Déjà les beaux jours, la poussière, Un ciel d’azur et de lumière, Les murs enflammés, les longs soirs ; Et rien de vert : à peine encore Un reflet rougeâtre décore Les grands arbres aux rameaux noirs ! Ce beau temps me pèse et m’ennuie. Ce n’est qu’après des jours de pluie Que doit surgir, en un tableau, Le printemps verdissant et rose, Comme une nymphe fraîche éclose, Qui, souriante, sort de l’eau.
Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize... Et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs. Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens... Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue ! — et dont je me souviens !
Voici trois ans qu’est morte ma grand-mère, — La bonne femme, — et, quand on l’enterra, Parents, amis, tout le monde pleura D’une douleur bien vraie et bien amère. Moi seul j’errais dans la maison, surpris Plus que chagrin ; et, comme j’étais proche De son cercueil, — quelqu’un me fit reproche De voir cela sans larmes et sans cris. Douleur bruyante est bien vite passée : Depuis trois ans, d’autres émotions, Des biens, des maux, — des révolutions, — Ont dans les cœurs sa mémoire effacée. Moi seul j’y songe, et la pleure souvent ; Depuis trois ans, par le temps prenant force Ainsi qu’un nom gravé dans une écorce, Son souvenir se creuse plus avant !
L’hiver a ses plaisirs ; et souvent, le dimanche, Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche, Avec une cousine on sort se promener... — Et ne vous faites pas attendre pour dîner, Dit la mère. Et quand on a bien, aux Tuileries, Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries, La jeune fille a froid... et vous fait observer Que le brouillard du soir commence à se lever. Et l’on revient, parlant du beau jour qu’on regrette, Qui s’est passé si vite... et de flamme discrète : Et l’on sent en rentrant, avec grand appétit, Du bas de l’escalier, — le dindon qui rôtit.
Par mon amour et ma constance, J’avais cru fléchir ta rigueur, Et le souffle de l’espérance Avait pénétré dans mon cœur ; Mais le temps, qu’en vain je prolonge, M’a découvert la vérité, L’espérance a fui comme un songe... Et mon amour seul m’est resté ! Il est resté comme un abîme Entre ma vie et le bonheur, Comme un mal dont je suis victime, Comme un poids jeté sur mon cœur ! Dans le chagrin qui me dévore, Je vois mes beaux jours s’envoler... Si mon œil étincelle encore, C’est qu’une larme en va couler !
Petit piqueton de Mareuil, Plus clairet qu’un vin d’Argenteuil, Que ta saveur est souveraine ! Les Romains ne t’ont pas compris Lorsqu’habitant l’ancien Paris Ils te préféraient le Surène. Ta liqueur rose, ô joli vin ! Semble faite du sang divin De quelque nymphe bocagère ; Tu perles au bord désiré D’un verre à côtes, coloré Par les teintes de la fougère. Tu me guéris pendant l’été De la soif qu’un vin plus vanté M’avait laissé depuis la veille ; Ton goût suret, mais doux aussi, Happant mon palais épaissi, Me rafraîchit quand je m’éveille. Eh quoi ! si gai dès le matin, Je foule d’un pied incertain Le sentier où verdit ton pampre !... — Et je n’ai pas de Richelet Pour finir ce docte couplet... Et trouver une rime en ampre.
Dans Sainte-Pélagie, Sous ce règne élargie, Où, rêveur et pensif, Je vis captif, Pas une herbe ne pousse Et pas un brin de mousse Le long des murs grillés Et frais taillés. Oiseau qui fends l’espace... Et toi, brise, qui passe Sur l’étroit horizon De la prison, Dans votre vol superbe, Apportez-moi quelque herbe, Quelque gramen, mouvant Sa tête au vent ! Qu’à mes pieds tourbillonne Une feuille d’automne Peinte de cent couleurs, Comme les fleurs ! Pour que mon âme triste Sache encor qu’il existe Une nature, un Dieu Dehors ce lieu. Faites-moi cette joie, Qu’un instant je revoie Quelque chose de vert Avant l’hiver !
Quiconque a regardé le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinément Autour de lui, dans l’air, une tache livide. Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux : Un point noir est resté dans mon regard avide Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon œil, Je la vois se poser aussi, la tache noire ! Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur ! Oh ! c’est que l’aigle seul — malheur à nous, malheur ! — Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
I Le papillon, fleur sans tige, Qui voltige, Que l’on cueille en un réseau ; Dans la nature infinie, Harmonie Entre la plante et l’oiseau !... Quand revient l’été superbe, Je m’en vais au bois tout seul : Je m’étends dans la grande herbe, Perdu dans ce vert linceul. Sur ma tête renversée, Là, chacun d’eux à son tour, Passe comme une pensée De poésie ou d’amour ! Voici le papillon Faune, Noir et jaune ; Voici le Mars azuré, Agitant des étincelles Sur ses ailes D’un velours riche et moiré. Voici le Vulcain rapide, Qui vole comme un oiseau : Son aile noire et splendide Porte un grand ruban ponceau. Dieux ! le Soufré, dans l’espace, Comme un éclair a relui... Mais le joyeux Nacré passe, Et je ne vois plus que lui ! II Comme un éventail de soie, Il déploie Son manteau semé d’argent ; Et sa robe bigarrée Est dorée D’un or verdâtre et changeant. Voici le Machaon-Zèbre, De fauve et de noir rayé ; Le Deuil, en habit funèbre, Et le Miroir bleu strié ; Voici l’Argus, feuille-morte, Le Morio, le Grand-Bleu, Et le Paon-de-Jour qui porte Sur chaque aile un œil de feu ! Mais le soir brunit nos plaines ; Les Phalènes Prennent leur essor bruyant, Et les Sphinx aux couleurs sombres, Dans les ombres Voltigent en tournoyant. C’est le Grand-Paon à l’œil rose Dessiné sur un fond gris, Qui ne vole qu’à nuit close, Comme les chauves-souris ; Le Bombice du troène, Rayé de jaune et de vert, Et le Papillon du chêne Qui ne meurt pas en hiver ! III Malheur, papillons que j’aime, Doux emblème, À vous pour votre beauté !... Un doigt, de votre corsage, Au passage, Froisse, hélas ! le velouté !... Une toute jeune fille Au cœur tendre, au doux souris, Perçant vos cœurs d’une aiguille, Vous contemple, l’œil surpris : Et vos pattes sont coupées Par l’ongle blanc qui les mord, Et vos antennes crispées Dans les douleurs de la mort !...
Le matin n’est plus ! le soir pas encore : Pourtant de nos yeux l’éclair a pâli. Mais le soir vermeil ressemble à l’aurore, Et la nuit plus tard amène l’oubli !
Où sont nos amoureuses ? Elles sont au tombeau : Elles sont plus heureuses, Dans un séjour plus beau ! Elles sont près des anges, Dans le fond du ciel bleu, Et chantent les louanges De la Mère de Dieu ! Ô blanche fiancée ! Ô jeune vierge en fleur ! Amante délaissée, Que flétrit la douleur : L’éternité profonde Souriait dans vos yeux... Flambeaux éteints du monde Rallumez-vous aux cieux !
Ces nobles d’autrefois dont parlent les romans, Ces preux à fronts de bœuf, à figures dantesques, Dont les corps charpentés d’ossements gigantesques Semblaient avoir au sol racine et fondements ; S’ils revenaient au monde, et qu’il leur prît l’idée De voir les héritiers de leurs noms immortels, Race de Laridons, encombrant les hôtels Des ministres, — rampante, avide et dégradée ; Êtres grêles, à buses, plastrons et faux mollets : — Certes ils comprendraient alors, ces nobles hommes, Que, depuis les vieux temps, au sang des gentilshommes Leurs filles ont mêlé bien du sang de valets !
Voici ce que je vis : — Les arbres sur ma route Fuyaient mêlés, ainsi qu’une armée en déroute ; Et sous moi, comme ému par les vents soulevés, Le sol roulait des flots de glèbe et de pavés. Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos. Et les monts enivrés chancelaient : la rivière Comme un serpent boa, sur la vallée entière Étendu, s’élançait pour les entortiller... — J’étais en poste, moi, venant de m’éveiller !
En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ; Puis entre deux maisons on passe à l’aventure, Des chevaux, de la route et des fouets étourdi, L’œil fatigué de voir et le corps engourdi. Et voici tout à coup, silencieuse et verte, Une vallée humide et de lilas couverte, Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, — Et la route et le bruit sont bien vite oubliés ! On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre, De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre, Et sans penser à rien on regarde les cieux... Hélas ! une voix crie : "En voiture, messieurs !"
Elle a passé, la jeune fille Vive et preste comme un oiseau À la main une fleur qui brille, À la bouche un refrain nouveau. C’est peut-être la seule au monde Dont le cœur au mien répondrait, Qui venant dans ma nuit profonde D’un seul regard l’éclaircirait ! Mais non, — ma jeunesse est finie... Adieu, doux rayon qui m’as lui, — Parfum, jeune fille, harmonie... Le bonheur passait, — il a fui !
Notre-Dame est bien vieille ; on la verra peut-être Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître. Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncher Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde, Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde Rongera tristement ses vieux os de rocher. Bien des hommes de tous les pays de la terre Viendront pour contempler cette ruine austère, Rêveurs, et relisant le livre de Victor... — Alors ils croiront voir la vieille basilique, Toute ainsi qu’elle était puissante et magnifique, Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !
Au printemps l’Oiseau naît et chante : N’avez-vous pas ouï sa voix ?... Elle est pure, simple et touchante, La voix de l’Oiseau — dans les bois ! L’été, l’Oiseau cherche l’Oiselle ; Il aime — et n’aime qu’une fois ! Qu’il est doux, paisible et fidèle, Le nid de l’Oiseau — dans les bois ! Puis quand vient l’automne brumeuse, Il se tait... avant les temps froids. Hélas ! qu’elle doit être heureuse La mort de l’Oiseau — dans les bois !
Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries Et jette l’incendie aux vitres du château, Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d’eau Tout plongé dans mes rêveries ! Et de là, mes amis, c’est un coup d’œil fort beau De voir, lorsqu’à l’entour la nuit répand son voile, Le coucher du soleil, — riche et mouvant tableau, Encadré dans l’Arc de l’Étoile !
Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l’Inconsolé, Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie : Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie. Dans le nuit du Tombeau, Toi qui m’a consolé, Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie, La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé, Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie. Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ? Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; J’ai rêvé dans la Grotte où nage laSyrène... Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron : Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse, Au Pausilippe altier, de mille feux brillant, À ton front inondé des clartés d’Orient, Aux raisins noirs mêlés avec l’or de ta tresse. C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse, Et dans l’éclair furtif de ton œil souriant, Quand aux pieds d’Iacchus on me voyait priant, Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce. Je sais pourquoi là-bas le volcan s’est rouvert... C’est qu’hier tu l’avais touché d’un pied agile, Et de cendres soudain l’horizon s’est couvert. Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argile, Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile, Le pâle Hortensia s’unit au Myrte vert !
Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers : Isis, la mère, alors se leva sur sa couche, Fit un geste de haine à son époux farouche, Et l’ardeur d’autrefois brilla dans ses yeux verts. « Le voyez-vous, dit-elle, il meurt, ce vieux pervers, Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche, Attachez son pied tors, éteignez son œil louche, C’est le dieu des volcans et le roi des hivers ! » L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle, J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle... C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris ! » La déesse avait fui sur sa conque dorée, La mer nous renvoyait son image adorée, Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.
Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au cœur Et sur un col flexible une tête indomptée ; C’est que je suis issu de la race d’Antée, Je retourne les dards contre le dieu vainqueur. Oui, je suis de ceux-là qu’inspire le Vengeur, Il m’a marqué le front de sa lèvre irritée, Sous la pâleur d’Abel, hélas ! ensanglantée, J’ai parfois de Caïn l’implacable rougeur ! Jéhovah ! le dernier, vaincu par ton génie, Qui, du fond des enfers, criait : « Ô tyrannie ! » C’est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon... Ils m’ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte, Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte, Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.
La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance, Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs, Sous l’olivier, le myrte, ou les saules tremblants, Cette chanson d’amour qui toujours recommence ?... Reconnais-tu le Temple au péristyle immense, Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents, Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents, Où du dragon vaincu dort l’antique semence ?... Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours ! Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ; La terre a tressailli d’un souffle prophétique... Cependant la sibylle au visage latin Est endormie encor sous l’arc de Constantin — Et rien n’a dérangé le sévère portique.
La Treizième revient... C’est encor la première ; Et c’est toujours la seule, — ou c’est le seul moment ; Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ? Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?... Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ; Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement : C’est la mort — ou la morte... Ô délice ! ô tourment ! La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière. Sainte napolitaine aux mains pleines de feux, Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule : As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ? Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux, Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle : — La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !
Dieu est mort ! le ciel est vide... Pleurez ! enfants, vous n’avez plus de père ! Jean-PaulI Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras Sous les arbres sacrés, comme font les poètes, Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes, Et se jugea trahi par des amis ingrats ; Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes... Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes, Et se prit à crier : « Non, Dieu n’existe pas ! » Ils dormaient. « Mes amis, savez-vous la nouvelle ? J’ai touché de mon front à la voûte éternelle ; Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours ! « Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme ! Le dieu manque à l’autel où je suis la victime... Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus ! » Mais ils dormaient toujours !...II Il reprit : « Tout est mort ! J’ai parcouru les mondes ; Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés, Aussi loin que la vie en ses veines fécondes, Répand des sables d’or et des flots argentés : « Partout le sol désert côtoyé par les ondes, Des tourbillons confus d’océans agités... Un souffle vague émeut les sphères vagabondes, Mais nul esprit n’existe en ces immensités. « En cherchant l’œil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbite Vaste, noir et sans fond, d’où la nuit qui l’habite Rayonne sur le monde et s’épaissit toujours ; « Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre, Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre, Spirale engloutissant les Mondes et les Jours !III « Immobile Destin, muette sentinelle, Froide Nécessité !... Hasard qui, t’avançant Parmi les mondes morts sous la neige éternelle, Refroidis, par degrés, l’univers pâlissant, « Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle, De tes soleils éteints, l’un l’autre se froissant... Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle, Entre un monde qui meurt et l’autre renaissant ?... « Ô mon père ! est-ce toi que je sens en moi-même ? As-tu pouvoir de vivre et de vaincre la mort ? Aurais-tu succombé sous un dernier effort « De cet ange des nuits que frappa l’anathème ?... Car je me sens tout seul à pleurer et souffrir, Hélas ! et, si je meurs, c’est que tout va mourir ! »IV Nul n’entendait gémir l’éternelle victime, Livrant au monde en vain tout son cœur épanché ; Mais prêt à défaillir et sans force penché, Il appela le seul — éveillé dans Solyme : « Judas ! lui cria-t-il, tu sais ce qu’on m’estime, Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché : Je suis souffrant, ami ! sur la terre couché... Viens ! ô toi qui, du moins, as la force du crime ! » Mais Judas s’en allait, mécontent et pensif, Se trouvant mal payé, plein d’un remords si vif Qu’il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites... Enfin Pilate seul, qui veillait pour César, Sentant quelque pitié, se tourna par hasard : « Allez chercher ce fou ! » dit-il aux satellites.V C’était bien lui, ce fou, cet insensé sublime... Cet Icare oublié qui remontait les cieux, Ce Phaéton perdu sous la foudre des dieux, Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime ! L’augure interrogeait le flanc de la victime, La terre s’enivrait de ce sang précieux... L’univers étourdi penchait sur ses essieux, Et l’Olympe un instant chancela vers l’abîme. « Réponds ! criait César à Jupiter Ammon, Quel est ce nouveau dieu qu’on impose à la terre ? Et si ce n’est un dieu, c’est au moins un démon... » Mais l’oracle invoqué pour jamais dut se taire ; Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère : — Celui qui donna l’âme aux enfants du limon.
Eh quoi ! tout est sensible Pythagore Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? Des forces que tu tiens ta liberté dispose, Mais de tous tes conseils l’univers est absent. Respecte dans la bête un esprit agissant : Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ; Un mystère d’amour dans le métal repose ; « Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant. Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie : À la matière même un verbe est attaché... Ne la fais pas servir à quelque usage impie ! Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ; Et comme un œil naissant couvert par ses paupières, Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !
Colonne de saphir, d’arabesques brodée, Reparais ! les ramiers s’envolent de leur nid, De ton bandeau d’azur à ton pied de granit Se déroule à longs plis la pourpre de Judée. Si tu vois Bénarès, sur son fleuve accoudée, Détache avec ton arc ton corset d’or bruni, Car je suis le vautour volant sur Patani, Et de blancs papillons la mer est inondée. Lanassa ! fais flotter ton voile sur les eaux ! Livre les fleurs de pourpre au courant des ruisseaux. La Neige du Cathay tombe sur l’Atlantique. Cependant la prêtresse au visage vermeil Est endormie encor sous l’arche du soleil, Et rien n’a dérangé le sévère portique.
J’étais assis chantant aux pieds de Michaël, Mithra sur notre tête avait fermé sa tente, Le Roi des rois dormait dans sa couche éclatante, Et tous deux en rêvant nous pleurions Israël ! Quand Tippôo se leva dans la nuée ardente... Trois voix avaient crié vengeance au bord du ciel ; Il rappela d’en haut mon frère Gabriel, Et tourna vers Michel sa prunelle sanglante : « Voici venir le Loup, le Tigre et le Lion... L’un s’appelle Ibrahim, l’autre Napoléon, Et l’autre Abdel-Kader qui rugit dans la poudre ; Le glaive d’Alaric, le sabre d’Attila, Ils les ont... Mon épée et ma lance sont là... Mais le César romain nous a volé la foudre ! »
Fontainebleau, mai 1831
Le vieux palais attend la princesse saxonne
Qui des derniers Capets veut sauver les enfants ;
Charlemagne attentif à ses pas triomphants
Crie à Napoléon que Charles quint pardonne.
Mais deux rois à la grille attendent en personne ;
Quel est le souvenir qui les tient si tremblants,
Que l’aïeul aux yeux morts s’en retourne à pas lents,
Dédaignant de frapper ces pêcheurs de couronne ?
Ô Médicis ! les temps seraient-ils accomplis ?
Tes trois fils sont rentrés dans ta robe aux grands plis
Mais il en reste un seul qui s’attache à ta mante.
C’est un aiglon tout faible, oublié par hasard,
Il rapporte la foudre à son père César...
Et c’est lui qui dans l’air amassait la tourmente !
« Ce roc voûté par art, chef-d’œuvre d’un autre âge, Ce roc de Tarascon hébergeait autrefois Les géants descendus des montagnes de Foix, Dont tant d’os excessifs rendent sûr témoignage. » Ô seigneur Du Bartas, je suis de ton lignage, Moi qui soude mon vers à ton vers d’autrefois ; Mais les vrais descendants des vieux Comtes de Foix Ont besoin de témoins pour parler dans notre âge ! J’ai passé près Salzbourg sous des rochers tremblants, La Cigogne d’Autriche y nourrit les Milans, Barberousse et Richard ont sacré ce refuge. La neige règne au front de leurs pics infranchis, Et ce sont, m’a-t-on dit, les ossements blanchis Des anciens monts rongés par la mer du Déluge.
Napoléon mourant vit une Tête armée... Il pensait à son fils, déjà faible et souffrant : La Tête, c’était donc sa France bien-aimée Décapitée aux pieds du César expirant. Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée, Appela Jésus-Christ ; mais l’abîme s’ouvrant Ne rendit qu’un vain souffle, un spectre de fumée : Le Demi-Dieu, vaincu, se releva plus grand Alors on vit sortir du fond du purgatoire Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire, Qui tendit sa main pure au monarque des cieux ; Frappés au flanc tous deux par un double mystère, L’un répandait son sang pour féconder la Terre, L’autre versait au ciel la semence des Dieux !
... On ne sait pas toujours où va porter la hache, Et bien des souverains, maladroits ouvriers, En laissent retomber le coupant sur leurs pieds ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Que d’ennuis sur un front la main de Dieu rassemble Et donne pour racine aux fleurons du bandeau ! Pourquoi mit-il encor ce pénible fardeau Sur ma tête aux pensées tristes abandonnée, Et souffrante, et déjà de soi-même inclinée. Moi qui n’aurois aimé, si j’avois pu choisir, Qu’une existence calme, obscure et sans désir, Une pauvre maison dans quelque bois perdue, De mousse, de jasmins et de vigne tendue ; Des fleurs à cultiver, la barque d’un pêcheur, Et de la nuit sur l’eau respirer la fraîcheur ; Prier Dieu sur les monts, suivre mes rêveries Par les bois ombragés et les grandes prairies, Des collines le soir descendre le penchant, Le visage baigné des lueurs du couchant ; Quand un vent parfumé nous apporte en sa plainte Quelques sons affaiblis d’une ancienne complainte... Oh ! ces feux du couchant, vermeils, capricieux, Montent, comme un chemin splendide, vers les cieux ! Il semble que Dieu dise à mon âme souffrante : Quitte le monde impur, la foule indifférente, Suis d’un pas assuré cette route qui luit, Et — viens à moi, mon fils... et — n’attends pas La Nuit !!!
De votre amitié, maître, emportant cette preuve Je tiens donc sous mon bras le Rhin. — J’ai l’air d’un fleuve Et je me sens grandir par la comparaison. Mais le Fleuve sait-il lui pauvre Dieu sauvage Ce qui lui donne un nom, une source, un rivage, Et s’il coule pour tous quelle en est la raison. Assis au mamelon de l’immense nature, Peut-être ignore-t-il comme la créature D’où lui vient ce bienfait qu’il doit aux Immortels : Moi je sais que de vous, douce et sainte habitude, Me vient l’Enthousiasme et l’Amour et l’Étude, Et que mon peu de feu salaud à vos autels.
À cette côte anglaise J’ai donc fait mes adieux, Et sa blanche falaise S’efface au bord des cieux ! Que la mer me sourie ! Plaise aux dieux que je sois Bientôt dans ta patrie, Ô grand maître anversois ! Rubens ! à toi je songe, Seul peut-être et pensif Sur cette mer où plonge Notre fumeux esquif. Histoire et poésie, Tout me vient à travers Ma mémoire saisie Des merveilles d’Anvers. Cette mer qui sommeille Est belle comme aux jours Où, riante et vermeille, Tu la peuplais d’Amours. Ainsi ton seul génie, Froid aux réalités, De la mer d’Ionie Lui prêtait les clartés, Lorsque la nef dorée Amenait autrefois Cette reine adorée Qui s’unit aux Valois, Fleur de la renaissance, Honneur de ses palais, — Qu’attendait hors de France Le coupe-tête anglais ! Mais alors sa fortune Bravait tous les complots, Et la cour de Neptune La suivait sur les flots. Tes grasses Néréides Et tes Tritons pansus S’accoudaient tout humides Sur les dauphins bossus. L’Océan qui moutonne Roulait dans ses flots verts La gigantesque tonne Du Silène d’Anvers, Pour ta Flandre honorée, Son nourrisson divin À sa boisson ambrée Donna l’ardeur du vin ! — Des cieux tu fis descendre Vers ce peuple enivré, Comme aux fêtes de Flandre, L’Olympe en char doré. Joie, amour et délire, Hélas ! trop expiés ! Les rois sur le navire Et les dieux à leurs pieds ! — Adieu, splendeur finie D’un siècle solennel ! Mais toi seul, ô génie ! Tu restes éternel.
Mon doux pays des Espagnes, Qui voudrait fuir ton beau ciel, Tes cités et tes montagnes, Et ton printemps éternel ? Ton air pur qui nous enivre, Tes jours, moins beaux que tes nuits, Tes champs, où Dieu voudrait vivre S’il quittait son paradis ? Autrefois, ta souveraine, L’Arabie, en te fuyant, Laissa sur ton front de reine Sa couronne d’Orient ! Un écho redit encore À ton rivage enchanté L’antique refrain du Maure : Gloire, amour et Liberté !
Ici l’on passe Des jours enchantés ! L’ennui s’efface Aux cœurs attristés Comme la trace Des flots agités. Heure frivole Et qu’il faut saisir, Passion folle Qui n’est qu’un désir, Et qui s’envole Après le plaisir ! Piquillo (avec Dumas). Musique de Monpou.
Belle épousée, J’aime tes pleurs ! C’est la rosée Qui sied aux fleurs. Les belles choses N’ont qu’un printemps, Semons de roses Les pas du Temps ! Soit brune ou blonde, Faut-il choisir ? Le Dieu du monde, C’est le Plaisir. Les Monténégrins. Musique de Limnander.
— Oh ! quel doux chant m’éveille ? — Près de ton lit je veille, Ma fille ! et n’entends rien... Rendors-toi, c’est chimère ! — J’entends dehors, ma mère, Un chœur aérien !... — Ta fièvre va renaître. — Ces chants de la fenêtre Semblent s’être approchés. — Dors, pauvre enfant malade, Qui rêves sérénade... Les galants sont couchés ! — Les hommes ! que m’importe ? Un nuage m’emporte... Adieu le monde, adieu ! Mère, ces sons étranges C’est le concert des anges Qui m’appellent à Dieu ! Musique du prince Poniatowski.
Il était un roi de Thulé À qui son amante fidèle Légua, comme souvenir d’elle, Une coupe d’or ciselé. C’était un trésor plein de charmes Où son amour se conservait : À chaque fois qu’il y buvait Ses yeux se remplissaient de larmes. Voyant ses derniers jours venir, Il divisa son héritage Mais il excepta du partage La coupe, son cher souvenir. Il fit à la table royale Asseoir les barons dans sa tour ; Debout et rangée alentour, Brillait sa noblesse loyale. Sous le balcon grondait la mer. Le vieux roi se lève en silence, Il boit, — frissonne, et sa main lance La coupe d’or au flot amer ! Il la vit tourner dans l’eau noire, La vague en s’ouvrant fit un pli, Le roi pencha son front pâli... Jamais on ne le vit plus boire.
Pays enchanté, C’est la beauté Qui doit te soumettre à ses chaînes. Là-haut sur ces monts Nous triomphons : L’infidèle est maître des plaines. Chez nous, Son amour jaloux Trouverait des inhumaines... Mais, pour nous conquérir, Que fut-il nous offrir ? Un regard, un mot tendre, un soupir !... Ô soleil riant De l’Orient ! Tu fais supporter l’esclavage ; Et tes feux vainqueurs Domptent les cœurs, Mais l’amour peut bien davantage. Ses accents Sont tout-puissants Pour enflammer le courage... À qui sait tout oser Qui pourrait refuser Une fleur, un sourire, un baiser ?
C’est l’empereur Napoléon, Un nouveau César, nous dit-on, Qui rassembla ses capitaines : « Allez là-bas Jusqu’à ces montagnes hautaines ; N’hésitez pas ! » Là sont des hommes indomptables, Au cœur de fer, Des rochers noirs et redoutables Comme les abords de l’enfer. » Ils ont amené des canons Et des houzards et des dragons. « Vous marchez tous, ô capitaines ! Vers le trépas ; Contemplez ces roches hautaines, N’avancez pas ! » Car la montagne a des abîmes Pour vos canons ; Les rocs détachés de leurs cimes Iront broyer vos escadrons. » Monténégro, Dieu te protège, Et tu seras libre à jamais, Comme la neige De tes sommets ! »
Au fond des ténèbres, Dans ces lieux funèbres, Combattons le sort : Et pour la vengeance, Tous d’intelligence, Préparons la mort. Marchons dans l’ombre ; Un voile sombre Couvre les airs : Quand tout sommeille, Celui qui veille Brise ses fers !
Quand le plaisir brille en tes yeux Pleins de douceur et d’espérance, Quand le charme de l’existence Embellit tes traits gracieux, — Bien souvent alors je soupire En songeant que l’amer chagrin, Aujourd’hui loin de toi, peut t’atteindre demain, Et de ta bouche aimable effacer le sourire ; Car le Temps, tu le sais, entraîne sur ses pas Les illusions dissipées, Et les yeux refroidis, et les amis ingrats, Et les espérances trompées ! Mais crois-moi, mon amour ! tous ces charmes naissants Que je contemple avec ivresse S’ils s’évanouissaient sous mes bras caressants, Tu conserverais ma tendresse ! Si tes attraits étaient flétris, Si tu perdais ton doux sourire, La grâce de tes traits chéris Et tout ce qu’en toi l’on admire, Va, mon cœur n’est pas incertain : De sa sincérité tu pourrais tout attendre. Et mon amour, vainqueur du Temps et du Destin, S’enlacerait à toi, plus ardent et plus tendre ! Oui, si tous tes attraits te quittaient aujourd’hui, J’en gémirais pour toi ; mais en ce cœur fidèle Je trouverais peut-être une douceur nouvelle, Et, lorsque loin de toi les amants auraient fui, Chassant la jalousie en tourments si féconde, Une plus vive ardeur me viendrait animer. « Elle est donc à moi seul, dirais-je, puisqu’au monde Il ne reste que moi qui puisse encor l’aimer ! » Mais qu’osè-je prévoir ? tandis que la jeunesse T’entoure d’un éclat, hélas ! bien passager, Tu ne peux te fier à toute la tendresse D’un cœur en qui le temps ne pourra rien changer. Tu le connaîtras mieux : s’accroissant d’âge en âge, L’amour constant ressemble à la fleur du soleil, Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage Dont elle a, le matin, salué son réveil !
Air : Le Noble Éclat du Diadème Ah ! sous une feinte allégresse Ne nous cache pas ta douleur ! Tu plais autant par ta tristesse Que par ton sourire enchanteur À travers la vapeur légère L’Aurore ainsi charme les yeux ; Et, belle en sa pâle lumière, La nuit, Phœbé charme les cieux. Qui te voit, muette et pensive, Seule rêver le long du jour, Te prend pour la vierge naïve Qui soupire un premier amour ; Oubliant l’auguste couronne Qui ceint tes superbes cheveux, À ses transports il s’abandonne, Et sent d’amour les premiers feux !
En partant de Baden, j’avais d’abord songé Que par monsieur Éloi, que par monsieur Elgé, Je pourrais, attendant des fortunes meilleures, Aller prendre ma place au bateau de six heures ; Ce qui m’avait conduit, plein d’un espoir si beau, De l’hôtel du Soleil à l’hôtel du Corbeau ; Mais, à Strasbourg, le sort ne me fut point prospère ; Éloi fils avait trop compté sur Éloi père... Et je repars, pleurant mon destin nonpareil, De l’hôtel du Corbeau pour l’hôtel du Soleil !
Une femme est l’amour, la gloire et l’espérance ; Aux enfants qu’elle guide, à l’homme consolé, Elle élève le cœur et calme la souffrance, Comme un esprit des cieux sur la terre exilé. Courbé par le travail ou par la destinée, L’homme à sa voix s’élève et son front s’éclaircit ; Toujours impatient dans sa course bornée, Un sourire le dompte et son cœur s’adoucit. Dans ce siècle de fer la gloire est incertaine : Bien longtemps à l’attendre il faut se résigner. Mais qui n’aimerait pas, dans sa grâce sereine, La beauté qui la donne ou qui la fait gagner ?
Vous avez des yeux noirs, et vous êtes si belle, Que le poète en vous voit luire l’étincelle Dont s’anime la force et que nous envions : Le génie à son tour embrase toute chose ; Il vous rend sa lumière, et vous êtes la rose Qui s’embellit sous ses rayons.
« Madame et souveraine, Que mon cœur a de peine... » Ainsi disait un enfant chérubin : « Madame et souveraine, Que mon cœur a de peine... » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cette nuit, je ne sais trop pourquoi, ce refrain A trotté dans ma tête et m’a laissé tout triste... J’ai des torts envers vous... mais de ces torts d’artiste Que l’on peut pardonner de la main à la main. Je suis un fainéant, bohème journaliste, Qui dîne d’un bon mot étalé sur son pain. Vieux avant l’âge et plein de rancunes amères, Méfiant comme un rat, trompé par trop de gens, Ne croyant nullement aux amitiés sincères, J’ai mis exprès à bout les nobles sentiments Qui vous poussaient, madame, à calmer les tourments D’une âme abandonnée au pays des misères. Daignez me pardonner cet essai maladroit... Vos lettres m’ont prouvé que dans cette bagarre, Vous possédiez l’esprit qui marche ferme et droit, Vous voulez votre dû, mot grotesque et barbare, Que l’on n’accepterait jamais au Tintamarre... Mais il paraît qu’il faut payer ce que l’on doit. Vous aurez donc, madame, et manuscrits et lettres, Doucement ficelés dans un calicot vert, Car ma plume est gelée aux jours noirs de l’hiver. Sans feu dans mon taudis, sans carreaux aux fenêtres, Je vais trouver le joint du ciel ou de l’enfer, Et j’ai pour l’autre monde enfin bouclé mes guêtres. J’ai fait mon épitaphe et prends la liberté De vous la dédier dans un sonnet stupide Qui s’élance à l’instant du fond d’un cerveau vide... Mouvement de coucou par le froid arrêté : La misère a rendu ma pensée invalide !
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet, Tour à tour amoureux insoucieux et tendre, Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre, Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait. C’était la Mort ! Alors il la pria d’attendre Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet ; Et puis sans s’émouvoir, il s’en alla s’étendre Au fond du coffre froid où son corps frissonnait. Il était paresseux, à ce que dit l’histoire, Il laissait trop sécher l’encre dans l’écritoire. Il voulait tout savoir mais il n’a rien connu. Et quand vint le moment où, las de cette vie, Un soir d’hiver, enfin l’âme lui fut ravie, Il s’en alla disant : « Pourquoi suis-je venu ? »
Ce texte électronique
est basé sur celui des Œuvres de Gérard Nerval (Garnier, 1986) disponible sur le site Gallica.
Quelques corrections ont été apportées d’après ses Œuvres complètes dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (Gallimard, 1989-1993).
Il peut être utilisé librement pour tout usage non commercial ;
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Première mise en ligne le 5 janvier 2007.
Présente version générée le 25 mars 2008.