L’île de Madagascar est divisée en une infinité de petits territoires qui appartiennent à autant de princes. Ces princes sont toujours armés les uns contre les autres, et le but de toutes ces guerres est de faire des prisonniers pour les vendre aux Européens. Ainsi, sans nous, ce peuple serait tranquille et heureux. Il joint l’adresse à l’intelligence. Il est bon et hospitalier. Ceux qui habitent les côtes se méfient avec raison des étrangers, et prennent dans leurs traités toutes les précautions que dicte la prudence, et même la finesse. Les Madécasses sont naturellement gais, les hommes vivent dans l’oisiveté, et les femmes travaillent. Ils aiment avec passion la musique et la danse. J’ai recueilli et traduit quelques chansons qui peuvent donner une idée de leurs usages et de leurs mœurs. Ils n’ont point de vers ; leur poésie n’est qu’une prose soignée : leur musique est simple, douce, et toujours mélancolique.
Quel est le roi de cette terre ? – Ampanani.
– Où est-il ? – Dans la case royale. – Conduis-moi
devant lui. – Viens-tu la main ouverte ? – Oui,
je viens en ami. – Tu peux entrer.
Salut au chef Ampanani. – Homme blanc, je te rends ton salut, et je te prépare un bon accueil. Que cherches-tu ? – Je viens visiter cette terre. – Tes pas et tes regards sont libres. Mais l’ombre descend, l’heure du souper approche. Esclaves, posez une natte sur la terre, et couvrez-la des larges feuilles du bananier. Apportez du riz, du lait et des fruits mûris sur l’arbre. Avance, Nélahé ; que la plus belle de mes filles serve cet étranger. Et vous, ses jeunes sœurs, égayez le souper par vos danses et vos chansons.
Belle Nélahé, conduis cet étranger dans la case voisine. Étends une natte sur la terre, et qu’un lit de feuilles s’élève sur cette natte ; laisse tomber ensuite la pagne1 qui entoure tes jeunes attraits. Si tu vois dans ses yeux un amoureux désir ; si sa main cherche la tienne, et t’attire doucement vers lui ; s’il te dit : Viens, belle Nélahé, passons la nuit ensemble ; alors assieds-toi sur ses genoux. Que sa nuit soit heureuse, que la tienne soit charmante ; et ne reviens qu’au moment où le jour renaissant te permettra de lire dans ses yeux tout le plaisir qu’il aura goûté.
1. Pièce d’étoffe faite avec l’écorce d’un arbre.
Quel imprudent ose appeler aux combats Ampanani ?
Il prend sa zagaie armée d’un os pointu,
et traverse à grands pas la plaine. Son fils marche
à ses côtés ; il s’élève comme un jeune palmier
sur la montagne. Vents orageux, respectez le
jeune palmier de la montagne.
Les ennemis sont nombreux. Ampanani n’en
cherche qu’un seul, et le trouve. Brave ennemi,
ta gloire est brillante : le premier coup de ta
zagaie a versé le sang d’Ampanani. Mais ce sang
n’a jamais coulé sans vengeance ; tu tombes, et
ta chûte est pour tes soldats le signal de
l’épouvante. Ils regagnent en fuyant leurs cabanes.
La mort les y poursuit encore : les torches
enflammées ont déjà réduit en cendres le village
entier.
Le vainqueur s’en retourne paisiblement, et chasse devant lui les troupeaux mugissants, les prisonniers enchaînés, et les femmes éplorées. Enfants innocents, vous souriez, et vous avez un maître !
AMPANANI
Mon fils a péri dans le combat... Ô mes amis !
pleurez le fils de votre chef. Portez son corps
dans l’enceinte habitée par les morts. Un mur
élevé la protège ; et sur ce mur sont rangées des
têtes de bœufs aux cornes menaçantes. Respectez
la demeure des morts ; leur courroux est
terrible, et leur vengeance est cruelle. Pleurez
mon fils.
LES HOMMES
Le sang des ennemis ne rougira plus son bras.
LES FEMMES
Ses lèvres ne baiseront plus d’autres lèvres.
LES HOMMES
Les fruits ne mûrissent plus pour lui.
LES FEMMES
Ses mains ne presseront plus un sein élastique
et brûlant.
LES HOMMES
Il ne chantera plus étendu sous un arbre à l’épais
feuillage.
LES FEMMES
Il ne dira plus à l’oreille de sa maîtresse :
Recommençons, ma bien-aimée !
AMPANANI
C’est assez de pleurer mon fils. Que la gaîté succède à la tristesse : demain peut-être nous irons où il est allé.
Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage.
Du temps de nos pères, des blancs descendirent
dans cette île. On leur dit : Voilà des terres ;
que vos femmes les cultivent. Soyez justes, soyez
bons, et devenez nos frères.
Les blancs promirent, et cependant ils faisaient des
retranchements. Un fort menaçant s’éleva ;
le tonnerre fut renfermé dans des bouches d’airain ;
leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu
que nous ne connaissons pas ; ils parlèrent
enfin d’obéissance et d’esclavage : plutôt la mort !
Le carnage fut long et terrible ; mais, malgré la
foudre qu’ils vomissaient, et qui écrasait des
armées entières, ils furent tous exterminés.
Méfiez-vous des blancs.
Nous avons vu de nouveaux tyrans, plus forts et plus nombreux, planter leur pavillon sur le rivage. Le ciel a combattu pour nous ; il a fait tomber sur eux les pluies, les tempêtes et les vents empoisonnés. Ils ne sont plus et nous vivons, et nous vivons libres. Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage.
AMPANANI
Jeune prisonnière, quel est ton nom ?
VAÏNA
Je m’appelle Vaïna.
AMPANANI
Vaïna, tu es belle comme le premier rayon du
jour. Mais pourquoi tes longues paupières
laissent-elles échapper des larmes ?
VAÏNA
Ô roi ! j’avais un amant.
AMPANANI
Où est-il ?
VAÏNA
Peut-être a-t-il péri dans le combat, peut-être
a-t-il dû son salut à la fuite.
AMPANANI
Laisse-le fuir ou mourir ; je serai ton amant.
VAÏNA
Ô roi ! prends pitié des pleurs qui mouillent tes
pieds !
AMPANANI
Que veux-tu ?
VAÏNA
Cet infortuné a baisé mes yeux, il a baisé ma
bouche, il a dormi sur mon sein ; il est dans mon
cœur, rien ne peut l’en arracher...
AMPANANI
Prends ces voiles et couvre tes charmes. Achève.
VAÏNA
Permets que j’aille le chercher parmi les morts,
ou parmi les fugitifs.
AMPANANI
Va, belle Vaïna ; périsse le barbare qui se plaît à ravir des baisers mêlés à des larmes !
Zanhar et Niang ont fait le monde. Ô Zanhar ! nous ne t’adressons pas nos prières : à quoi servirait de prier un dieu bon ? C’est Niang qu’il faut apaiser. Niang, esprit malin et puissant, ne fais point rouler le tonnerre sur nos têtes ; ne dis plus à la mer de franchir ses bornes ; épargne les fruits naissants ; ne dessèche pas le riz dans sa fleur ; n’ouvre plus le sein de nos femmes pendant les jours malheureux, et ne force point une mère à noyer ainsi l’espoir de ses vieux ans. Ô Niang ! ne détruis pas tous les bienfaits de Zanhar. Tu règnes sur les méchants ; ils sont assez nombreux : ne tourmente plus les bons.
Il est doux de se coucher, durant la chaleur, sous
un arbre touffu, et d’attendre que le vent du soir
amène la fraîcheur.
Femmes, approchez. Tandis que je me repose
ici sous un arbre touffu, occupez mon oreille
par vos accents prolongés. Répétez la chanson de
la jeune fille, lorsque ses doigts tressent la natte,
ou lorsqu’assise auprès du riz, elle chasse les
oiseaux avides.
Le chant plaît à mon âme ; la danse est pour
moi presque aussi douce qu’un baiser. Que vos
pas soient lents, qu’ils imitent les attitudes du
plaisir et l’abandon de la volupté.
Le vent du soir se lève ; la lune commence à briller au travers des arbres de la montagne. Allez, et préparez le repas.
Une mère traînait sur le rivage sa fille unique,
pour la vendre aux blancs.
« Ô ma mère ! ton sein m’a portée ; je suis le
premier fruit de tes amours : qu’ai-je fait pour
mériter l’esclavage ? J’ai soulagé ta vieillesse ;
pour toi j’ai cultivé la terre ; pour toi j’ai
cueilli des fruits ; pour toi j’ai fait la guerre
aux poissons du fleuve ; je t’ai garantie de la
froidure ; je t’ai portée durant la chaleur sous
des ombrages
parfumés ; je veillais sur ton sommeil, et
j’écartais de ton visage les insectes importuns.
Ô ma mère, que deviendras-tu sans moi ? L’argent
que tu vas recevoir ne te donnera pas une autre
fille ; tu périras dans la misère, et ma plus grande
douleur sera de ne pouvoir te secourir. Ô ma mère !
ne vends point ta fille unique. »
Prières infructueuses ! Elle fut vendue, chargée de fers, conduite sur le vaisseau, et elle quitta pour jamais la chère et douce patrie.
Où es-tu, belle Yaouna ? le roi s’éveille, sa main
amoureuse s’étend pour caresser tes charmes : où
es-tu, coupable Yaouna ? Dans les bras d’un
nouvel amant, tu goûtes des plaisirs tranquilles,
des plaisirs délicieux. Ah ! presse-toi de les
goûter ; ce sont les derniers de ta vie.
La colère du roi est terrible. « Gardes, volez,
trouvez Yaouna et l’insolent qui reçoit ses
caresses. »
Ils arrivent nus et enchaînés : un reste de volupté
se mêle dans leurs yeux à la frayeur.
« Vous avez tous deux mérité la mort, vous la
recevrez tous deux. Jeune audacieux, prends cette
zagaie, et frappe ta maîtresse. »
Le jeune homme frémit ; il recula trois pas, et
couvrit ses yeux avec ses mains. Cependant la
tendre Yaouna tournait sur lui des regards plus
doux que le miel du printemps, des regards où
l’amour brillait au travers des larmes. Le roi
furieux saisit la zagaie redoutable, et la lance avec
vigueur. Yaouna frappée chancelle ; ses beaux
yeux se ferment, et le dernier soupir entrouvre
sa bouche mourante. Son malheureux amant jette
un cri d’horreur. J’ai entendu ce cri ; il a retenti
dans mon âme, et son souvenir me fait frissonner.
Il reçoit en même temps le coup funeste, et tombe
sur le corps de son amante.
Infortunés ! dormez ensemble, dormez en paix dans le silence du tombeau.
Redoutable Niang ! Pourquoi ouvres-tu mon
sein dans un jour malheureux ?
Qu’il est doux le souris d’une mère lorsqu’elle se penche sur le visage de son premier-né ! Qu’il est cruel l’instant où cette mère jette dans le fleuve son premier-né, pour reprendre la vie qu’elle vient de lui donner ! Innocente créature ! le jour que tu vois est malheureux ; il menace d’une maligne influence tous ceux qui le suivront. Si je t’épargne, la laideur flétrira tes joues ; une fièvre ardente brûlera tes veines, tu croîtras au milieu des souffrances ; le jus de l’orange s’aigrira sur tes lèvres ; un souffle empoisonné desséchera le riz que tes mains auront planté ; les poissons reconnaîtront et fuiront tes filets ; le baiser de ton amante sera froid et sans douceur ; une triste impuissance te poursuivra dans ses bras. Meurs, ô mon fils ! meurs une fois, pour éviter mille morts. Nécessité cruelle ! redoutable Niang !
Nahandove, ô belle Nahandove ! l’oiseau nocturne
a commencé ses cris, la pleine lune brille
sur ma tête, et la rosée naissante humecte mes
cheveux. Voici l’heure : qui peut t’arrêter,
Nahandove, ô belle Nahandove ?
Le lit de feuilles est préparé ; je l’ai parsemé
de fleurs et d’herbes odoriférantes, il est digne
de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove !
Elle vient. J’ai reconnu la respiration précipitée
que donne une marche rapide ; j’entends le
froissement de la pagne qui l’enveloppe : c’est
elle, c’est Nahandove, la belle Nahandove !
Reprends haleine, ma jeune amie ; repose-toi
sur mes genoux. Que ton regard est enchanteur !
que le mouvement de ton sein est vif et délicieux
sous la main qui le presse ! Tu souris,
Nahandove, ô belle Nahandove !
Tes baisers pénètrent jusqu’à l’âme ; tes caresses
brûlent tous mes sens : arrête, ou je vais mourir.
Meurt-on de volupté, Nahandove, ô belle Nahandove ?
Le plaisir passe comme un éclair ; ta douce haleine
s’affaiblit, tes yeux humides se referment, ta
tête se penche mollement, et tes transports s’éteignent
dans la langueur. Jamais tu ne fus si belle,
Nahandove, ô belle Nahandove !
Que le sommeil est délicieux dans les bras d’une maîtresse ! moins délicieux pourtant que le réveil. Tu pars, et je vais languir dans les regrets et les désirs ; je languirai jusqu’au soir ; tu reviendras ce soir, Nahandove, ô belle Nahandove !
Ce texte électronique a été mis au point à partir de la numérisation
Wikisource,
des deux numérisations Gallica,
et l’édition GLM des Chansons madécasses (1937).
Il peut être utilisé librement pour tout usage privé ;
autrement, me contacter : http://www.florilege.free.fr/florilege/mailxian.htm.
Première mise en ligne le 8 août 2007.
Présente version générée le 25 mars 2008.