Jean de LA FONTAINE (1621-1695)



Air «Tout l'univers obéit à l'amour...»
Ode pour la paix
Fables (1668)

La Mort et le Bûcheron
La Montagne qui accouche
Fables (1678)

Le Rat qui s'est retiré du monde

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		AIR

Tout l'univers obéit à l'Amour ;
Belle Psyché, soumettez-lui votre âme.
Les autres Dieux à ce Dieu font la cour,
Et leur pouvoir est moins doux que sa flamme.
Des jeunes coeurs c'est le suprême bien :
Aimez, aimez ; tout le reste n'est rien.

Sans cet Amour, tant d'objets ravissants,
Lambris dorés, bois, jardins, et fontaines,
N'ont point d'appas qui ne soient languissants,
Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines.
Des jeunes coeurs c'est le suprême bien :
Aimez, aimez ; tout le reste n'est rien.



Jean de LA FONTAINE

Ode pour la paix
[...]

Le plus grand de mes souhaits
Est de voir, avant les roses,
L'Infante avecque la Paix ;
Car ce sont deux belles choses

Ô Paix, infante des cieux,
Toi qui tout heur accompagne,
Viens vite embellir ces lieux
Avec l'Infante d'Espagne.

Chasse des soldats gloutons
La troupe fière et hagarde,
Qui mange tous mes moutons,
Et bat celui qui les garde.

Délivre ce beau séjour
De leur brutale furie,
Et ne permets qu'à l'Amour
D'entrer dans la bergerie.

Fais qu'avecque le berger
On puisse voir la bergère,
Qui coure d'un pied léger,
Qui danse sur la fougère,

Et qui, du berger tremblant
Voyant le peu de courage,
S'endorme ou fasse semblant
De s'endormir à l'ombrage.

Ô Paix ! source de tout bien,
Viens enrichir cette terre,
Et fais qu'il n'y reste rien
Des images de la guerre.

Accorde à nos longs désirs
De plus douces destinées ;
Ramène-nous les plaisirs,
Absents depuis tant d'années.

Étouffe tous ces travaux,
Et leurs semences mortelles :
Que les plus grands de nos maux
Soient les rigueurs de nos belles ;

Et que nous passions les jours
Étendus sur l'herbe tendre,
Prêts à conter nos amours
À qui voudra les entendre.



Jean de LA FONTAINE

La Mort et le Bûcheron
Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur,
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
	Le créancier et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
	Lui demander ce qu'il faut faire.
	« C'est, dit-il, afin de m'aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »

	Le trépas vient tout guérir ;
	Mais ne bougeons d'où nous sommes :
	Plutôt souffrir que mourir,
	C'est la devise des hommes.



Jean de LA FONTAINE

La Montagne qui accouche
Une Montagne en mal d'enfant
	Jetait une clameur si haute,
	Que chacun au bruit accourant
	Crut qu'elle accoucherait sans faute,
     D'une Cité plus grosse que Paris :
	Elle accoucha d'une Souris.

	Quand je songe à cette Fable
	Dont le récit est menteur
	Et le sens est véritable,
	Je me figure un Auteur
     Qui dit : Je chanterai la guerre
Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
C'est promettre beaucoup : mais qu'en sort-il souvent ?
		Du vent.



Jean de LA FONTAINE

Le Rat qui s'est retiré du monde
Les Levantins en leur légende
Disent qu'un certain Rat las des soins d'ici-bas,
	Dans un fromage de Hollande
	Se retira loin du tracas.
	La solitude était profonde,
	S'étendant partout à la ronde.
Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.
	Il fit tant de pieds et de dents
Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?
Il devint gros et gras ; Dieu prodigue ses biens
	À ceux qui font voeux d'être siens.
	Un jour, au dévot personnage
	Des députés du peuple Rat
S'en vinrent demander quelque aumône légère :
	Ils allaient en terre étrangère
Chercher quelque secours contre le peuple chat ;
	Ratopolis était bloquée :
On les avait contraints de partir sans argent,
	Attendu l'état indigent
	De la République attaquée.
Ils demandaient fort peu, certains que le secours
	Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
	Mes amis, dit le Solitaire,
Les choses d'ici-bas ne me regardent plus :
	En quoi peut un pauvre Reclus
	Vous assister ? que peut-il faire,
Que de prier le Ciel qu'il vous aide en ceci ?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
	Ayant parlé de cette sorte,
	Le nouveau Saint ferma sa porte.
	Qui désignai-je, à votre avis,
	Par ce Rat si peu secourable ?
	Une Moine ? Non, mais un Dervis :
Je suppose qu'un Moine est toujours charitable.



Jean de LA FONTAINE

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