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Quand la fureur, qui bat les grands coupeaux, Hors de mon coeur l'Olive arrachera, Avec le chien le loup se couchera, Fidèle garde aux timides troupeaux. Le ciel, qui voit avec tant de flambeaux, Le violent de son cours cessera. Le feu sans chaud et sans clarté sera, Obscur le rond des deux astres plus beaux. Tous animaux changeront de séjour L'un avec l'autre, et au plus clair du jour Ressemblera la nuit humide et sombre, Des prés seront semblables les couleurs, La mer sans eau, et les forêts sans ombre, Et sans odeur les roses et les fleurs.
Non autrement que la Prêtresse folle, En grommelant d'une effroyable horreur, Secoue en vain l'indomptable fureur Du Cynthien, qui brusquement l'affole : Mon estomac, gros de ce Dieu qui vole, Épouvanté d'une aveugle terreur Se fait rebelle à la divine erreur, Qui brouille ainsi mon sens, et ma parole. Mais c'est en vain : car le Dieu, qui m'étreint, De plus en plus m'aiguillonne, et contraint De le chanter, quoique mon coeur en gronde. Chantez-le donc, chantez mieux que devant, Ô vous mes vers ! qui volez par le monde, Comme feuillards éparpillés du vent.
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome Et rien de Rome en Rome n'aperçois, Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois, Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme. Vois quel orgueil, quelle ruine et comme Celle qui mit le monde sous ses lois, Pour dompter tout, se dompta quelquefois, Et devint proie au temps, qui tout consomme. Rome de Rome est le seul monument, Et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, Reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme est par le temps détruit, Et ce qui fuit au temps fait résistance.
Comme le champ semé en verdure foisonne, De verdure se hausse en tuyau verdissant, Du tuyau se hérisse en épi florissant, D'épi jaunit en grain que le chaud assaisonne : Et comme en la saison le rustique moissonne Les ondoyants cheveux du sillon blondissant, Les met d'ordre en javelle, et du blé jaunissant Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne : Ainsi de peu à peu crût l'empire Romain, Tant qu'il fut dépouillé par la Barbare main, Qui ne laissa de lui que ces marques antiques, Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur Cheminant pas à pas recueillir les reliques De ce qui va tombant après le moissonneur.
Je ne veux point fouiller au sein de la nature, Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers, Je ne veux point sonder les abîmes couverts Ni desseigner du ciel la belle architecture. Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, Et si hauts arguments ne recherche à mes vers : Mais suivant de ce lieu les accidents divers, Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure. Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret, Je me ris avec eux, je leur dis mon secret, Comme étant de mon coeur les plus sûrs secrétaires. Aussi ne veux-je tant les pigner et friser, Et de plus braves noms ne les veux déguiser, Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.
Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ? Où est ce coeur vainqueur de toute adversité, Cet honnête désir de l'immortalité, Et cette honnête flamme au peuple non commune ? Où sont ces doux plaisirs qu'au soir sous la nuit brune Les Muses me donnaient, alors qu'en liberté Dessus le vert tapis d'un rivage écarté Je les menais danser aux rayons de la Lune ? Maintenant la Fortune est maîtresse de moi, Et mon coeur, qui soulait être maître de soi, Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient. De la postérité je n'ai plus de souci, Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi, Et les Muses de moi, comme étranges, s'enfuient.
France, mère des arts, des armes et des lois, Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle : Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle, Je remplis de ton nom les antres et les bois. Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois, Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ? France, France, réponds à ma triste querelle. Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix. Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine, Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau. Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture, Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure : Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Cependant que Magny suit son grand Avanson, Panjas son Cardinal, et moi le mien encore, Et que l'espoir flatteur, qui nos beaux ans dévore, Appâte nos désirs d'un friand hameçon, Tu courtises les rois, et, d'un plus heureux son, Chantant l'heur de Henri, qui son siècle décore, Tu t'honores toi-même, et celui qui honore L'honneur que tu lui fais par ta docte chanson. Las, et nous ce pendant nous consumons notre âge Sur le bord inconnu d'un étrange rivage, Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter : Comme on voit quelquefois quand la mort les appelle, Arrangés flanc à flanc parmi l'herbe nouvelle, Bien loin sur un étang trois cygnes lamenter.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province et beaucoup davantage ? Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux : Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine, Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin, Plus mon petit Liré que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur Angevine.
Tu ne me vois jamais, Pierre, que tu ne die Que j'étudie trop, que je fasse l'amour, Et que d'avoir toujours ces livres à l'entour Rend les yeux éblouis, et la tête alourdie. Mais tu ne l'entends pas, car cette maladie Ne me vient du trop lire ou du trop long séjour, Ains de voir le bureau qui se tient chaque jour : C'est, Pierre mon ami, le livre où j'étudie. Ne m'en parle donc plus, autant que tu as cher De me donner plaisir et de ne me fâcher : Mais bien en cependant que d'une main habile Tu me laves la barbe et me tonds les cheveux, Pour me désennuyer, conte-moi si tu veux, Des nouvelles du Pape, et du bruit de la ville.
Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourcil, Et d'un grave souris à chacun faire fête, Balancer tous ses mots, répondre de la tête, Avec un Messer non, ou bien un Messer si : Entremêler souvent un petit E cosi, Et d'un Son Servitor contrefaire l'honnête, Et comme si l'on eut sa part en la conquête, Discourir sur Florence, et sur Naples aussi : Seigneuriser chacun d'un baisement de main, Et suivant la façon du courtisan Romain, Cacher sa pauvreté d'une brave apparence Voilà de cette cour la plus grande vertu, Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vêtu, Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.
J'aime la liberté, et languis en service, Je n'aime point la Cour, et me faut courtiser, Je n'aime la feintise, et me faut déguiser, J'aime simplicité, et n'apprends que malice. Je n'adore les biens, et sers à l'avarice, Je n'aime les honneurs, et me les faut priser, Je veux garder ma foi, et me la faut briser, Je cherche la vertu, et ne trouve que vice. Je cherche le repos, et trouver ne le puis, J'embrasse le plaisir, et n'éprouve qu'ennuis, Je n'aime à discourir, en raison je me fonde, J'ai le corps maladif, et me faut voyager, Je suis né pour la Muse, on me fait ménager, Ne suis-je pas (Morel) le plus chétif du monde ?
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