Rien, cette écume, vierge vers À ne désigner que la coupe ; Telle loin se noie une troupe De sirènes mainte à l’envers. Nous naviguons, ô mes divers Amis, moi déjà sur la poupe Vous l’avant fastueux qui coupe Le flot de foudres et d’hivers ; Une ivresse belle m’engage Sans craindre même son tangage De porter debout ce salut Solitude, récif, étoile À n’importe ce qui valut Le blanc souci de notre toile.
Au-dessus du bétail ahuri des humains Bondissaient en clartés les sauvages crinières Des mendieurs d’azur le pied dans nos chemins. Un noir vent sur leur marche éployé pour bannières La flagellait de froid tel jusque dans la chair, Qu’il y creusait aussi d’irritables ornières. Toujours avec l’espoir de rencontrer la mer, Ils voyageaient sans pain, sans bâtons et sans urnes, Mordant au citron d’or de l’idéal amer. La plupart râla dans les défilés nocturnes, S’enivrant du bonheur de voir couler son sang, Ô Mort le seul baiser aux bouches taciturnes ! Leur défaite, c’est par un ange très puissant Debout à l’horizon dans le nu de son glaive : Une pourpre se caille au sein reconnaissant. Ils tètent la douleur comme ils tétaient le rêve Et quand ils vont rythmant des pleurs voluptueux Le peuple s’agenouille et leur mère se lève. Ceux-là sont consolés, sûrs et majestueux ; Mais traînent à leurs pas cent frères qu’on bafoue, Dérisoires martyrs de hasards tortueux. Le sel pareil des pleurs ronge leur douce joue, Ils mangent de la cendre avec le même amour, Mais vulgaire ou bouffon le destin qui les roue. Ils pouvaient exciter aussi comme un tambour La servile pitié des races à voix terne, Égaux de Prométhée à qui manque un vautour ! Non, vils et fréquentant les déserts sans citerne, Ils courent sous le fouet d’un monarque rageur, Le Guignon, dont le rire inouï les prosterne. Amants, il saute en croupe à trois, le partageur ! Puis le torrent franchi, vous plonge en une mare Et laisse un bloc boueux du blanc couple nageur. Grâce à lui, si l’un souffle à son buccin bizarre, Des enfants nous tordront en un rire obstiné Qui, le poing à leur cul, singeront sa fanfare. Grâce à lui, si l’une orne à point un sein fané Par une rose qui nubile le rallume, De la bave luira sur son bouquet damné. Et ce squelette nain, coiffé d’un feutre à plume Et botté, dont l’aisselle a pour poils vrais des vers, Est pour eux l’infini de la vaste amertume. Vexés ne vont-ils pas provoquer le pervers, Leur rapière grinçant suit le rayon de lune Qui neige en sa carcasse et qui passe au travers. Désolés sans l’orgueil qui sacre l’infortune, Et tristes de venger leurs os de coups de bec, Ils convoitent la haine, au lieu de la rancune. Ils sont l’amusement des racleurs de rebec, Des marmots, des putains et de la vieille engeance Des loqueteux dansant quand le broc est à sec. Les poëtes bons pour l’aumône ou la vengeance, Ne connaissant le mal de ces dieux effacés, Les disent ennuyeux et sans intelligence. « Ils peuvent fuir ayant de chaque exploit assez, » Comme un vierge cheval écume de tempête » Plutôt que de partir en galops cuirassés. » Nous soûlerons d’encens le vainqueur dans la fête : » Mais eux, pourquoi n’endosser pas, ces baladins, » D’écarlate haillon hurlant que l’on s’arrête ! » Quand en face tous leur ont craché les dédains, Nuls et la barbe à mots bas priant le tonnerre, Ces héros excédés de malaises badins Vont ridiculement se pendre au réverbère.
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs Vaporeuses, tiraient de mourantes violes De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles. — C’était le jour béni de ton premier baiser. Ma songerie aimant à me martyriser S’enivrait savamment du parfum de tristesse Que même sans regret et sans déboire laisse La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli. J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue Et dans le soir, tu m’es en riant apparue Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Princesse ! à jalouser le destin d’une Hébé Qui poind sur cette tasse au baiser de vos lèvres, J’use mes feux mais n’ai rang discret que d’abbé Et ne figurerai même nu sur le Sèvres. Comme je ne suis pas ton bichon embarbé, Ni la pastille ni du rouge, ni jeux mièvres Et que sur moi je sais ton regard clos tombé, Blonde dont les coiffeurs divins sont des orfèvres ! Nommez-nous... toi de qui tant de ris framboisés Se joignent en troupeau d’agneaux apprivoisés Chez tous broutant les vœux et bêlant aux délires, Nommez-nous... pour qu’Amour ailé d’un éventail M’y peigne flûte aux doigts endormant ce bercail, Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.
Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître Autre que l’histrion qui du geste évoquais Comme plume la suie ignoble des quinquets, J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre. De ma jambe et des bras limpide nageur traître, À bonds multipliés, reniant le mauvais Hamlet ! c’est comme si dans l’onde j’innovais Mille sépulcres pour y vierge disparaître. Hilare or de cymbale à des poings irrité, Tout à coup le soleil frappe la nudité Qui pure s’exhala de ma fraîcheur de nacre, Rance nuit de la peau quand sur moi vous passiez, Ne sachant pas, ingrat ! que c’était tout mon sacre, Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers.
Las du triste hôpital, et de l’encens fétide Qui monte en la blancheur banale des rideaux Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide, Le moribond sournois y redresse un vieux dos, Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture Que pour voir du soleil sur les pierres, coller Les poils blancs et les os de la maigre figure Aux fenêtres qu’un beau rayon clair veut hâler. Et la bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace, Telle, jeune, elle alla respirer son trésor, Une peau virginale et de jadis ! encrasse D’un long baiser amer les tièdes carreaux d’or. Ivre, il vit, oubliant l’horreur des saintes huiles, Les tisanes, l’horloge et le lit infligé, La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles, Son œil, à l’horizon de lumière gorgé, Voit des galères d’or, belles comme des cygnes, Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir ! Ainsi, pris du dégoût de l’homme à l’âme dure Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits Mangent, et qui s’entête à chercher cette ordure Pour l’offrir à la femme allaitant ses petits, Je fuis et je m’accroche à toutes les croisées D’où l’on tourne l’épaule à la vie, et, béni, Dans leur verre, lavé d’éternelles rosées, Que dore le matin chaste de l’Infini Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j’aime — Que la vitre soit l’art, soit la mysticité — À renaître, portant mon rêve en diadème, Au ciel antérieur où fleurit la Beauté ! Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise Vient m’écœurer parfois jusqu’en cet abri sûr, Et le vomissement impur de la Bêtise Me force à me boucher le nez devant l’azur. Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume, D’enfoncer le cristal par le monstre insulté Et de m’enfuir, avec mes deux ailes sans plume — Au risque de tomber pendant l’éternité ?
Des avalanches d’or du vieil azur, au jour Premier et de la neige éternelle des astres Jadis tu détachas les grands calices pour La terre jeune encore et vierge de désastres, Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin, Et ce divin laurier des âmes exilées Vermeil comme le pur orteil du séraphin Que rougit la pudeur des aurores foulées, L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair Et, pareille à la chair de la femme, la rose Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair, Celle qu’un sang farouche et radieux arrose ! Et tu fis la blancheur sanglotante des lys Qui roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure À travers l’encens bleu des horizons pâlis Monte rêveusement vers la lune qui pleure ! Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs, Notre Dame, hosannah du jardin de nos limbes ! Et finisse l’écho par les célestes soirs, Extase des regards, scintillement des nimbes ! Ô Mère qui créas en ton sein juste et fort, Calices balançant la future fiole, De grandes fleurs avec la balsamique Mort Pour le poëte las que la vie étiole.
Le printemps maladif a chassé tristement L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide, Et dans mon être à qui le sang morne préside L’impuissance s’étire en un long bâillement. Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau, Par les champs où la sève immense se pavane Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las, Et creusant de ma face une fosse à mon rêve, Mordant la terre chaude où poussent les lilas, J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève... — Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempête Sous l’incurable ennui que verse mon baiser : Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges, Toi qui sur le néant en sais plus que les morts. Car le Vice, rongeant ma native noblesse M’a comme toi marqué de sa stérilité, Mais tandis que ton sein de pierre est habité Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse, Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul, Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Las de l’amer repos où ma paresse offense Une gloire pour qui jadis j’ai fui l’enfance Adorable des bois de roses sous l’azur Naturel, et plus las sept fois du pacte dur De creuser par veillée une fosse nouvelle Dans le terrain avare et froid de ma cervelle, Fossoyeur sans pitié pour la stérilité, — Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité Par les roses, quand, peur de ses roses livides, Le vaste cimetière unira les trous vides ? — Je veux délaisser l’Art vorace d’un pays Cruel, et, souriant aux reproches vieillis Que me font mes amis, le passé, le génie, Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie, Imiter le Chinois au cœur limpide et fin De qui l’extase pure est de peindre la fin Sur ses tasses de neige à la lune ravie D’une bizarre fleur qui parfume sa vie Transparente, la fleur qu’il a sentie, enfant, Au filigrane bleu de l’âme se greffant. Et, la mort telle avec le seul rêve du sage, Serein, je vais choisir un jeune paysage Que je peindrais encor sur les tasses, distrait. Une ligne d’azur mince et pâle serait Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue, Un clair croissant perdu par une blanche nue Trempe sa corne calme en la glace des eaux, Non loin de trois grands cils d’émeraude, roseaux.
Cependant que la cloche éveille sa voix claire À l’air pur et limpide et profond du matin Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire Un angélus parmi la lavande et le thym, Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire, Chevauchant tristement en geignant du latin Sur la pierre qui tend la corde séculaire, N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain. Je suis cet homme. Hélas ! de la nuit désireuse, J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal, De froids péchés s’ébat un plumage féal, Et la voix ne me vient que par bribes et creuse ! Mais, un jour, fatigué d’avoir en vain tiré, Ô Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.
Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie, En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie, Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux. De ce blanc flamboiement l’immuable accalmie T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux, « Nous ne serons jamais une seule momie Sous l’antique désert et les palmiers heureux ! » Mais ta chevelure est une rivière tiède, Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède Et trouver ce Néant que tu ne connais pas ! Je goûterai le fard pleuré par tes paupières, Pour voir s’il sait donner au cœur que tu frappas L’insensibilité de l’azur et des pierres.
De l’éternel azur la sereine ironie Accable, belle indolemment comme les fleurs, Le poëte impuissant qui maudit son génie À travers un désert stérile de Douleurs. Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde Avec l’intensité d’un remords atterrant, Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ? Brouillards, montez ! Versez vos cendres monotones Avec de longs haillons de brume dans les cieux Que noiera le marais livide des automnes Et bâtissez un grand plafond silencieux ! Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse En t’en venant la vase et les pâles roseaux, Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux. Encor ! que sans répit les tristes cheminées Fument, et que de suie une errante prison Éteigne dans l’horreur de ses noires traînées Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon ! — Le Ciel est mort. — Vers toi, j’accours ! donne, ô matière, L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché À ce martyr qui vient partager la litière Où le bétail heureux des hommes est couché, Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur, N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée, Lugubrement bâiller vers un trépas obscur... En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus Nous faire peur avec sa victoire méchante, Et du métal vivant sort en bleus angelus ! Il roule par la brume, ancien et traverse Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ; Où fuir dans la révolte inutile et perverse ? Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l’ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots... Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur, Un automne jonché de taches de rousseur, Et vers le ciel errant de ton œil angélique Monte, comme dans un jardin mélancolique, Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur ! — Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon, Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
Prends ce sac, Mendiant ! tu ne le cajolas Sénile nourrisson d’une tétine avare Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas. Tire du métal cher quelque péché bizarre Et, vaste comme nous, les poings pleins, le baisons Souffles-y qu’il se torde ! une ardente fanfare. Église avec l’encens que toutes ces maisons Sur les murs quand berceur d’une bleue éclaircie Le tabac sans parler roule les oraisons, Et l’opium puissant brise la pharmacie ! Robes et peau, veux-tu lacérer le satin Et boire en la salive heureuse l’inertie, Par les cafés princiers attendre le matin ? Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles, On jette, au mendiant de la vitre, un festin. Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles D’emballage, l’aurore est un lac de vin d’or Et tu jures avoir au gosier les étoiles ! Faute de supputer l’éclat de ton trésor, Tu peux du moins t’orner d’une plume, à complies Servir un cierge au saint en qui tu crois encor. Ne t’imagine pas que je dis des folies. La terre s’ouvre vieille à qui crève la faim. Je hais une autre aumône et veux que tu m’oublies. Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.
Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée ! Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée, Par le verre brûlé d’aromates et d’or, Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor, L’aurore se jeta sur la lampe angélique. Palmes ! et quand elle a montré cette relique À ce père essayant un sourire ennemi, La solitude bleue et stérile a frémi. Ô la berceuse, avec ta fille et l’innocence De vos pieds froids, accueille une horrible naissance : Et ta voix rappelant viole et clavecin, Avec le doigt fané presseras-tu le sein Par qui coule en blancheur sibylline la femme Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
La Nourrice — Hérodiade N. Tu vis ! ou vois-je ici l’ombre d’une princesse ? À mes lèvres tes doigts et leurs bagues et cesse De marcher dans un âge ignoré... H. Reculez. Le blond torrent de mes cheveux immaculés Quand il baigne mon corps solitaire le glace D’horreur, et mes cheveux que la lumière enlace Sont immortels. Ô femme, un baiser metûrait Si la beauté n’était la mort... Par quel attrait Menée et quel matin oublié des prophètes Verse, sur les lointains mourants, ses tristes fêtes, Le sais-je ? tu m’as vue, ô nourrice d’hiver, Sous la lourde prison de pierres et de fer Où de mes vieux lions traînent les siècles fauves Entrer, et je marchais, fatale, les mains sauves, Dans le parfum désert de ces anciens rois : Mais encore as-tu vu quels furent mes effrois ? Je m’arrête rêvant aux exils, et j’effeuille, Comme près d’un bassin dont le jet d’eau m’accueille, Les pâles lys qui sont en moi, tandis qu’épris De suivre du regard les languides débris Descendre, à travers ma rêverie, en silence, Les lions, de ma robe écartent l’indolence Et regardent mes pieds qui calmeraient la mer. Calme, toi, les frissons de ta sénile chair, Viens et ma chevelure imitant les manières Trop farouches qui font votre peur des crinières, Aide-moi, puisqu’ainsi tu n’oses plus me voir, À me peigner nonchalamment dans un miroir. N. Sinon la myrrhe gaie en ses bouteilles closes, De l’essence ravie aux vieillesses de roses Voulez-vous, mon enfant, essayer la vertu Funèbre ? H. Laisse-là ces parfums ! ne sais-tu Que je les hais, nourrice, et veux-tu que je sente Leur ivresse noyer ma tête languissante ? Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs À répandre l’oubli des humaines douleurs, Mais de l’or, à jamais vierge des aromates, Dans leurs éclairs cruels et dans leurs pâleurs mates, Observent la froideur stérile du métal, Vous ayant reflétés, joyaux du mur natal, Armes, vases depuis ma solitaire enfance. N. Pardon ! l’âge effaçait, reine, votre défense De mon esprit pâli comme un vieux livre ou noir... H. Assez ! Tiens devant moi ce miroir. Ô miroir ! Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée Que de fois et pendant des heures, désolée Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont Comme des feuilles sous ta glace au trou profond, Je m’apparus en toi comme une ombre lointaine, Mais, horreur ! des soirs, dans ta sévère fontaine, J’ai de mon rêve épars connu la nudité ! Nourrice, suis-je belle ? N. Un astre, en vérité Mais cette tresse tombe... H. Arrête dans ton crime Qui refroidit mon sang vers sa source, et réprime Ce geste, impiété fameuse : ah ! conte-moi Quel sûr démon te jette en le sinistre émoi, Ce baiser, ces parfums offerts et, le dirai-je ? Ô mon cœur, cette main encore sacrilège, Car tu voulais, je crois, me toucher, sont un jour Qui ne finira pas sans malheur sur la tour... Ô jour qu’Hérodiade avec effroi regarde ! N. Temps bizarre, en effet, de quoi le ciel vous garde ! Vous errez, ombre seule et nouvelle fureur, Et regardant en vous précoce avec terreur ; Mais toujours adorable autant qu’une immortelle, Ô mon enfant, et belle affreusement et telle Que... H. Mais n’allais-tu pas me toucher ? N. ...J’aimerais Être à qui le destin réserve vos secrets. H. Oh ! tais-toi ! N. Viendra-t-il parfois ? H. Étoiles pures, N’entendez pas ! N. Comment, sinon parmi d’obscures Épouvantes, songer plus implacable encor Et comme suppliant le dieu que le trésor De votre grâce attend ! et pour qui, dévorée D’angoisses, gardez-vous la splendeur ignorée Et le mystère vain de votre être ? H. Pour moi. N. Triste fleur qui croît seule et n’a pas d’autre émoi Que son ombre dans l’eau vue avec atonie. H. Va, garde ta pitié comme ton ironie. N. Toutefois expliquez : oh ! non, naïve enfant, Décroîtra, quelque jour, ce dédain triomphant. H. Mais qui me toucherait, des lions respectée ? Du reste, je ne veux rien d’humain et, sculptée, Si tu me vois les yeux perdus au paradis, C’est quand je me souviens de ton lait bu jadis. N. Victime lamentable à son destin offerte ! H. Oui, c’est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte ! Vous le savez, jardins d’améthyste, enfouis Sans fin dans de savants abîmes éblouis, Ors ignorés, gardant votre antique lumière Sous le sombre sommeil d’une terre première, Vous, pierres où mes yeux comme de purs bijoux Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous Métaux qui donnez à ma jeune chevelure Une splendeur fatale et sa massive allure ! Quant à toi, femme née en des siècles malins Pour la méchanceté des antres sibyllins, Qui parles d’un mortel ! selon qui, des calices De mes robes, arôme aux farouches délices, Sortirait le frisson blanc de ma nudité, Prophétise que si le tiède azur d’été, Vers lui nativement la femme se dévoile, Me voit dans ma pudeur grelottante d’étoile, Je meurs ! J’aime l’horreur d’être vierge et je veux Vivre parmi l’effroi que me font mes cheveux Pour, le soir, retirée en ma couche, reptile Inviolé sentir en la chair inutile Le froid scintillement de ta pâle clarté Toi qui te meurs, toi qui brûles de chasteté, Nuit blanche de glaçons et de neige cruelle ! Et ta sœur solitaire, ô ma sœur éternelle Mon rêve montera vers toi : telle déjà, Rare limpidité d’un cœur qui le songea, Je me crois seule en ma monotone patrie Et tout, autour de moi, vit dans l’idolâtrie D’un miroir qui reflète en son calme dormant Hérodiade au clair regard de diamant... Ô charme dernier, oui ! je le sens, je suis seule. N. Madame, allez-vous donc mourir ? H. Non, pauvre aïeule, Sois calme et, t’éloignant, pardonne à ce cœur dur, Mais avant, si tu veux, clos les volets, l’azur Séraphique sourit dans les vitres profondes, Et je déteste, moi, le bel azur ! Des ondes Se bercent et, là-bas, sais-tu pas un pays Où le sinistre ciel ait les regards haïs De Vénus qui, le soir, brûle dans le feuillage : J’y partirais. Allume encore, enfantillage Dis-tu, ces flambeaux où la cire au feu léger Pleure parmi l’or vain quelque pleur étranger Et... N. Maintenant ? H. Adieu. Vous mentez, ô fleur nue De mes lèvres. J’attends une chose inconnue Ou peut-être, ignorant le mystère et vos cris, Jetez-vous les sanglots suprêmes et meurtris D’une enfance sentant parmi les rêveries Se séparer enfin ses froides pierreries.
Le Faune Ces nymphes, je les veux perpétuer. Si clair, Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air Assoupi de sommeils touffus. Aimai-je un rêve ? Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais Pour triomphe la faute idéale de roses. Réfléchissons... ou si les femmes dont tu gloses Figurent un souhait de tes sens fabuleux ! Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste : Mais, l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste Comme brise du jour chaude dans ta toison ? Que non ! par l’immobile et lasse pâmoison Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte, Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant Qu’il disperse le son dans une pluie aride, C’est, à l’horizon pas remué d’une ride, Le visible et serein souffle artificiel De l’inspiration, qui regagne le ciel. Ô bords siciliens d’un calme marécage Qu’à l’envi de soleils ma vanité saccage, Tacite sous les fleurs d’étincelles, contez « Que je coupais ici les creux roseaux domptés » Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines » Verdures dédiant leur vigne à des fontaines, » Ondoie une blancheur animale au repos : » Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux, » Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve » Ou plonge... » Inerte, tout brûle dans l’heure fauve Sans marquer par quel art ensemble détala Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la : Alors m’éveillerai-je à la ferveur première, Droit et seul, sous un flot antique de lumière, Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité. Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité, Le baiser, qui tout bas des perfides assure, Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure Mystérieuse, due à quelque auguste dent ; Mais, bast ! arcane tel élut pour confident Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue : Qui, détournant à soi le trouble de la joue, Rêve, dans un solo long, que nous amusions La beauté d’alentour par des confusions Fausses entre elle-même et notre chant crédule ; Et de faire aussi haut que l’amour se module Évanouir du songe ordinaire de dos Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos, Une sonore, vaine et monotone ligne. Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends ! Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps Des déesses ; et par d’idolâtres peintures, À leur ombre enlever encore des ceintures : Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté, Pour bannir un regret par ma feinte écarté, Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers. Ô nymphes, regonflons des souvenirs divers. « Mon œil, trouant les joncs, dardait chaque encolure » Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure » Avec un cri de rage au ciel de la forêt ; » Et le splendide bain de cheveux disparaît » Dans les clartés et les frissons, ô pierreries ! » J’accours ; quand, à mes pieds, s’entrejoignent (meurtries » De la langueur goûtée à ce mal d’être deux) » Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux ; » Je les ravis, sans les désenlacer, et vole » À ce massif, haï par l’ombrage frivole, » De roses tarissant tout parfum au soleil, » Où notre ébat au jour consumé soit pareil. » Je t’adore, courroux des vierges, ô délice Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair Tressaille ! la frayeur secrète de la chair : Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide Que délaisse à la fois une innocence, humide De larmes folles ou de moins tristes vapeurs. « Mon crime, c’est d’avoir, gai de vaincre ces peurs » Traîtresses, divisé la touffe échevelée » De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée : » Car, à peine j’allais cacher un rire ardent » Sous les replis heureux d’une seule (gardant » Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume » Se teignît à l’émoi de sa sœur qui s’allume, » La petite, naïve et ne rougissant pas :) » Que de mes bras, défaits par de vagues trépas, » Cette proie, à jamais ingrate se délivre » Sans pitié du sanglot dont j’étais encore ivre. » Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront Par leur tresse nouée aux cornes de mon front : Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre, Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ; Et notre sang, épris de qui le va saisir, Coule pour tout l’essaim éternel du désir. À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte Une fête s’exalte en la feuillée éteinte : Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus Sur ta lave posant ses talons ingénus, Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme. Je tiens la reine ! Ô sûr châtiment... Non, mais l’âme De paroles vacante et ce corps alourdi Tard succombent au fier silence de midi : Sans plus il faut dormir en l’oubli du blasphème, Sur le sable altéré gisant et comme j’aime Ouvrir ma bouche à l’astre efficace des vins ! Couple, adieu ; je vais voir l’ombre que tu devins.
La chevelure vol d’une flamme à l’extrême Occident de désirs pour la tout déployer Se pose (je dirais mourir un diadème) Vers le front couronné son ancien foyer Mais sans or soupirer que cette vive nue L’ignition du feu toujours intérieur Originellement la seule continue Dans le joyau de l’œil véridique ou rieur Une nudité de héros tendre diffame Celle qui ne mouvant astre ni feux au doigt Rien qu’à simplifier avec gloire la femme Accomplit par son chef fulgurante l’exploit De semer de rubis le doute qu’elle écorche Ainsi qu’une joyeuse et tutélaire torche.
À la fenêtre recelant Le santal vieux qui se dédore De sa viole étincelant Jadis avec flûte ou mandore, Est la Sainte pâle, étalant Le livre vieux qui se déplie Du Magnificat ruisselant Jadis selon vêpre et complie : À ce vitrage d’ostensoir Que frôle une harpe par l’Ange Formée avec son vol du soir Pour la délicate phalange Du doigt que, sans le vieux santal Ni le vieux livre, elle balance Sur le plumage instrumental, Musicienne du silence.
Ô de notre bonheur, toi, le fatal emblème ! Salut de la démence et libation blême, Ne crois pas qu’au magique espoir du corridor J’offre ma coupe vide où souffre un monstre d’or ! Ton apparition ne va pas me suffire : Car je t’ai mis, moi-même, en un lieu de porphyre. Le rite est pour les mains d’éteindre le flambeau Contre le fer épais des portes du tombeau : Et l’on ignore mal, élu pour notre fête Très simple de chanter l’absence du poëte, Que ce beau monument l’enferme tout entier. Si ce n’est que la gloire ardente du métier, Jusqu’à l’heure commune et vile de la cendre, Par le carreau qu’allume un soir fier d’y descendre, Retourne vers les feux du pur soleil mortel ! Magnifique, total et solitaire, tel Tremble de s’exhaler le faux orgueil des hommes. Cette foule hagarde ! elle annonce : Nous sommes La triste opacité de nos spectres futurs. Mais le blason des deuils épars sur de vains murs, J’ai méprisé l’horreur lucide d’une larme, Quand, sourd même à mon vers sacré qui ne l’alarme, Quelqu’un de ces passants, fier, aveugle et muet, Hôte de son linceul vague, se transmuait En le vierge héros de l’attente posthume. Vaste gouffre apporté dans l’amas de la brume Par l’irascible vent des mots qu’il n’a pas dits, Le néant à cet Homme aboli de jadis : « Souvenirs d’horizons, qu’est-ce, ô toi, que la Terre ? » Hurle ce songe ; et, voix dont la clarté s’altère, L’espace a pour jouet le cri : « Je ne sais pas ! » Le Maître, par un œil profond, a, sur ses pas, Apaisé de l’éden l’inquiète merveille Dont le frisson final, dans sa voix seule, éveille Pour la Rose et le Lys le mystère d’un nom. Est-il de ce destin rien qui demeure, non ? Ô vous tous, oubliez une croyance sombre. Le splendide génie éternel n’a pas d’ombre. Moi, de votre désir soucieux, je veux voir, À qui s’évanouit, hier, dans le devoir Idéal que nous font les jardins de cet astre, Survivre pour l’honneur du tranquille désastre Une agitation solennelle par l’air De paroles, pourpre ivre et grand calice clair, Que, pluie et diamant, le regard diaphane Resté là sur ces fleurs dont nulle ne se fane, Isole parmi l’heure et le rayon du jour ! C’est de nos vrais bosquets déjà tout le séjour, Où le poëte pur a pour geste humble et large De l’interdire au rêve, ennemi de sa charge : Afin que le matin de son repos altier, Quand la mort ancienne et comme pour Gautier De n’ouvrir pas les yeux sacrés et de se taire, Surgisse, de l’allée ornement tributaire, Le sépulcre solide où gît tout ce qui nuit, Et l’avare silence et la massive nuit.
(pour des Esseintes)
Hyperbole ! de ma mémoire
Triomphalement ne sais-tu
Te lever, aujourd’hui grimoire
Dans un livre de fer vêtu :
Car j’installe, par la science,
L’hymne des cœurs spirituels
En l’œuvre de ma patience,
Atlas, herbiers et rituels.
Nous promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
Ô sœur, y comparant les tiens.
L’ère d’autorité se trouble
Lorsque, sans nul motif, on dit
De ce midi que notre double
Inconscience approfondit
Que, sol des cent iris, son site,
Ils savent s’il a bien été,
Ne porte pas de nom que cite
L’or de la trompette d’Été.
Oui, dans une île que l’air charge
De vue et non de visions
Toute fleur s’étalait plus large
Sans que nous en devisions.
Telles, immenses, que chacune
Ordinairement se para
D’un lucide contour, lacune,
Qui des jardins la sépara.
Gloire du long désir, Idées
Tout en moi s’exaltait de voir
La famille des iridées
Surgir à ce nouveau devoir,
Mais cette sœur sensée et tendre
Ne porta son regard plus loin
Que sourire et, comme à l’entendre
J’occupe mon antique soin.
Oh ! sache l’Esprit de litige,
À cette heure où nous nous taisons,
Que de lis multiples la tige
Grandissait trop pour nos raisons
Et non comme pleure la rive,
Quand son jeu monotone ment
À vouloir que l’ampleur arrive
Parmi mon jeune étonnement
D’ouïr tout le ciel et la carte
Sans fin attestés sur mes pas,
Par le flot même qui s’écarte,
Que ce pays n’exista pas.
L’enfant abdique son extase
Et docte déjà par chemins
Elle dit le mot : Anastase !
Né pour d’éternels parchemins,
Avant qu’un sépulcre ne rie
Sous aucun climat, son aïeul,
De porter ce nom : Pulchérie !
Caché par le trop grand glaïeul.
de Madame Mallarmé
Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux
Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui
Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre
Seule à me rendre chagrin)
Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse.
de Mademoiselle Mallarmé
Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.
Vertige ! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu’un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l’unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d’un bracelet.
Tout à coup et comme par jeu Mademoiselle qui voulûtes Ouïr se révéler un peu Le bois de mes diverses flûtes Il me semble que cet essai Tenté devant un paysage A du bon quand je le cessai Pour vous regarder au visage Oui ce vain souffle que j’exclus Jusqu’à la dernière limite Selon mes quelques doigts perclus Manque de moyens s’il imite Votre très naturel et clair Rire d’enfant qui charme l’air.
À des heures et sans que tel souffle l’émeuve Toute la vétusté presque couleur encens Comme furtive d’elle et visible je sens Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve Flotte ou semble par soi n’apporter une preuve Sinon d’épandre pour baume antique le temps Nous immémoriaux quelques-uns si contents Sur la soudaineté de notre amitié neuve Ô très chers rencontrés en le jamais banal Bruges multipliant l’aube au défunt canal Avec la promenade éparse de maint cygne Quand solennellement cette cité m’apprit Lesquels entre ses fils un autre vol désigne À prompte irradier ainsi qu’aile l’esprit.
Hors de la poix rien à faire, Le lys naît blanc, comme odeur Simplement je le préfère À ce bon raccommodeur. Il va de cuir à ma paire Adjoindre plus que je n’eus Jamais, cela désespère Un besoin de talons nus. Son marteau qui ne dévie Fixe de clous gouailleurs Sur la semelle l’envie Toujours conduisant ailleurs. Il recréerait des souliers, Ô pieds ! si vous le vouliez !
Ta paille azur de lavandes, Ne crois pas avec ce cil Osé que tu me la vendes Comme à l’hypocrite s’il En tapisse la muraille De lieux les absolus lieux Pour le ventre qui se raille Renaître aux sentiments bleus. Mieux entre une envahissante Chevelure ici mets-la Que le brin salubre y sente, Zéphirine, Paméla Ou conduise vers l’époux Les prémices de tes poux.
Par les rafales à propos De rien comme occuper la rue Sujette au noir vol de chapeaux ; Mais une danseuse apparue Tourbillon de mousseline ou Fureur éparses en écumes Que soulève par son genou Celle même dont nous vécûmes Pour tout, hormis lui, rebattu Spirituelle, ivre, immobile Foudroyer avec le tutu, Sans se faire autrement de bile Sinon rieur que puisse l’air De sa jupe éventer Whistler.
Quelconque une solitude Sans le cygne ni le quai Mire sa désuétude Au regard que j’abdiquai Ici de la gloriole Haute à ne la pas toucher Dont maint ciel se bariole Avec les ors de coucher Mais langoureusement longe Comme de blanc linge ôté Tel fugace oiseau si plonge Exultatrice à côté Dans l’onde toi devenue Ta jubilation nue.
Indomptablement a dû Comme mon espoir s’y lance Éclater là-haut perdu Avec furie et silence, Voix étrangère au bosquet Ou par nul écho suivie, L’oiseau qu’on n’ouït jamais Une autre fois en la vie. Le hagard musicien, Cela dans le doute expire Si de mon sein pas du sien A jailli le sanglot pire Déchiré va-t-il entier Rester sur quelque sentier !
Quand l’ombre menaça de la fatale loi Tel vieux Rêve, désir et mal de mes vertèbres, Affligé de périr sous les plafonds funèbres Il a ployé son aile indubitable en moi. Luxe, ô salle d’ébène où, pour séduire un roi Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres, Vous n’êtes qu’un orgueil menti par les ténèbres Aux yeux du solitaire ébloui de sa foi. Oui, je sais qu’au lointain de cette nuit, la Terre Jette d’un grand éclat l’insolite mystère, Sous les siècles hideux qui l’obscurcissent moins. L’espace à soi pareil qu’il s’accroisse ou se nie Roule dans cet ennui des feux vils pour témoins Que s’est d’un astre en fête allumé le génie.
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n’avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui. Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie, Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris. Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.
Victorieusement fui le suicide beau Tison de gloire, sang par écume, or, tempête ! Ô rire si là-bas une pourpre s’apprête À ne tendre royal que mon absent tombeau. Quoi ! de tout cet éclat pas même le lambeau S’attarde, il est minuit, à l’ombre qui nous fête Excepté qu’un trésor présomptueux de tête Verse son caressé nonchaloir sans flambeau, La tienne si toujours le délice ! la tienne Oui seule qui du ciel évanoui retienne Un peu de puéril triomphe en t’en coiffant Avec clarté quand sur les coussins tu la poses Comme un casque guerrier d’impératrice enfant Dont pour te figurer il tomberait des roses.
Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx, Aboli bibelot d’inanité sonore, (Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.) Mais proche la croisée au nord vacante, un or Agonise selon peut-être le décor Des licornes ruant du feu contre une nixe, Elle, défunte nue en le miroir, encor Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe De scintillations sitôt le septuor.
Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change, Le Poëte suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la mort triomphait dans cette voix étrange ! Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange. Du sol et de la nue hostiles, ô grief ! Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne, Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur, Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.
Le temple enseveli divulgue par la bouche Sépulcrale d’égout bavant boue et rubis Abominablement quelque idole Anubis Tout le museau flambé comme un aboi farouche Ou que le gaz récent torde la mèche louche Essuyeuse on le sait des opprobres subis Il allume hagard un immortel pubis Dont le vol selon le réverbère découche Quel feuillage séché dans les cités sans soir Votif pourra bénir comme elle se rasseoir Contre le marbre vainement de Baudelaire Au voile qui la ceint absente avec frissons Celle son Ombre même un poison tutélaire Toujours à respirer si nous en périssons.
Anniversaire — Janvier 1897.
Le noir roc courroucé que la bise le roule
Ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains
Tâtant sa ressemblance avec les maux humains
Comme pour en bénir quelque funeste moule.
Ici presque toujours si le ramier roucoule
Cet immatériel deuil opprime de maints
Nubiles plis l’astre mûri des lendemains
Dont un scintillement argentera la foule.
Qui cherche, parcourant le solitaire bond
Tantôt extérieur de notre vagabond —
Verlaine ? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine
À ne surprendre que naïvement d’accord
La lèvre sans y boire ou tarir son haleine
Un peu profond ruisseau calomnié la mort.
Le silence déjà funèbre d’une moire Dispose plus qu’un pli seul sur le mobilier Que doit un tassement du principal pilier Précipiter avec le manque de mémoire. Notre si vieil ébat triomphal du grimoire, Hiéroglyphes dont s’exalte le millier À propager de l’aile un frisson familier ! Enfouissez-le-moi plutôt dans une armoire. Du souriant fracas originel haï Entre elles de clartés maîtresses a jailli Jusque vers un parvis né pour leur simulacre, Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins, Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre Mal tu par l’encre même en sanglots sibyllins.
Toute Aurore même gourde À crisper un poing obscur Contre des clairons d’azur Embouchés par cette sourde A le pâtre avec la gourde Jointe au bâton frappant dur Le long de son pas futur Tant que la source ample sourde Par avance ainsi tu vis Ô solitaire Puvis De Chavannes jamais seul De conduire le temps boire À la nymphe sans linceul Que lui découvre ta Gloire.
Au seul souci de voyager Outre une Inde splendide et trouble — Ce salut soit le messager Du temps, cap que ta poupe double Comme sur quelque vergue bas Plongeante avec la caravelle Écumait toujours en ébats Un oiseau d’annonce nouvelle Qui criait monotonement Sans que la barre ne varie Un inutile gisement Nuit, désespoir et pierrerie Par son chant reflété jusqu’au Sourire du pâle Vasco.
Tout Orgueil fume-t-il du soir, Torche dans un branle étouffée Sans que l’immortelle bouffée Ne puisse à l’abandon surseoir ! La chambre ancienne de l’hoir De maint riche mais chu trophée Ne serait pas même chauffée S’il survenait par le couloir. Affres du passé nécessaires Agrippant comme avec des serres Le sépulcre de désaveu, Sous un marbre lourd qu’elle isole Ne s’allume pas d’autre feu Que la fulgurante console.
Surgi de la croupe et du bond D’une verrerie éphémère Sans fleurir la veillée amère Le col ignoré s’interrompt. Je crois bien que deux bouches n’ont Bu, ni son amant ni ma mère, Jamais à la même Chimère, Moi, sylphe de ce froid plafond ! Le pur vase d’aucun breuvage Que l’inexhaustible veuvage Agonise mais ne consent, Naïf baiser des plus funèbres ! À rien expirer annonçant Une rose dans les ténèbres.
Une dentelle s’abolit Dans le doute du Jeu suprême À n’entr’ouvrir comme un blasphème Qu’absence éternelle de lit. Cet unanime blanc conflit D’une guirlande avec la même, Enfui contre la vitre blême Flotte plus qu’il n’ensevelit. Mais, chez qui du rêve se dore Tristement dort une mandore Au creux néant musicien Telle que vers quelque fenêtre Selon nul ventre que le sien, Filial on aurait pu naître.
Quelle soie aux baumes de temps Où la Chimère s’exténue Vaut la torse et native nue Que, hors de ton miroir, tu tends ! Les trous de drapeaux méditants S’exaltent dans notre avenue : Moi, j’ai ta chevelure nue Pour enfouir mes yeux contents. Non ! La bouche ne sera sûre De rien goûter à sa morsure, S’il ne fait, ton princier amant, Dans la considérable touffe Expirer, comme un diamant, Le cri des Gloires qu’il étouffe.
M’introduire dans ton histoire C’est en héros effarouché S’il a du talon nu touché Quelque gazon de territoire À des glaciers attentatoire Je ne sais le naïf péché Que tu n’auras pas empêché De rire très haut sa victoire Dis si je ne suis pas joyeux Tonnerre et rubis aux moyeux De voir en l’air que ce feu troue Avec des royaumes épars Comme mourir pourpre la roue Du seul vespéral de mes chars.
À la nue accablante tu Basse de basalte et de laves À même les échos esclaves Par une trompe sans vertu Quel sépulcral naufrage (tu Le sais, écume, mais y baves) Suprême une entre les épaves Abolit le mât dévêtu Ou cela que furibond faute De quelque perdition haute Tout l’abîme vain éployé Dans le si blanc cheveu qui traîne Avarement aura noyé Le flanc enfant d’une sirène.
Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos, Il m’amuse d’élire avec le seul génie Une ruine, par mille écumes bénie Sous l’hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux. Coure le froid avec ses silences de faux, Je n’y hululerai pas de vide nénie Si ce très blanc ébat au ras du sol dénie À tout site l’honneur du paysage faux. Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale Trouve en leur docte manque une saveur égale : Qu’un éclate de chair humain et parfumant ! Le pied sur quelque guivre où notre amour tisonne, Je pense plus longtemps peut-être éperdument À l’autre, au sein brûlé d’une antique amazone.
Ce Premier Cahier, sauf intercalation de peu de pièces jetées
plutôt en cul-de-lampes sur les marges :
Salut
Éventail, de Madame Mallarmé
Feuillet d’Album
Remémoration d’amis belges
Chansons Bas I et II
Billet à Whistler
Petit air I et II,
et les sonnets :
Le Tombeau de Charles Baudelaire
À la nue accablante tu...
suit l’ordre, sans le groupement, présentés par l’Édition
fac-similé faite sur le manuscrit de l’auteur, en 1887.
À quelques corrections près, introduites avec la réimpression
des Morceaux choisis, Vers et Prose, par la Librairie Académique,
le texte reste celui de la belle publication souscrite puis envolée
à tant d’enchères, qui le fixa. Sa rareté se fleurissait,
en le format original, déjà, du chef-d’œuvre de Rops.
Pas de leçon antérieure ici donnée, en tant que variante.
Beaucoup de ces poëmes, ou études en vue de mieux, comme
on essaie les becs de sa plume avant de se mettre à l’œuvre,
ont été distraits de leur carton par des impatiences amies
de Revues en quête de leur numéro d’apparition : et prennent
note de projets, en points de repère, qui fixent, trop rares
ou trop nombreux, selon le point de vue double que lui-même partage
l’auteur, il les conserve en raison de ceci que la jeunesse voulut bien
en tenir compte et autour un public se former.
SALUT (page 4) : ce Sonnet, en levant le verre, récemment à
un Banquet, de la Plume, avec l’honneur d’y présider.
APPARITION (page 7) tenta les musiciens, entre qui MM. Bailly et André
Rossignol qui y adaptèrent des notes délicieuses.
LE PITRE CHÂTIÉ (page 8) parut, quoique ancien, la première
fois, dans la grande édition de la Revue Indépendante.
LES FENÊTRES, LES FLEURS, RENOUVEAU, ANGOISSE (d’abord À Celle
qui est tranquille), LE SONNEUR, TRISTESSE D’ÉTÉ,
L’AZUR, BRISE MARINE, SOUPIR, AUMÔNE (intitulé le Mendiant),
« Las d’un amer repos où ma paresse offense », (pages
9 à 16) composent la série qui, dans cet ouvrage cité
toujours, s’appelle du Premier Parnasse contemporain.
HÉRODIADE (page 17), ici fragment, ou seule la partie dialoguée,
comporte, outre le cantique de saint Jean et sa conclusion en un dernier
monologue, des Prélude et Finale qui seront ultérieurement
publiés, et s’arrange en poème.
L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE (page 22) parut à part, intérieurement
décoré par Manet, une des premières plaquettes
coûteuses et sac à bonbons mais de rêve et un peu
orientaux avec son « feutre du Japon, titré d’or et noué
de cordons rose-de-Chine et noirs », ainsi que s’exprime l’affiche :
puis M. Dujardin fit, de ces vers introuvables autre part que dans sa
photogravure, une édition populaire, épuisée.
TOAST FUNÈBRE, vient du recueil collectif le Tombeau de Théophile
Gautier, Maître et Ombre à qui s’adresse l’Invocation ;
son nom apparaît, en rime, avant la fin.
PROSE pour des Esseintes ; il l’eût, peut-être, insérée,
ainsi qu’on lit page 28 en l’À-rebours de notre Huysmans.
« Tout à coup et comme par jeu » est recopié
indiscrètement à l’album de la fille du poëte provençal
Roumanille, mon vieux camarade : je l’avais admirée, enfant et
elle voulut s’en souvenir pour me prier, demoiselle, de quelques vers.
REMÉMORATION. — J’éprouvai un plaisir à envoyer
ce sonnet au Livre d’Or du Cercle Excelsior, où j’avais fait
une conférence et connu des amis.
CHANSONS BAS I et II, commentent, avec divers quatrains, dans le recueil
les Types de Paris, les illustrations du Maître-peintre
Raffaelli, qui les inspira et les accepta.
BILLET, paru, en français, comme illustration au journal anglais
the Whirlwind (le Tourbillon) envers qui Whistler fut princier.
PETITS AIRS, I, pour inaugurer, novembre 1894,
la superbe publication l’Épreuve.
II, appartient à l’album de M. Daudet.
LE TOMBEAU D’EDGAR POE. — Mêlé au cérémonial,
il y fut récité, en l’érection d’un monument de
Poe, à Baltimore, un bloc de basalte que l’Amérique appuya
sur l’ombre légère du Poëte, pour sa sécurité
qu’elle n’en ressortît jamais.
LE TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE. — Fait partie du livre ayant ce titre,
publié par souscription en vue de quelque statue, buste ou médaillon,
commémoratifs.
HOMMAGE, entre plusieurs, d’un poëte français, convoqués
par l’admirable Revue Wagnérienne, disparue avec le triomphe
définitif du Génie.
Tant de minutie témoigne, inutilement peut-être, de quelque déférence aux scoliastes futurs.
Une négresse par le démon secouée Veut goûter une enfant triste de fruits nouveaux Et criminels aussi sous leur robe trouée Cette goinfre s’apprête à de rusés travaux : À son ventre compare heureuse deux tétines Et, si haut que la main ne le saura saisir, Elle darde le choc obscur de ses bottines Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir. Contre la nudité peureuse de gazelle Qui tremble, sur le dos tel un fol éléphant Renversée elle attend et s’admire avec zèle, En riant de ses dents naïves à l’enfant ; Et, dans ses jambes où la victime se couche, Levant une peau noire ouverte sous le crin, Avance le palais de cette étrange bouche Pâle et rose comme un coquillage marin.
La Nourrice (Incantation) Abolie, et son aile affreuse dans les larmes Du bassin, aboli, qui mire les alarmes, Des ors nus fustigeant l’espace cramoisi, Une Aurore a, plumage héraldique, choisi Notre tour cinéraire et sacrificatrice, Lourde tombe qu’a fuie un bel oiseau, caprice Solitaire d’aurore au vain plumage noir... Ah ! des pays déchus et tristes le manoir ! Pas de clapotement ! L’eau morne se résigne, Que ne visite plus la plume ni le cygne Inoubliable : l’eau reflète l’abandon De l’automne éteignant en elle son brandon : Du cygne quand parmi le pâle mausolée Où la plume plongea la tête, désolée Par le diamant pur de quelque étoile, mais Antérieure, qui ne scintilla jamais. Crime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice ! Pourpre d’un ciel ! Étang de la pourpre complice ! Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail. La chambre singulière en un cadre, attirail De siècle belliqueux, orfèvrerie éteinte, A le neigeux jadis pour ancienne teinte, Et sa tapisserie, au lustre nacré, plis Inutiles avec les yeux ensevelis De sibylles offrant leur ongle vieil aux Mages. Une d’elles, avec un passé de ramages Sur ma robe blanchie en l’ivoire fermé Au ciel d’oiseaux parmi l’argent noir parsemé, Semble, de vols partir costumée et fantôme, Un arôme qui porte, ô roses ! un arôme, Loin du lit vide qu’un cierge soufflé cachait, Un arôme d’ors froids rôdant sur le sachet, Une touffe de fleurs parjures à la lune (A la cire expirée encor s’effeuille l’une), De qui le long regret et les tiges de qui Trempent en un seul verre à l’éclat alangui. Une Aurore traînait ses ailes dans les larmes ! Ombre magicienne aux symboliques charmes ! Une voix, du passé longue évocation, Est-ce la mienne prête à l’incantation ? Encore dans les plis jaunes de la pensée Traînant, antique, ainsi qu’une étoile encensée Sur un confus amas d’ostensoirs refroidis, Par les trous anciens et par les plis roidis Percés selon le rythme et les dentelles pures Du suaire laissant par ses belles guipures Désespéré monter le vieil éclat voilé S’élève : (ô quel lointain en ces appels celé !) Le vieil éclat voilé du vermeil insolite, De la voix languissant, nulle, sans acolyte, Jettera-t-il son or par dernières splendeurs, Elle, encore, l’antienne aux versets demandeurs, À l’heure d’agonie et de luttes funèbres ! Et, force du silence et des noires ténèbres Tout rentre également en l’ancien passé, Fatidique, vaincu, monotone, lassé, Comme l’eau des bassins anciens se résigne. Elle a chanté, parfois incohérente, signe Lamentable ! le lit aux pages de vélin, Tel, inutile et si claustral, n’est pas le lin ! Qui des rêves par plis n’a plus le cher grimoire, Ni le dais sépulcral à la déserte moire, Le parfum des cheveux endormis. L’avait-il ? Froide enfant, de garder en son plaisir subtil Au matin grelottant de fleurs, ses promenades, Et quand le soir méchant a coupé les grenades ! Le croissant, oui le seul est au cadran de fer De l’horloge, pour poids suspendant Lucifer, Toujours blessé, toujours une nouvelle heurée, Par la clepsydre à la goutte obscure pleurée, Que, délaissée, elle erre, et sur son ombre pas Un ange accompagnant son indicible pas ! Il ne sait pas cela le roi qui salarie, Depuis longtemps la gorge ancienne est tarie. Son père ne sait pas cela, ni le glacier Farouche reflétant de ses armes l’acier, Quand sur un tas gisant de cadavres sans coffre Odorant de résine, énigmatique, il offre Ses trompettes d’argent obscur aux vieux sapins ! Reviendra-t-il un jour des pays cisalpins ! Assez tôt ? Car tout est présage et mauvais rêve ! À l’ongle qui parmi le vitrage s’élève Selon le souvenir des trompettes, le vieux Ciel brûle, et change un doigt en un cierge envieux. Et bientôt sa rougeur de triste crépuscule Pénétrera du corps la cire qui recule ! De crépuscule, non, mais de rouge lever, Lever du jour dernier qui vient tout achever, Si triste se débat, que l’on ne sait plus l’heure La rougeur de ce temps prophétique qui pleure Sur l’enfant, exilée en son cœur précieux Comme un cygne cachant en sa plume ses yeux, Comme les mit le vieux cygne en sa plume, allée De la plume détresse, en l’éternelle allée De ses espoirs, pour voir les diamants élus D’une étoile mourante, et qui ne brille plus.
Le soleil que sa halte Surnaturelle exalte Aussitôt redescend Incandescent Je sens comme aux vertèbres S’éployer des ténèbres Toutes dans un frisson À l’unisson Et ma tête surgie Solitaire vigie Dans les vols triomphaux De cette faux Comme rupture franche Plutôt refoule ou tranche Les anciens désaccords Avec le corps Qu’elle de jeûnes ivre S’opiniâtre à suivre En quelque bond hagard Son pur regard Là-haut où la froidure Éternelle n’endure Que vous le surpassiez Tous ô glaciers Mais selon un baptème Illuminée au même Principe qui m’élut Penche un salut.
(Pour votre chère morte, son ami.)
2 novembre 1877
— « Sur les bois oubliés quand passe l’hiver sombre
Tu te plains, ô captif solitaire du seuil,
Que ce sépulcre à deux qui fera notre orgueil
Hélas ! du manque seul des lourds bouquets s’encombre.
Sans écouter Minuit qui jeta son vain nombre,
Une veille t’exalte à ne pas fermer l’œil
Avant que dans les bras de l’ancien fauteuil
Le suprême tison n’ait éclairé mon Ombre.
Qui veut souvent avoir la Visite ne doit
Par trop de fleurs charger la pierre que mon doigt
Soulève avec l’ennui d’une force défunte.
Âme au si clair foyer tremblante de m’asseoir,
Pour revivre il suffit qu’à tes lèvres j’emprunte
Le souffle de mon nom murmuré tout un soir. »
De frigides roses pour vivre
Toutes la même interrompront
Avec un blanc calice prompt
Votre souffle devenu givre
Mais que mon battement délivre
La touffe par un choc profond
Cette frigidité se fond
En du rire de fleurir ivre
À jeter le ciel en détail
Voilà comme bon éventail
Tu conviens mieux qu’une fiole
Nul n’enfermant à l’émeri
Sans qu’il y perde ou le viole
L’arôme émané de Méry.
1890.
Mary sans trop d’ardeur à la fois enflammant La rose qui cruelle ou déchirée et lasse Même du blanc habit de pourpre le délace Pour ouïr dans sa chair pleurer le diamant Oui sans ces crises de rosée et gentiment Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe Jalouse d’apporter je ne sais quel espace Au simple jour le jour très vrai du sentiment, Ne te semble-t-il pas, Mary, que chaque année Dont sur ton front renaît la grâce spontanée Suffise selon quelque apparence et pour moi Comme un éventail frais dans la chambre s’étonne À raviver du peu qu’il faut ici d’émoi Toute notre native amitié monotone.
Ô si chère de loin et proche et blanche, si Délicieusement toi, Mary, que je songe À quelque baume rare émané par mensonge Sur aucun bouquetier de cristal obscurci Le sais-tu, oui ! pour moi voici des ans, voici Toujours que ton sourire éblouissant prolonge La même rose avec son bel été qui plonge Dans autrefois et puis dans le futur aussi. Mon cœur qui dans les nuits parfois cherche à s’entendre Ou de quel dernier mot t’appeler le plus tendre S’exalte en celui rien que chuchoté de sœur N’étant, très grand trésor et tête si petite, Que tu m’enseignes bien toute une autre douceur Tout bas par le baiser seul dans tes cheveux dite.
Ces cailloux, tu les nivelles Et c’est, comme troubadour, Un cube aussi de cervelles Qu’il me faut ouvrir par jour.
L’ennui d’aller en visite Avec l’ail nous l’éloignons L’élégie au pleur hésite Peu si je fends des oignons.
La femme, l’enfant, la soupe En chemin pour le carrier Le complimentent qu’il coupe Dans l’us de se marier.
Le pur soleil qui remise Trop d’éclat pour l’y trier Ôte ébloui sa chemise Sur le dos du vitrier.
Toujours, n’importe le titre Sans même s’enrhumer au Dégel, ce gai siffle-litre Crie un premier numéro.
Le vif œil dont tu regardes Jusques à leur contenu Me sépare de mes hardes Et comme un dieu je vais nu.
Rien au réveil que vous n’ayez Envisagé de quelque moue Pire si le rire secoue Votre aile sur les oreillers Indifféremment sommeillez Sans crainte qu’une haleine avoue Rien au réveil que vous n’ayez Envisagé de quelque moue Tous les rêves émerveillés Quand cette beauté les déjoue Ne produisent fleur sur la joue Dans l’œil diamants impayés Rien au réveil que vous n’ayez.
Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lèvres sans le dire Cette rose ne l’interromps Qu’à verser un silence pire Jamais de chants ne lancent prompts Le scintillement du sourire Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lèvres sans le dire Muet muet entre les ronds Sylphe dans la pourpre d’empire Un baiser flambant se déchire Jusqu’aux pointes des ailerons Si tu veux nous nous aimerons.
Ce me va hormis l’y taire Que je sente du foyer Un pantalon militaire À ma jambe rougeoyer L’invasion je la guette Avec le vierge courroux Tout juste de la baguette Au gant blancs des tourlourous Nue ou d’écorce tenace Pas pour battre le Teuton Mais comme une autre menace À la fin que me veut-on De trancher ras cette ortie Folle de la sympathie
Toute l’âme résumée Quand lente nous l’expirons Dans plusieurs ronds de fumée Abolis en autres ronds Atteste quelque cigare Brûlant savamment pour peu Que la cendre se sépare De son clair baiser de feu Ainsi le chœur des romances À la lèvre vole-t-il Exclus-en si tu commences Le réel parce que vil Le sens trop précis rature Ta vague littérature.