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Assieds-toi sur le bord d'une ondante rivière : Tu la verras fluer d'un perpétuel cours, Et flots sur flots roulant en mille et mille tours Décharger par les prés son humide carrière. Mais tu ne verras rien de cette onde première Qui naguère coulait ; l'eau change tous les jours, Tous les jours elle passe, et la nommons toujours Même fleuve, et même eau, d'une même manière. Ainsi l'homme varie, et ne sera demain Telle comme aujourd'hui du pauvre corps humain La force que le temps abrévie et consomme : Le nom sans varier nous suit jusqu'au trépas, Et combien qu'aujourd'hui celui ne sois-je pas Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme.
À beaucoup de danger est sujette la fleur : Ou l'on la foule au pied ou les vents la ternissent, Les rayons du soleil la brûlent et rôtissent, La bête la dévore, et s'effeuille en verdeur. Nos jours, entremêlés de regret et de pleur, À la fleur comparés comme la fleur fleurissent Tombent comme la fleur, comme la fleur périssent, Autant comme du froid tourmentés de l'ardeur. Non de fer ni de plomb, mais d'odorantes pommes Le vaisseau va chargé, ainsi les jours des hommes Sont légers, non pesants, variables et vains, Qui, laissant après eux d'un peu de renommée L'odeur en moins de rien comme fruit consommée, Passent légèrement hors du coeur des humains.
Quelquefois les chevaux vont caparaçonnés De drap d'or et d'argent, richesse inestimable ; Toutefois, arrivés en la fumante étable, On leur ôte l'habit duquel ils sont ornés. Et ne leur reste rien sur les dos étonnés Que lasseté, sueur et plaie dommageable Dont l'éperon, la course et le faix les accable, Défaillant sous les bonds en courbettes tournés : Ainsi marche le prince accompagné sur terre ; Puis quand le trait subit de la Parque l'enferre, Tous ses honneurs lui sont incontinent ôtés ; Car de tant de ressorts et provinces sujettes Les rois n'emportent rien sous les tombes muettes Que les forfaits commis en leurs principautés.
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