Ô la splendeur de notre joie, Tissée en or dans l’air de soie ! Voici la maison douce et son pignon léger, Et le jardin et le verger. Voici le banc, sous les pommiers D’où s’effeuille le printemps blanc, À pétales frôlants et lents. Voici des vols de lumineux ramiers Planant, ainsi que des présages, Dans le ciel clair du paysage. Voici, pareils à des baisers tombés sur terre De la bouche du frêle azur, Deux bleus étangs simples et purs, Bordés naïvement de fleurs involontaires. Ô la splendeur de notre joie et de nous-mêmes, En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes.
Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux, Ce jardin clair où nous passons silencieux, C’est plus encor en nous que se féconde Le plus candide et doux jardin du monde. Car nous vivons toutes les fleurs, Toutes les herbes, toutes les palmes En nos rires et en nos pleurs De bonheur pur et calme. Car nous vivons toutes les transparences De l’étang bleu qui reflète l’exubérance Des roses d’or et des grands lys vermeils, Bouches et lèvres de soleil. Car nous vivons toute la joie Dardée en cris de fête et de printemps, En nos aveux, où se côtoient Les mots fervents et exaltants. Oh ! dis, c’est bien en nous que se féconde Le plus joyeux et doux jardin du monde.
Ce chapiteau barbare, où des monstres se tordent, Soudés entre eux, à coups de griffes et de dents, En un tumulte fou de sang, de cris ardents, De blessures et de gueules qui s’entre-mordent, C’était moi-même, avant que tu fusses la mienne, Ô toi la neuve, ô toi l’ancienne ! Qui vins à moi, du fond de ton éternité Avec, entre les mains, l’ardeur et la bonté. Je sens en toi les mêmes choses très profondes Qu’en moi-même dormir Et notre soif de souvenir Boire l’écho, où nos passés se correspondent. Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures, Sans le savoir, pendant l’enfance : Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs, Mêmes éclairs de confiance : Car je te suis lié par l’inconnu Qui me fixait, jadis, au fond des avenues Par où passait ma vie aventurière ; Et, certes, si j’avais regardé mieux, J’aurais pu voir s’ouvrir tes yeux Depuis longtemps, en ses paupières.
Le ciel en nuit s’est déplié Et la lune semble veiller Sur le silence endormi. Tout est si pur et clair, Tout est si pur et si pâle dans l’air Et sur les lacs du paysage ami, Qu’elle angoisse, la goutte d’eau Qui tombe d’un roseau Et tinte, et puis se tait dans l’eau. Mais j’ai tes mains entre les miennes Et tes yeux sûrs, qui me retiennent, De leurs ferveurs, si doucement ; Et je te sens si bien en paix de toute chose, Que rien, pas même un fugitif soupçon de crainte, Ne troublera, fût-ce un moment, La confiance sainte Qui dort en nous comme un enfant repose.
Chaque heure, où je pense à ta bonté Si simplement profonde, Je me confonds en prières vers toi. Je suis venu si tard Vers la douceur de ton regard Et de si loin, vers tes deux mains tendues, Tranquillement, par à travers les étendues ! J’avais en moi tant de rouille tenace Qui me rongeait, à dents rapaces, La confiance. J’étais si lourd, j’étais si las, J’étais si vieux de méfiance, J’étais si lourd, j’étais si las Du vain chemin de tous mes pas. Je méritais si peu la merveilleuse joie De voir tes pieds illuminer ma voie, Que j’en reste tremblant encore et presqu’en pleurs, Et humble, à tout jamais, en face du bonheur.
Tu arbores parfois cette grâce bénigne Du matinal jardin tranquille et sinueux Qui déroule, là-bas, parmi les lointains bleus, Ses doux chemins courbés en cols de cygne. Et, d’autres fois, tu m’es le frisson clair Du vent rapide et miroitant Qui passe, avec ses doigts d’éclair, Dans les crins d’eau de l’étang blanc. Au bon toucher de tes deux mains, Je sens comme des feuilles Me doucement frôler ; Que midi brûle le jardin, Les ombres, aussitôt, recueillent Les paroles chères dont ton être a tremblé. Chaque moment me semble, grâce à toi, Passer ainsi, divinement en moi ; Aussi, quand l’heure vient de la nuit blême, Où tu te cèles en toi-même, En refermant les yeux, Sens-tu mon doux regard dévotieux, Plus humble et long qu’une prière, Remercier le tien sous tes closes paupières.
Oh ! laisse frapper à la porte La main qui passe avec ses doigts futiles ; Notre heure est si unique, et le reste qu’importe, Le reste, avec ses doigts futiles. Laisse passer, par le chemin, La triste et fatigante joie, Avec ses crécelles en mains. Laisse monter, laisse bruire Et s’en aller le rire ; Laisse passer la foule et ses milliers de voix. L’instant est si beau de lumière, Dans le jardin, autour de nous ; L’instant est si rare de lumière trémière, Dans notre cœur, au fond de nous. Tout nous prêche de n’attendre plus rien De ce qui vient ou passe, Avec des chansons lasses Et des bras las par les chemins. Et de rester les doux qui bénissons le jour. Même devant la nuit d’ombre barricadée, Aimant en nous, par dessus tout, l’idée Que, bellement, nous nous faisons de notre amour.
Comme aux âges naïfs, je t’ai donné mon cœur, Ainsi qu’une ample fleur, Qui s’ouvre pure et belle au heures de rosée ; Entre ses plis mouillés ma bouche s’est posée. La fleur, je la cueillis avec des doigts de flamme ; Ne lui dis rien : car tous les mots sont hasardeux : C’est à travers les yeux que l’âme écoute une âme. La fleur qui est mon cœur et mon aveu, Tout simplement, à tes lèvres confie Qu’elle est loyale et claire et bonne, et qu’on se fie Au vierge amour, comme un enfant se fie à Dieu. Laissons l’esprit fleurir sur les collines, En de capricieux chemins de vanité ; Et faisons simple accueil à la sincérité Qui tient nos deux cœurs vrais en ses mains cristallines ; Et rien n’est beau comme une confession d’âmes, L’une à l’autre, le soir, lorsque la flamme Des incomptables diamants Brûle comme autant d’yeux Silencieux Le silence des firmaments.
Le printemps jeune et bénévole Qui vêt le jardin de beauté Élucide nos voix et nos paroles Et les trempe dans sa limpidité. La brise et les lèvres des feuilles Babillent, et lentement effeuillent En nous les syllabes de leur clarté. Mais le meilleur de nous se gare Et fuit les mots matériels ; Un simple et doux élan muet Mieux que tout verbe amarre Notre bonheur à son vrai ciel : Celui de ton âme, à deux genoux, Tout simplement, devant la mienne, Et de mon âme, à deux genoux, Très doucement, devant la tienne.
Viens lentement t’asseoir Près du parterre dont le soir Ferme les fleurs de tranquille lumière, Laisse filtrer la grande nuit en toi : Nous sommes trop heureux pour que sa mer d’effroi Trouble notre prière. Là-haut, le pur cristal des étoiles s’éclaire : Voici le firmament plus net et translucide Qu’un étang bleu ou qu’un vitrail d’abside ; Et puis voici le ciel qui regarde à travers. Les mille voix de l’énorme mystère Parlent autour de toi, Les mille lois de la nature entière Bougent autour de toi, Les arcs d’argent de l’invisible Prennent ton âme et sa ferveur pour cible, Mais tu n’as peur, oh ! simple cœur, Mais tu n’as peur, puisque ta foi Est que toute la terre collabore À cet amour que fit éclore La vie et son mystère en toi. Joins donc les mains tranquillement Et doucement adore ; Un grand conseil de pureté Et de divine intimité Flotte, comme une étrange aurore, Sous les minuits du firmament.
Combien elle est facilement ravie, Avec ses yeux d’extase ignée, Elle, la douce et résignée Si simplement devant la vie. Ce soir, comme un regard la surprenait fervente Et comme un mot la transportait Au pur jardin de joie, où elle était Tout à la fois reine et servante. Humble d’elle, mais ardente de nous, C’était à qui ploierait les deux genoux, Pour recueillir le merveilleux bonheur Qui, mutuel, nous débordait du cœur. Nous écoutions se taire, en nous, la violence De l’exaltant amour qu’emprisonnaient nos bras Et le vivant silence Dire des mots que nous ne savions pas.
Au temps où longuement j’avais souffert Où les heures m’étaient des pièges, Tu m’apparus l’accueillante lumière Qui luit, aux fenêtres, l’hiver, Au fonds des soirs, sur de la neige. Ta clarté d’âme hospitalière Frôla, sans le blesser, mon cœur, Comme une main de tranquille chaleur. Puis vint la bonne confiance, Et la franchise, et la tendresse, et l’alliance Enfin de nos deux mains amies, Un soir de claire entente et de douce accalmie. Depuis, bien que l’été ait succédé au gel, En nous-mêmes, et sous le ciel, Dont les flammes éternisées Pavoisent d’or tous les chemins de nos pensées, Et que l’amour soit devenu la fleur immense Naissant du fier désir Qui sans cesse, pour mieux encor grandir, En notre cœur se recommence, Je regarde toujours la petite lumière Qui me fut douce, la première.
Et qu’importent et les pourquois et les raisons Et qui nous fûmes et qui nous sommes : Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons Qui s’ouvre en nous et hors de nous, si loin des hommes. Je ne raisonne pas, et ne veux pas savoir Et rien ne troublera ce qui n’est que mystère Et qu’élans doux et que ferveur involontaire Et que tranquille essor vers nos parvis d’espoir. Je te sens claire avant de te comprendre telle ; Et c’est ma joie, infiniment, De m’éprouver si doucement aimant, Sans demander pourquoi ta voix m’appelle. Soyons simples et bons — et que le jour Nous soit tendresse et lumière servies, Et laissons dire que la vie N’est point faite pour un pareil amour.
À ces reines qui lentement descendent Les escaliers en ors et fleurs de la légende, Dans mon rêve, parfois, je t’apparie ; Je te donne des noms qui se marient À la clarté, à la splendeur et à la joie, Et bruissent en syllabes de soie, Au long des vers bâtis comme une estrade Pour la danse des mots et leurs belles parades. Mais combien vite on se lasse du jeu, À te voir douce et profonde et si peu Celle dont on enjolive les attitudes ; Ton front si clair et pur et blanc de certitude, Tes douces mains d’enfant en paix sur tes genoux, Tes seins se soulevant au rythme de ton pouls Qui bat comme ton cœur immense et ingénu, Oh ! comme tout, hormis cela et ta prière, Oh ! comme tout est pauvre et vain, hors la lumière Qui me regarde et qui m’accueille en tes yeux nus.
Je dédie à tes pleurs, à ton sourire, Mes plus douces pensées, Celles que je te dis, celles aussi Qui demeurent imprécisées Et trop profondes pour les dire. Je dédie à tes pleurs, à ton sourire, À toute ton âme, mon âme, Avec ses pleurs et ses sourires Et son baiser. Vois-tu, l’aurore blanchit le sol, couleur de lie ; Des liens d’ombre semblent glisser Et s’en aller, avec mélancolie ; L’eau des étangs s’écoule et tamise son bruit, L’herbe rayonne et les corolles se déplient, Et les bois d’or s’affranchissent de toute nuit. Oh ! dis, pouvoir un jour, Entrer ainsi dans la pleine lumière ; Oh ! dis, pouvoir un jour Avec des cris vainqueurs et de hautes prières, Sans plus aucun voile sur nous, Sans plus aucun mystère en nous, Oh ! dis, pouvoir, un jour, Entrer à deux dans le lucide amour !...
Je noie en tes deux yeux mon âme toute entière Et l’élan fou de cette âme éperdue, Pour que, plongée en leur douceur et leur prière, Plus claire et mieux trempée, elle me soit rendue. S’unir pour épurer son être, Comme deux vitraux d’or en une même abside Croisent leurs feux différemment lucides Et se pénètrent ! Je suis parfois si lourd, si las, D’être celui qui ne sait pas Être parfait, comme il se veut ! Mon cœur se bat contre ses vœux, Mon cœur dont les plantes mauvaises, Entre des rocs d’entêtement, Dressent, sournoisement, Leurs fleurs d’encre ou de braise ; Mon cœur si faux, si vrai, selon les jours, Mon cœur contradictoire, Mon cœur exagéré toujours De joie immense ou de crainte attentatoire.
Pour nous aimer des yeux, Lavons nos deux regards, de ceux Que nous avons croisés, par milliers, dans la vie Mauvaise et asservie. L’aube est en fleur et en rosée Et en lumière tamisée Très douce : On croirait voir de molles plumes D’argent et de soleil, à travers brumes, Frôler et caresser, dans le jardin, les mousses. Nos bleus et merveilleux étangs Tremblent et s’animent d’or miroitant ; Des vols émeraudés, sous les arbres, circulent ; Et la clarté, hors des chemins, des clos, des haies, Balaie La cendre humide, où traîne encor le crépuscule.
Au clos de notre amour, l’été se continue : Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ; Des pétales pavoisent, — Perles, émeraudes, turquoises — L’uniforme sommeil des gazons verts. Nos étangs bleus luisent, couverts Du baiser blanc des nénuphars de neige ; Aux quinconces, nos groseillers font des cortèges ; Un insecte de prisme irrite un cœur de fleur ; De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ; Et, comme des bulles légères, mille abeilles Sur des grappes d’argent, vibrent, au long des treilles. L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ; Sous les midis profonds et radiants, On dirait qu’il remue en roses de lumière ; Tandis qu’au loin, les routes coutumières, Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils, À l’horizon nacré, montent vers le soleil. Certes, la robe en diamants du bel été Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté ; Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes, Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.
Que tes yeux clairs, tes yeux d’été, Me soient, sur terre, Les images de la bonté. Laissons nos âmes embrasées Revêtir d’or chaque flamme de nos pensées. Que mes deux mains contre ton cœur Te soient, sur terre, Les emblèmes de la douceur. Vivons pareils à deux prières éperdues L’une vers l’autre, à toute heure, tendues. Que nos baisers sur nos bouches ravies Nous soient sur terre, Les symboles de notre vie.
Dis-moi, ma simple et ma tranquille amie, Dis, combien l’absence, même d’un jour, Attriste et attise l’amour Et le réveille, en ses brûlures endormies ? Je m’en vais au devant de ceux Qui reviennent des lointains merveilleux, Où, dès l’aube, tu es allée ; Je m’assieds sous un arbre, au détour de l’allée ; Et, sur la route, épiant leur venue, Je regarde et regarde, avec ferveur, leurs yeux Encor clairs de t’avoir vue. Et je voudrais baiser leurs doigts qui t’ont touchée, Et leur crier des mots qu’ils ne comprendraient pas, Et j’écoute longtemps se cadencer leurs pas Vers l’ombre où les vieux soirs tiennent la nuit penchée.
En ces heures où nous sommes perdus Si loin de tout ce qui n’est pas nous-mêmes, Quel sang lustral ou quel baptême Baigne nos cœurs vers tout l’amour tendus ? Joignant les mains, sans que l’on prie, Tendant les bras, sans que l’on crie, Mais adorant on ne sait quoi De plus lointain et de plus pur que soi, L’esprit fervent et ingénu, Dites, comme on se fond, comme on se vit dans l’inconnu. Comme on s’abîme en la présence De ces heures de suprême existence, Comme l’âme voudrait des cieux Pour y chercher de nouveaux dieux, Oh ! l’angoissante et merveilleuse joie Et l’espérance audacieuse D’être, un jour, à travers la mort même, la proie De ces affres silencieuses.
Oh ! ce bonheur Si rare et si frêle parfois Qu’il nous fait peur ! Nous avons beau taire nos voix Et nous faire comme une tente, Avec toute ta chevelure, Pour nous créer un abri sûr, Souvent l’angoisse en nos âmes fermente. Mais notre amour étant comme un ange à genoux, Prie et supplie, Que l’avenir donne à d’autres que nous Même tendresse et même vie, Pour que leur sort de notre sort ne soit jaloux. Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs Illimitent, jusques au ciel, le désespoir, Nous demandons pardon à la nuit qui s’enflamme De la douceur de notre âme.
Vivons, dans notre amour et notre ardeur, Vivons si hardiment nos plus belles pensées Qu’elles s’entrelacent harmonisées À l’extase suprême et l’entière ferveur. Parce qu’en nos âmes pareilles, Quelque chose de plus sacré que nous Et de plus pur, et de plus grand s’éveille, Joignons les mains pour l’adorer à travers nous. Il n’importe que nous n’ayons que cris ou larmes Pour humblement le définir Et que si rare et si puissant en soit le charme, Qu’à le goûter nos cœurs soient prêts à défaillir. Restons quand même et pour toujours, les fous De cet amour presque implacable, Et les fervents, à deux genoux, Du Dieu soudain qui règne en nous, Si violent et si ardemment doux Qu’il nous fait mal et nous accable.
Sitôt que nos bouches se touchent, Nous nous sentons tant plus clairs de nous-mêmes Que l’on dirait des Dieux qui s’aiment Et qui s’unissent en nous-mêmes ; Nous nous sentons le cœur si divinement frais Et si renouvelé par leur lumière Première Que l’univers, sous leur clarté, nous apparaît. La joie est à nos yeux le seul ferment du monde Qui se mûrit et se féconde, Innombrable, sur nos routes d’en bas ; Comme là-haut, par tas, Parmi des lacs de soie où voyagent des voiles Naissent les fleurs myriadaires des étoiles. L’ordre nous éblouit, comme les feux la cendre, Tout nous éclaire et nous paraît flambeau : Nos plus simples mots ont un sens si beau Que nous les répétons pour les sans cesse entendre. Nous sommes les victorieux sublimes Qui conquérons l’éternité, Sans nul orgueil, et sans songer au temps minime, Et notre amour nous semble avoir toujours été.
Pour que rien de nous deux n’échappe à notre étreinte, Si profonde qu’elle en est sainte Et qu’à travers le corps même, l’amour soit clair ; Nous descendons ensemble au jardin de ta chair. Tes seins sont là ainsi que des offrandes, Et tes deux mains me sont tendues ; Et rien ne vaut la naïve provende Des paroles dites et entendues. L’ombre des rameaux blancs voyage Parmi ta gorge et ton visage Et tes cheveux dénouent leur floraison, En guirlandes, sur les gazons. La nuit est toute d’argent bleu, La nuit est un beau lit silencieux, La nuit douce, dont les brises vont, une à une, Effeuiller les grands lys dardés au clair de lune.
Bien que déjà, ce soir, L’automne Laisse aux sentes et aux orées, Comme des mains dorées, Lentes, les feuilles choir, Bien que déjà l’automne, Ce soir, avec ses bras de vent, Moissonne, Sur les rosiers fervents, Les pétales et leur pâleur, Ne laissons rien de nos deux âmes Tomber soudain avec ces fleurs. Mais tous les deux, autour des flammes De l’âtre en or du souvenir, Mais tous les deux, blottissons-nous, Les mains au feu et les genoux. Contre les deuils cachés dans l’avenir, Contre le temps qui fixe à toute ardeur sa fin, Contre notre terreur, contre nous-mêmes enfin, Blottissons-nous, près du foyer, Que la mémoire en nous fait flamboyer. Et si l’automne obère À grands pans d’ombre et d’orages planants, Les bois, les pelouses et les étangs, Que sa douleur du moins n’altère L’intérieur jardin tranquillisé, Où s’unissent, dans la lumière, Les pas égaux de nos pensées.
Le don du corps, lorsque l’âme est donnée N’est rien que l’aboutissement De deux tendresses entraînées L’une vers l’autre, éperdûment. Tu n’es heureuse de ta chair Si simple, en sa beauté natale, Que pour, avec ferveur, m’en faire L’offre complète et l’aumône totale. Et je me donne à toi, ne sachant rien Sinon que je m’exalte à te connaître, Toujours meilleure, et plus pure, peut-être, Depuis que ton doux corps offrit sa fête au mien. L’amour, oh ! qu’il nous soit la clairvoyance Unique, et l’unique raison du cœur, À nous, dont le plus fol bonheur Est d’être fous de confiance.
Fût-il en nous une seule tendresse, Une pensée, une joie, une promesse, Qui n’allât, d’elle-même, au devant de nos pas ? Fût-il une prière en secret entendue, Dont nous n’ayons serré les mains tendues Avec douceur sur notre sein ? Fût-il un seul appel, un seul dessein, Un vœu tranquille ou violent Dont nous n’ayons accéléré l’élan ? Et, nous aimant ainsi, Nos cœurs s’en sont allés, tels des apôtres, Vers les doux cœurs timides et transis Des autres : Ils les ont conviés, par la pensée, À se sentir aux nôtres fiancés, À proclamer l’amour avec des ardeurs franches, Comme un peuple de fleurs aime la même branche, Qui le suspend et le baigne dans le soleil ; Et notre âme, comme agrandie, en cet éveil, S’est mise à célébrer tout ce qui aime, Magnifiant l’amour pour l’amour même, Et à chérir, divinement, d’un désir fou, Le monde entier qui se résume en nous.
Le beau jardin fleuri de flammes Qui nous semblait le double ou le miroir, Du jardin clair que nous portions dans l’âme, Se cristallise en gel et or, ce soir. Un grand silence blanc est descendu s’asseoir Là-bas, aux horizons de marbre, Vers où s’en vont, par défilés, les arbres Avec leur ombre immense et bleue Et régulière, à côté d’eux. Aucun souffle de vent, aucune haleine. Les grands voiles du froid Se déplient seuls, de plaine en plaine, Sur des marais d’argent ou des routes en croix. Les étoiles paraissent vivre. Comme l’acier, brille le givre, À travers l’air translucide et glacé. De clairs métaux pulvérisés À l’infini, semblent neiger De la pâleur d’une lune de cuivre. Tout est scintillement dans l’immobilité. Et c’est l’heure divine, où l’esprit est hanté Par ces mille regards que projette sur terre, Vers les hasards de l’humaine misère, La bonne et pure et inchangeable éternité.
S’il arrive jamais Que nous soyons, sans le savoir, Souffrance ou peine ou désespoir, L’un pour l’autre ; s’il se faisait Que la fatigue ou le banal plaisir Détendissent en nous l’arc d’or du haut désir ; Si le cristal de la pure pensée Doit en nos cœurs tomber et se briser, Si malgré tout, je me sentais Vaincu pour n’avoir pas été Assez en proie à la divine immensité De la bonté ; Alors, oh ! serrons-nous comme deux fous sublimes Qui sous les cieux cassés, se cramponnent aux cimes Quand même — et d’un unique essor, L’âme en soleil, s’exaltent dans la mort.
Cette édition des Heures claires a été établie
à partir de la version finale disponible sur le site Gallica,
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Première mise en ligne le 23 mars 2008.
Présente version générée le 25 mars 2008.