Joachim du BELLAY (1522-1560)


L'Olive (1549)

«Quand la fureur, qui bat...»
XIII Sonnets de l'honnête amour (1552)

«Non autrement...»
Les Antiquités de Rome (1558)

«Nouveau venu qui cherches...»
«Comme le champ semé...»
Les Jeux Rustiques (1558)
Les Regrets (1558)

«Je ne veux point fouiller...»
«Las, où est maintenant...»
«France, mère des arts...»
«Cependant que Magny...»
«Heureux qui comme Ulysse...»
«Tu ne me vois jamais...»
«Marcher d'un grave pas...»
«J'aime la liberté...»
«D'où vient cela (Mauny)...»

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Quand la fureur, qui bat les grands coupeaux,
Hors de mon coeur l'Olive arrachera,
Avec le chien le loup se couchera,
Fidèle garde aux timides troupeaux.

Le ciel, qui voit avec tant de flambeaux,
Le violent de son cours cessera.
Le feu sans chaud et sans clarté sera,
Obscur le rond des deux astres plus beaux.

Tous animaux changeront de séjour
L'un avec l'autre, et au plus clair du jour
Ressemblera la nuit humide et sombre,

Des prés seront semblables les couleurs,
La mer sans eau, et les forêts sans ombre,
Et sans odeur les roses et les fleurs.



Joachim du BELLAY



Non autrement que la Prêtresse folle,
En grommelant d'une effroyable horreur,
Secoue en vain l'indomptable fureur
Du Cynthien, qui brusquement l'affole :

Mon estomac, gros de ce Dieu qui vole,
Épouvanté d'une aveugle terreur
Se fait rebelle à la divine erreur,
Qui brouille ainsi mon sens, et ma parole.

Mais c'est en vain : car le Dieu, qui m'étreint,
De plus en plus m'aiguillonne, et contraint
De le chanter, quoique mon coeur en gronde.

Chantez-le donc, chantez mieux que devant,
Ô vous mes vers ! qui volez par le monde,
Comme feuillards éparpillés du vent.



Joachim du BELLAY



Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n'aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.

Vois quel orgueil, quelle ruine et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.

Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit,

Reste de Rome. Ô mondaine inconstance !
Ce qui est ferme est par le temps détruit,
Et ce qui fuit au temps fait résistance.



Joachim du BELLAY



Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se hausse en tuyau verdissant,
Du tuyau se hérisse en épi florissant,
D'épi jaunit en grain que le chaud assaisonne :

Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyants cheveux du sillon blondissant,
Les met d'ordre en javelle, et du blé jaunissant
Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne :

Ainsi de peu à peu crût l'empire Romain,
Tant qu'il fut dépouillé par la Barbare main,
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques,

Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant après le moissonneur.



Joachim du BELLAY



Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts
Ni desseigner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure.

Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon coeur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les pigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.



Joachim du BELLAY



Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?
Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l'immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?

Où sont ces doux plaisirs qu'au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu'en liberté
Dessus le vert tapis d'un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la Lune ?

Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon coeur, qui soulait être maître de soi,
Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient.

De la postérité je n'ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s'enfuient.



Joachim du BELLAY



France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.



Joachim du BELLAY



Cependant que Magny suit son grand Avanson,
Panjas son Cardinal, et moi le mien encore,
Et que l'espoir flatteur, qui nos beaux ans dévore,
Appâte nos désirs d'un friand hameçon,

Tu courtises les rois, et, d'un plus heureux son,
Chantant l'heur de Henri, qui son siècle décore,
Tu t'honores toi-même, et celui qui honore
L'honneur que tu lui fais par ta docte chanson.

Las, et nous ce pendant nous consumons notre âge
Sur le bord inconnu d'un étrange rivage,
Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter :

Comme on voit quelquefois quand la mort les appelle,
Arrangés flanc à flanc parmi l'herbe nouvelle,
Bien loin sur un étang trois cygnes lamenter.



Joachim du BELLAY



Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur Angevine.



Joachim du BELLAY



Tu ne me vois jamais, Pierre, que tu ne die
Que j'étudie trop, que je fasse l'amour,
Et que d'avoir toujours ces livres à l'entour
Rend les yeux éblouis, et la tête alourdie.

Mais tu ne l'entends pas, car cette maladie
Ne me vient du trop lire ou du trop long séjour,
Ains de voir le bureau qui se tient chaque jour :
C'est, Pierre mon ami, le livre où j'étudie.

Ne m'en parle donc plus, autant que tu as cher
De me donner plaisir et de ne me fâcher :
Mais bien en cependant que d'une main habile

Tu me laves la barbe et me tonds les cheveux,
Pour me désennuyer, conte-moi si tu veux,
Des nouvelles du Pape, et du bruit de la ville.



Joachim du BELLAY



Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourcil,
Et d'un grave souris à chacun faire fête,
Balancer tous ses mots, répondre de la tête,
Avec un  Messer non, ou bien un  Messer si :

Entremêler souvent un petit  E cosi, 
Et d'un  Son Servitor contrefaire l'honnête,
Et comme si l'on eut sa part en la conquête,
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :

Seigneuriser chacun d'un baisement de main,
Et suivant la façon du courtisan Romain,
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence

Voilà de cette cour la plus grande vertu,
Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vêtu,
Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.



Joachim du BELLAY



J'aime la liberté, et languis en service,
Je n'aime point la Cour, et me faut courtiser,
Je n'aime la feintise, et me faut déguiser,
J'aime simplicité, et n'apprends que malice.

Je n'adore les biens, et sers à l'avarice,
Je n'aime les honneurs, et me les faut priser,
Je veux garder ma foi, et me la faut briser,
Je cherche la vertu, et ne trouve que vice.

Je cherche le repos, et trouver ne le puis,
J'embrasse le plaisir, et n'éprouve qu'ennuis,
Je n'aime à discourir, en raison je me fonde,

J'ai le corps maladif, et me faut voyager,
Je suis né pour la Muse, on me fait ménager,
Ne suis-je pas (Morel) le plus chétif du monde ?



Joachim du BELLAY

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