Alexandre Privat d’Anglemont (1815-1849) naquit dans une petite île proche de la Guadeloupe. Métis et enfant illégitime, il vint très tôt à Paris où il vécut une vie de bohème. Parmi d’autres témoignages, citons celui de Poulet-Malassis : « M. Alexandre Privat d’Anglemont était doué d’une excessive sensibilité littéraire qui le poussait à produire sous son nom celles des poésies de ses amis dont le succès pouvait lui être douteux. On a de lui non seulement des vers de M. Baudelaire, mais des vers de M. de Banville et des vers de M. Gérard de Nerval, car le sonnet sur madame du Barry, est de monsieur Gérard de Nerval quoique M. d’Anglemont se soit rendu célèbre en le signant. [...] »
En réalité, la plupart des poèmes qu’on trouvera ci-dessous sont du jeune Baudelaire, sans doute. Mais pas tous. Au lecteur de deviner ! Il pourra sinon se référer aux œuvres complètes de Baudelaire (Pléiade...)
On trouvera ici les principales éditions de ces poèmes du vivant du signataire.
À Mme Joséphine de Fer...
La Muse est de retour ! La campagne s’allume.
Partez, ma fantaisie ; errez parmi les prés ;
Voici le soleil d’or et les cieux sidérés,
La nature s’éveille et le bois se parfume.
Le printemps, jeune oiseau, vêt sa première plume.
Avril vient en chantant dans les champs diaprés,
Ouvrir sous un baiser les bourgeons empourprés,
Et la terre en moiteur s’enveloppe de brume.
Le printemps engloutit la neige et les chagrins
Et dispense à chacun des jours purs et sereins.
Vous dont les rigueurs font que sur ma tête il neige,
N’êtes-vous pas d’avis, belle qui dès longtemps
De me faire mourir avez le privilège,
Qu’il serait sage et bon d’imiter le printemps ?
Que n’avons-nous pu voir ce siècle — même un jour — Où les abbés galants, sans trouver de cruelles, Lisaient leur bréviaire à l’oreiller des belles ; Quand Bernis pour Madone adorait Pompadour ! Ils sont passés, ces temps, et passés sans retour, Où, d’un pied libertin, ils couraient les ruelles, Et bravaient de l’enfer les flammes éternelles Dans les boudoirs rocaille enflammés par l’amour ! Oh ! que n’existions-nous, — vous, toute à Dieu, madame ! Moi, tout au sentiment que votre vertu blâme ; À notre culte vrai l’un et l’autre attachés. J’aurais pris la tonsure, — et, qu’en sait-on ? peut-être, Tout en vous confessant, m’auriez-vous permis d’être De moitié quelque soir dans vos divins péchés.
Vos cheveux sont-ils blonds, vos prunelles humides ? Avez-vous de beaux yeux à ravir l’univers ? Sont-ils doux ou cruels ? sont-ils fiers ou timides ? Méritez-vous enfin qu’on vous fasse des vers ? Drapez-vous galamment vos châles en chlamydes ? Portez-vous un blason de gueules ou de vairs ? Savez-vous le secret des hautaines Armides ? Ou bien soupirez-vous sous les ombrages verts ? Si votre corps poli se tord comme un jeune arbre, Et si le lourd damas, sur votre sein de marbre, Comme un fleuve en courroux déborde en flots mouvants, Si toutes vos beautés valent qu’on s’inquiète, Ne laissez plus courir mon rêve à tous les vents, Belle, venez poser devant votre poète.
Nous t’aimions bien jadis, quand sur ta triste harpe Tu raclais la romance, et qu’en un carrefour, Pour attirer la foule à voir tes sauts de carpe, Un enfant scrofuleux tapait sur un tambour ; Quand tu couvais de l’œil, en tordant ton écharpe, Quelque athlète en maillot, Alcide fait au tour, Qu’admire le bourgeois, que la police écharpe, Qui porte cent kilos et t’appelle mamour. Ta guitare enrouée et ta jupe à paillettes Étalaient à nos yeux le rêve des poètes, La danseuse d’Hoffmann, Esmeralda, Mignon. Mais déchue à présent, te voilà, ma pauvre ange, Sultane du trottoir, ramassant dans la fange L’argent qui doit soûler ton rude compagnon.
Vous étiez du bon temps des robes à paniers, Des bichons, des manchons, des abbés, des rocailles, Des gens spirituels, polis et cancaniers, Des filles, des marquis, des soupers, des ripailles. Moutons poudrés à blanc, poètes familiers, Vieux sèvres et biscuits, charmantes antiquailles, Amours dodus, pompons de rubans printaniers, Meubles en bois de rose et caprices d’écailles ; Le peuple a tout brisé, dans sa juste fureur, Vous seule avez pleuré, vous seule avez eu peur, Vous seule avez trahi votre fraîche noblesse. Les autres souriaient sur les noirs tombereaux, Et, tués sans colère, ils mouraient sans faiblesse, Car vous seule étiez femme en ce temps de héros.
Te souvient-il, enfant, des jours de ta jeunesse Et des grandes forêts où tu courais pieds nus, Rêveuse et vagabonde, oubliant ta détresse Et laissant le zéphyr baiser tes bras charnus ? Tes cheveux crépelés, ta peau de mulâtresse Rendaient plus attrayants tes charmes ingénus. Telle avant ses amours, Diane chasseresse Courait dans la bruyère et sur les monts chenus. Il ne reste plus rien de ta beauté sauvage ; Le flot ne mordra plus tes pieds sur le rivage, Et l’herbe a recouvert l’empreinte de tes pas. Paris t’a faite riche entre les plus hautaines. Tes frères les chasseurs ne reconnaîtraient pas Leur sœur qui, dans ses mains, buvait l’eau des fontaines.
La Muse est de retour et déjà tout s’allume ; Partez, ma fantaisie, errez parmi les prés. Voici le soleil d’or et les cieux sidérés ; La nature s’éveille, et le bois se parfume. Le printemps, jeune oiseau, vêt sa première plume ; Le long des verts côteaux et des champs diaprés, Avril ouvre en chantant les bourgeons empourprés, Et la terre en moiteur s’enveloppe de brume. Le doux printemps, suivi des Grâces et des Jeux, Fait éclore des fleurs sur les sommets neigeux. Vous dont les rigueurs font que sur ma tête il neige, N’êtes-vous pas d’avis, belle, qui dès longtemps De me faire blanchir avez le privilège, Qu’il serait sage à vous d’imiter le printemps ?
À Mme E. M..., Gentille Femme.
Pourquoi donc m’aimez-vous, ô ma belle maîtresse ?
Vous avez pour moi seul des sourires joyeux,
Et bien après le jour, sur le divan soyeux
Vous savez d’un baiser caresser ma paresse.
Suis-je, pour vous aimer, ô blonde enchanteresse,
Un timide écolier qui rêve de vos yeux
Et rougit quand son front sent frémir vos cheveux
Dont la brise lascive éparpille une tresse ?...
Suis-je un beau raffiné, vainqueur de l’univers,
Mettant flamberge au vent pour un mot de travers,
Prenant pour vous aimer sa plus farouche pose ?...
Non ! mais je suis le seul dont le souffle hardi,
Ô froide Galatée, arrive, quand je l’ose,
À réchauffer un peu votre marbre engourdi.
À Mme Anna B...
Quand la brise d’avril a chassé les autans,
Et doré toutes choses,
Anna, vous revenez avec le doux printemps
Qui fait les fleurs écloses.
Vous voyant si charmante, on croirait que le temps
En ses métamorphoses,
A, pour vous embellir, dans les prés éclatants
Pris la pourpre des roses.
Lorsque nous vous avons, que nous fait le soleil
Aux rayons d’or, les fleurs au calice vermeil ?
Votre joue est plus belle !
Pourquoi donc imiter, à l’hiver pluvieux,
La sauvage hirondelle,
Et nous priver aussi de l’éclat de vos yeux ?
À Mme Appoline Frantz.
Un livre n’aurait pas suffi
Pour peindre la mignarde flèche
De ton fin regard qui m’allèche
Avec son éternel défi !
Plus d’une belle à front bouffi,
Plus d’une guêpe à taille sèche,
En désespoir de ta calèche,
De tes attraits veut faire fi.
Bast ! un fat meurt aussi d’envie,
Envieux non pas de ta vie,
Mais de tes appas entrouverts.
Mais que t’importent tes conquêtes,
Tes vrais amants sont les poètes :
Dont tu sais par cœur les doux vers.
Vos cheveux sont-ils blonds et vos lèvres humides ? Avez-vous de grands yeux à ravir l’univers ? Sont-ils doux [et/ou] cruels ? sont-ils fiers ou timides ? Méritez-vous enfin que je fasse des vers ? Drapez-vous galamment vos châles en chlamydes ? Portez-vous un blason de gueules ou de vairs ? Savez-vous le secret des hautaines Armides ? Ou bien soupirez-vous sous des feuillages verts ? Si votre corps poli se tord comme un jeune arbre, Et si le lourd damas, sur votre sein de marbre, Comme un fleuve en courroux ruisselle en flots mouvants, Si toutes vos beautés valent qu’on s’inquiète, Ne laissez plus courir mon rêve à tous les vents, Belle, venez poser devant votre poète.
Combien dureront nos amours ? Dit la pucelle au clair de lune. L’amoureux répond : Ô ma brune, Toujours ! toujours ! Quand tout sommeille aux alentours, Hortense, se tortillant d’aise, Dit qu’elle veut que je lui plaise Toujours ! toujours ! Moi, je dis, pour charmer mes jours Et le souvenir de mes peines : Bouteilles, que n’êtes vous pleines Toujours ! toujours ! Car le plus chaste des amours, Le galant le plus intrépide, Comme un flacon s’use et se vide Toujours ! toujours !
J’aime ses grands yeux bleus, sa chevelure ardente Aux étranges senteurs, Son beau corps blanc et rose, et sa santé puissante Digne des vieux jouteurs. J’aime son air superbe et sa robe indécente Laissant voir les rondeurs De sa gorge charnue à la forme abondante, Qu’admirent les sculpteurs. J’aime son mauvais goût, sa jupe bigarrée, Son grand châle boiteux, sa parole égarée Et son front rétréci. Je l’aime ainsi ! Tant pis... Cette fille des rues M’enivre et me fascine avec ses beautés crues. Tant pis, je l’aime ainsi !
Ce texte électronique réunit des poèmes signés Privat d’Anglemont
qui furent attribués à Baudelaire, quelquefois un peu vite.
Source :
Baudelaire, Œuvres complètes, I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1975.
Première mise en ligne le 29 mars 2009.
Présente version générée le 29 mars 2009.