Ronsard
Sonets pour Helene
Le premier livre des sonets pour Helene
Ce premier jour de May, Helene, je vous jure
Par Castor, par Pollux, voz deux freres jumeaux,
Par la vigne enlassee à l’entour des ormeaux,
Par les prez, par les bois herissez de verdure,
Par le Printemps sacré, fils aisné de Nature,
Par le sablon qui roule au giron des ruisseaux,
Par tous les rossignols, merveille des oiseaux,
Qu’autre part je ne veux chercher autre avanture.
Vous seule me plaisez : j’ay par election,
Et non à la volée, aimé vostre jeunesse :
Aussi je prens en gré toute ma passion.
Je suis de ma fortune autheur, je le confesse :
La vertu m’a conduit en telle affection :
Si la vertu me trompe, adieu belle Maistresse.
Quand à longs traits je boy l’amoureuse estincelle
Qui sort de tes beaux yeux, les miens sont esblouys :
D’esprit ny de raison, troublé, je ne jouys,
Et comme yvre d’amour, tout le corps me chancelle.
Le cœur me bat au sein : ma chaleur naturelle
Se refroidit de peur : mes sens esvanouys
Se perdent dedans l’air, tant tu te resjouys
D’acquerir par ma mort le surnom de cruelle.
Tes regards foudroyans me percent de leurs rais
Tout le corps, tout le cœur, comme poinctes de trais
Que je sens dedans l’ame : et quand je me veux plaindre,
Ou demander mercy du mal que je reçois,
Si bien ta cruauté me reserre la vois,
Que je n’ose parler, tant tes yeux me font craindre.
Ma douce Helene, non, mais bien ma douce haleine,
Qui froide rafraischis la chaleur de mon cœur,
Je prens de ta vertu cognoissance et vigueur,
Et ton œil, comme il veut, à son plaisir me meine.
Heureux celuy qui souffre une amoureuse peine
Pour un nom si fatal : heureuse la douleur,
Bien-heureux le torment, qui vient pour la valeur
Des yeux, non pas des yeux, mais des flames d’Helene.
Nom, malheur des Troyens, sujet de mon souci,
Ma sage Penelope, et mon Helene aussi,
Qui d’un soin amoureux tout le cœur m’envelope :
Nom, qui m’a jusqu’au ciel de la terre enlevé,
Qui eust jamais pensé que j’eusse retrouvé
En une mesme Helene une autre Penelope ?
Tout ce qui est de sainct, d’honneur et de vertu,
Tout le bien qu’aux mortels la Nature peut faire,
Tout ce que l’artifice icy peut contrefaire.
Ma maistresse, en naissant, dans l’esprit l’avoit eu.
Du juste et de l’honneste à l’envy debatu
Aux escoles des Grecs : de ce qui peut attraire
A l’amour du vray bien, à fuyr le contraire,
Ainsi que d’un habit son corps fut revestu.
La chasteté, qui est des beautez ennemie
(Comme l’or fait la Perle) honore son Printemps,
Un respect de l’honneur, une peur d’infamie,
Un œil qui fait les Dieux et les hommes contens.
La voyant si parfaite, il faut que je m’escrie,
Bien-heureux qui l’adore, et qui vit de son temps !
Helene sceut charmer avecque son Nepenthe
Les pleurs de Telemaque. Helene, je voudroy
Que tu peusses charmer les maux que je reçoy
Depuis deux ans passez, sans que je m’en repente.
Naisse de noz amours une nouvelle plante,
Qui retienne noz noms pour eternelle foy,
Qu’obligé je me suis de servitude à toy,
Et qu’à nostre contract la terre soit presente.
O terre, de noz oz en ton sein chaleureux
Naisse une herbe au Printemps propice aux amoureux,
Qui sur noz tombeaux croisse en un lieu solitaire.
O desir fantastiq, duquel je me deçoy,
Mon souhait n’adviendra, puis qu’en vivant je voy
Que mon amour me trompe, et qu’il n’a point de frere.
Dedans les flots d’Amour je n’ay point de support :
Je ne voy point de Phare, et si je ne desire
(O desir trop hardy !) sinon que ma Navire
Apres tant de perils puisse gaigner le port.
Las ! devant que payer mes vœuz dessus le bort,
Naufrage je mourray : car je ne voy reluire
Qu’une flame sur moy, qu’une Helene qui tire
Entre mille rochers ma Navire à la mort.
Je suis seul, me noyant, de ma vie homicide,
Choisissant un enfant, un aveugle pour guide,
Dont il me faut de honte et pleurer et rougir.
Je ne crains point la mort : mon cœur n’est point si lasche :
Je suis trop genereux : seulement je me fasche
De voir un si beau port, et n’y pouvoir surgir.
Quand je devise assis aupres de vous,
Tout le cœur me tressaut.
Je tremble tout de nerfs et de genous,
Et le pouls me defaut.
Je n’ay ny sang ny esprit ny haleine,
Qui ne se trouble en voyant mon Heleine,
Ma chere et douce peine.
Je devien fol ; je perds toute raison :
Cognoistre je ne puis
Si je suis libre, ou captif en prison :
Plus en moy je ne suis.
En vous voyant, mon œil perd cognoissance :
Le vostre altere et change mon essence,
Tant il a de puissance.
Vostre beauté me fait en mesme temps
Souffrir cent passions :
Et toutesfois tous mes sens sont contents,
Divers d’affections.
L’œil vous regarde, et d’autre part l’oreille
Oyt vostre voix, qui n’a point de pareille,
Du monde la merveille.
Voyla comment vous m’avez enchanté,
Heureux de mon malheur :
De mon travail je me sens contenté,
Tant j’aime ma douleur :
Et veux tousjours que le torment me tienne,
Et que de vous tousjours il me souvienne,
Vous donnant l’ame mienne.
Donc ne cherchez de parler au Devin,
Qui sçavez tout charmer :
Vous seule auriez un esprit tout divin,
Si vous pouviez aimer.
Que pleust à Dieu, ma moitié bien-aimee,
Qu’Amour vous eust d’une fleche enflamee
Autant que moy charmee.
En se jouant il m’a de part en part
Le cœur outrepercé :
A vous s’amie il n’a monstré le dart
Duquel il m’a blessé.
De telle mort heureux je me confesse,
Et ne veux point que le soucy me laisse
Pour vous, belle Maistresse.
Dessus ma tombe escrivez mon soucy
En lettres grossement :
Le Vendomois, lequel repose icy,
Mourut en bien aimant.
Comme Pâris, là bas faut que je voise,
Non pour l’amour d’une Helene Gregeoise,
Mais d’une Saintogeoise.
Amour abandonnant les vergers de Cytheres,
D’Amathonte et d’Eryce, en la France passa :
Et me monstrant son arc, comme Dieu, me tança,
Que j’oubliois, ingrat, ses loix et ses mysteres.
Il me frappa trois fois de ses ailes legeres :
Un traict le plus aigu dans les yeux m’eslança.
La playe vint au cœur, qui chaude me laissa
Une ardeur de chanter les honneurs de Surgeres.
Chante (me dist Amour) sa grace et sa beauté,
Sa bouche, ses beaux yeux, sa douceur, sa bonté :
Je la garde pour toy le sujet de ta plume.
— Un sujet si divin ma Muse ne poursuit. —
Je te feray l’esprit meilleur que de coustume :
» L’homme ne peut faillir, quand un Dieu le conduit.
Tu ne dois en ton cœur superbe devenir
Pour me tenir captif : cela vient de Fortune.
A tout homme mortel la misere est commune :
Tel eschappe souvent, qu’on pense bien tenir.
Tousjours de Nemesis il te faut souvenir,
Qui fait nostre avanture ore blanche, ore brune.
Aux Tygres, aux Lions est propre la rancune :
Comme ton serf conquis tu me dois maintenir.
Les Guerres et l’Amour sont une mesme chose,
Où le veincu souvent le veinqueur a batu,
Qui honteux de son mal fuyoit à bouche close.
Soit que je sois captif sans force ny vertu,
Un superbe trophée au cœur je me propose,
D’avoir contre tes yeux si long temps combatu.
L’autre jour que j’estois sur le haut d’un degré,
Passant tu m’advisas, et me tournant la veuë,
Tu m’esblouys les yeux, tant j’avois l’ame esmeuë
De me voir en sursaut de tes yeux rencontré.
Ton regard dans le cœur, dans le sang m’est entré
Comme un esclat de foudre alors qu’il fend la nue :
J’euz de froid et de chaut la fiévre continue,
D’un si poignant regard mortellement outré.
Et si ta belle main passant ne m’eust fait signe,
Main blanche, qui se vante estre fille d’un Cygne,
Je fusse mort, Helene, aux rayons de tes yeux :
Mais ton signe retint l’ame presque ravie,
Ton œil se contenta d’estre victorieux,
Ta main se resjouyt de me donner la vie.
Ce siecle, où tu nasquis, ne te cognoist, Heleine.
S’il sçavoit tes vertus, tu aurois en la main
Un sceptre à commander dessus le genre humain,
Et de ta majesté la terre seroit pleine.
Mais luy tout embourbé d’avarice vilaine,
Qui met comme ignorant les vertus à desdain,
Ne te cognut jamais : je te cognu soudain
A ta voix, qui n’estoit d’une personne humaine.
Ton esprit, en parlant, à moy se descouvrit,
Et ce-pendant Amour l’entendement m’ouvrit
Pour te faire à mes yeux un miracle apparoistre.
Je tien, je le sens bien, de la divinité,
Puis que seul j’ay cognu que peut ta Deité,
Et qu’un autre avant moy ne l’avoit peu cognoistre.
Le Soleil l’autre jour se mit entre nous deux,
Ardent de regarder tes yeux par la verriere :
Mais luy, comme esblouy de ta vive lumiere,
Ne pouvant la souffrir, s’en-alla tout honteux.
Je te regarday ferme, et devins glorieux
D’avoir veincu ce Dieu qui se tournoit arriere,
Quand regardant vers moy tu me dis, ma guerriere,
Ce Soleil est fascheux, je t’aime beaucoup mieux.
Une joye en mon cœur incroyable s’en-volle
Pour ma victoire acquise, et pour telle parolle :
Mais longuement cest aise en moy ne trouva lieu.
Arrivant un mortel de plus fresche jeunesse
(Sans esgard que j’avois triomphé d’un grand Dieu)
Tu me laissas tout seul pour luy faire caresse
Deux Venus en Avril (puissante Deité)
Nasquirent, l’une en Cypre, et l’autre en la Saintonge :
La Venus Cyprienne est des Grecs la mensonge,
La chaste Saintogeoise est une verité.
L’Avril se resjouyst de telle nouveauté,
Et moy qui jour et nuict d’autre Dame ne songe,
Qui le fil amoureux de mon destin allonge,
Ou l’accourcist, ainsi qu’il plaist à sa beauté,
Je suis trois fois un Dieu, d’estre nay de son âge.
Si tost que je la vy, je fus mis en servage
De ses yeux, que j’estime un sujet plus qu’humain.
Ma Raison, sans combattre, abandonna la place,
Et mon cœur se vid pris comme un poisson à l’hain :
Si j’ay failly, ma faute est bien digne de grace.
Soit que je sois hay de toy, ma Pasithee,
Soit que j’en sois aimé, je veux suivre mon cours :
J’ay joué comme aux detz mon cœur et mes amours :
Arrive bien ou mal, la chance en est jettee.
Si mon ame de glace et de feu tormentee
Peut deviner son mal, je voy que sans secours,
Passionné d’amour, je doy finir mes jours,
Et que devant mon soir se clorra ma nuictee.
Je suis du camp d’Amour pratique Chevalier :
Pour avoir trop souffert, le mal m’est familier :
Comme un habillement j’ay vestu le martire.
Donques je te desfie, et toute ta rigueur :
Tu m’as desja tué, tu ne sçaurois m’occire
Pour la seconde fois : car je n’ay plus de cœur.
Trois ans sont ja passez que ton œil me tient pris.
Je ne suis pas marry de me voir en servage :
Seulement je me deuls des ailes de mon âge,
Qui me laissent le chef semé de cheveux gris.
Si tu me vois ou palle, ou de fiévre surpris,
Quelquefois solitaire, ou triste de visage,
Tu ne dois imputer ta faute à mon dommage :
L’Aurore ne met point son Thiton à mespris.
Si tu es de mon mal seule cause premiere,
Il faut que de mon mal tu sentes les effects :
C’est une sympathie aux hommes coustumiere.
Je suis (j’en jure Amour) tout tel que tu me fais :
Tu es mon cœur, mon sang, ma vie et ma lumiere :
Seule je te choisy, seule aussi tu me plais.
De voz yeux tout-divins, dont un Dieu se paistroit,
(Si un Dieu se paissoit de quelque chose en terre)
Je me paissois hier, et Amour qui m’enferre,
Ce-pendant sur mon cœur ses fleches racoustroit.
Mon œil dedans le vostre esbahy rencontroit
Cent beautez, qui me font une si douce guerre,
Et la mesme vertu, qui toute se reserre
En vous, d’aller au Ciel le chemin me monstroit.
Je n’avois ny esprit ny penser ny oreille,
Qui ne fussent ravis de crainte et de merveille,
Tant d’aise transportez mes sens estoient contens.
J’estois Dieu, si mon œil vous eust veu davantage :
Mais le soir qui survint, cacha vostre visage,
Jaloux que les mortels le vissent si long temps.
Te regardant assise aupres de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toy comme un Soleil,
Je pensay voir deux fleurs d’un mesme teint pareil,
Croissantes en beauté sur la rive voisine,
La chaste, saincte, belle et unique Angevine,
Viste comme un esclair, sur moy jetta son œil :
Toy comme paresseuse, et pleine de sommeil,
D’un seul petit regard tu ne m’estimas digne.
Tu t’entretenois seule au visage abaissé,
Pensive tout à toy, n’aimant rien que toymesme,
Desdaignant un chascun d’un sourcil ramassé,
Comme une qui ne veut qu’on la cherche ou qu’on l’aime
J’euz peur de ton silence, et m’en-allay tout blesme,
Craignant que mon salut n’eust ton œil offensé.
De toy ma belle Grecque, ainçois belle Espagnole,
Qui tires tes ayeuls du sang Iberien,
Je suis tant serviteur, qu’icy je ne voy rien
Qui me plaise, sinon tes yeux et ta parole.
Comme un mirouer ardent, ton visage m’affole.
Me perçant de ses raiz, et tant je sens de bien
En t’oyant deviser, que je ne suis plus mien,
Et mon ame fuitive à la tienne s’en-vole.
Puis contemplant ton œil du mien victorieux,
Je voy tant de vertuz, que je n’en sçay le conte,
Esparses sur ton front comme estoilles aux Cieux.
Je voudrois estre Argus ; mais je rougis de honte
Pour voir tant de beautez, que je n’ay que deux yeux,
Et que tousjours le fort le plus foible surmonte.
Je fuy les pas frayez du meschant populaire,
Et les villes où sont les peuples amassez :
Les rochers, les forests desja sçavent assez
Quelle trampe a ma vie estrange et solitaire.
Si ne suis-je si seul, qu’Amour mon secretaire
N’accompagne mes pieds debiles et cassez :
Qu’il ne conte mes maux et presens et passez
A ceste voix sans corps, qui rien ne sçauroit taire.
Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy,
Je m’arreste, et je dy : Se pourroit-il bien faire
Qu’elle pensast, parlast, ou se souvint de moy ?
Qu’à sa pitié mon mal commençast à desplaire ?
Encor que je me trompe, abusé du contraire,
Pour me faire plaisir, Helene, je le croy.
Chef, escole des arts, le sejour de science,
Où vit un intellect, qui foy du Ciel nous fait,
Une heureuse memoire, un jugement parfait,
D’où Pallas reprendroit sa seconde naissance :
Chef, le logis d’honneur, de vertu, de prudence,
Ennemy capital du vice contrefait :
Chef, petit Univers, qui monstres par effait
Que tu as du grand Tout parfaite cognoissance :
Et toy divin esprit, qui du Ciel es venu,
En ce chef comme au Ciel sainctement retenu,
Simple, sans passions, comme icy bas nous sommes,
Mais tout prompt et subtil, tout rond et tout en toy,
Puis que tu es divin, ayes pitié de moy :
Il appartient aux Dieux d’avoir pitié des hommes.
Si j’estois seulement en vostre bonne grace
Par l’erre d’un baiser doucement amoureux,
Mon cœur au departir ne seroit langoureux,
En espoir d’eschauffer quelque jour voste glace.
Si j’avois le portrait de vostre belle face,
Las ! je demande trop ! ou bien de vos cheveux,
Content de mon malheur je serois bienheureux,
Et ne voudrois changer aux celestes de place.
Mais je n’ay rien de vous que je puisse emporter,
Qui soit cher à mes yeux pour me reconforter,
Ne qui me touche au cœur d’une douce memoire.
Vous dites que l’Amour entretient ses accords
Par l’esprit seulement : hé ! je ne le puis croire :
Car l’esprit ne sent rien que par l’ayde du corps.
De vos yeux, le mirouer du Ciel et de Nature,
La retraite d’Amour, la forge de ses dards,
D’où pleut une douceur, que versent voz regards
Au cœur, quand un rayon y survient d’aventure,
Je tire pour ma vie une douce pasture,
Une joye, un plaisir, que les plus grands Cesars
Au milieu du triomphe, entre un camp de soudars,
Ne sentirent jamais : mais courte elle me dure.
Je la sens distiller goutte à goute en mon cœur,
Pure, saincte, parfaite, angelique liqueur,
Qui m’eschaufe le sang d’une chaleur extrême.
Mon ame la reçoit avec un tel plaisir,
Que tout esvanouy, je n’ay pas le loisir
Ny de gouster mon bien, ny penser à moymesme.
L’arbre qui met à croistre, a la plante asseuree :
Celuy qui croist bien tost, ne dure pas long temps :
Il n’endure des vents les souflets inconstans.
Ainsi l’amour tardive est de longue duree.
Ma foy du premier jour ne vous fut pas donnee :
L’Amour et la Raison, comme deux combatans,
Se sont escarmouchez l’espace de quatre ans :
A la fin j’ay perdu, veincu par destinee.
Il estoit destiné par sentence des cieux,
Que je devois servir, mais adorer voz yeux :
J’ay, comme les Geans, au ciel fait resistance
Aussi je suis comme eux maintenant foudroyé,
Pour resister au bien qu’ils m’avoient ottroyé,
Je meurs, et si ma mort m’est trop de recompense.
Ostez vostre beauté, ostez votre jeunesse,
Ostez ces rares dons que vous tenez des cieux,
Ostez ce bel esprit, ostez moy ces beaux yeux,
Cest aller, ce parler digne d’une Deesse :
Je ne vous seray plus d’une importune presse
Fascheux comme je suis : voz dons si precieux
Me font, en les voyant, devenir furieux,
Et par le desespoir l’ame prend hardiesse.
Pource si quelquefois je vous touche la main,
Par courroux vostre teint n’en doit devenir blesme :
Je suis fol, ma raison n’obeyt plus au frein,
Tant je suis agité d’une fureur extrême.
Ne prenez, s’il vous plaist, mon offence à desdain,
Mais, douce, pardonnez mes fautes à vous-mesme.
De vostre belle, vive, angelique lumiere,
Le beau logis d’Amour, de douceur, de rigueur,
S’eslance un doux regard, qui me navrant le cœur,
Desrobe loin de moy mon ame prisonniere.
Je ne sçay ny moyen, remede ny maniere
De sortir de voz rets, où je vis en langueur :
Et si l’extreme ennuy traine plus en longueur,
Vous aurez de ce corps la despouille derniere.
Yeux qui m’avez blessé, yeux mon mal et mon bien,
Guarissez vostre playe. Achille le peut bien.
Vous estes tout-divins, il n’estoit que pur homme.
Voyez, parlant à vous, comme le cœur me faut !
Hélas ! je ne me deuls du mal qui me consume :
Le mal dont je me deuls, c’est qu’il ne vous en chaut.
Nous promenant tous seuls, vous me dites, Maistresse,
Qu’un chant vous desplaisoit, s’il estoit doucereux :
Que vous aimiez les plaints des chetifs amoureux,
Toute voix lamentable, et pleine de tristesse.
Et pour (disiez vous) quand je suis loin de presse,
Je choisis voz Sonets qui sont plus douloureux :
Puis d’un chant qui est propre au sujet langoureux,
Ma nature et Amour veulent que je me paisse.
Vos propos sont trompeurs. Si vous aviez soucy
De ceux qui ont un cœur larmoyant et transy,
Je vous ferois pitié par une sympathie :
Mais vostre œil cauteleux, trop finement subtil,
Pleure en chantant mes vers, comme le Crocodil,
Pour mieux me desrober par feintise la vie.
Cent et cent fois le jour l’Orange je rebaise,
Et le palle Citron qui viennent de ta main,
Doux present amoureux, que je loge en mon sein,
Pour leur faire sentir combien je sens de braise.
Quand ils sont demy-cuits, leur chaleur je r’appaise,
Versant des pleurs dessus, dont triste je suis plein :
Et de ta mauvaistié avec eux je me plain,
Qui cruelle te ris de me voir à mal-aise.
Oranges et Citrons sont symboles d’Amour :
Ce sont signes muets ; que je puis quelque jour
T’arrester, comme fit Hippomene Atalante.
Mais je ne le puis croire : Amour ne le veut pas,
Qui m’attache du plomb pour retarder mes pas,
Et te donne à fuyr des ailes à la plante.
Tousjours pour mon sujet il faut que je vous aye :
Je meurs sans regarder voz deux Astres jumeaux,
Voz yeux, mes deux Soleils, qui m’esclairent si beaux,
Qu’à trouver autre jour autre part je n’essaye.
Le chant du Rossignol m’est le chant d’une Orfraye,
Roses me sont Chardons, de l’ancre les ruisseaux,
La Vigne mariee à l’entour des Ormeaux,
Et le Printemps sans vous m’est une dure playe.
Mon plaisir en ce mois c’est de voir les Coloms
S’emboucher bec à bec de baisers doux et longs,
Dés l’aube jusqu’au soir que le Soleil se plonge.
O bienheureux Pigeons, vray germe Cyprien,
Vous avez par nature et par effect le bien
Que je n’ose esperer tant seulement en songe.
Vous me distes, Maistresse, estant à la fenestre,
Regardant vers Mont-martre et les champs d’alentour :
La solitaire vie, et le desert sejour
Valent mieux que la Cour, je voudrois bien y estre.
A l’heure mon esprit de mes sens seroit maistre,
En jeusne et oraisons je passerois le jour :
Je desfirois les traicts et les flames d’Amour :
Ce cruel de mon sang ne pourroit se repaistre.
Quand je vous repondy, Vous trompez de penser
Qu’un feu ne soit pas feu, pour se couvrir de cendre :
Sur les cloistres sacrez la flame on voit passer :
Amour dans les deserts comme aux villes s’engendre.
Contre un Dieu si puissant, qui les Dieux peut forcer,
Jeusnes ny oraisons ne se peuvent defendre.
Voicy le mois d’Avril, où nasquit la merveille,
Qui fait en terre foy de la beauté des cieux,
Le mirouer de vertu, le Soleil de mes yeux,
Qui vit comme un Phenix au monde sans pareille.
Les Œillets et les Liz et la Rose vermeille
Servirent de berceau : la Nature et les Dieux
La regarderent naistre en ce mois gracieux :
Puis Amour la nourrit des douceurs d’une Abeille.
Les Muses, Apollon, et les Graces estoient
Assises tout autour, qui à l’envy jettoient
Des fleurs sur l’Anglette. Ah ! ce mois me convie
D’eslever un autel, et suppliant Amour
Sanctifier d’Avril le neufiesme jour,
Qui m’est cent fois plus cher que celuy de ma vie.
D’autre torche mon cœur ne pouvoit s’allumer
Sinon de tes beaux yeux, où l’amour me convie :
J’avois desja passé le meilleur de ma vie,
Tout franc de passion, fuyant le nom d’aimer.
Je soulois maintenant ceste Dame estimer,
Et maintenant cest’autre, où me portoit l’envie,
Sans rendre ma franchise à quelqu’une asservie :
Rusé je ne voulois dans les retz m’enfermer.
Maintenant je suis pris, et si je prens à gloire
D’avoir perdu le camp, frustré de la victoire :
Ton œil vaut un combat de dix ans d’Ilion.
Amour, comme estant Dieu, n’aime pas les superbes.
Sois douce à qui te prie, imitant le Lion :
La foudre abat les monts, non les petites herbes.
Agathe, où du Soleil le signe est imprimé
(L’escrevisse marchant, comme il fait, en arriere),
Cher present que je donne à toy chere guerriere,
Mon don pour le Soleil est digne d’estre aimé.
Le Soleil va tousjours de flames allumé,
Je porte au cœur le feu de ta belle lumiere :
Il est l’ame du monde, et ma force premiere.
Depend de ta vertu, dont je suis animé.
O douce, belle, vive, angelique Sereine,
Ma toute Pasithee, essence sur-humaine,
Merveille de nature, exemple sans pareil,
D’honneur et de beauté l’ornement et le signe,
Puis que rien icy bas de ta vertu n’est digne,
Que te puis-je donner, sinon que le Soleil ?
Puis que tu sçais, helas ! qu’affamé je me pais
Du regard de tes yeux, dont larron je retire
Des rayons, pour nourrir ma douleur qui s’empire,
Pourquoi me caches-tu l’œil, par qui tu me plais ?
Tu es deux fois venue à Paris, et tu fais
Semblant de n’y venir, afin que mon martire
Ne s’allege, en voyant ton œil que je desire,
Ton œil qui me nourrit par l’objet de ses rais.
Tu vas bien à Hercueil avecque ta cousine
Voir les prez, les jardins, et la source voisine
De l’Antre, où j’ay chanté tant de divers accords.
Tu devois m’appeler, oublieuse Maistresse :
Dans ton coche porté je n’eusse fait grand presse :
Car je ne suis plus rien qu’un fantaume sans corps.
Cest amoureux desdain, ce Nenny gracieux,
Qui refusant mon bien, me reschaufent l’envie
Par leur fiere douceur d’assujettir ma vie,
Où sont desja sujets mes pensers et mes yeux,
Me font transir le cœur, quand trop impetueux
A baiser vostre main le desir me convie,
Et vous, la retirant, feignez d’estre marrie,
Et m’appelez, honteuse, amant presomptueux.
Mais sur tout je me plains de voz douces menaces,
De voz lettres qui sont toutes pleines d’audaces,
De moymesme, d’Amour, de vous et de vostre art,
Qui si doucement farde et sucre sa harangue,
Qu’escrivant et parlant vous n’avez traict de langue,
Qui ne me soit au cœur la poincte d’un poignart.
J’avois, en regardant tes beaux yeux, enduré
Tant de flames au cœur, qu’une aspre seicheresse
Avoit cuitte ma langue en extreme destresse,
Ayant de trop parler tout le corps alteré.
Lors tu fis apporter en ton vase doré
De l’eau froide d’un puits : et la soif qui me presse,
Me fit boire à l’endroit où tu bois, ma Maistresse,
Quand ton vaisseau se voit de ta lévre honoré.
Mais le vase amoureux de ta bouche qu’il baise,
En reschaufant ses bords du feu qu’il a receu,
Le garde en sa rondeur comme en une fournaise.
Seulement au toucher je l’ay bien apperceu.
Comment pourroy-je vivre un quart d’heure à mon aise
Quand je sens contre moy l’eau se tourner en feu ?
Comme une belle fleur assise entre les fleurs,
Mainte herbe vous cueillez en la saison plus tendre
Pour me les envoyer, et pour soigneuse appendre
Leurs noms et qualitez, especes et valeurs.
Estoit-ce point afin de guarir mes douleurs,
Ou de faire ma playe amoureuse reprendre ?
Ou bien, s’il vous plaisoit par charmes entreprendre
D’ensorceler mon mal, mes flames et mes pleurs ?
Certes je croy que non : nulle herbe n’est maistresse
Contre le coup d’Amour envieilly par le temps.
C’estoit pour m’enseigner qu’il faut dés la jeunesse,
Comme d’un usufruit, prendre son passetemps :
Que pas à pas nous suit l’importune vieillesse,
Et qu’Amour et les fleurs ne durent qu’un Printemps.
Doux desdains, douce amour d’artifice cachee,
Doux courroux enfantin, qui ne garde son cœur,
Doux d’endurer passer un long temps en longueur,
Sans me voir, sans m’escrire, et faire la faschee :
Douce amitié souvent perdue et recerchee,
Doux de tenir d’entree une douce rigueur,
Et sans me saluer, me tuer de langueur,
Et feindre qu’autre part on est bien empeschee :
Doux entre le despit et entre l’amitié,
Dissimulant beaucoup, ne parler qu’à moitié.
Mais m’appeler volage et prompt de fantasie,
Craindre ma conscience, et douter de ma foy,
M’est un reproche amer, qu’à grand tort je reçoy :
Car douter de ma foy c’est crime d’heresie.
Pour voir d’autres beautez mon desir ne s’appaise,
Tant du premier assaut voz yeux m’ont surmonté :
Tousjours à l’entour d’eux vole ma volonté,
Yeux qui versent en l’ame une si chaude braise.
Mais vous embellissez de me voir à mal-aise,
Tigre, roche de mer, la mesme cruauté,
Comme ayant le desdain si joint à la beauté,
Que de plaire à quelcun semble qu’il vous desplaise.
Desja par longue usance aimer je ne sçaurois
Sinon vous, qui sans pair à soymesme ressemble.
Si je changeois d’amour, de douleur je mourrois.
Seulement quand je pense au changement, je tremble :
Car tant dedans mon cœur toute je vous reçois,
Que d’aimer autre part c’est hayr, ce me semble.
Coche cent fois heureux, où ma belle Maistresse
Et moy nous promenons raisonnans de l’amour :
Jardin cent fois heureux, des Nymphes le sejour,
Qui l’adorent de loin ainsi que leur Deesse.
Bienheureuse l’Eglise, où je pris hardiesse
De contempler ses yeux, qui des miens sont le jour,
Qui ont chauds les regards, qui ont tout à l’entour
Un petit camp d’amours, qui jamais ne les laisse.
Heureuse la Magie, et les cheveux bruslez,
Le murmure, l’encens, et les vins escoulez
Sur l’image de cire : ô bienheureux servage !
O moy sur tous amans le plus avantureux,
D’avoir osé choisir la vertu de nostre âge,
Dont la terre est jalouse, et le ciel amoureux.
Ton extreme beauté par ses rais me retarde
Que je n’ose mes yeux sur les tiens asseurer :
Debile je ne puis leurs regards endurer.
Plus le Soleil esclaire, et moins on le regarde.
Helas ! tu es trop belle, et tu dois prendre garde
Qu’un Dieu si grand thresor ne puisse desirer,
Qu’il ne t’en-vole au ciel pour la terre empirer.
La chose precieuse est de mauvaise garde.
Les Dragons sans dormir, tous pleins de cruauté,
Gardoient les pommes d’or pour leur seule beauté :
Le visage trop beau n’est pas chose trop bonne.
Danaë le sceut bien, dont l’or se fit trompeur.
Mais l’or qui domte tout, davant tes yeux s’estonne,
Tant ta chaste vertu le fait trembler de peur.
D’un solitaire pas je ne marche en nul lieu,
Qu’Amour bon artisan ne m’imprime l’image
Au profond du penser de ton gentil visage,
Et des mots gracieux de ton dernier Adieu.
Plus fermes qu’un rocher, engravez au milieu
De mon cœur je les porte : et s’il n’y a rivage,
Fleur, antre ny rocher, ny forests ny bocage,
A qui je ne le conte, à Nymphe, ny à Dieu.
D’une si rare et douce ambrosine viande
Mon esperance vit, qui n’a voulu depuis
Se paistre d’autre apast, tant elle en est friande.
Ce jour de mille jours m’effaça les ennuis :
Car tant opiniastre en ce plaisir je suis,
Que mon ame pour vivre autre bien ne demande.
Bien que l’esprit humain s’enfle par la doctrine
De Platon, qui le chante influxion des cieux,
Si est-ce sans le corps qu’il seroit ocieux,
Et auroit beau vanter sa celeste origine.
Par les sens l’ame voit, ell’oyt, ell’imagine,
Ell’a ses actions du corps officieux :
L’esprit incorporé devient ingenieux,
La matiere le rend plus parfait et plus digne.
Or’ vous aimez l’esprit, et sans discretion
Vous dites que des corps les amours sont pollues.
Tel dire n’est sinon qu’imagination,
Qui embrasse le faux pour les choses cognues :
Et c’est renouveller la fable d’Ixion,
Qui se paissoit de vent, et n’amoit que de nues.
En choisissant l’esprit vous estes mal-apprise,
Qui refusez le corps, à mon gré le meilleur :
De l’un en l’esprouvant on cognoist la valeur,
L’autre n’est rien que vent, que songe et que feintise.
Vous aimez l’intellect, et moins je vous en prise :
Vous volez, comme Icare, en l’air d’un beau malheur :
Vous aimez les tableaux qui n’ont point de couleur.
Aimer l’esprit, Madame, est aimer la sottise.
Entre les courtisans, afin de les braver,
Il faut en disputant Trimegiste approuver,
Et de ce grand Platon n’estre point ignorante.
Mais moi qui suis bercé de telle vanité,
Un discours fantastiq’ ma raison ne contante :
Je n’aime point le faux, j’aime la verité.
Amour a tellement ses fleches enfermees
En mon ame, et ses coups y sont si bien enclos,
Qu’Helene est tout mon cœur, mon sang et mes propos,
Tant j’ay dedans l’esprit ses beautez imprimees.
Si les François avoient les ames allumees
D’amour, ainsi que moy, nous serions à repos :
Les champs de Montcontour n’eussent pourry noz os,
Ny Dreux ny Jazeneuf n’eussent veu noz armees.
Venus, va mignarder les moustaches de Mars :
Conjure ton guerrier de tes benins regars,
Qu’il nous donne la paix, et de tes bras l’enserre.
Pren pitié des François, race de tes Troyens,
A fin que nous facions en paix la mesme guerre
Qu’Anchise te faisoit sur les monts Idéens.
Dessus l’autel d’Amour planté sur vostre table
Vous me fistes serment, et je le fis aussi,
Que d’un cœur mutuel à s’aimer endurcy
Nostre amitié promise iroit inviolable.
Je vous juray ma foy, vous feistes le semblable.
Mais vostre cruauté, qui des Dieux n’a soucy,
Me promettoit de bouche, et me trompoit ainsi :
Ce-pendant vostre esprit demeuroit immuable.
O jurement fardé sous l’espece d’un Bien !
O perjurable autel ! ta Deité n’est rien.
O parole d’amour non jamais asseuree !
J’ay pratiqué par vous le Proverbe des vieux :
Jamais des amoureux la parole juree
N’entra (pour les punir) aux oreilles des Dieux.
J’errois à la volee, et sans respect des lois
Ma chair dure à donter me combatoit à force,
Quand tes sages propos despouillerent l’escorce
De tant d’opinions que frivoles j’avois.
En t’oyant discourir d’une si saincte vois,
Qui donne aux voluptez une mortelle entorce,
Ta parole me fist par une douce amorce
Contempler le vray bien duquel je m’esgarois.
Tes mœurs et ta vertu, ta prudence et ta vie
Tesmoignent que l’esprit tient de la Deité :
Tes raisons de Platon, et ta Philosophie,
Que le vieil Promethee est une vérité,
Et qu’en ayant la flame à Jupiter ravie,
Il maria la Terre à la Divinité.
Maistresse, quand je pense aux traverses d’Amour,
Qu’ores chaude, ores froide en aimant tu me donnes,
Comme sans passion mon cœur tu passionnes,
Qui n’a contre son mal ny tréve ny sejour :
Je souspire la nuict, je me complains le jour
Contre toy, ma Raison, qui mon fort abandonnes,
Et pleine de discours, confuse, tu t’estonnes
Dés le premier assaut, sans defendre ma tour.
Non : si forts ennemis n’assaillent nostre Place,
Qu’ils ne fussent veincuz, si tu tournois la face,
Encores que mon cœur trahist ce qui est sien.
Une œillade, une main, un petit ris me tue :
De trois foibles soudars ta force est combatue :
Qui te dira divine, il ne dira pas bien.
Bienheureux fut le jour, où mon ame sujette
Rendit obeyssance à ta douce rigueur,
Quand d’un traict de ton œil tu me perças le cœur,
Qui ne veult endurer qu’un autre luy en jette.
La Raison pour neant au chef fit sa retraite,
Et se mit au dongeon, comme au lieu le plus seur :
D’esperance assaillie, et prise de douceur,
Rendit ma liberté, qu’en vain je re-souhaite.
Le Ciel le veult ainsi, qui pour mieux offenser
Mon cœur, le baille en garde à la foy du Penser :
Lequel trahit mon camp, desloyal sentinelle,
Ouvrant l’huis du rempart aux soudars des Amours.
J’auray tousjours en l’ame une guerre eternelle :
Mes pensers et mon cœur me trahissent tousjours.
I
Plus estroit que la Vigne à l’Ormeau se marie
De bras souplement-forts,
Du lien de tes mains, Maistresse, je te prie,
Enlasse moy le corps.
2
Et feignant de dormir, d’une mignarde face
Sur mon front panche toy :
Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grace
Et ton cœur dedans moy.
3
Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pâme,
Pour mon mal appaiser,
Serre plus fort mon col, et me redonne l’ame
Par l’esprit d’un baiser.
4
Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure,
Serment qui m’est si cher,
Que de tes braz aimez jamais nulle aventure
Ne pourra m’arracher.
5
Mais souffrant doucement le joug de ton empire,
Tant soit-il rigoureux,
Dans les champs Elisez une mesme navire
Nous passera tous deux.
6
Là morts de trop aimer, sous les branches Myrtines
Nous voirrons tous les jours
Les Heros pres de nous avec les Heroïnes
Ne parler que d’amours.
7
Tantost nous danserons par les fleurs des rivages
Sous les accords divers,
Tantost lassez du bal, irons sous les ombrages
Des Lauriers tousjours verds :
8
Où le mollet Zephyre en haletant secouë
De souspirs printaniers
Ores les Orangers, ores mignard se jouë
Parmy les Citronniers.
9
Là du plaisant Avril la saison immortelle
Sans eschange se suit :
La terre sans labeur de sa grasse mammelle
Toute chose y produit.
10
D’embas la troupe saincte, autrefois amoureuse,
Nous honorant sur tous,
Viendra nous saluer, s’estimant bien-heureuse
De s’accointer de nous.
11
Et nous faisant asseoir dessus l’herbe fleurie
De toutes au milieu,
Nulle, et fust-ce Procris, ne sera point marrie
De nous quitter son lieu.
12
Non celles qui s’en vont toutes seules ensemble,
Artemise et Didon :
Non ceste belle Greque, à qui ta beauté semble
Comme tu fais de nom.
Helas ! voicy le jour que mon maistre on enterre :
Muses, accompagnez son funeste convoy.
Je voy son effigie, et au dessus je voy
La Mort, qui de ses yeux la lumiere luy serre.
Voila comme Atropos les Majestez atterre
Sans respect de jeunesse, ou d’empire, ou de foy.
Charles qui fleurissoit nagueres un grand Roy,
Est maintenant vestu d’une robbe de terre.
Hé ! tu me fais languir par cruauté d’amour :
Je te sers de Prothée, et tu es mon Vautour.
La vengeance du Ciel n’oublira tes malices.
Un mal au mien pareil puisse un jour t’avenir,
Quand tu voudras mourir, que mourir tu ne puisses.
Si justes sont les Dieux, je t’en verray punir.
Je sens de veine en veine une chaleur nouvelle,
Qui me trouble le sang et m’augmente le soing.
Adieu ma liberté, j’en appelle à tesmoing
Ce mois, qui du beau nom d’Aphrodite s’appelle.
Comme les jours d’Avril mon mal se renouvelle.
Amour, qui tient mon Astre et ma vie en son poing,
M’a tant seduit l’esprit, que de pres et de loing
Tousjours à mon secours en vain je vous appelle.
Je veux rendre la place, en jurant vostre nom,
Que le premier article, avant que je la rende,
C’est qu’un cœur amoureux ne veult de compaignon.
L’amant non plus qu’un Roy, de rival ne demande.
Vous aurez en mes vers un immortel renom.
Pour n’avoir rien de vous la recompense est grande.
Si c’est aimer, Madame, et de jour et de nuict
Resver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu’adorer et servir la beauté qui me nuit :
Si c’est aimer de suivre un bon-heur qui me fuit,
De me perdre moymesme, et d’estre solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre, et me taire,
Pleurer, crier mercy, et m’en voir esconduit :
Si c’est aimer de vivre en vous plus qu’en moymesme,
Cacher d’un front joyeux une langueur extrême,
Sentir au fond de l’ame un combat inegal,
Chaud, froid, comme la fiévre amoureuse me traitte :
Honteux, parlant à vous, de confesser mon mal !
Si cela c’est aimer, furieux je vous aime :
Je vous aime, et sçay bien que mon mal est fatal :
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.
Amour est sans milieu, c’est une chose extrême,
Qui ne veult (je le sçay) de tiers ny de moitié :
Il ne faut point trencher en deux une amitié.
» Un est nombre parfait, imparfait le deuxiéme.
J’aime de tout mon cœur, je veux aussi qu’on m’aime.
Le desir au desir d’un nœud ferme lié,
Par le temps ne s’oublie, et n’est point oublié :
Il est tousjours son tout, contenté de soymesme.
Mon ombre me fait peur, et jaloux je ne puis
Avoir un compaignon, tant amoureux je suis,
Et tant je m’essentie en la personne aimee.
L’autre amitié ressemble à quelque vent qui court :
Et vrayment c’est aimer comme on fait à la Court,
Où le feu contrefait ne rend qu’une fumee.
Ma fievre croist tousjours, la vostre diminue :
Vous le voyez, Helene, et si ne vous en chaut.
Vous retenez le froid, et me laissez le chaut :
La vostre est à plaisir, la mienne est continue.
Vous avez telle peste en mon cœur respandue,
Que mon sang s’est gasté, et douloir il me faut
Que ma foible Raison dés le premier assaut,
Pour craindre trop voz yeux, ne s’est point defendue.
Je n’en blasme qu’Amour, seul autheur de mon mal,
Qui me voyant tout nud, comme archer desloyal,
De mainte et mainte playe a mon ame entamee,
Gravant à coups de fleche en moy vostre portraict :
Et à vous, qui estiez contre nous deux armee,
N’a monstré seulement la poincte de son traict.
Je sens une douceur à conter impossible,
Dont ravy je jouys par le bien du penser,
Qu’homme ne peut escrire, ou langue prononcer,
Quand je baise ta main contre Amour invincible.
Contemplant tes beaux rais, ma pauvre ame passible
En se pasmant se perd : lors je sens amasser
Un sang froid sur mon cœur, qui garde de passer
Mes esprits, et je reste une image insensible.
Voila que peut ta main et ton œil, où les trais
D’Amour sont si ferrez, si chauds et si espais
Au regard Medusin, qui en rocher me mue.
Mais bien que mon malheur procede de les voir,
Je voudrois mille mains, et autant d’yeux avoir,
Pour voir et pour toucher leur beauté qui me tue.
Ne romps point au mestier par le milieu la trame,
Qu’Amour en ton honneur m’a commandé d’ourdir :
Ne laisses au travail mes poulces engourdir
Maintenant que l’ardeur à l’ouvrage m’enflame :
Ne verse point de l’eau sur ma bouillante flame,
Il faut par ta douceur mes Muses enhardir :
Ne souffre de mon sang le bouillon refroidir,
Et tousjours de tes yeux aiguillonne moy l’ame.
Dés le premier berceau n’estoufe point ton nom.
Pour bien le faire croistre, il ne le faut sinon
Nourrir d’un doux espoir pour toute sa pasture :
Tu le verras au Ciel de petit s’eslever.
Courage, ma Maistresse, il n’est chose si dure,
Que par longueur de temps on ne puisse achever.
J’attachay des bouquets de cent mille couleurs,
De mes pleurs arrosez harsoir dessus ta porte :
Les larmes sont les fruicts que l’Amour nous apporte,
Les souspirs en la bouche, et au cœur les douleurs.
Les pendant, je leur dy, Ne perdez point voz fleurs
Que jusques à demain que la cruelle sorte :
Quand elle passera, tombez de telle sorte
Que son chef soit mouillé de l’humeur de mes pleurs.
Je reviendray demain. Mais si la nuict, qui ronge
Mon cœur, me la donnoit par songe entre mes bras,
Embrassant pour le vray l’idole du mensonge,
Soulé d’un faux plaisir je ne reviendrois pas.
Voyez combien ma vie est pleine de trespas,
Quand tout mon reconfort ne depend que du songe.
Madame se levoit un beau matin d’Esté,
Quand le Soleil attache à ses chevaux la bride :
Amour estoit present avec sa trousse vuide,
Venu pour la remplir des traicts de sa clarté.
J’entre-vy dans son sein deux pommes de beauté,
Telles qu’on ne voit point au verger Hesperide :
Telles ne porte point la Deesse de Gnide,
Ny celle qui a Mars des siennes allaité.
Telle enflure d’yvoire en sa voute arrondie,
Tel relief de Porphyre, ouvrage de Phidie,
Eut Andromede alors que Persee passa,
Quand il la vit liee à des roches marines,
Et quand la peur de mort tout le corps luy glassa,
Transformant ses tetins en deux boules marbrines.
Je ne veux point la mort de celle qui arreste
Mon cœur en sa prison : mais, Amour, pour venger
Mes larmes de six ans, fay ses cheveux changer,
Et seme bien espais des neiges sur sa teste.
Si tu veux, la vengeance est desja toute preste :
Tu accourcis les ans, tu les peux allonger :
Ne souffres en ton camp ton soudart outrager :
Que vieille elle devienne, ottroyant ma requeste.
Elle se glorifie en ses cheveux frisez,
En sa verde jeunesse, en ses yeux aiguisez,
Qui tirent dans les cœurs mille poinctes encloses.
Pourquoy te braves-tu de cela qui n’est rien ?
La beauté n’est que vent, la beauté n’est pas bien :
Les beautez en un jour s’en-vont comme les Roses.
Si j’ay bien ou mal dit en ces Sonets, Madame,
Et du bien et du mal vous estes cause aussy :
Comme je le sentois, j’ay chanté mon soucy,
Taschant à soulager les peines de mon ame.
Hà ! qu’il est mal-aisé, quand le fer nous entame,
S’engarder de se plaindre, et de crier mercy !
Tousjours l’esprit joyeux porte haut le sourcy,
Et le melancholique en soymesme se pâme.
J’ay suivant vostre amour le plaisir poursuivy,
Non le soin, non le dueil, non l’espoir d’une attente.
S’il vous plaist, ostez moy tout argument d’ennuy :
Et lors j’auray la voix plus gaillarde et plaisante.
Je ressemble au mirouer, qui tousjours represente
Tout cela qu’on luy monstre, et qu’on fait devant luy.
Le second livre des sonets pour Helene
Soit qu’un sage amoureux, ou soit qu’un sot me lise,
Il ne doit s’esbahir, voyant mon chef grison,
Si je chante d’amour : volontiers le tison
Cache un germe de feu sous une cendre grise.
Le bois verd à grand peine en le souflant s’attise,
Le sec sans le soufler brusle en toute saison.
La Lune se gaigna d’une blanche toison,
Et son vieillard Thiton l’Aurore ne mesprise.
Lecteur, je ne veux estre escolier de Platon,
Qui la vertu nous presche, et ne fait pas de mesme :
Ny volontaire Icare, ou lourdaut Phaëton,
Perduz pour attenter une sottise extrême :
Mais sans me contrefaire ou Voleur, ou Charton,
De mon gré je me noye, et me brusle moymesme.
Afin qu’à tout jamais de siecle en siecle vive
La parfaite amitié que Ronsard vous portoit,
Comme vostre beauté la raison luy ostoit,
Comme vous enlassez sa liberté captive :
Afin que d’âge en âge à noz neveux arrive,
Que toute dans mon sang vostre figure estoit,
Et que rien sinon vous mon cœur ne souhaitoit,
Je vous fais un present de ceste Sempervive.
Elle vit longuement en sa jeune verdeur.
Long temps apres la mort je vous feray revivre,
Tant peut le docte soin d’un gentil serviteur,
Qui veut, en vous servant, toutes vertus ensuivre.
Vous vivrez (croyez-moy) comme Laure en grandeur,
Au moins tant que vivront les plumes et le livre.
Amour, qui as ton regne en ce monde si ample,
Voy ta gloire et la mienne errer en ce jardin :
Voy comme son bel œil, mon bel astre divin,
Reluist comme une lampe ardente dans un Temple :
Voy son corps, des beautez le portrait et l’exemple,
Qui ressemble une Aurore au plus beau d’un matin :
Voy son esprit, seigneur du Sort et du Destin,
Qui passe la Nature, en qui Dieu se contemple.
Regarde la marcher toute pensive à soy,
T’emprisonner de fleurs, et triompher de toy,
Pressant dessous ses pas les herbes bienheureuses.
Voy sortir un Printemps des rayons de ses yeux :
Et voy comme à l’envy ses flames amoureuses
Embellissent la terre, et serenent les Cieux.
Tandis que vous dansez et ballez à vostre aise,
Et masquez vostre face ainsi que vostre cœur,
Passionné d’amour, je me plains en langueur,
Ores froid comme neige, ores chaut comme braise.
Le Carnaval vous plaist : je n’ay rien qui me plaise
Sinon de souspirer contre vostre rigueur,
Vous appeller ingrate, et blasmer la longueur
Du temps que je vous sers sans que mon mal s’appaise.
Maistresse, croyez moy, je ne fais que pleurer,
Lamenter, souspirer, et me desesperer :
Je desire la mort, et rien ne me console.
Si mon front, si mes yeux ne vous en sont tesmoins,
Ma plainte vous en serve, et permettez au moins
Qu’aussi bien que le cœur je perde la parole.
N’oubliez, mon Helene, aujourdhuy qu’il faut prendre
Des cendres sur le front, qu’il n’en faut point chercher
Autre part qu’en mon cœur, que vous faites seicher,
Vous riant du plaisir de le tourner en cendre.
Quel pardon pensez vous des Celestes attendre ?
Le meurtre de voz yeux ne se sçauroit cacher :
Leurs rayons m’ont tué, ne pouvant estancher
La playe qu’en mon sang leur beauté fait descendre.
La douleur me consomme : ayez de moy pitié.
Vous n’aurez de ma mort ny profit ny louange :
Cinq ans meritent bien quelque peu d’amitié...
Vostre volonté passe, et la mienne ne change.
Amour, qui voit mon cœur, voit vostre mauvaistié :
Il tient l’arc en la main, gardez qu’il ne se vange.
Tu es seule mon cœur, mon sang et ma Deesse,
Ton œil est le filé et le ré bienheureux,
Qui prend tant seulement les hommes genereux,
Et se prendre des sots jamais il ne se laisse.
Aussi honneur, vertu, prevoyance et sagesse
Logent en ton esprit, lequel rend amoureux
Tous ceux, qui de nature ont un cœur desireux
D’honorer les beautez d’une docte Maistresse.
Les noms (ce dit Platon) ont tresgrande vertu :
Je le sens par le tien, lequel m’a combatu
Par armes, qui ne sont communes ny legeres.
Sa Deité causa mon amoureux soucy.
Voila comme de nom, d’effect tu es aussi
Le ré des genereux, Elene de Surgeres.
Hà, que ta Loy fut bonne, et digne d’estre apprise,
Grand Moise, grand Prophete, et grand Minos de Dieu,
Qui sage commandas au vague peuple Hebrieu,
Que la liberté fust apres sept ans remise !
Je voudrois, grand Guerrier ; que celle que j’ay prise
Pour Dame, et qui s’assied de mon cœur au milieu,
Voulust qu’en mon endroit ton ordonnance eust lieu,
Et qu’au bout de sept ans m’eust remis en franchise.
Sept ans sont ja passez qu’en servage je suis :
Servir encor sept ans de bon cœur je la puis,
Pourveu qu’au bout du temps de son corps je jouysse.
Mais ceste Grecque Helene, ayant peu de soucy
Des statuts des Hebrieux, d’un courage endurcy
Contre les Loix de Dieu n’affranchit mon service.
Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J’ay gravé sur le tronc noz noms et noz amours,
Qui croistront à l’envy de l’escorce nouvelle.
Faunes, qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir voz danses et voz tours,
Favorisez la plante, et luy donnez secours,
Que l’Esté ne la brusle, et l’Hyver ne la gelle.
Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Eclogue en ton tuyau d’aveine,
Attache tous les ans à cest arbre un Tableau,
Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine :
Puis l’arrosant de laict et du sang d’un agneau,
Dy, Ce Pin est sacré, c’est la plante d’Heleine.
Ny la douce pitié, ny le pleur lamentable
Ne t’ont baillé ton nom : Helene vient d’oster,
De ravir, de tuer, de piller, d’emporter
Mon esprit et mon cœur, ta proye miserable.
Homere, en se jouant, de toy fist une fable,
Et moy l’histoire au vray. Amour, pour te flatter,
Comme tu feis à Troye, au cœur me vient jetter
Ton feu, qui de mes oz se paist insatiable.
La voix, que tu feignois à l’entour du Cheval
Pour decevoir les Grecs, me devoit faire sage :
Mais l’homme de nature est aveugle à son mal,
Qui ne peut se garder, ny prevoir son dommage.
Au pis-aller, je meurs pour ce beau nom fatal,
Qui mit tout l’Asie et l’Europe en pillage.
Adieu belle Cassandre, et vous belle Marie,
Pour qui je fu trois ans en servage à Bourgueil :
L’une vit, l’autre est morte, et ores de son œil
Le ciel se resjouyst : dans la terre est Marie.
Sur mon premier Avril, d’une amoureuse envie
J’adoray voz beautez : mais vostre fier orgueil
Ne s’amollit jamais pour larmes ny pour dueil,
Tant d’une gauche main la Parque ourdit ma vie.
Maintenant en Automne encore malheureux,
Je vy comme au Printemps de nature amoureux,
A fin que tout mon âge aille au gré de la peine :
Et ores que je deusse estre exempt du harnois,
Mon Colonnel m’envoye à grands coups de carquois
R’assieger Ilion pour conquerir Heleine.
A l’aller, au parler, au flamber de tes yeux,
Je sens bien, je voy bien que tu es immortelle :
La race des humains en essence n’est telle :
Tu es quelque Demon, ou quelque Ange des cieux.
Dieu, pour favoriser ce monde vicieux,
Te feit tomber en terre, et dessus la plus belle
Et plus parfaite idee il traça la modelle
De ton corps, dont il fut luymesmes envieux.
Quand il fist ton esprit, il se pilla soymesme :
Il print le plus beau feu du ciel le plus suprême
Pour animer ta masse, ainçois ton beau printemps.
Hommes, qui la voyez de tant d’honneur pourveuë,
Tandis qu’elle est çà bas, soulez-en vostre veuë.
Tout ce qui est parfait ne dure pas long temps.
Je ne veux comparer tes beautez à la Lune :
La Lune est inconstante, et ton vouloir n’est qu’un.
Encor moins au Soleil : le Soleil est commun,
Commune est sa lumiere, et tu n’es pas commune.
Tu forces par vertu l’envie et la rancune.
Je ne suis, te louant, un flateur importun.
Tu sembles à toymesme, et n’a portrait aucun :
Tu es toute ton Dieu, ton Astre, et ta Fortune.
Ceux qui font de leur Dame à toy comparaison,
Sont ou presumptueux, ou perclus de raison :
D’esprit et de sçavoir de bien loin tu les passes :
Ou bien quelque Demon de ton corps s’est vestu,
Ou bien tu es portrait de la mesme Vertu,
Ou bien tu es Pallas, ou bien l’une des Graces.
Si voz yeux cognoissoient leur divine puissance,
Et s’ils se pouvoient voir, ainsi que je les voy,
Ils ne s’estonneroient, se cognoissant, dequoy
Divins ils ont veincu une mortelle essence.
Mais par faute d’avoir d’euxmesmes cognoissance,
Ils ne peuvent juger du mal que je reçoy :
Seulement mon visage en tesmoigne pour moy.
Le voyant si desfait, ils voyent leur puissance.
Yeux, où devroit loger une bonne amitié,
Comme vous regardez tout le ciel et la terre,
Que ne penetrez-vous, mon cœur par la moitié ?
Ainsi que de ses raiz le Soleil fait le verre,
Si vous le pouviez voir, vous en auriez pitié,
Et aux cendres d’un mort vous ne feriez la guerre.
Si de voz doux regards je ne vais me repaistre
A toute heure, et tousjours en tous lieux vous chercher,
Helas ! pardonnez-moy : j’ay peur de vous fascher,
Comme un serviteur craint de fascher à son maistre,
Puis je crain tant voz yeux, que je ne sçaurois estre
Une heure, en les voyant, sans le cœur m’arracher,
Sans me troubler le sang : pource il faut me cacher,
Afin de ne mourir pour tant de fois renaistre.
J’avois cent fois juré de ne les voir jamais,
Me parjurant autant qu’autant je le promets :
Car soudain je retourne à r’engluer mon aile.
Ne m’appellez donq plus dissimulé ne feint.
Aimer ce qui fait mal, et revoir ce qu’on craint,
Est le gage certain d’un service fidele.
Je voyois, me couchant, s’esteindre une chandelle,
Et je disois au lict bassement à-par-moy,
Pleust à Dieu que le soin, que la peine et l’esmoy,
Qu’Amour m’engrave au cœur, s’esteignissent comme elle.
Un mastin enragé, qui de sa dent cruelle
Mord un homme, il luy laisse une image de soy
Qu’il voit tousjours en l’eau : Ainsi tousjours je voy,
Soit veillant ou dormant, le portrait de ma belle
Mon sang chaut en est cause. Or comme on voit souvent
L’Esté moins bouillonner que l’Automne suivant,
Mon Septembre est plus chaut que mon Juin de fortune.
Helas ! pour vivre trop, j’ay trop d’impression.
Tu es mort une fois, bien-heureux Ixion,
Et je meurs mille fois pour n’en mourir pas-une.
Helene fut occasion que Troye
Se vist brusler d’un feu victorieux :
Vous me bruslez du foudre de voz yeux,
Et aux Amours vous me donnez en proye.
En vous servant vous me monstrez la voye
Par voz vertus de m’en-aller aux cieux,
Ravy du nom, qu’Amour malicieux
Me tire au cœur, quelque part que je soye.
Nom tant de fois par Homere chanté,
Seul tout le sang vous m’avez enchanté.
O beau visage engendré d’un beau Cygne,
De mes pensers la fin et le milieu !
Pour vous aimer mortel je ne suis digne :
A la Deesse il appartient un Dieu.
Amour, qui tiens tout seul de mes pensers la clef,
Qui ouvres de mon cœur les portes et les serres,
Qui d’une mesme main me guaris et m’enferres,
Qui me fais trespasser, et vivre derechef.
Tu consommes ma vie en si pauvre meschef,
Qu’herbes, drogues ny just, ny puissance de pierres
Ne pourroient m’alleger : tant d’amoureuses guerres
Sans tréves tu me fais, du pied jusques au chef.
Oiseau, comme tu es, fay moy naistre des ailes,
A fin de m’en-voler pour jamais ne la voir :
En volant je perdray les chaudes estincelles,
Que ses yeux sans pitié me firent concevoir.
» Dieu nous vend cherement les choses qui sont belles,
» Puis qu’il faut tant de fois mourir pour les avoir.
Une seule vertu, tant soit parfaite et belle,
Ne pourroit jamais rendre un homme vertueux :
Il faut le nombre entier, en rien defectueux :
Le Printemps ne se fait d’une seule arondelle.
Toute vertu divine acquise et naturelle
Se loge en ton esprit. La Nature et les Cieux
Ont versé dessus toy leurs dons à qui mieux mieux :
Puis pour n’en faire plus ont rompu le modelle.
Icy à ta beauté se joint la Chasteté,
Icy l’honneur de Dieu, icy la Pieté,
La crainte de mal-faire, et la peur d’infamie :
Icy un cœur constant, qu’on ne peut esbranler.
Pource en lieu de mon cœur, d’Helene, et de ma vie,
Je te veux desormais ma Pandore appeller.
Bon jour, ma douce vie, autant remply de joye,
Que triste je vous dis au departir adieu :
En vostre bonne grace, hé, dites moy quel lieu
Tient mon cœur, que captif devers vous je r’envoye :
Ou bien si la longueur du temps et de la voye
Et l’absence des lieux ont amorty le feu
Qui commençoit en vous à se monstrer un peu :
Au moins, s’il n’est ainsi, trompé je le pensoye.
Par espreuve je sens que les amoureux traits
Blessent plus fort de loing qu’à l’heure qu’ils sont pres,
Et que l’absence engendre au double le servage.
Je suis content de vivre en l’estat où je suis.
De passer plus avant je ne dois ny ne puis :
Je deviendrois tout fol, où je veux estre sage.
Yeux, qui versez en l’ame, ainsi que deux Planettes,
Un esprit qui pourroit resusciter les morts,
Je sçay dequoy sont faits tous les membres du corps,
Mais je ne puis sçavoir quelle chose vous estes.
Vous n’estes sang ny chair, et toutefois vous faites
Des miracles en moy par voz regards si forts,
Si bien qu’en foudroyant les miens par le dehors,
Dedans vous me tuez de cent mille sagettes.
Yeux, la forge d’Amour, Amour n’a point de trais
Que les poignans esclairs qui sortent de voz rais,
Dont le moindre à l’instant toute l’ame me sonde.
Je suis, quand je les sens, de merveille ravy :
Quand je ne les sens plus en mon corps, je ne vy,
Ayant en moy l’effect qu’a le Soleil au monde.
Comme un vieil combatant, qui ne veut plus s’armer,
Ayant le corps chargé de coups et de vieillesse,
Regarde, en s’esbatant, l’Olympique jeunesse
Pleine d’un sang bouillant aux joustes escrimer :
Ainsi je regardois du jeune Dieu d’aimer,
Dieu qui combat tousjours par ruse et par finesse,
Les gaillards champions, qui d’une chaude presse
Se veulent dans le camp amoureux enfermer.
Quand tu as reverdy mon escorce ridee
De l’esclair de tes yeux, ainsi que fit Medee
Par herbes et par jus le pere de Jason,
Je n’ay contre ton charme opposé ma defense :
Toutefois je me deuls de r’entrer en enfance,
Pour perdre tant de fois l’esprit et la raison.
Laisse de Pharaon la terre Egyptienne,
Terre de servitude, et vien sur le Jourdain :
Laisse moy ceste Cour, et tout ce fard mondain,
Ta Circe, ta Sereine, et ta Magicienne.
Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
Contente toy de peu : l’âge s’enfuit soudain.
Pour trouver ton repos, n’atten point à demain :
N’atten point que l’hyver sur les cheveux te vienne.
Tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons :
Tu vois tourner une heure en cent mille façons :
Tu vois la vertu fausse, et vraye la malice.
Laisse ces honneurs pleins d’un soing ambitieux,
Tu ne verras aux champs que Nymphes et que Dieux,
Je seray ton Orphee, et toy mon Eurydice.
Ces longues nuicts d’hyver, où la Lune ocieuse
Tourne si lentement son char tout à l’entour,
Où le Coq si tardif nous annonce le jour,
Où la nuict semble un an à l’ame soucieuse :
Je fusse mort d’ennuy sans ta forme douteuse,
Qui vient par une feinte alleger mon amour,
Et faisant, toute nue, entre mes bras sejour,
Me pipe doucement d’une joye menteuse.
Vraye tu es farouche, et fiere en cruauté :
De toy fausse on jouyst en toute privauté.
Pres ton mort je m’endors, pres de luy je repose :
Rien ne m’est refusé. Le bon sommeil ainsi
Abuse par le faux mon amoureux souci.
S’abuser en amour n’est pas mauvaise chose.
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre, et fantaume sans os :
Par les ombres Myrtheux je prendray mon repos.
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour, et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.
Cest honneur, ceste loy sont noms pleins d’imposture,
Que vous alleguez tant, faussement inventez
De noz peres resveurs, par lesquels vous ostez
Et forcez les presens les meilleurs de Nature.
Vous trompez vostre sexe, et luy faites injure :
La coustume vous pipe, et du faux vous domtez
Voz plaisirs, voz desirs, vous et voz voluptez,
Sous l’ombre d’une sotte et vaine couverture.
Cest honneur, ceste loy, sont bons pour un lourdaut,
Qui ne cognoist soymesme, et les plaisirs qu’il faut
Pour vivre heureusement, dont Nature s’esgaye.
Vostre esprit est trop bon pour ne le sçavoir pas :
Vous prendrez, s’il vous plaist, les sots à tels apas :
Je ne veux pour le faux tromper la chose vraye.
Celle, de qui l’amour veinquit la fantasie,
Que Jupiter conceut sous un Cygne emprunté :
Ceste sœur des Jumeaux, qui fist par sa beauté
Opposer toute Europe aux forces de l’Asie,
Disoit à son mirouer, quand elle vit saisie
Sa face de vieillesse et de hideuseté,
Que mes premiers maris insensez ont esté
De s’armer, pour jouyr d’une chair si moisie !
Dieux, vous estes cruels, jaloux de nostre temps !
Des Dames sans retour s’en-vole le printemps :
Aux serpens tous les ans vous ostez la vieillesse.
Ainsi disoit Helene en remirant son teint.
Cest exemple est pour vous : cueillez vostre jeunesse.
Quand on perd son Avril, en Octobre on s’en plaint.
Heureux le Chevalier, que la Mort nous desrobe,
Qui premier me fit voir de ta Grace l’attrait :
Je la vy de si loin, que la poincte du trait
Sans force demoura dans les plis de ma robe.
Mais ayant de plus pres entendu ta parole,
Et veu ton œil ardent, qui de moy m’a distrait,
Au cœur entra la fléche avecque ton portrait,
Heureux d’estre l’autel de ce Dieu qui m’affole.
Esblouy de ta veue, où l’Amour fait son ny,
Claire comme un Soleil en flames infiny,
Je n’osois t’aborder, craignant de plus ne vivre.
Je fu trois mois retif : mais l’Archer qui me vit,
Si bien à coups de traits ma crainte poursuivit,
Que veincu de son arc m’a forcé de te suivre.
Lettre, je te reçoy, que ma Deesse en terre
M’envoye pour me faire ou joyeux, ou transi,
Ou tous les deux ensemble, ô Lettre, tout ainsi
Que tu m’apportes seule ou la paix, ou la guerre.
Amour, en te lisant, de mille traits m’enferre :
Touche mon sein, à fin qu’en retournant d’ici
Tu contes à ma dame, en quel piteux souci
Je vy pour sa beauté, tant j’ay le cœur en serre !
Touche mon estomac pour sentir mes chaleurs,
Approche de mes yeux pour recevoir mes pleurs,
Que torrent sur torrent ce faux Amour m’assemble :
Puis voyant les effects d’un si contraire esmoy,
Dy que Deucalion et Phaëton chez moy,
L’un au cœur, l’autre aux yeux, se sont logez ensemble.
Lettre, de mon ardeur veritable interprete,
Qui parles sans parler les passions du cœur,
Poste des amoureux, va conter ma langueur
A ma dame, et comment sa cruauté me traite.
Comme une messagere et accorte et secrete
Contemple, en la voyant, sa face et sa couleur,
Si elle devient gaye, ou palle de douleur,
Ou d’un petit souspir si elle me regrete.
Fais office de langue : aussi bien je ne puis
Devant elle parler, tant vergongneux je suis,
Tant je crains l’offenser : et faut que le visage
Tout seul de ma douleur luy rende tesmoignage.
Tu pourras en trois mots luy dire mes ennuis :
Le silence parlant vaut un mauvais langage.
Le soir qu’Amour vous fist en la salle descendre
Pour danser d’artifice un beau ballet d’Amour,
Voz yeux, bien qu’il fust nuict, ramenerent le jour,
Tant ils sceurent d’esclairs par la place respandre.
Le ballet fut divin, qui se souloit reprendre,
Se rompre, se refaire, et tour dessus retour
Se mesler, s’escarter, se tourner à l’entour,
Contre-imitant le cours du fleuve de Meandre.
Ores il estoit rond, ores long, or estroit,
Or en poincte, en triangle, en la façon qu’on voit
L’escadron de la Gruë evitant la froidure.
Je faux, tu ne dansois, mais ton pied voletoit
Sur le haut de la terre : aussi ton corps s’estoit
Transformé pour ce soir en divine nature.
Je voy mille beautez, et si n’en voy pas une
Qui contente mes yeux : seule vous me plaisez :
Seule quand je vous voy, mes sens vous appaisez :
Vous estes mon Destin, mon Ciel et ma Fortune,
Ma Venus, mon Amour, ma Charite, ma brune,
Qui tous bas pensemens de l’esprit me rasez,
Et de belles vertus l’estomac m’embrasez,
Me soulevant de terre au cercle de la Lune.
Mon œil de voz regards goulument se repaist :
Tout ce qui n’est pas vous luy fasche et luy desplaist,
Tant il a par usance accoustumé de vivre
De vostre unique, douce, agreable beauté.
S’il peche contre vous, affamé de vous suivre,
Ce n’est de son bon gré, c’est par necessité.
Ces cheveux, ces liens, dont mon cœur tu enlasses,
Gresles, primes, subtils, qui coulent aux talons,
Entre noirs et chastains, bruns, deliez et longs,
Tels que Venus les porte, et ces trois belles Graces ;
Me tiennent si estrains, Amour, que tu me passes
Au cœur, en les voyant, cent poinctes d’aiguillons,
Dont le moindre des nœuds pourroit des plus felons
En leur plus grand courroux arrester les menaces.
Cheveux non achetez, empruntez ny fardez,
Qui vostre naturel sans feintise gardez,
Que vous me semblez beaux ! Permettez que j’en porte
Un lien à mon col, à fin que sa beauté,
Me voyant prisonnier lié de telle sorte,
Se puisse tesmoigner quelle est sa cruauté.
Voulant tuer le feu, dont la chaleur me cuit
Les muscles et les nerfs, les tendons et les veines,
Et cherchant de trouver une fin à mes peines,
Je vy bien à tes yeux que j’estois esconduit.
D’un refus asseuré tu me payas le fruit
Que j’esperois avoir : ô esperances vaines !
O fondemens assis sur debiles arenes !
Malheureux qui l’amour d’une Dame poursuit.
O beauté sans mercy, ta fraude est descouverte !
J’aime mieux estre sage apres quatre ans de perte,
Que plus long temps ma vie en langueur desseicher.
Je ne veux point blasmer ta beauté que j’honore :
Je ne suis mesdisant comme fut Stesichore,
Mais je veux de mon col les liens destacher.
Je suis esmerveillé que mes pensers ne sont
Laz de penser en vous, y pensant à toute heure :
Me souvenant de vous, or’ je chante, or’ je pleure,
Et d’un penser passé cent nouveaux se refont.
Puis legers comme oiseaux ils volent, et s’en-vont,
M’abandonnant tout seul, devers vostre demeure :
Et s’ils sçavoient parler, souvent vous seriez seure
Du mal que mon cœur cache, et qu’on lit sur mon front.
Or sus venez Pensers, pensons encor en elle.
De tant y repenser je ne me puis lasser :
Pensons en ces beaux yeux, et combien elle est belle.
Elle pourra vers nous les siens faire passer.
Venus non seulement nourrit de sa mammelle
Amour son fils aisné, mais aussi le Penser.
Belle gorge d’albastre, et vous chaste poictrine,
Qui les Muses cachez en un rond verdelet :
Tertres d’Agathe blanc, petits gazons de laict,
Des Graces le sejour, d’Amour et de Cyprine :
Sein de couleur de liz et de couleur rosine,
De veines marqueté, je vous vy par souhait
Lever l’autre matin, comme l’Aurore fait
Quand vermeille elle sort de sa chambre marine.
Je vy de tous costez le Plaisir et le Jeu,
Les deux freres d’Amour, armez d’un petit feu,
Voler ainsi qu’enfans, par ces coustaux d’yvoire,
M’esblouyr, me surprendre, et me lier bien fort :
Je vy tant de beautez, que je ne les veux croire.
Un homme ne doit croire aux tesmoins de sa mort.
Lors que le Ciel te fist, il rompit la modelle
Des Vertuz, comme un peintre efface son tableau,
Et quand il veut refaire une image du Beau,
Il te va retracer pour en faire une telle.
Tu apportas d’enhaut la forme la plus belle,
Pour paroistre en ce monde un miracle nouveau,
Que couleur, ny outil, ny plume, ny cerveau
Ne sçauroient egaler, tant tu es immortelle.
Un bon-heur te defaut : c’est qu’en venant ça bas
Couverte de ton voile ombragé du trespas,
Ton excellence fut à ce monde incognue,
Qui n’osa regarder les rayons de tes yeux.
Seul je les adoray comme un thresor des cieux,
Te voyant en essence, et les autres en nue.
Je te voulois nommer pour Helene, Ortygie,
Renouvellant en toy d’Ortyge le renom.
Le tien est plus fatal : Helene est un beau nom,
Helene, honneur des Grecs, la terreur de Phrygie.
Si pour sujet fertil Homere t’a choisie,
Je puis, suivant son train qui va sans compagnon,
Te chantant, m’honorer, et non pas toy, sinon
Qu’il te plaise estimer ma rude Poësie.
Tu passes en vertuz les Dames de ce temps
Aussi loin que l’Hyver est passé du Printemps,
Digne d’avoir autels, digne d’avoir Empire.
Laure ne te veincroit de renom ny d’honneur
Sans le Ciel qui luy donne un plus digne sonneur,
Et le mauvais destin te fait present du pire.
J’errois en mon jardin, quand au bout d’une allee
Je vy contre l’Hyver boutonner un Soucy.
Ceste herbe et mon amour fleurissent tout ainsi :
La neige est sur ma teste, et la sienne est gelee.
O bien-heureuse amour en mon ame escoulee
Pour celle qui n’a point de parangon icy,
Qui m’a de ses rayons tout l’esprit esclarcy,
Qui devroit des François Minerve estre appellee :
En prudence Minerve, une Grace en beauté,
Junon en gravité, Diane en chasteté,
Qui sert aux mesmes Dieux, comme aux hommes, d’exemple.
Si tu fusses venue au temps que la Vertu
S’honoroit des humains, tes vertuz eussent eu
Vœuz, encens et autels, sacrifices et temple.
De Myrthe et de Laurier fueille à fueille enserrez
Helene entrelassant une belle Couronne,
M’appella par mon nom : Voyla que je vous donne,
De moy seule, Ronsard, l’escrivain vous serez.
Amour qui l’escoutoit, de ses traicts acerez
Me pousse Helene au cœur, et son Chantre m’ordonne :
Qu’un sujet si fertil vostre plume n’estonne :
Plus l’argument est grand, plus Cygne vous mourrez.
Ainsi me dist Amour, me frappant de ses ailes :
Son arc fist un grand bruit, les fueilles eternelles
Du Myrthe je senty sur mon chef tressaillir.
Adieu, Muses, adieu, vostre faveur me laisse :
Helene est mon Parnasse : ayant telle Maistresse,
Le Laurier est à moy, je ne sçaurois faillir.
Seule sans compagnie en une grande salle
Tu logeois l’autre jour, pleine de majesté,
Cœur vrayment genereux, dont la brave beauté
Sans pareille, ne treuve une autre qui l’égalle
Ainsi seul en son ciel le Soleil se devalle,
Sans autre compagnie en son char emporté :
Et loin des autres Dieux en son Palais vouté
Jupiter a choisy sa demeure royalle.
Une ame vertueuse a tousjours un bon cœur :
Le Liévre fuyt tousjours, la Biche a tousjours peur,
Le Lyon de soymesme asseuré se hazarde.
Cela qu’au peuple fait la crainte de la Loy,
La naïfve Vertu, sans peur, le fait en toy.
La Loy ne sert de rien, quand la Vertu nous garde.
Qu’il me soit arraché des tetins de sa mere
Ce jeune enfant Amour, et qu’il me soit vendu :
Il ne faut plus qu’il croisse, il m’a desja perdu :
Vienne quelque marchand, je le mets à l’enchere.
D’un si mauvais garçon la vente n’est pas chere,
J’en feray bon marché. Ah ! j’ay trop attendu.
Mais voyez comme il pleure : il m’a bien entendu.
Appaise toy, mignon, j’ay passé ma cholere,
Je ne te vendray point : au contraire je veux
Pour Page t’envover à ma maistresse Heleine,
Qui toute te ressemble et d’yeux et de cheveux,
Aussi fine que toy, de malice aussi pleine.
Comme enfans vous croistrez et vous jou’rez tous deux :
Quand tu seras plus grand, tu me payras ma peine.
Passant dessus la tombe, où ta moitié repose,
Tu versas dessus elle une moisson de fleurs :
L’eschaufant de souspirs, et l’arrosant de pleurs,
Tu monstras qu’une mort tenoit ta vie enclose.
Si tu aimes le corps dont la terre dispose,
Imagine ta force, et conçoy tes rigueurs :
Tu me verras, cruelle, entre mille langueurs
Mourir, puis que la mort te plaist sur toute chose.
C’est acte de pitié d’honorer un cercueil :
Mespriser les vivans est un signe d’orgueil.
Puis que ton naturel les fantaumes embrasse,
Et que rien n’est de toy, s’il n’est mort,estimé,
Sans languir tant de fois, esconduit de ta grace,
Je veux du tout mourir, pour estre mieux aimé.
Je ne serois marry, si tu comptois ma peine
De compter tes degrez recomptez tant de fois :
Tu loges au sommet du Palais de noz Rois :
Olympe n’avoit pas la cyme si hauteine.
Je perds à chaque marche et le pouls et l’haleine :
J’ay la sueur au front, j’ay l’estomac penthois,
Pour ouyr un nenny, un refus, une vois,
De desdain, de froideur et d’orgueil toute pleine.
Tu es vrayment Deesse, assise en si haut lieu.
Or pour monter si haut, je ne suis pas un Dieu.
Je feray des degrez ma plainte coustumiere,
T’envoyant jusqu’en haut mon cœur devotieux.
Ainsi les hommes font à Jupiter priere :
Les hommes sont en terre, et Jupiter aux cieux.
Mon ame mille fois m’a predit mon dommage :
Mais la sotte qu’elle est, apres l’avoir predit,
Maintenant s’en repent, maintenant s’en desdit,
Et voyant ma Maistresse, elle aime davantage.
Si l’ame, si l’esprit, qui sont de Dieu l’ouvrage,
Deviennent amoureux, à grand tort on mesdit
Du corps qui suit les sens, non brutal, comme on dit,
S’il se trouve esblouy des raiz d’un beau visage.
Le corps ne languiroit d’un amoureux souci,
Si l’ame, si l’esprit ne le vouloient ainsi.
Mais du premier assaut l’ame se tient rendue,
Conseillant, comme Royne, au corps d’en faire autant.
Ainsi le Citoyen trahy du combattant,
Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue.
Il ne faut s’esbahir, disoient ces bons veillars
Dessus le mur Troyen, voyans passer Heleine,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine,
Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars.
Toutefois il vaut mieux, pour n’irriter point Mars,
La rendre à son espoux afin qu’il la r’emmeine,
Que voir de tant de sang nostre campagne pleine,
Nostre havre gagné, l’assaut à noz rempars.
Peres, il ne falloit (à qui la force tremble)
Par un mauvais conseil les jeunes retarder :
Mais et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble
Et le corps et les biens pour elle hazarder.
Menelas fut bien sage, et Pâris, ce me semble,
L’un de la demander, l’autre de la garder.
Ah, belle liberté, qui me servois d’escorte,
Quand le pied me portoit où libre je voulois !
Ah, que je te regrette ! helas, combien de fois
Ay-je rompu le joug, que malgré moy je porte !
Puis je l’ay r’attaché, estant nay de la sorte,
Que sans aimer je suis et du plomb, et du bois :
Quand je suis amoureux, j’ay l’esprit et la vois,
L’invention meilleure, et la Muse plus forte.
Il me faut donc aimer pour avoir bon esprit,
Afin de concevoir des enfans par escrit,
Pour allonger mon nom aux depens de ma peine.
Quel sujet plus fertil sçauroy-je mieux choisir
Que le sujet qui fut d’Homere le plaisir,
Ceste toute divine et vertueuse Heleine ?
Tes freres les Jumeaux, qui ce mois verdureux
Maistrisent, et qui sont tous deux liez-ensemble,
Te devroient enseigner, au moins comme il me semble,
A te joindre ainsi qu’eux d’un lien amoureux.
Mais ton cœur nonchalant, revesche et rigoureux,
Qui jamais nulle flame amoureuse n’assemble,
En ce beau mois de May malgré tes ans ressemble,
O perte de jeunesse ! à l’Hyver froidureux.
Tu n’es digne d’avoir les deux Jumeaux pour freres :
A leur gentille humeur les tiennes sont contraires,
Venus t’est desplaisante, et son fils odieux.
Au contraire, par eux la terre est toute pleine
De Graces et d’Amour : change ce nom d’Heleine :
Un autre plus cruel te convient beaucoup mieux.
Ny ta simplicité, ny ta bonne nature,
Ny mesme ta vertu ne t’ont peu garentir,
Que la Cour, ta nourrice, escole de mentir,
N’ait depravé tes mœurs d’une fausse imposture.
Le Proverbe dit vray, Souvent la nourriture
Corrompt le naturel : tu me l’as fait sentir,
Qui fraudant ton serment, m’avois au departir
Promis de m’honorer de ta belle figure.
Menteuse contre Amour, qui vengeur te poursuit,
Tu as levé ton camp pour t’enfuyr de nuict,
Accompaignant ta Royne (ô vaine couverture !)
Trompant pour la faveur ta promesse et ta foy.
Comment pourroy-je avoir quelque faveur de toy,
Quand tu ne veux souffrir que je t’aime en peinture ?
Ceste fleur de Vertu, pour qui cent mille larmes
Je verse nuict et jour sans m’en pouvoir souler,
Peut bien sa destinée à ce Grec egaler,
A ce fils de Thetis, à l’autre fleur des armes.
Le Ciel malin borna ses jours de peu de termes :
Il eut courte la vie ailee à s’en-aller :
Mais son nom, qui a fait tant de bouches parler,
Luy sert contre la Mort de pilliers et de termes.
Il eut pour sa prouësse un excellent sonneur :
Tu as pour tes vertuz en mes vers un honneur,
Qui malgré le tombeau suivra ta renommee.
Les Dames de ce temps n’envient ta beauté,
Mais ton nom tant de fois par les Muses chanté,
Qui languiroit d’oubly, si je ne t’eusse aimee.
Afin que ton honneur coule parmy la plaine
Autant qu’il monte au Ciel engravé dans un Pin,
Invoquant tous les Dieux, et respandant du vin,
Je consacre à ton nom ceste belle Fontaine.
Pasteurs, que voz troupeaux frisez de blanche laine
Ne paissent à ces bords : y fleurisse le Thin,
Et la fleur, dont le maistre eut si mauvais destin,
Et soit dite à jamais la Fontaine d’Heleine.
Le Passant en Esté s’y puisse reposer,
Et assis dessus l’herbe à l’ombre composer
Mille chansons d’Heleine, et de moy luy souvienne.
Quiconques en boira, qu’amoureux il devienne :
Et puisse, en la humant, une flame puiser
Aussi chaude, qu’au cœur je sens chaude la mienne.
Stances de la fontaine d’Helene
Pour chanter ou réciter à trois personnes.
Le premier.
Ainsi que ceste au coule et s’enfuyt parmy l’herbe,
Ainsi puisse couler en ceste eau le soucy,
Que ma belle Maistresse, à mon mal trop superbe,
Engrave dans mon cœur sans en avoir mercy.
Le second.
Ainsi que dans ceste eau de l’eau mesme je verse,
Ainsi de veine en veine Amour, qui m’a blessé,
Et qui tout à la fois son carquois me renverse,
Un bruvage amoureux dans le cœur m’a versé.
I
Je voulois de ma peine esteindre la memoire :
Mais Amour, qui avoit en la fontaine beu,
Y laissa son brandon, si bien qu’au lieu de boire
De l’eau pour l’estancher, je n’ay beu que du feu.
II
Tantost ceste fontaine est froide comme glace,
Et tantost elle jette une ardente liqueur.
Deux contraires effects je sens, quand elle passe,
Froide dedans ma bouche, et chaude dans mon cœur.
I
Vous qui refraischissez ces belles fleurs vermeilles,
Petits freres ailez, Favones et Zephirs,
Portez de ma Maistresse aux ingrates oreilles,
En volant parmy l’air, quelcun de mes souspirs.
II
Vous enfans de l’Aurore, allez baiser ma Dame :
Dite luy que je meurs, contez luy ma douleur,
Et qu’Amour me transforme en un rocher sans ame,
Non comme il fit Narcisse en une belle fleur.
I
Grenouilles qui jasez quand l’an se renouvelle,
Vous Gressets qui servez aux charmes, comme on dit,
Criez en autre part vostre antique querelle :
Ce lieu sacré vous soit à jamais interdit.
II
Philomele en Avril ses plaintes y jargonne,
Et tes bords sans chansons ne se puissent trouver :
L’Arondelle l’Esté, le Ramier en Automne,
Le Pinson en tout temps, la Gadille en Hyver.
I
Cesse tes pleurs, Hercule, et laisse ta Mysie,
Tes pieds de trop courir sont ja foibles et las :
Icy les Nymphes ont leur demeure choisie,
Icy sont tes Amours, icy est ton Hylas.
II
Que ne suis-je ravy comme l’enfant Argive ?
Pour revencher ma mort, je ne voudrois sinon
Que le bord, le gravois, les herbes et la rive
Fussent tousjours nommez d’Helene, et de mon nom !
I
Dryades, qui vivez sous les escorces sainctes,
Venez, et tesmoignez combien de fois le jour
Ay-je troublé voz bois par le cry de mes plaintes,
N’ayant autre plaisir qu’à souspirer d’Amour ?
II
Echo, fille de l’Air, hostesse solitaire
Des rochers, où souvent tu me vois retirer,
Dy quantes fois le jour lamentant ma misere,
T’ay-je fait souspirer, en m’oyant souspirer ?
I
Ny Cannes ny Roseaux ne bordent ton rivage,
Mais le gay Poliot, des bergeres amy.
Tousjours au chaut du jour le Dieu de ce bocage,
Appuyé sur sa fleute, y puisse estre endormy.
II
Fontaine, à tout jamais ta source soit pavee,
Non de menus gravois, de mousses ny d’herbis,
Mais bien de mainte Perle à bouillons enlevee,
De Diamans, Saphirs, Turquoises et Rubis.
I
Le Pasteur en tes eaux nulle branche ne jette,
Le Bouc de son ergot ne te puisse fouler :
Ains comme un beau Crystal, tousjours tranquille et nette,
Puisses tu par les fleurs eternelle couler.
II
Les Nymphes de ces eaux et les Hamadryades,
Que l’amoureux Satyre entre les bois poursuit,
Se tenant main à main, de sauts et de gambades,
Aux rayons du Croissant y dansent toute nuit.
I
Si j’estois un grand Prince, un superbe edifice
Je voudrois te bastir, où je ferois fumer
Tous les ans à ta feste autels et sacrifice,
Te nommant pour jamais la Fontaine d’aimer.
II
Il ne faut plus aller en la forest d’Ardeine
Chercher l’eau, dont Regnaut estoit tant desireux :
Celuy qui boit à jeun trois fois ceste fonteine,
Soit passant, ou voisin, il devient amoureux.
I
Lune qui as ta robbe en rayons estoillee,
Garde ceste fontaine aux jours les plus ardans :
Defen la pour jamais de chaut et de gelee,
Remply la de rosee, et te mire dedans.
II
Advienne apres mille ans, qu’un Pastoureau desgoise
Mes amours ; et qu’il conte aux Nymphes d’icy pres,
Qu’un Vandomois mourut pour une Saintongeoise,
Et qu’encor son esprit erre entre ces forests.
Le tiers.
Garsons, ne chantez plus : ja Vesper nous commande
De serrer noz troupeaux : les Loups sont jà dehors.
Demain à la frescheur avec une autre bande
Nous reviendrons danser à l’entour de tes bords.
Fontaine ce-pendant de ceste tasse pleine
Reçoy ce vin sacré que je verse dans toy :
Sois dite pour jamais la Fontaine d’Heleine ;
Et conserve en tes eaux mes amours et ma foy.
Il ne suffit de boire en l’eau que j’ay sacree
A ceste belle Helene, afin d’estre amoreux :
Il faut aussi dormir dedans un autre ombreux,
Qui a joignant sa rive en un mont son entree.
Il faut d’un pied dispos danser dessus la pree,
Et tourner par neuf fois autour d’un saule creux :
Il faut passer la planche, il faut faire des vœux
Au bon Pere Germain qui garde la contree.
Cela fait, quand un cœur seroit un froid glaçon,
Il sentira le feu d’une estrange façon !
Enflamer sa froideur. Croyez ceste escriture.
Amour du rouge sang des Geans tout souillé,
Essuyant en ceste eau son beau corps despouillé,
Y laissa pour jamais ses feux et sa teinture.
Adieu, cruelle, adieu, je te suis ennuyeux :
C’est trop chanté d’Amour sans nulle recompense.
Te serve qui voudra, je m’en vay, et je pense
Qu’un autre serviteur ne te servira mieux.
Amour en quinze jours m’a fait ingenieux,
Me jettant au cerveau de ces vers la semence :
La Raison maintenant me r’appelle, et me tense :
Je ne veux si long temps devenir furieux.
Il ne faut plus nourrir cest Enfant qui me ronge,
Qui les credules prend comme un poisson à l’hain,
Une plaisante farce, une belle mensonge,
Un plaisir pour cent maux qui s’en-vole soudain :
Mais il se faut resoudre ; et tenir pour certain
Que l’homme est malheureux, qui se repaist d’un songe.
Je m’enfuy du combat, ma bataille est desfaite :
J’ay perdu contre Amour la force et la raison :
Ja dix lustres passez, et ja mon poil grison
M’appellent au logis, et sonnent la retraite.
Si, comme je voulois, ta gloire n’est parfaite,
N’en blasme point l’esprit, mais blasme la saison :
Je ne suis ny Pâris, ny desloyal Jason :
J’obeïs à la loy, que la Nature a faite.
Entre l’aigre et le doux, l’esperance et la peur,
Amour dedans ma forge a poly cest ouvrage.
Je ne me plains du mal, du temps ny du labeur,
Je me plains de moymesme et de ton fier courage.
Tu t’en repentiras, si tu as un bon cœur,
Mais le tard repentir ne guarist le dommage.
Je chantois ces Sonets, amoureux d’une Heleine,
En ce funeste mois que mon Prince mourut :
Son sceptre, tant fut grand, Charles ne secourut,
Qu’il ne payast sa debte à la Nature humaine.
La Mort fut d’une part, et l’Amour qui me meine,
Estoit de l’autre part, dont le traict me ferut,
Et si bien la poison par les veines courut,
Que j’oubliay mon maistre, attaint d’une autre peine.
Je senty dans le cœur deux diverses douleurs,
La rigueur de ma Dame, et la tristesse enclose
Du Roy, que j’adorois pour ses rares valeurs.
La vivante et le mort tout malheur me propose :
L’une aime les regrets, et l’autre aime les pleurs :
Car l’Amour et la Mort n’est qu’une mesme chose.