François COPPEE (1842-1908)


Promenades et intérieurs (1872)

VIII «Un rêve de bonheur...»
XXIII «De la rue on entend...»
XXVI «Je rêve, tant Paris...»
Le Cahier rouge (1876)

Presque une fable

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		VIII

Un rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
C'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
Où je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
C'est là, me semble-t-il, qu'on ferait un bon livre.
En hiver, l'horizon des coteaux blancs de givre;
En été, le grand ciel et l'air qui sent les bois;
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très loin, pourraient me reconnaître,
Jouant du flageolet, assis à ma fenêtre.




François COPPEE



		XXIII

De la rue on entend sa plaintive chanson.
Pâle et rousse, le teint plein de taches de son,
Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre.
Très sage et sachant bien qu'elle est laide peut-être,
Elle a son dé d'argent pour unique bijou.
Sa chambre est nue, avec des meubles d'acajou.
Elle gagne deux francs, fait de la lingerie
Et jette un sou quand vient l'orgue de Barbarie.
Tous les voisins lui font leur bonjour le plus gai
Qui leur vaut son petit sourire fatigué.




François COPPEE



		XXVI

Je rêve, tant Paris m'est parfois un enfer,
D'une ville très calme et sans chemin de fer,
Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable,
Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable.
On se dirait tout bas, comme un mignon péché,
Un quatrain très mordant que j'aurais décoché.
Là, je conserverais de vagues hypothèques.
On voudrait mon avis pour les bibliothèques ;
Et j'y rétablirais, disciple consolé,
Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé.




François COPPEE

Presque une fable
Un liseron, madame, aimait une fauvette.
- Vous pardonnerez bien cette idée au poète
Qu'une plante puisse être éprise d'un oiseau. -
Un liseron des bois, éclos près d'un ruisseau,
Au fond du parc, au bout du vieux mur plein de brèches,
Et qui, triste, rampait parmi les feuilles sèches,
Écoutant cette voix d'oiseau dans un tilleul,
Était au désespoir de fleurir pour lui seul.
Il voulut essayer, s'il en avait la force,
D'enlacer ce grand arbre à la rugueuse écorce
Et de grimper là-haut, là-haut, près de ce nid.
Il croyait, l'innocent, que quelque chose unit
Ce qui pousse et fleurit à ce qui vole et chante.
- Moi, son ambition me semble assez touchante,
Madame. Vous savez que les amants sont fous
Et ce qu'ils tenteraient pour être auprès de vous. -
Comme le chasseur grec, pour surprendre Diane,
Suivait le son lointain du cor, l'humble liane,
De ses clochetons bleus semant le chapelet,
Monta donc vers l'oiseau que son chant décelait.
Atteindre la fauvette et la charmer, quel rêve !
Hélas ! c'était trop beau; car la goutte de sève
Que la terre donnait à ce frêle sarment
S'épuisait. Il montait, toujours plus lentement;
Chaque matin, sa fleur devenait plus débile;
Puis, bien que liseron, il était malhabile,
Lui, né dans l'herbe courte où vivent les fourmis,
À gravir ces sommets aux écureuils permis.
Là, le vent est trop rude et l'ombre est trop épaisse.
- Mais tous les amoureux sont de la même espèce,
Madame; - et vers le nid d'où venait cette voix
Montait, montait toujours le liseron des bois.
Enfin, comme il touchait au but de son voyage,
Il ne put supporter la fraîcheur du feuillage
Et mourut, en donnant, le jour de son trépas,
Une dernière fleur que l'oiseau ne vit pas.
- Comment ? vous soupirez et vous baissez la tête,
Madame...

	 Un liseron adore une fauvette.



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