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Oui, l'oeuvre sort plus belle D'une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses ! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne étroit. Fi du rythme commode, Comme un soulier trop grand, Du mode Que tout pied quitte et prend ! Statuaire, repousse L'argile que pétrit Le pouce, Quand flotte ailleurs l'esprit ; Lutte avec le carrare, Avec le paros dur Et rare, Gardiens du contour pur ; Emprunte à Syracuse Son bronze où fermement S'accuse Le trait fier et charmant ; D'une main délicate Poursuis dans un filon D'agate Le profil d'Apollon. Peintre, fuis l'aquarelle, Et fixe la couleur Trop frêle Au four de l'émailleur. Fais les sirènes bleues, Tordant de cent façons Leurs queues, Les monstres des blasons ; Dans son nimbe trilobe La Vierge et son Jésus, Le globe Avec la croix dessus. Tout passe. - L'art robuste Seul a l'éternité. Le buste Survit à la cité. Et la médaille austère Que trouve un laboureur Sous terre Révèle un empereur. Les dieux eux-mêmes meurent Mais les vers souverains Demeurent Plus forts que les airains. Sculpte, lime, cisèle ; Que ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant !
Carmen est maigre, - un trait de bistre Cerne son oeil de gitana. Ses cheveux sont d'un noir sinistre, Sa peau, le diable la tanna. Les femmes disent qu'elle est laide, Mais tous les hommes en sont fous : Et l'archevèque de Tolède Chante la messe à ses genoux ; Car sur sa nuque d'ambre fauve Se tord un énorme chignon Qui, dénoué, fait dans l'alcôve Une mante à son corps mignon. Et, parmi sa pâleur, éclate Une bouche aux rires vainqueurs ; Piment rouge, fleur écarlate, Qui prend sa pourpre au sang des coeurs. Ainsi faite, la moricaude Bat les plus altières beautés, Et de ses yeux la lueur chaude Rend la flamme aux satiétés. Elle a dans sa laideur piquante Un grand de sel de cette mer D'où jaillit nue et provocante, L'âcre Vénus du gouffre amer.
Sur les tuiles où se hasarde Le chat guettant l'oiseau qui boit, De mon balcon une mansarde Entre deux tuyaux s'aperçoit. Pour la parer d'un faux bien-être Si je mentais comme un auteur, Je pourrais faire à sa fenêtre Un cadre de pois de senteur, Et vous y montrer Rigolette Riant à son petit miroir, Dont le tain rayé ne reflète Que la moitié de son oeil noir ; Ou, la robe encor sans agrafe, Gorge et cheveux au vent, Margot Arrosant avec sa carafe Son jardin planté dans un pot ; Ou bien quelque jeune poëte Qui scande ses vers sibyllins, En contemplant la silhouette De Montmartre et de ses moulins. Par malheur, ma mansarde est vraie ; Il n'y grimpe aucun liseron, Et la vitre y fait voir sa taie, Sous l'ais verdi d'un vieux chevron. Pour la grisette et pour l'artiste, Pour le veuf et pour le garçon, Une mansarde est toujours triste : Le grenier n'est beau qu'en chanson. Jadis, sous le comble dont l'angle Penchait les fronts pour le baiser, L'amour, content d'un lit de sangle, Avec Suzon venait causer. Mais pour ouater notre joie, Il faut des murs capitonnés, Des flots de dentelle et de soie, Des lits par Monbro festonnés. Un soir, n'étant pas revenue, Margot s'attarde au mont Breda, Et Rigolette entretenue N'arrose plus son réséda. Voilà longtemps que le poëte, Las de prendre la rime au vol, S'est fait reporter de gazette, Quittant le ciel pour l'entresol. Et l'on ne voit contre la vitre Qu'une vieille au maigre profil, Devant Minet, qu'elle chapitre, Tirant sans cesse un bout de fil.
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