André CHENIER (1762-1794)


Bucoliques (1819)

La jeune Tarentine
Néère
Les colombes

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La jeune Tarentine
Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine.
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.
Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a pour cette journée
Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée
Et l'or dont au festin ses bras seraient parés
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher
Aux monstres dévorants eut soin de la cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement.
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent : « hélas ! » autour de son cercueil.
Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée.
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de tes bras n'a point serré de noeuds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.



André CHENIER

Les colombes
Deux belles s'étaient baisées... Le poète-berger, témoin jaloux de leurs
caresses, chante ainsi :

	« Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles,
	Se baisent. Pour s'aimer les dieux les firent belles.
	Sur leur tête mobile, un cou blanc délicat,
	Se plie, et de la neige effacerait l'éclat.
	Leur voix est pure et tendre, et leur âme innocente,
	Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante.
	L'une a dit à sa soeur : « Ma soeur .  .  .  .  .  .  .  . 

  Ma soeur, en un tel lieu croissent l'orge et le millet...

	L'autour et l'oiseleur, ennemis de nos jours,
	De ce réduit, peut-être, ignorent les détours,
	Viens .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

  Je te choisirai moi-même les graines que tu aimes, et mon bec s'entrelacera
dans le tien. »

	.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
	L'autre a dit à sa soeur : « Ma soeur une fontaine
	Coule dans ce bosquet .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

  L'oie ni le canard n'en ont jamais souillé les eaux, ni leurs cris...
Viens, nous y trouverons une boisson pure.

	Et nous y baignerons notre tête et nos ailes,

  et mon bec ira polir ton plumage. » - Elles vont, elles se promènent en
roucoulant au bord de l'eau ; elles boivent, se baignent, mangent, puis,
sur un rameau, leurs becs s'entrelacent ; elles se polissent leur plumage
l'une à l'autre.

	Le voyageur, passant en ces fraîches campagnes,
	Dit : « Ô les beaux oiseaux ! ô les belles compagnes ! »

	Il s'arrêta longtemps à contempler leurs jeux ;
	Puis, reprenant sa route et les suivant des yeux,
	Dit : « Baisez, baisez-vous, colombes innocentes,
	Vos coeurs sont doux et purs et vos voix caressantes ;
	Sur votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
	Se plie, et de la neige effacerait l'éclat. »



André CHENIER

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