Pierre MAC ORLAN (1883-1970)



«Un rat est venu dans ma chambre...»
Simone de Montmartre (1924)

«Comme j'étais mal...»
Boutiques de la foire (1925)

Le manège d'aéroplanes

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Un rat est venu dans ma chambre.
Il a rongé la chandelle.
Il a fait trembler la table branlante,
Et renversé le pot à bière.
Je l'ai pris dans mes bras blancs.
Il était chaud comme un enfant.
Je l'ai bercé tendrement
Et je lui chantais doucement :
« Dors mon rat, mon petit flic, mon petit agent
« Oh ! ne m'arrête pas ce soir, sous la lune.
« Ferme les yeux quand je serai là avec mon amant. »



Pierre MAC ORLAN

© Gallimard



Comme j'étais mal disposé, un matin de pluie,
pour toutes les excentricités humaines
un ami me montra une photographie :
celle d'une femme nue et morte
étendue sur un lit d'hôtel
à côté d'un homme vêtu et mort
qui, vu en raccourci, ressemblait à un phoque rigide.
Simone n'avait pas changé sa coiffure ;
sa cloche reposait sur la cheminée
à côté d'une pendule dorée sans aiguilles.
Simone était incontestablement morte à côté de son ami.

Ils s'étaient suicidés aux sons du phonographe de la maison voisine :
- Some suny day... Swanie... Eleanor !... -
Et sur le ventre nu de la femme,
avant de mourir,
dans une suprême évocation du Mois de Marie,
l'homme avait écrit, un doigt trempé dans l'encre, ces mots :
		 Priez pour nous !

			*

Cette photographie venait d'un obscur bureau de police.
De mains en mains, elle échouait dans les miennes
Et l'image ridicule et démoralisante
je l'ai gardée dans ma mémoire
jusqu'au jour où j'ai résolu d'écrire cette histoire,
de la faire imprimer et de la relire plus tard
avec des yeux qui ne seront plus les miens
mais des yeux de promeneur imperméable
assis au crépuscule du soir sur le banc du corps de garde
à la porte du Paradis.



Pierre MAC ORLAN

© Gallimard


Le manège d'aéroplanes
A la fête de Montmartre, au milieu de l'année 1906, Guillaume Apollinaire, Salmon, Jacques Vaillant, Julien Callé et moi, nous montâmes sur ce manège de monoplans dans le but de participer au progrès tout en restant attachés au sol par des traditions littéraires et par le pignon de ce manège.

Comme nous étions riches et naturellement bienveillants, nous jetâmes sur la foule qui criait « Noël » des cigares allumés, des épluchures de bananes, des oranges sucées et des billes de billard.

Une musique angélique nous entraînait dans son vertige et les monoplans tournaient comme les volants d'un jupon de danseuse.

Il fallut enfin descendre.

Et c'est depuis ce jour que j'ai fait l'acquisition d'un râtelier, de deux béquilles en bois et d'une perruque discrète. A cette époque nous savions accumuler les souvenirs.


Pierre MAC ORLAN

© Gallimard


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