- Sommaire - Contemporains - Bibliographie -
Le pauvre pion doux si sale m'a dit : j'ai bien mal aux yeux et le bras droit paralysé. Bien sûr que le pauvre diable n'a pas de mère pour le consoler doucement de sa misère. Il vit comme cela, pion dans une boîte, et passe parfois sur son front froid sa main moite. Avec ses bras il fait un coussin sur un banc et s'assoupit un peu comme un petit enfant. Mais au lieu de traversin bien blanc, sa vareuse se mêle à sa barbe dure, grise et crasseuse. Il économise pour se faire soigner. Il a des douleurs. C'est trop cher de se doucher. Alors il enveloppe dans un pauvre linge tout son pauvre corps misérable de grand singe. Le pauvre pion doux si sale m'a dit : j'ai bien mal aux yeux et le bras droit paralysé.
J'aime l'âne si doux marchant le long des houx. Il prend garde aux abeilles et bouge ses oreilles ; et il porte les pauvres et des sacs remplis d'orge. Il va, près des fossés, d'un petit pas cassé. Mon amie le croit bête parce qu'il est poète. Il réfléchit toujours. Ses yeux sont en velours. Jeune fille au doux coeur, tu n'as pas sa douceur : car il est devant Dieu l'âne doux du ciel bleu. Et il reste à l'étable, fatigué, misérable, ayant bien fatigué ses pauvres petits pieds. Il a fait son devoir du matin jusqu'au soir. Qu'as-tu fait jeune fille ? Tu as tiré l'aiguille... Mais l'âne s'est blessé : la mouche l'a piqué. Il a tant travaillé que ça vous fait pitié. Qu'as-tu mangé petite ? - T'as mangé des cerises. L'âne n'a pas eu d'orge, car le maître est trop pauvre. Il a sucé la corde, puis a dormi dans l'ombre... La corde de ton coeur n'a pas cette douceur. Il est l'âne si doux marchant le long des houx. J'ai le coeur ulcéré : ce mot-là te plairait. Dis-moi donc, ma chérie, si je pleure ou je ris ? Va trouver le viel âne, et dis-lui que mon âme est sur les grands chemins, comme lui le matin. Demande-lui, chérie, si je pleure ou je ris ? Je doute qu'il réponde : il marchera dans l'ombre, crevé par la douceur, sur le chemin en fleurs.
La jeune fille est blanche, elle a des veines vertes aux poignets, dans ses manches ouvertes. On ne sait pas pourquoi elle rit. Par moment elle crie et cela est perçant. Est-ce qu'elle se doute qu'elle vous prend le coeur en cueillant sur la route des fleurs ? On dirait quelquefois qu'elle comprend des choses. Pas toujours. Elle cause tout bas. « Oh ! ma chère ! oh ! là là... ... Figure-toi... mardi je l'ai vu... j'ai rri. » - Elle dit comme ça. Quand un jeune homme souffre, d'abord elle se tait : et ne rit plus, tout étonnée. Dans les petits chemins elle remplit ses mains de piquants de bruyères, de fougères. Elle est grande, elle est blanche, elle a des bras très doux. Elle est très droite et penche le cou. 1889.
- Sommaire -