Robert DESNOS (1900-1945)


C'est les bottes de 7 lieues ... (1926)

Destinée arbitraire
Youki 1930 Poésie (1930)

Sur la route
Dans un petit bateau
Fortunes (1942)

Complainte de Fantômas
Les hommes sur la terre
Chantefables et chantefleurs (1944)

L'Alligator

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Destinée arbitraire
Voici venir le temps des croisades.
Par la fenêtre fermée les oiseaux s'obstinent à parler
comme les poissons d'aquarium.
À la devanture d'une boutique
une jolie femme sourit.
Bonheur tu n'es que cire à cacheter
et je passe tel un feu follet.
Un grand nombre de gardiens poursuivent
un inoffensif papillon échappé de l'asile
Il devient sous mes mains pantalon de dentelle
et ta chair d'aigle
ô mon rêve quand je vous caresse !
Demain on enterrera gratuitement
on ne s'enrhumera plus
on parlera le langage des fleurs
on s'éclairera de lumières inconnues à ce jour.
Mais aujourd'hui c'est aujourd'hui
Je sens que mon commencement est proche
pareil aux blés de juin.
Gendarmes passez-moi les menottes.
Les statues se détournent sans obéir.
Sous leur socle j'inscrirai des injures et le nom
de mon pire ennemi.
Là-bas dans l'océan
Entre deux eaux
Un beau corps de femme
Fait reculer les requins
Ils montent à la surface se mirer dans l'air
et n'osent pas mordre aux seins
aux seins délicieux.



Robert DESNOS

© Gallimard


Sur la route
Sur la route parfois on rencontre des vignes
Dont les raisins mûris sont à portée de main
qu'ils sont bons ! Et partons où serons-nous demain ?
Car la feuille ressemble à la main par les lignes.

Mais chérissons le vin où se lisent les signes
sacrés de la jeunesse et des désirs humains
Le verre est bu, partons reprenons le chemin
qui naît au chant du coq et meurt au chant du cygne

Il reste cependant l'empreinte de nos verres
sur la nappe tracée. Aux mains des lavandières
La tache partira bientôt au fil de l'eau.

ainsi vont les serments belle fille qui chantes
Pour trinquer à plaisir en l'honneur des méchantes
Remplissez notre verre aux bondes des tonneaux



Robert DESNOS

© Gallimard


Dans un petit bateau
Dans un petit bateau
Une petite dame
Un petit matelot
Tient les petites rames

Ils s'en vont voyager
Sur un ruisseau tranquille
Sous un ciel passager
Et dormir dans une île

C'est aujourd'hui Dimanche
Il fait bon s'amuser
Se tenir part la hanche
Échanger des baisers

C'est ça la belle vie
Dimanche au bord de l'eau
Heureux ceux qui envient
Le petit matelot



Robert DESNOS

© Gallimard


Complainte de Fantômas
 
	1

Écoutez... Faites silence...
La triste énumération
De tous les forfaits sans nom,
Des tortures, des violences
Toujours impunis, hélas !
Du criminel Fantômas.

	2
	
Lady Beltham, sa maîtresse,
Le vit tuer son mari
Car il les avait surpris
Au milieu de leurs caresses.
Il coula le paquebot
 Lancaster au fond des flots.

	3
	
Cent personnes il assassine.
Mais Juve aidé de Fandor
Va lui faire subir son sort
Enfin sur la guillotine...
Mais un acteur, très bien grimé,
À sa place est exécuter.

	4
	
Un phare dans la tempête
Croule, et les pauvres bateaux
Font naufrage au fond de l'eau.
Mais surgissent quatre têtes :
Lady Beltham aux yeux d'or,
Fantômas, Juve et Fandor.

	5
	
Le monstre avait une fille
Aussi jolie qu'une fleur.
La douce Hélène au grand coeur
Ne tenait pas de sa famille,
Car elle sauva Fandor
Qu'était condamné à mort.

	6
	
En consigne d'une gare
Un colis ensanglanté !
Un escroc est arrêté !
Qu'est devenu le cadavre ?
Le cadavre est bien vivant,
C'est Fantômas, mes enfants !

	7
	
Prisonnier dans une cloche
Sonnant un enterrement
Ainsi mourut son lieutenant.
Le sang de sa pauvr' caboche
Avec saphirs et diamants
Pleuvait sur les assistants.

	8
	
Un beau jour des fontaines
Soudain chantèr'nt à Paris.
Le monde était surpris,
Ignorant que ces sirènes
De la Concorde enfermaient 
Un roi captif qui pleurait.

	9
	
Certain secret d'importance
Allait être dit au tzar.
Fantômas, lui, le reçut car
Ayant pris sa ressemblance
Il remplaçait l'empereur
Quand Juv' l'arrêta sans peur.

	10
	
Il fit tuer par la Toulouche,
Vieillarde aux yeux dégoûtants,
Un Anglais à grands coups de dents
Et le sang remplit sa bouche.
Puis il cacha un trésor
Dans les entrailles du mort.

	11
	
Cette grande catastrophe
De l'autobus qui rentra
Dans la banque qu'on pilla
Dont on éventra les coffres...
Vous vous souvenez de ça ?...
Ce fut lui qui l'agença.

	12
	
La peste en épidémie
Ravage un grand paquebot
Tout seul au milieu des flots.
Quel spectacle de folie !
Agonies et morts hélas !
Qui a fait ça ? Fantômas.

	13
	
Il tua un cocher de fiacre.
Au siège il le ficela
Et roulant cahin-caha,
Malgré les clients qui sacrent,
Il ne s'arrêtait jamais
L'fiacre qu'un mort conduisait.

	14
	
Méfiez-vous des roses noires,
Il en sort une langueur
Épuisante et l'on en meurt.
C'est une bien sombre histoire
Encore un triste forfait
De Fantômas en effet !

	15
	
Il assassina la mère
De l'héroïque Fandor.
Quelle injustice du sort,
Douleur poignante et amère...
Il n'avait donc pas de coeur,
Cet infâme malfaiteur !

	16
	
Du Dôme des Invalides
On volait l'or chaque nuit.
Qui c'était ? mais c'était lui,
L'auteur de ce plan cupide.
User aussi mal son temps
Quand on est intelligent !

	17
	
À la Reine de Hollande
Même, il osa s'attaquer.
Juve le fit prisonnier
Ainsi que toute sa bande.
Mais il échappa pourtant
À un juste châtiment.

	18

Pour effacer sa trace
Il se fit tailler des gants
Dans la peau d'un trophée sanglant,
Dans d'la peau de mains d'cadavre
Et c'était ce mort qu'accusaient
Les empreintes qu'on trouvait.

	19
	
À Valmondois un fantôme
Sur la rivière marchait.
En vain Juve le cherchait.
Effrayant vieillards et mômes,
C'était Fantômas qui fuyait
Après l'coup qu'il avait fait.

	20
	
La police d'Angleterre
Par lui fut mystifiée.
Mais, à la fin, arrêté,
Fut pendu et mis en terre.
Devinez ce qui arriva :
Le bandit en réchappa.

	21
	
Dans la nuit sinistre et sombre,
À travers la Tour Eiffel,
Juv' poursuit le criminel.
En vain guette-t-il son ombre.
Faisant un suprême effort
Fantômas échappe encor.

	22
	
D'vant le casino d'Monte-carlo
Un cuirassé évoluait.
Son commandant qui perdait
Voulait bombarder la rade.
Fantômas, c'est évident,
Était donc ce commandant.

	23
	
Dans la mer un bateau sombre
Avec Fantômas à bord,
Hélène Juve et Fandor
Et des passagers sans nombre.
On ne sait s'ils sont tous morts,
Nul n'a retrouvé leurs corps.

	24
	
Ceux de sa bande, Beaumôme,
Bec de Gaz et le Bedeau,
Le rempart du Montparno,
Ont fait trembler Paris, Rome
Et Londres par leurs exploits.
Se sont-ils soumis aux lois ?

	25
		 
Pour ceux du peuple et du monde,                 
J'ai écrit cette chanson
Sur Fantômas, dont le nom
Fait tout trembler à la ronde.
Maintenant, vivez longtemps,
Je le souhaite en partant.

	FINAL

Allongeant son ombre immense
Sur le monde et sur Paris,
Quel est ce spectre aux yeux gris
Qui surgit dans le silence ?
Fantômas, serait-ce toi
Qui te dresses sur les toits ?



Robert DESNOS

© Gallimard


L'Alligator
Sur les bords du Mississipi
Un alligator se tapit.
Il vit passer un négrillon
Et lui dit : « Bonjour, mon garçon. »
Mais le nègre lui dit : « Bonsoir,
La nuit tombe, il va faire noir,
Je suis petit et j'aurais tort
De parler à l'alligator. »
Sur les bords du Mississipi
L'alligator a du dépit,
Car il voulait au réveillon
Manger le tendre négrillon.



Robert DESNOS

© Gründ


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