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Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps, Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles Karomama, fille de Thèbes, Qui buvait du blé rouge et mangeais du blé blanc Comme les justes, dans le soir des tamaris. Petite reine Karomama du temps jadis. Mes pensées sont à toi, reine Karomama Dont le nom oublié chante comme un choeur de plaintes Dans le demi-rire et le demi-sanglot de ma voix ; Car il est ridicule et triste d'aimer la reine Karomama Qui vécut environnée d'étranges figures peintes Dans un palais ouvert, tellement autrefois, Petite reine Karomama. Que faisais-tu de tes matins perdus, Dame Karomama ? Vers la raideur de quelque dieu chétif à tête d'animal Tu allongeais gravement tes bras maigres et maladroits Tandis que des feux doux couraient sur le fleuve matinal. Ô Karomama aux yeux las, aux longs pieds alignés, Aux cheveux torturés, morte du berceau des années... Ma pauvre, pauvre reine Karomama. Et de tes journées, qu'en faisais-tu, prêtresse savante ? Tu taquinais sans doute tes petites servantes Dociles comme les couleuvres, mais comme elles indolentes ; Tu comptais les bijoux, tu rêvais de fils de rois Sinistres et parfumés, arrivant de très loin, De par delà les mers couleur de toujours et de loin Pour dire : "Salut à la glorieuse Karomama." Et les soirs d'éternel été tu chantais sous les sycomores Sacrés, Karomama, fleur bleue des lunes consumées ; Tu chantais la vieille histoire des pauvres morts Qui se nourrissaient en cachette de choses prohibées Et tu sentais monter dans les grands soupirs tes seins bas D'enfant noire et ton âme chancelait d'effroi. Les soirs d'éternel été, n'est-ce pas, Karomama ? - Un jour (a-t-elle vraiment existé, Karomama ?), On entoura ton corps de jaunes bandelettes, On l'enferma dans un cercueil grotesque et doux en bois de cèdre. La saison du silence effeuilla la fleur de ta voix. Les scribes confièrent ton nom aux papyrus Et c'est si triste et c'est si vieux et c'est si perdu... C'est comme l'infini des eaux dans la nuit et dans le froid. Tu sais sans doute, ô légendaire Karomama ! Que mon âme est vieille comme le chant de la mer Et solitaire comme un sphinx dans le désert, Mon âme malade de jamais et d'autrefois. Et tu sais mieux encor, princesse initiée, Que la destinée a gravé un signe étrange dans mon coeur, Symbole de joie idéale et de réel malheur. Oui, tu sais tout cela, lointaine Karomama, Malgré tes airs d'enfant que sut éterniser L'auteur de ta statue polie par les baisers Des siècles étrangers qui languirent loin de toi. Je te sens près de moi, j'entends ton long sourire Chuchoter dans la nuit : "Frère, il ne faut pas rire." - Mes pensées sont à toi, reine Karomama.
Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale Au cimetière étrange de Lofoten. L'horloge du dégel tictaque lointaine Au coeur des cercueils pauvres de Lofoten. Et grâce aux trous creusés par le noir printemps Les corbeaux sont gras de froide chair humaine ; Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant Le sommeil est doux aux morts de Lofoten. Je ne verrai très probablement jamais Ni la mer ni les tombes de Lofoten Et pourtant c'est en moi comme si j'aimais Ce lointain coin de terre et toute sa peine. Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines Au cimetière étranger de Lofoten - Le nom sonne à mon oreille étrange et doux, Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ? - Tu pourrais me conter des choses plus drôles Beau claret dont ma coupe d'argent est pleine, Des histoires plus charmantes ou moins folles ; Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten. Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne La voix du plus mélancolique des mois. - Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten - Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi...
Grincement doux et rouillé d'une berline... Le crépuscule pleure de vieille joie... - Il faudrait pourtant aller voir qui est là. - "Bonsoir, comment vous portez-vous, Mylord Spleen ?" Les chevaux, les chevaux du passé hennissent Le soir, le soir, aux fenêtres de l'oubli. - "La diva que vos sentiments applaudissent, Mylord, l'avez-vous revue en Italie ?" Il pleut, il pleut doux de la pluie ancienne Sur les toits, sur les toits rouges d'autrefois. - "Merci pour votre aimable lettre de Sienne ; Et Noël, se souvient-il encor de moi ?" Ton coq, ton coq, girouette, dit jamais plus, J'ai mal, j'ai mal, ô grand-père soir, à l'âme. - "Ces maudites routes d'automne, goddam ! À propos... Godwyn et Percy vous saluent." Soir de jadis naïf, doux comme un qui cuve Son vieux vin de l'an vingt près d'un feu léger. - "Et puis vous savez, je suis si distrait ! - J'ai Oublié de jeter moi dans le Vésuve."
Les poules folles de la sorcière et le crapaud - Sous le saule pleureur Si fier des vertes perles en poison de sa peau, Ma soeur, n'entends-tu pas le son du cor ? - Et les hideux amours masqués des léproseries, Et la toux rouge en cailloux des tribades maigries ; Et les vautours galeux aux yeux toujours effrayés, Immobiles en face de la Baie des Noyés. Et la cloche dont le vieux gosier est plein de pluie, Et l'affreux son des heures depuis longtemps enfuies ; Et la croix où les corbeaux se suspendent en grappes, Et le monastère borgne aux perverses agapes ; Et les ravins les plus perfides et les plus sombres, Et l'odeur de jadis qui dort mal sous les décombres ; Et le rire muet des amitiés suicidées, Et le silence fou des peupliers de l'allée Aimaient la chevalier maigre en toile d'araignée, Et quand il passait, hommes et femmes se signaient. Quiconque rencontrait son regard vide de puits, Sentait en son coeur sonner un étrange minuit. Comme un vol vers Elseneur de cormorans d'automne Étaient les chansons de sa flûte, rauques et jaunes. Le soleil de miel des ruines, les lézards des murs S'entretenaient avec lui de Ginèvre et d'Arthur. Il portait un rat aux yeux rouges dans son bissac, Ce raton était l'âme de Lancelot du Lac. Son rêve avait des manoirs déserts l'odeur moisie ; Les longs pendus le saluaient non sans courtoisie. Les grandes chevilles aux fourrures hérissées Dévoraient quelque part la Dame de ses Pensées. Son écuyer en brume avait beaucoup de science Et la mort de maint moine gras sur la conscience. Son cheval d'eau de pluie avait une oreille brune. Je l'ai fort souvent entendu hennir à la lune. Comme des couleuvres dormantes étaient ses veines ; D'aucuns le croyaient pair du royaume de Poullayne. Quand il traversait la forêt vieille, humide et bleue Les champignons de mort ôtaient leurs bonnets de feu. Les filles le guettaient, le soir, près des puits moussus. Le pays était plein de petits bâtards bossus. Bruissant était l'or de l'armure en feuilles jaunies De ce roi maudit des pays de Monotonie. La devise de son blason était : Aimerai-je ? Son coeur était le sommeil d'un serpent sous la neige. Cependant après la treizième coupe de vin - Sous le saule pleureur, Son hier épousait joyeusement son demain. Dis-moi, ma soeur, n'entends-tu pas le son du cor ? -
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