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Elle était pâle, et pourtant rose, Petite avec de grands cheveux. Elle disait souvent : Je n'ose, Et ne disait jamais : Je veux. Le soir, elle prenait ma bible Pour y faire épeler sa soeur, Et comme une lampe paisible, Elle éclairait ce jeune coeur. Sur le saint livre que j'admire Leurs yeux purs venaient se fixer ; Livre où l'une apprenait à lire, Où l'autre apprenait à penser ! Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule, Elle penchait son front charmant, Et l'on aurait dit une aïeule, Tant elle parlait doucement ! Elle lui disait : Soit bien sage ! Sans jamais nommer le démon. Leurs mains erraient de page en page Sur Moïse et sur Salomon, Sur Cyrus qui vint de la Perse, Sur Moloch et Léviathan, Sur l'enfer que Jésus traverse, Sur l'éden où rampe Satan. Moi j'écoutais... - Ô joie immense De voir la soeur près de la soeur ! Mes yeux s'enivraient en silence De cette ineffable douceur. Et dans la chambre humble et déserte Où nous sentions, cachés tous trois, Entrer par la fenêtre ouverte Les souffles des nuits et des bois, Tandis que, dans le texte auguste, Leurs coeurs, lisant avec ferveur, Puisait le beau, le vrai, le juste, Il me semblait, à moi rêveur, Entendre chanter des louanges Autour de nous, comme au saint lieu, Et voir sous les doigts de ces anges Tressaillir le livre de Dieu ! 12 octobre 1846.
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. 3 septembre 1847.
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux ; Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure Je sors, pâle et vainqueur, Et que je sens la paix de la grande nature Qui m'entre dans le coeur ; Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Ému par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vérités profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ; Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre De pouvoir désormais Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre Elle dort pour jamais ; Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles, Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté, Voyant ma petitesse et voyant vos miracles, Je reprends ma raison devant l'immensité ; Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ; Je vous porte, apaisé, Les morceaux de ce coeur tout plein de votre gloire Que vous avez brisé ; Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant ! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Ouvre le firmament ; Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme Est le commencement ; Je conviens à genoux que vous seul, père auguste, Possédez l'infini, le réel, l'absolu ; Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste Que mon coeur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu ! Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive Par votre volonté. L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive, Roule à l'éternité. Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ; L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant. L'homme subit le joug sans connaître les causes. Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant. Vous faites revenir toujours la solitude Autour de tous ses pas. Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude Ni la joie ici-bas ! Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire. Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours, Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire : C'est ici ma maison, mon champ et mes amours ! Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ; Il vieillit sans soutiens. Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ; J'en conviens, j'en conviens ! Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants ; L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie, Nuit où montent les bons, où tombent les méchants. Je sais que vous avez bien autre chose à faire Que de nous plaindre tous, Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère, Ne vous fait rien, à vous ! Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ; Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ; Que la création est une immense roue Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ; Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ô mon Dieu ! De vos cieux, au-delà de la sphère des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-être faites-vous des choses inconnues Où la douleur de l'homme entre comme élément. Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre Que des êtres charmants S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre Des noirs événements. Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit. Vous ne pouvez avoir de subites clémences Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit ! Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme, Et de considérer Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme Je viens vous adorer ! Considérez encor que j'avais, dès l'aurore, Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté, Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore, Éclairant toute chose avec votre clarté ; Que j'avais, affrontant la haine et la colère, Fait ma tâche ici-bas, Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire, Que je ne pouvais pas Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie, Vous appesantiriez votre bras triomphant, Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie, Vous me reprendriez si vite mon enfant ! Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette, Que j'ai pu blasphémer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre à la mer ! Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre, Que l'oeil qui pleure trop finit par s'aveugler. Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre, Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler, Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre Dans les afflictions, Ait présente à l'esprit la sérénité sombre Des constellations ! Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère, Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts. Je me sens éclairé dans ma douleur amère Par un meilleur regard jeté sur l'univers. Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire, S'il ose murmurer ; Je cesse d'accuser, je cesse de maudire, Mais laissez-moi pleurer ! Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière, Puisque vous avez fait les hommes pour cela ! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ? Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes, Le soir, quand tout se tait, Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes, Cet ange m'écoutait ! Hélas ! vers le passé tournant un oeil d'envie, Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler, Je regarde toujours ce moment de ma vie Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler ! Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure, L'instant, pleurs superflus ! Où je criai : L'enfant que j'avais tout à l'heure, Quoi donc ! je ne l'ai plus ! Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné ! L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte, Et mon coeur est soumis, mais n'est pas résigné. Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame, Mortels sujets aux pleurs, Il nous est malaisé de retirer notre âme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires, Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misères, Et de l'ombre que fait sur nous notre destin, Apparaître un enfant, tête chère et sacrée, Petit être joyeux, Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée Une porte des cieux ; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Croître la grâce aimable et la douce raison, Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime Fait le jour dans notre âme et dans notre maison, Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu'on rêva, Considérez que c'est une chose bien triste De le voir qui s'en va ! Villequier, 4 septembre 1847.
Booz s'était couché de fatigue accablé ; Il avait tout le jour travaillé dans son aire ; Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ; Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé. Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ; Il était, quoique riche, à la justice enclin ; Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ; Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge. Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril. Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ; Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse : - Laissez tomber exprès des épis, disait-il. Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques, Vêtu de probité candide et de lin blanc ; Et, toujours du côté des pauvres ruisselant, Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques. Booz était bon maître et fidèle parent ; Il était généreux, quoiqu'il fût économe ; Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme, Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand. Le vieillard, qui revient vers la source première, Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ; Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière. * Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens. Près des meules qu'on eût prises pour des décombres, Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ; Et ceci se passait dans des temps très anciens. Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ; La terre, où l'homme errait sous le tente, inquiet Des empreintes de pieds de géants qu'il voyait, Était encor mouillée et molle du déluge. * Comme dormait Jacob, comme dormait Judith, Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ; Or, la porte du ciel s'étant entrebâillée Au-dessus de sa tête, un songe en descendit. Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ; Une race y montait comme une longue chaîne ; Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu. Et Booz murmurait avec la voix de l'âme : « Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ? Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt, Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme. « Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi, Ô Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ; Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre, Elle à demi vivante et moi mort à demi. « Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ? Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ? Quand on est jeune, on a des matins triomphants ; Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ; « Mais, vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau ; Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe, Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe, Comme un boeuf ayant soif penche son front vers l'eau. » Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase, Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ; Le cèdre ne sent pas une rose à sa base, Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds. * Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite, S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu, Espérant on ne sait quel rayon inconnu, Quand viendrait du réveil la lumière subite. Booz ne savait point qu'une femme était là, Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle. Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ; Les anges y volaient sans doute obscurément, Car on voyait passer dans la nuit, par moment, Quelque chose de bleu qui paraissait une aile. La respiration de Booz qui dormait Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse. On était dans le mois où la nature était douce, Les collines ayant des lys sur leur sommet. Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ; Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ; Une immense bonté tombait du firmament : C'était l'heure tranquille où les lions vont boire. Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre Brillait à l'occident, et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l'oeil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été, Avait, en s'en allant, négligemment jeté Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.
Quand les guignes furent mangées, Elle s'écria tout à coup : - J'aimerais bien mieux des dragées. Est-il ennuyeux, ton Saint-Cloud ! On a grand-soif ; au lieu de boire, On mange des cerises ; voi, C'est joli, j'ai la bouche noire Et j'ai les doigts bleus ; laisse-moi. - Elle disait cent autres choses, Et sa douce main me battait. Ô mois de juin ! rayons et roses ! L'azur chante et l'ombre se tait. J'essuyai, sans trop lui déplaire, Tout en la laissant m'accuser, Avec des fleurs sa main colère, Et sa bouche avec un baiser.
J'aime Chelle et ses cressonnières, Et le doux tic-tac des moulins Et des coeurs, autour des meunières ; Quant aux blancs meuniers, je les plains. Les meunières aussi sont blanches ; C'est pourquoi je vais là souvent Mêler ma rêverie aux branches Des aulnes qui tremblent au vent. J'ai l'air d'un pèlerin ; les filles Me parlent, gardant leur troupeau ; Je ris, j'ai parfois des coquilles Avec des fleurs, sur mon chapeau. Quand j'arrive avec mon caniche, Chelles, bourg dévot et coquet, Croit voir passer, fuyant leur niche, Saint Roch, et son chien saint Roquet. Ces effets de ma silhouette M'occupent peu ; je vais marchant, Tâchant de prendre à l'alouette Une ou deux strophes de son chant. J'admire les papillons frêles Dans les ronces du vieux castel ; Je ne touche point à leurs ailes. Un papillon est un pastel. Je suis un fou qui semble un sage. J'emplis, assis dans le printemps, Du grand trouble du paysage Mes yeux vaguement éclatants. Ô belle meunière de Chelles, Le songeur te guette effaré Quand tu montes à tes échelles, Sûre de ton bas bien tiré.
Quand le Cid fut entré dans le Généralife, Il alla droit au but et tua le calife, Le noir calife Ogrul, haï de ses sujets. Le cid Campeador aux prunelles de jais, Au poing de bronze, au coeur de flamme, à l'âme honnête, Fit son devoir, frappa le calife à la tête, Et sortit du palais seul, tranquille et rêveur. Devant ce meurtrier et devant ce sauveur Tout semblait s'écarter comme dans un prodige. Soudain parut Médnat, le vieillard qui rédige Le commentaire obscur et sacré du koran Et regarde la nuit l'étoile Aldebaran. Il dit au Cid, après le salut ordinaire : - Cid, as-tu rencontré quelqu'un ? - Oui, le tonnerre. - Je le sais ; je l'ai vu, répondit le docteur. Il m'a parlé. J'étais monté sur la hauteur, Pour prier. Le tonnerre a dit à mon oreille : Me voici, la douleur des peuples me réveille, Et je descends du ciel quand un prince est mauvais ; Mais je vois arriver le Cid et je m'en vais.
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