Max ELSKAMP (1862-1931)


Dominical (1892)

«J'ai triste d'une ville en bois...»
Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine en Flandre (1895)

«Un pauvre homme est entré chez moi...»
La Chanson de la rue Saint-Paul (1922)

À ma mère

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J'ai triste d'une ville en bois,
- Tourne, foire de ma rancoeur,
Mes chevaux de bois de malheur -
J'ai triste d'une ville en bois,
J'ai mal à mes sabots de bois.

J'ai triste d'être le perdu
D'une ombre et nue et mal en place,
- Mais dont mon coeur trop sait la place -
J'ai triste d'être le perdu
Des places, et froid et tout nu.

J'ai triste de jours de patins
- Soeur Anne ne voyez-vous rien ? -
Et de n'aimer en nulle femme ;
J'ai triste de jours de patins,
Et de n'aimer en nulle femme.

J'ai triste de mon coeur en bois,
Et j'ai très-triste de mes pierres,
Et des maisons où, dans du froid,
Au dimanche des coeurs de bois,
Les lampes mangent la lumière.

Et j'ai triste d'une eau-de-vie
Qui fait rentrer tard les soldats.
Au dimanche ivre d'eau de vie,
Dans mes rues pleines de soldats,
J'ai triste de trop d'eau-de-vie.



Max ELSKAMP



Un pauvre homme est entré chez moi
Pour des chansons qu'il venait vendre,
Comme Pâques chantait en Flandre
Et mille oiseaux doux à entendre,
Un pauvre homme a chanté chez moi,

Si humblement que c'était moi
Pour les refrains et les paroles
À tous et toutes bénévoles,
Si humblement que c'était moi
Selon mon coeur comme ma foi.

Or, pour ces chansons, les voici,
Comme mon âme, la voilà,
Sainte Cécile, entre vos bras ;
Or, ces chansons bien les voici,
Comme voilà bien mon pays

Où les cloches chantent aussi
Entre les arbres qui s'embrassent
Devant les gens heureux qui passent,
Où les cloches chantent aussi
Des Dimanches aux Samedis ;

Et c'est pour toute une semaine
Qu'ici mon coeur, sur tous les tons,
Chante les joies de la saison,
Et c'est dans toute une semaine
Où chaque jour a sa chanson.



Max ELSKAMP

À ma mère
Ô Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m'étiez divine,

Comme les Maries, et qu'enfant,
J'adorais dès le matin blanc

Qui se levait là, près de l'eau,
Dans l'embrun gris monté des flots,

Du fleuve qui chantait matines
À voix de cloches dans la bruine ;

Ô ma Mère, avec vos yeux bleus,
Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse
Et vos mains elles, de caresses,

Lorsqu'en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,

Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,

Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,

Dans un bassin blanc et d'eau fraîche,
Aux aubes d'hiver ou d'été.

Ô ma Mère qui m'étiez douce
Comme votre robe de soie,

Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,

Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d'or,

Lors en mes rêves d'enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor ;

Ô ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu'à tort j'avais peine,

Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,

Et qui d'amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.

		 *
		* *

Ô ma Mère, dans mon enfance,
J'étais en vous, et vous en moi,

Et vous étiez dans ma croyance,
Comme les Saintes que l'on voit,

Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,

M'arrêtant aux anges en ailes
À l'Agneau du Verbe couché,

Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées,

Et vous m'étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m'avait lu le nom,

Qui portait comme de lumière
Un nimbe peint autour du front.

		 *
		* *

Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j'ai grandi,

Et vous m'avez été l'amie
À l'heure où j'avais l'âme lasse,

Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d'avoir trop rêvé

Et sur la voie qu'on a suivie
De s'être ainsi souvent trompé,

Et vous m'avez lors consolé
Des mauvais jours dont j'étais l'hôte,

Et m'avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,

Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,

Et saviez ma peine et ma joie
Et me l'avériez d'un sourire.

		 *
		* *

Ô Claire, Suzanne, Adolphine,
Ô ma Mère, des Écaussinnes,

À présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d'été,

Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visitez nos parents,

Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,

Et qui alors nous faisaient fête
À vous, leur fille, ainsi qu'à nous,

En cette douce Wallonie
D'étés clairs là-bas, en Hainaut,

Où nous entendions d'harmonie,
Comme une voix venue d'en-haut,

Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,

Comme cloches sonnant dans l'air
Ou mer au loin montant ses eaux,

Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.

Ô ma Mère des Écaussinnes,
C'est votre sang qui parle en moi,

Et mon âme qui se confine
En vous, et d'amour, et de foi,

Car vous m'étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,

Et lorsque vous êtes partie,
J'ai su que j'avais tout perdu.



Max ELSKAMP

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