au soleil sous l’ombre lente. Comme je t’y aimerais. Je te donne tout mon cœur qui a vingt-quatre ans et mon esprit moqueur, mon orgueil et ma poésie de roses blanches ; et pourtant je ne te connais pas, tu n’existes pas. Je sais seulement que si tu étais vivante, et si tu étais comme moi au fond de la prairie, nous nous baiserions en riant sous les abeilles blondes, près du ruisseau frais, sous les feuilles profondes. On n’entendrait que la chaleur du soleil. Tu aurais l’ombre des noisetiers sur ton oreille, puis nous mêlerions nos bouches, cessant de rire, pour dire notre amour que l’on ne peut pas dire ; et je trouverais, sur le rouge de tes lèvres, le goût des raisins blonds, des roses rouges et des guêpes.
La poussière des tamis chante au soleil et vole. Mets ton épaule et tes cheveux sur mon épaule et mes cheveux. L’air est comme l’eau, et les bœufs passent dans le matin froid des chemins boueux. Les cloches des coteaux verts sonnent le dimanche. Tu viens de te lever. Tu es toute blanche. Le silence est grand et très doux comme la ligne qui monte et descend, dans le ciel, sur les collines. On sent qu’on est sain et dans mon esprit bleu, je prie, parce que dans le ciel il y a Dieu.
L’âne était petit et plein de pluie et tirait la charrette qui avait passé la forêt. La femme, sa petite fille et le pauvre âne faisaient leur devoir doux, puisque dans le village ils vendaient pour le feu le bois des fruits de pin. La femme et la petite fille auront du pain qu’elles mangeront dans leur cuisine, ce soir, près du feu que la chandelle rendra plus noir. Voici Noël. Elles ont des figures douces comme la pluie grise qui tombe sur la mousse. L’âne doit être le même âne qu’à la crèche qui regardait Jésus dans la nuit noire et fraîche : Car rien ne change et s’il n’y a pas d’étoile, cette nuit, qui mène à Jésus les mages vieux, c’est que cette comète au tremblement d’eau bleue pleure la pluie. C’était aussi simple autrefois quand les anges chantaient dans la paille du toit ; sans doute que les étoiles étaient des cierges comme ceux qu’il y a aujourd’hui près des vierges — et sans doute, — comme aujourd’hui les gens sans or que Jésus, sa mère et Joseph étaient des pauvres. Il y a cependant nous autres qui changeons si rien ne change. — Et ceux qu’aime bien le bon Dieu, comme autrefois aussi sous l’étoile d’eau bleue, c’est les ânes très doux aux oreilles bougeantes, avec leurs jambes minces, roides et tremblantes, et les paysannes douces et naïves du matin qui vendent pour le feu le bois des fruits du pin.
Tu viendras lorsque les bruyères au soleil près des routes qui se fendent ont des abeilles. Tu viendras en riant avec ta bouche rouge comme les fleurs des grenadiers et des farouches. Tu lui diras que tu l’aimes depuis longtemps, mais en lui refusant ton baiser en riant. Mais lorsque tu voudras le lui donner, alors tremblante et suante, tu verras qu’il est mort.
J’aime l’âne si doux marchant le long des houx. Il prend garde aux abeilles et bouge ses oreilles ; et il porte les pauvres et des sacs remplis d’orge. Il va, près des fossés, d’un petit pas cassé. Mon amie le croit bête parce qu’il est poète. Il réfléchit toujours. Ses yeux sont en velours. Jeune fille au doux cœur, tu n’as pas sa douceur : car il est devant Dieu l’âne doux du ciel bleu. Et il reste à l’étable, fatigué, misérable, ayant bien fatigué ses pauvres petits pieds. Il a fait son devoir du matin jusqu’au soir. Qu’as-tu fait jeune fille ? Tu as tiré l’aiguille... Mais l’âne s’est blessé : la mouche l’a piqué. Il a tant travaillé que ça vous fait pitié. Qu’as-tu mangé petite ? — T’as mangé des cerises. L’âne n’a pas eu d’orge. car le maître est trop pauvre. Il a sucé la corde, puis a dormi dans l’ombre... La corde de ton cœur n’a pas cette douceur. Il est l’âne si doux marchant le long des houx. J’ai le cœur ulcéré : ce mot-là te plairait. Dis-moi donc, ma chérie, si je pleure ou je ris ? Va trouver le vieil âne et dis-lui que mon âme est sur les grands chemins, comme lui, le matin. Demande-lui, chérie, si je pleure ou je ris ? Je doute qu’il réponde : il marchera dans l’ombre, crevé par la douceur, sur le chemin en fleurs.
Dans les vers de cette deuxième partie, j’ai suivi, à peu près, la métrique ordinaire. Ces vers, que l’on voudra bien excuser, ont été faits pour le monde, et je ne me décide à les publier que sur l’insistance d’amis.
F. J.
Les genêts luisent dans la lande désolée ; Sur l’ocre des coteaux la bruyère est de sang : Mais tu ne peux guérir mon cœur triste où descend Le souvenir de ma pauvre enfance en allée. Viens : elle est d’émeraude et d’argent la vallée ; Douce comme ta voix, l’eau chuchote en passant, Et clair comme ton rire est l’angélus croissant ; Fraîche comme ta bouche est la mousse mouillée. J’ai la fièvre : Viens là, près de ces romarins, Près de ce puits glacé que ronge l’herbe fraîche ; Viens, pleurons et mourons, fillette aux yeux sereins ; Nous sommes las : moi, las de sentir une brèche En mon cœur mort d’amour lors de son mois de mai, Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé.
Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé, Gamine au doux profil de vierge du Corrège. Tu pleures la saison des amandiers en neige Et les lilas légers du pâle mois de mai. Ô fillette ! Jamais un ami n’a fermé Sur toi, petit oiseau, ses deux bras comme un piège ?... Viens, viens : je te dirai des mots très doux... que sais-je ?... Je te dirai mes vers tristes, l’esprit calmé. Allons-nous-en bien loin, bien loin, petite vierge ; Allons-nous-en là-bas, tu sais... près de la berge D’où, sur l’eau toute bleue, on voit courir le vent ; Et plus tard nous aurons, aux fougères d’automne, Sur le coteau fané, si triste quand il tonne, Une petite hutte avec un chien devant.
Une petite hutte avec un chien devant..... Ô ma chère ! Ce soir, cette rose est mouillée. Dans le grand parc, auprès de la grille rouillée, Je l’ai prise pour toi, tout à l’heure, en rêvant. Il bruine au dehors ; viens ici, viens... le vent Dans les lauriers sanglote..... oh ! reste ainsi liée Avec tes frêles bras à mon cou... mi-pliée..... Faisons de nos cœurs morts un amour revivant. Plonge avec tes doux yeux de sombre violette Dans mon regard si triste et grave qui reflète Mes deuils d’amour... Entends ma voix... Elle est le glas Qui conduit doucement dans sa petite robe, La seule que j’aimai, la Morte aux pâleurs d’aube Qui dans ses mains de cire a de légers lilas.
Tu me vois quelquefois triste, énervé, grincheux, — Quand j’ai fumé surtout mes pipes allemandes En travaillant longtemps — alors, tu me demandes D’où vient l’expression si dure de mes yeux. Tu me dis que mes grands bouquins sont ennuyeux Comme les pins et leurs petits pots dans les landes ; C’est vrai : viens... tes baisers sont comme des amandes : Ils ont un parfum blanc : ils sont délicieux. T’aimer bien, ça vaut mieux que de rimer des strophes Ou que d’étudier de tristes philosophes. Dans un livre savant, hier soir, je lisais : On y voulait prouver d’une façon notoire Que la réalité n’est qu’ « hallucinatoire » ; Je suis halluciné, chère, par tes baisers.
Le banc serait de lierre et de pierre effritée. Auprès du vieux parterre où de tristes ricins Ombrageraient la poule et ses petits poussins Je vous dorloterais, ô mon enfant gâtée. Les roses cerisiers à l’écorce argentée, Dont les fruits sont pareils aux coraux abyssins, Pleurant leurs larmes d’or au-dessus des fusains, Nous diraient la chanson des moineaux enchantée. Et je vous cueillerais sur ces frais cerisiers Des cerises qu’un brin de bois lierait pareilles Pour vous les mettre ainsi que des pendants d’oreilles : Et, me baissant un peu pour que vous me baisiez Au front, je vous rendrais dans vos cheveux en boucles Vos baisers, en mordant vos rouges escarboucles.
Mon rêve est simple : il est trop simple, ô mon enfant,
Peut-être, pour que toi qui m’aimes, le comprennes,
— Car les rêves qu’on fait au couvent sont de reines
Qui siègent près de rois dont l’air est triomphant. —
Le soir, auprès du feu, quand il ferait du vent
Et que tout gémirait dans la forêt prochaine,
Dans un fauteuil fané d’antique bois de chêne
Nous écouterions fuir la bourrasque en rêvant.
Et le globe laiteux et pâle de la lampe
Éclairant, ce tableau serait comme une estampe,
Une estampe très vague et faite au temps passé ;
Et, quand minuit très lent sonnerait au village,
Je te joindrais les mains et comme une enfant sage
Tu dirais ta prière à mon cœur trépassé.
1889-1890.
À O. R. et Charles Lacoste.
Neige endolorissante et morne, tu déroules
Ta nappe liliale au toit cher que je sais,
Neige endolorissante, ô neige qui t’écroules !
Et la maison vieillotte aux carreaux verts cassés
A des airs de jeunesse et de pâle frileuse
Et ne se souvient plus des contes jacassés :
Des contes jacassés, au soir, par la fileuse.
En la cuisine antique où le pot noir chantait
Au rauque dévidoir sa chanson douce et creuse.
La chandelle en résine en un coin crépitait.
Près de la plaque en fer, les cri-cris aux cris grêles
S’enfuyaient dans la suie et le matou grondait.
Maintenant, dans le vieux salon, les herbes frêles,
Les avoines ornant les vases surannés,
Ne se souviennent plus des champs fauchés des grêles :
Et des plumes de paon, des bimbelots fanés,
Sont là qu’un bisaïeul rapporta de la Chine
D’où, jadis, bien des gens revinrent ruinés.
Comme alors un gros chat plie en arc son échine
Et cligne en grommelant de longs yeux mordorés
— Et miaule, et l’on voit une expression fine
En les blancs solennels regards des hauts portraits.
À M. Amaury de Cazanove
Quand le vieux Madécasse aux doigts noueux mourra,
Les gens de l’Île, ceux de la Grève et des Mornes,
Ses anciens amis, les noires maigres et mornes,
Feront sa fosse, et la mer au loin chantera.
Coiffé d’un vieux gibus, nu-jambes, un priera.
Les autres souffleront de vieux airs dans des cornes,
— Puis, au long des sentiers où s’enlacent des viornes,
Un coup de vieux fusil à pierre pétera.
Ils pleureront l’ami brave aux cheveux de laine,
Lorsqu’accroupis auprès de la mer haute et pleine
Ils prendront le repos, vêtus en vieux pompiers,
Et que, fumant leur pipe en bois, courbant l’échine,
Hébétés, regardant sur les quais des machines,
Avec leurs doigts de mains ils cureront leurs pieds.
À Ernest Caillebar
Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
Entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
Si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon...
Entends là-bas, là-bas, l’âne...
L’hirondelle noire plane,
Les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
Qui grince, qui grince encor,
Car la fille aux cheveux d’or
Tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
La fillette s’en va d’un pas qui fait pencher
Sur sa tête d’or la cruche,
Sa tête comme une ruche,
Qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
Au ciel bleu des flocons bleus ;
Et les arbres paresseux
À l’horizon qui vibre à peine se balancent.
À M. A. Planté.
Les violes grincent,
Et les clavecins.
Dans le salon bleu, les marquis très minces,
Les clames nu-seins,
Avec des roideurs de marionnettes
Muettes
Font un menuet
Muet.
Ô têtes poudrées !
Les larges yeux noirs,
Près du foyer clair aux larges flambées,
Sont vos purs miroirs :
Sur ces miroirs noirs de perruques roses
Se pose
Un miroitement
Charmant.
Dans le parc bleuâtre
Où pleure un jet d’eau,
Du salon dansant, on peut voir s’ébattre
Des robes Watteau.
Pour fuir les galants, grimpent aux échelles
Des belles,
Laissant voir leurs bas
D’en bas.
Monsieur de Voltaire
Est d’un grand talent.
Il fait avec goût les rimes légères,
Et, voûté, tremblant,
Avec son visage aux rides de pomme,
Cet homme,
Cet homme est vraiment
Charmant.
Ô toi, Rose moussue et blonde, à tes oreilles, Que mes vers chantent comme un murmure d’abeilles ! Que mon regard, vers toi glisse comme la Nuit Qui glisse et qui t’endort sous l’or dont elle luit ! Que je te charme en invocations très douces, — Comme les chants de la rosée au fond des mousses ! Quand tu voudras mon cœur pour t’amuser, je veux Qu’il soit comme une fleur de sang dans tes cheveux ! Lorsque je pleurerai, je veux, ô petite oie, Que tu prennes mes cris pour des accès de joie, Et, lorsqu’on me mettra dans l’ombre du cercueil, Que ta dernière larme embellisse ton œil, Pour que ceux qui vivront, en te voyant plus belle, Admirent dans ma mort ta jeunesse immortelle.
I La gomme coule en larmes d’or des cerisiers. Cette journée, ô ma chérie, est tropicale : Endors-toi donc dans le parterre où la cigale Crie aigrement aux cœurs touffus des vieux rosiers. Dans le salon où l’on causait, hier vous posiez... Mais aujourd’hui nous sommes seuls — Rose Bengale ! Endormez-vous tout doucement dans la percale De votre robe, endormez-vous sous mes baisers. Il fait si chaud que l’on n’entend que les abeilles... Endors-toi donc, petite mouche au tendre cœur ! Cet autre bruit ?... C’est le ruisseau sous les corbeilles Des coudriers où dorment les martins-pêcheurs... Endors-toi donc... Je ne sais plus si c’est ton rire Ou l’eau qui court sur les cailloux qu’elle fait luire... II Ton rêve est doux — si doux qu’il fait bouger tes lèvres Tout doucement, tout doucement — comme un baiser... Dis, rêves-tu que sur un roc vont se poser Parmi des thyms chèvrefeuilles de blanches chèvres ? Dis, rêves-tu que sur la mousse, en notes mièvres La source pure au fond du bois vient à jaser, — Ou qu’un oiseau tout rose et bleu s’en va briser Les fils de Vierge et faire au loin s’enfuir les lièvres ? Rêves-tu que la lune est un hortensia ?... — Ou bien encor que sur le puits l’acacia Jette des fleurs de neige d’or sentant la myrrhe ?... — Ou que ta bouche, au fond du seau, si bien se mire, Que je la prends pour une fleur qu’un coup de vent A fait tomber, du vieux rosier, dans l’eau d’argent ?
« Beauty is truth, truth beauty. »
Keats.
Impression of beauty, personally expressed, is the spirit of poetry.
Leila Crackanthorpe.
À Hubert Craekanthorpe
et Charles Lacoste
Vous voulez avoir quelques pages d’une œuvre écrite vers mes dix-neuf ans (1888....).
J’aurais pu imiter le style de Flaubert ou celui de Leconte de Lisle, et faire, comme un autre, un poncif.
J’ai fait des vers faux et j’ai laissé de côté, ou à peu près, toute forme et toute métrique, mais je ne confonds pas ceux qui croient que la langue est le cœur avec ceux dont le tempérament est de mettre leur cœur dans un style.
Je n’avais pas le tempérament de ces derniers. Qu’ils aient nom Lamartine, Musset, de Saint-Pierre, Leconte de Lisle ou Loti, ceux-là je les salue avec la modestie dévotieuse d’un enfant de chœur devant des divinités.
Mon style balbutie, mais j’ai dit ma vérité, et, du moins, je ne cherche pas à prouver que j’ai du génie, on érigeant en doctrine moderne les défauts grossiers d’une langue.
Je ne veux blâmer ni prôner ma façon de faire, mais, ce que j’affirme, c’est ma haine des écoles, ma tolérance, mon amour de la vérité et ma pitié de ce lieu commun, qui est le cœur de l’homme.
Pour être vrai, mon cœur a parlé comme un enfant.
Je vous dédie ceci :
À toi, Crackanthorpe, déjà célèbre en ton pays, et qui a senti passer en toi le souffle de l’amour et de la pitié ;
À toi, Lacoste, qui resteras peut-être dans l’ombre, simple et beau comme ce rosier que tu as peint au fond du vieux jardin triste.
Le 10 mai 1893.
FRANCIS JAMMES.
Cette troisième partie, qui comprend vingt et une pièces et cette préface, a déjà été imprimée en 1893. Il en fut tiré seulement cinquante exemplaires.
Je remercie ceux qui ont aimé ces simples choses, et principalement MM. Stéphane Mallarmé, Henri de Régnier et André Gide.
Elle va à la pension du Sacré-Cœur. C’est une belle fille qui est blanche. Elle vient en petite voiture sous les branches des bois, pendant les vacances, au temps des fleurs. Elle descend le coteau doucement. Sa charrette est petite et vieille. Elle n’est pas très riche et elle me rappelle les anciennes familles d’il y a soixante ans, gaies, bonnes et honnêtes. Elle me rappelle les écolières d’alors qui avaient des noms rococos, des noms de livres de distribution des prix, verts, rouges, olives, avec un ornement ovale, un titre en or : Clara d’Ellébeuse. Éléonore Derval. Victoire d’Étremont. Laure de la Vallée. Lia Fauchereuse. Blanche de Percival. Rose de Liméreuil et Svlvie Laboulaye. Et je pense à ces écolières en vacances, dans des propriétés qui produisaient encor, mangeant des pommes vertes, des noisettes rances devant le paon du parc frais, noir, aux grilles d’or. C’était de ces maisons où y avait table ouverte. On y mangeait beaucoup de plats et on riait. Par la fenêtre on voyait la pelouse verte et la vitre, quand le soleil baissait, brillait. Et puis un beau jeune homme épousait l’écolière — une très belle fille qui était rose et blanche — et qui riait quand au lit il baisait sa hanche. Et ils avaient beaucoup d’enfants, sachant les faire.
Je parle de Dieu — mais pourtant est-ce que j’y crois ? — À cinq ans on me disait : tiens un croquant..... Va le manger avec Marie aux vêpres. Sois bien sage et prie le bon Dieu, la vierge Marie. — Puis c’était la procession que la bonne et moi nous suivions, et de belles fleurs en coton dans des vases de loterie. Les petites filles fleuries jetaient en l’air des fleurs jolies. Je levais la tête pour voir le curé, le grand ostensoir qui luisait sur le reposoir. Et on chantait : ô bonne vierge ! ô lys sans tache ! Fleur des berges ! — Et l’on voyait briller des cierges. Et l’on jetait encor des fleurs et l’on chantait : prenez mon cœur, Notre Dame des sept douleurs ! Le curé était magnifique levant les bras pour les cantiques. Et j’entendais dans ces cantiques : tu-u-us... tu uus... ritus.... ... uum us... .. tuus. Et l’on jetait encor des roses. Les femmes pleuraient presque à cause de ces si belles, belles choses. Je voyais le petit Jésus à Noël, dans la crèche, nu. L’âne regardait par-dessus. Et maman disait : les rois mages portent la myrrhe, les images au petit Jésus qui est sage. Et je croyais que Dieu était un vieux tout blanc qui vous donnait toujours ce qu’on lui demandait. Ça m’est bien égal, ceux qui disent qu’il existe ou non — car l’église du village était douce et grise.
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce ? J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien. J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre, pendant que la neige lourde tombait dehors. J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors je fume une pipe en bois avec une bout d’ambre. Ma vieille commode en chêne sent toujours bon. Mais moi j’étais bête parce que ces choses ne pouvaient pas changer et que c’est une pose de vouloir chasser les choses que nous savons. Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C’est drôle ; nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas et cependant nous les comprenons, et les pas d’un ami sont plus doux que de douces paroles. On a baptisé les étoiles sans penser qu’elles n’avaient pas besoin de nom et les nombres qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre passeront, ne les forceront pas à passer. Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses de l’an dernier ? À peine si je m’en souviens. Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien, si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce ?
Le pauvre pion doux si sale m’a dit : j’ai bien mal aux yeux et le bras droit paralysé. Bien sûr que le pauvre diable n’a pas de mère pour le consoler doucement de sa misère. Il vit comme cela, pion dans une boîte, et passe parfois sur son front froid sa main moite. Avec ses bras il fait un coussin sur un banc et s’assoupit un peu comme un petit enfant. Mais au lieu de traversin bien blanc, sa vareuse se mêle à sa barbe dure, grise et crasseuse. Il économise pour se faire soigner. Il a des douleurs. C’est trop cher de se doucher. Alors il enveloppe dans un pauvre linge tout son pauvre corps misérable de grand singe. Le pauvre pion doux si sale m’a dit : j’ai bien maI aux yeux et le bras droit paralysé.
La poussière froide tourne et fait voler des papiers, et le vent gratte la terre ainsi qu’un balai qui racle, et les chevaux ont froid dans la rue et c’est un spectacle que de voir sur les pavés les réverbères briller. Ce matin le soleil froid rendait comme de la corne les feuilles des platanes encore vertes des cours où le vent remuait de temps en temps ce jaune jour qui fait dire aux gens que le temps du mois d’octobre est morne. Le brouillard sent la fumée ; un jet d’eau ne bouge pas, et l’on dirait qu’il est en suif très blanc ou bien en glace, dans le ciel en laine sale où les feuilles sèches passent. Et le son du vent continue et l’on presse le pas. Les contrevents grincent, cognent le mur et rebondissent, et l’on entend quelquefois tomber la tuile d’un toit, ou bien les vitres d’un tambour se casser et l’on voit les gens qui courent sous les nuages de fer qui glissent. La poussière froide tourne et fait voler des papiers, et le froid très cru vous donne une espèce de migraine. La poussière mince tourne et sur les pavés se traînent les fiacres dont on entend les vitres froides trembler.
Au bord de l’eau verte, les sauterelles sautent ou se traînent, ou bien sur les fleurs des carottes frêles grimpent avec peine. Dans l’eau tiède filent les poissons blancs auprès d’arbres noirs dont l’ombre sur l’eau tremble doucement au soleil du soir. Deux pies qui crient s’envolent loin, très loin, loin de la prairie, et vont se poser sur des tas de foin pleins d’herbes fleuries. Trois paysans assis lisent un journal en gardant les bœufs près de râteaux aux manches luisants que touchaient leurs doigts calleux. Les moucherons minces volent sur l’eau, sans changer de place. En se croisant ils passent puis repassent, vont de bas en haut. Je tape les herbes avec une gaule en réfléchissant et le duvet des pissenlits s’envole en suivant le vent.
Avec les pistolets aux fontes il monte, il monte, il monte, il monte, monte la côte de la route, le soir dans la campagne rousse. Chapeau tricorne : il est marquis ; relevés sont ses pans d’habit. Du tricorne une roide tresse tombe et en avant il se baisse. Il est rasé, rasé, rasé, a les yeux bleus, un rouge nez. Et il arrive près d’un bois : il écoute, écoute des voix. Les maisons sont loin, dans du bleu, sur le coteau rayé de feu. « Bourse ou vie ! » quelqu’un a crié, il se dresse sur ses étriers. Et ses mains garnies de dentelles fouillent les fontes de sa selle. Et il prend les lourds pistolets aux canons de cuivre ouvragés. Et à deux mains, à droite, à gauche, il tire, roide comme roche. Le pistolet pète et crache un tas de feu avec un grand fracas. Et il continue et il monte avec sa queue derrière le cou, avec ses pistolets aux fontes, le chemin qui mène à Ramous.
J’ai vu, dans de vieux salons, des tableaux flamands, où, dans une auberge noire, on voyait un type qui buvait de la bière, et sa très mince pipe avait un point rouge et il fumait doucement. Il avait le nez violet et bonne mine, c’était peut-être un très heureux négociant qui avait des vaisseaux très lourds, des bâtiments pleins de beaux ornements dorés, allant en Chine. Il faisait le commerce des draps recherchés, des épices, et devait avoir dans sa chambre des choses drôles, des pipes à gros bout d’ambre, des vestes de femmes turques, de beaux objets. Il avait sans doute une femme rouge et blanche qu’il caressait le soir dans son lit de richard. Et il vivait considéré, se levant tard pour aller se promener, le poing sur la hanche. Mais parfois ses affaires réclamaient ses soins. Il était obligé de courir la contrée pour offrir ses marchandises, mais à l’entrée de la nuit, il gagnait une auberge bien loin. Pour le défendre des larrons, sa belle épée était par lui suspendue au pied de son lit, près des beaux coffres de fer des Indes, sortis des grands bazars des capitales fortunées. Et le peuple l’honorait, lorsque près des quais, ses beaux bâtiments pleins de belles galeries gonflaient comme les belles bannières qui plient, leurs voiles où les marins luisants étaient gais.
Je sais que tu es pauvre : tes robes sont modestes. Mine douce, il me reste ma douleur : je te l’offre. Mais tu es plus jolie que les autres, ta bouche sent bon — quand tu me touches la main, j’ai la folie. Tu es pauvre et à cause de cela tu es bonne ; tu veux que je te donne des baisers et des roses. Car tu es jeune fille, les livres t’ont fait croire et les belles histoires, qu’il fallait des charmilles, des roses et des mûres, et des fleurs des prairies, que dans la poésie on parlait de ramures. Je sais que tu es pauvre : tes robes sont modestes. Mine douce, il me reste ma douleur : je te l’offre.
Tu t’ennuies ? — — Elle dure cette pluie qui est dure. Je prends ma pipe en glaise que j’allume à une braise. Tu es loin et tu penses dans un coin aux vacances. Les pavés par la pluie sont lavés. Je m’ennuie. Aux carreaux blancs, j’écoute tomber l’eau froide en gouttes. Tu ne vien- dras pas, puisque tu es loin : pas de risque. Tu es loin : je m’ennuie : je n’entends rien dans la pluie : C’est de l’eau fine ou dure, passant tôt ou qui dure ; Je n’y vois rien. — Entendre là des voix en deuil, tendres ?..... Je ne puis : c’est la pluie d’un jour gris qui essuie.
Le chat est auprès du feu ; le pot bout. Cette cuisine est très noire et deux saucisses rouges sont au bout d’une vieille canne noire. Il pleut sur le vitrage de la cour. Les vitres sont toutes noires, et dehors la pluie qui est fine court devant les fenêtres noires. Je pense que je voudrais bien baiser, dans sa robe toute noire, une jeune fille auprès du brasier de cette cuisine noire. On verrait luire la lampe à gaz-mill sur la cheminée qui est noire... Ma petite chatte qui est très gentille fait ron ron ron. Elle est noire. Les carreaux rouges sont luisants, mouillés. Les souches de vigne sont noires, et les chenets en fer sont tout rouillés. La cuisine est toute noire. Mais si tu étais en chemise auprès des tisons tout noirs, je pense que là, toute seule tu serais blanche, blanche, blanche, blanche.
L’après-midi d’un dimanche je voudrais bien, quand il fait chaud et qu’il y a de gros raisins, dîner chez une vieille fille en une grande maison de campagne chaude, fraîche, où l’on tend du linge, du linge propre, à des cordes, des liens. Dans la cour il y aurait des petits poussins, qui iraient près du puits — et une jeune fille dînerait avec nous deux seuls comme en famille. Nous ferions un dîner lourd et le vol-au-vent serait sucré avec deux gros pigeons dedans. Nous prendrions le café tous les trois, et ensuite Nous plierions notre serviette très vite, pour aller voir dans le jardin plein de choux bleus. La vieille nous laisserait au jardin tous deux. Nous nous embrasserions longtemps, laissant nos bouches rouges collées auprès des coquelicots rouges. Puis les vêpres sonneraient doucement, — alors elle et moi nous nous presserions encor plus fort.
Je regardais le ciel et je ne voyais que le ciel gris, et un oiseau qui volait haut. Je n’entendais pas un seul cri. Et l’on aurait dit qu’il ne savait où aller dans le ciel mou, et qu’il se laissait tomber, au lieu de voler, comme un caillou. Puis il est parti. — Alors j’ai regardé bas : j’ai vu les toits. Que faisait cet oiseau si haut ? — Je ne sais pas Mais, cette fois, en regardant ce point noir — je n’avais pensé qu’à ce point noir et qu’au grand ciel gris où ce petit point passait. C’était hier soir.
Le paysan le soir vient de la foire et toutes ses brebis marchent avec lui le long des routes. Il y a des veaux qui ne veulent pas marcher et il est obligé, pour les faire avancer, de les tirer par le cou avec une corde. Mais les veaux aux museaux blancs et morveux la mordent. Les brebis se mettent à courir fort parfois et le chien de l’homme, qui a l’air d’être en bois, qui est jaune, les poursuit, aboie en arrière et sur la route cela fait de la poussière. Il y a la haie après la route — et les champs après la haie et après des prés — on entend le gave de là ; plus loin les coteaux paraissent avec de grands carrés verts, jaunes, roux. Où cessent les coteaux, par dessus eux, mais bien plus loin, des montagnes, puis, après elles, l’air sans fin.
Tape le linge dans l’eau claire. Tes bras qui ont des fossettes sont beaux. — Tes jambes tu les serres. Tu es la laveuse qui jettes Dans l’eau le linge dur et sale des paysans aux douces têtes. Et puis ensuite tu l’étales à des ficelles dans les cours qui sont près de l’obscure étable. Les dimanches et les grands jours, il y a des chemises blanches pour tes frères qui font l’amour. Tu danses sous les grandes branches, sur la place publique, au village, et on a envie de tes hanches. Pendant ce temps les garçons sages au tir font péter des capsules et à la loterie ils gagnent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... Tu as l’air ainsi d’être heureuse. Mais demain tape dans l’eau claire le linge qui fait — plac — laveuse — en écoutant l’eau sur les pierres.
La jeune fille est blanche, elle a des veines vertes aux poignets, dans ses manches ouvertes. On ne sait pas pourquoi elle rit. Par moment elle crie et cela est perçant. Est-ce qu’elle se doute qu’elle vous prend le cœur en cueillant sur la route des fleurs ? On dirait quelquefois qu’elle comprend des choses. Pas toujours. Elle cause, tout bas. « Oh ! ma chère ! oh ! la la ... ... figure toi... mardi je l’ai vu.. j’ai rrri » — Elle dit comme ça. Quand un jeune homme souffre, d’abord elle se tait : elle ne rit plus, tout étonnée. Dans les petits chemins, elle remplit ses mains de piquants de bruyères, de fougères. Elle est grande, elle est blanche Elle a des bras très doux. Elle est très droite et penche le cou
1 Je suis dans un pré où coule l’eau froide dans l’herbe, le long des cerisiers, sur des joncs, des cailloux. Les filles mettront les fleurs du pré vert en gerbes pour la procession quand le temps sera doux : les fleurs qu’on appelle bouquets faits, les joncs roses. Les jeunes filles seront en blanc, et, le soir, la procession jonchera le reposoir et le curé dira de bien, bien belles choses. 2 Il élèvera le saint sacrement doré et les larmes viendront aux yeux — ô gloire, gloire, gloire à Dieu, dira-t-on, que son nom soit sacré, il est le Dieu puissant, le Dieu de la victoire. Les encensoirs fumeront et les fleurs en l’air se mêleront ; les filles feront leur voix aiguë et la procession reviendra dans la rue vers quatre heures, quand le soir est encore clair. 3 Les ronces pendent dans le chemin, le vent passe dans les feuilles transparentes des peupliers, et dans le lavoir jaune il y a des laveuses, et souvent des linges à côté sont pliés. Les canards, les poussins jaunes sont dans la boue, les grillons chantent dans la haie, les moucherons au-dessus de l’eau volent en faisant des ronds. Les frelons volent et les petits enfants jouent. 4 Le ciel est bleu. Les herbes près de l’eau sont bleues, et au soleil les maisons en chaux sont plus blanches et les paysans suivent à long pas les bœufs et derrière la herse qui racle ils se penchent. Le vent souffle tout doucement sur le blé vert, mais je passe ennuyé devant toutes ces choses et sur les ajoncs qui piquent près des jardins et près des fermes bien fraîches où aboient les chiens, sur le farouche rouge et sur le trèfle rose. 5 Bien que je m’ennuie, moi, je veux retourner là quand je serai malade encore, voir des bûches dans les vieux jardins et secouer des lilas pour faire pleuvoir les hannetons, boire aux cruches sur l’évier frais, dans la cuisine qui sent fort, et rester seul avec moi d’un air doux et triste et puis me promener seul sans aller trop vite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Les nuages sont blancs, la terre grise est tiède. Devant la ferme l’évier frais sue en dehors ; cet évier est une pierre usée qui est froide même à midi, quand tout est chaud et que tout dort. Les lézards courent sur les briques des murailles dont les ongles peuvent enlever des morceaux. Il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud et l’on s’égratigne les jambes aux broussailles. 7 La terre se fendille et nous avons été cueillir de la mousse pour une croix de tombe ; elle était jaune et sèche et j’ai gratté pour l’arracher ; sur des flaques d’eau jaune tombent des feuilles, et au fond il y a des têtards. Dans les prés il y a des fleurs fines qui bougent ; les pies viennent en criant sur les chênes ronds et sitôt que quelqu’un arrive, elles s’en vont. Vers sept heures tout le fond du ciel est très rouge. 8 Il y a sur la place un soleil chaud et blanc. Sur la place on entend des marteaux qui résonnent dans la forge noire et rouge : un retombement. Les poulets piquent le grain dans la paille jaune. L’herbe a poussé entre les pavés près des bancs où sont des femmes qui causent et qui s’arrêtent de bavarder pour regarder passer les gens. On dirait que les coqs ont du sang à la crête.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Il y a des roses sur le mur où il a plu ; et dans la haie aussi et les feuilles sont molles. Ce matin il y a du brouillard gris, et plus on regarde loin, il est épais. Il se pose sur le coteau au haut des feuilles des pins noirs ; il fait un peu frais, mais pas trop. Je viens de voir des laitières près du mur mouillé plein de roses. 2 Sur la route il y a un peuplier écorcé dont le bois blanc est un peu jauni par la pluie ; j’avais les doigts froids pour les y avoir passés. L’osier mouillé qui tient les portes des champs crie. Le foin du pré est couché ; dans la haie on voit des branches noires de bois sec pleines de gouttes ; une pie est posée sur le bord de la route, la pluie coule de la paille des chars et des toits. 3 Le temps est gris, sans nuages : les hirondelles poussent des cris dans le ciel gris, humide et froid et elles font des croix noires avec leurs ailes. Leur cri est aigu et long au-dessus des toits d’où la fumée sort doucement des briques rouges. L’intérieur des mansardes est noir et profond, et l’on ne peut pas voir ce qu’il y a au fond. Il commence à pleuvoir un peu à grosses gouttes.
Viens, je te mettrai des boucles d’oreilles de cerises et je te montrerai les longues treilles où volent des merles bleus et des grives. Viens, c’est la saison des grandes chaleurs et des fleurs Sur les fossés poudreux les carottes blanches poussent : il y a encor deux ou trois pervenches. Dans le fond des bois frais les oiseaux crient. Le ciel cuit. Dans les mares il y a des joncs longs, et les grenouilles grises font des bonds. Dans les endroits chauds et frais, vois les sources qui sont douces. Dans le terrain rouge ou bien sur la mousse elles coulent près des abeilles rousses.
J’allai à Lourdes par le chemin de fer, le long du gave qui est bleu comme l’air. Au soleil les montagnes semblaient d’étain. Et l’on chantait : sauvez ! sauvez ! dans le train. Il y avait un monde fou, exalté, plein de poussière et du soleil d’été. Des malheureux avec le ventre en avant étendaient leurs bras, priaient en les tordant. Et dans une chaire, où était du drap bleu, Un prêtre disait : « un chapelet à Dieu ! » Et un groupe de femmes, parfois passait, qui chantait : sauvez ! sauvez ! sauvez ! sauvez ! Et la procession chantait. Les drapeaux se penchaient avec leur devises en or. Le soleil était blanc sur les escaliers. dans l’air bleu, sur les clochers déchiquetés. Mais sur un brancard, portée par ses parents, son pauvre père tête nue et priant, et ses frères qui disaient : « ainsi soit-il », une jeune fille sur le point de mourir. Oh ! qu’elle était belle ! elle avait dix-huit ans, et elle souriait ; elle était en blanc. Et la procession chantait. Les drapeaux se penchaient avec leurs devises en or. Moi je serrais les dents pour ne pas pleurer, et cette fille, je me sentais l’aimer. Oh ! elle m’a regardé un grand moment, une rose blanche en main, souriant. Mais maintenant où es-tu ? dis, où es-tu ? es-tu morte ? je t’aime, toi qui m’as vu. Si tu existes, Dieu, ne la tue pas : elle avait des mains blanches, de minces bras. Dieu ne la tue pas ! — et ne serait-ce que pour son père nu-tête qui priait Dieu.
Au moulin du bois froid où coule de l’eau claire, près des rochers il y a de la fougère. Tout près du bois bleu une jeune fille blonde lavait le linge et l’eau coulait à l’ombre. Et elle avait retroussé sa robe assez haut : on voyait ses jambes blanches dans l’eau. Et les chemins étaient frais, étroits, mauvais, noirs comme si ç’avait été le soir. Les chênes ronds et durs empêchaient la chaleur et sur la mousse il y avait des fleurs. Nous marchions sur les petits cailloux des sentiers, près des ronces rouges, des églantiers. Parce qu’on dépiquait du froment, la batteuse ronflait au soleil sur la paille creuse. Mais je repasserai dans le bois où dans l’eau une fille fraîche a la robe haut. J’irai sur la noire et violette bruyère couper avec effort de la fougère. Est-ce que la nuit, quand il y a des étoiles, elle lave encore au ruisseau ses toiles ? Pourquoi cela ? — Bah ! sur la bruyère violette, sur la fille chantera l’alouette. Et je repasserai dans le bois où dans l’eau cette fille blanche a la robe haut.
Tu rirais d’un pauvre diable qui t’aimerait
et cependant tu pourrais devenir la chienne
d’un homme qui ne t’aimerait pas et rirait.
Crois-moi : préfère le pauvre diable sans haine
qui serait pour toi très complaisant et très doux.
Puis, qu’est-ce qui te dit que, comme une chérie,
tu ne mettrais pas tes minces bras à son cou
en croisant tes petits doigts comme quand on prie ?
Va : n’attends pas un grand poète à cheveux longs :
il n’en existe pas plus que des mousquetaires
ou que des princes russes distingués et blonds.
Le bien-aimé ne se trouve pas sur la terre ;
et pourtant devant le pauvre diable tu ris
parce que tu lisais, étant toute petite,
dans les livres de distribution des prix
que les beaux fiancés se faisaient aimer vite.
Regarde les vieux qui sont ridés et tout blancs
et qui dans leur temps croyaient, eux aussi, des choses :
ils ont de grosses veines dans leurs doigts tremblants
et sont confus de s’être offert jadis des roses.
Puis, je crois que si l’on a plus tard des enfants,
il vaut bien mieux qu’un peu d’amitié vous rapproche,
car l’amitié fait mieux aimer l’enfant — souvent
la femme embrasse son mari contre son mioche.
1888-89.
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a été mis au point à l’aide de la numérisation
de l’ouvrage par Google.
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Première mise en ligne le 2 avril 2009.
Présente version générée le 8 avril 2009.