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Le petit cheval n'y comprend rien Qu'est-ce que c'est que ces caissons Ces arbres de fer ces chars ces chansons qui sortent de sortes de fleurs suspendues Et rien ne sert de trotter. Les mots de métal volent le long de la route au vent malicieux des poteaux télégraphiques Le petit cheval n'y comprend rien Le petit cheval n'y comprend rien Le paysage est un géant enchaîné avec des clous d'usines Le paysage s'est pris les collines dans un filet de baraquements Le paysage a mis des colliers de fumées Le paysage a plus d'échafaudages qu'un jour d'été n'a de mouches Le paysage est à genoux dans le socialisme Et l'électricité étire ses doigts fins du ciel à la poussière Le petit cheval n'y comprend rien Personne ne dort dans ces maisons d'hommes Ça siffle partout comme après un chien Et des léopards de feu se détachent au passage des wagonnets le long du combiné des sous-produits chimiques Tonnerre du minerai tombant aux concasseurs Tonnerre du rire des hauts fourneaux Tonnerre d'applaudissements des eaux du barrage au numéro d'un clown inconnu qui crache du fer Le petit cheval n'y comprend rien Il y a des mouchoirs rouges avec des mots blancs tendus au travers du ciel des routes ou noués à des machines ou comme des bifteacks à la gueule des bâtiments Il y a des conseils d'hygiène jusqu' au fond de la nuit du charbon Il y a de l'idéologie en pagaye au déballez-moi ça des monts Le petit cheval n'y comprend rien De grands types circulent entre les épaules de la terre et sous leurs mains calleuses familièrement claque le flanc de l'avenir De grands types qui lisent au voyant des édifices publics les chiffres mystérieux de la fonte et du coke produits chaque jour De grands types pour qui le ciel et la montagne se résument le soir dans un accordéon Ah mon amour ah mon amour allons au cirque où fait de la voltige un Italien qui s'est sauvé de chez Mussolini dans les soutes d'un vapeur rouge dont le Vésuve a salué longtemps le départ Et puis nous remonterons vers la ville socialiste à laquelle il manque encore ses balcons entendre ce qu'ont à dire de la poésie les membres de la brigade Maxime Gorki Quand on pense que le blooming n'a pas encore son poète Le petit cheval n'y comprend rien Sur un sein de la ville un monde fou s'agite Les femmes de par ici ont les yeux si noirs qu'on s'y noierait Les échoppes ont l'air de femmes bien-aimées Un photographe rose a seul des larmes dans la voix Près de la tente des consultations vétérinaires des grappes de souliers pendent à des poutrelles plus incroyables aux regards bachkirs que les automobiles ou pour toi que l' Anti-Dühring à l'éventaire d'un bouquiniste Le petit cheval n'y comprend rien Au fait que disait-elle au début de ce poème la voix aérienne qui saute à mesure qu'on s'en va d'un pavillon vers l'autre et qui reprend l'antienne sans laquelle un quelque chose assurément manque au panorama Et les mots s'égrenaient s'égrenaient à la fresque immense où dans un coin Détail un mammouth forgeron regarde avec tendresse un tout petit Lénine en plâtre Le petit cheval n'y comprend rien Tu n'y comprends rien petit cheval Est-ce que tu ne détestes pas à tes heures le fouet et le goût qu'il donne à ton foin Est-ce que tu n'as pas vu dans les villages des hommes avoir faim près des vierges en or Petit cheval ne presse pas ta course écoute Petit cheval les mots radiophoniques qui sont le clé de ce rébus d'Oural écoute Petit cheval écoute bien La technique dans la période de reconstruction décide de tout Petit cheval petit cheval comprends-moi bien
© L'auteur
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août J'ai retiré ce radium de la pechblende Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu Ô paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
© Seghers
Marguerite Marie et Madeleine Il faut bien que les soeurs aillent par trois Aux vitres j'écris quand il fait bien froid Avec mon doigt leur nom dans mon haleine Pour le bal de Saint-Cyr elles ont mis Trois des plus belles robes de Peau d'Âne Celle couleur de la route océane Celle de vent celle d'astronomie Comment dormir à moins qu'elles ne viennent Me faire voir leurs souliers de satin Qui vont danser danser jusqu'au matin Pas des patineurs et valses de Vienne Marguerite Madeleine et Marie La première est triste à quoi songe-t-elle La seconde est belle avec ses dentelles À tout ce qu'on dit la troisième rit Je ferme les yeux je les accompagne Que les Saint-Cyriens avec leurs gants blancs Que les Saint-Cyriens se montrent galants Ils offriront aux dames du champagne Chacune est un peu pour eux Cendrillon Tous ces fils de roi d'elles s'amourachent Si jeunes qu'ils n'ont barbe ni moustache Mais tout finira par un cotillon La vie et le bal ont passé trop vite La nuit n'a jamais la longueur qu'on veut Et dans le matin défont leurs cheveux Madeleine Marie et Marguerite
© Gallimard
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