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I Quand j'approcherai de la fin du Temps, Quand plus vite qu'août ne boit les étangs, J'userai le fond de mes courts instants ; Quand les écoutant se tarir, en vain J'en voudrai garder pour le lendemain, Sans que Dieu le sache, un seul dans ma main ; Quand la terre ira se rétrécissant Et que mon chemin déjà finissant Courra sous mes pieds au dernier versant ; Quand sans reculer pour gagner un pas, Quand sans m'arrêter, ni quand je suis las, Ni dans mon sommeil, ni pour mes repas ; Quand, le coeur saisi d'épouvantement, J'étendrai les mains vers un être aimant Pour me retenir à son vêtement... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quand de jour en jour je perdrai la faim, Je perdrai la force et que de ma main Lasse de tenir tombera le pain ; Quand tout sur ma langue aura mauvais goût, Quand tout dans mes yeux pâlira, quand tout Me fera branler si je suis debout ; Quand mes doigts de tout se détacheront Et que mes pensers hagards sous mon front Se perdront sans cesse et se chercheront ; Quand sur les chemins, quand sur le plancher, Mes pieds n'auront plus de joie à marcher ; Quand je n'irai plus en ville, au marché, Ni dans mon pays toujours plus lointain, Ni jusqu'à l'église au petit matin, Ni dans mon quartier, ni dans mon jardin ; Quand je n'irai plus même en ma maison, Quand je n'aurai plus pour seul horizon Qu'au fond de mon lit toujours la cloison... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quand les voisines sur le pas De la porte parleront bas, Parleront et n'entreront pas ; Quand parents, amis, tour à tour, Laissant leur logis chaque jour, Dans le mien seront de retour ; Quand dès l'aube ils viendront me voir Et sans rien faire que s'asseoir Dans ma chambre attendront le soir ; Quand dans l'armoire où j'ai rangé Mon linge blanc, un étranger Cherchera de quoi me changer ; Quand pour le lait qu'il faut payer, Quelqu'un prendra sans m'éveiller Ma bourse sous mon oreiller ; Quand pour boire de loin en loin, J'attendrai, n'en ayant plus soin, Que quelqu'un songe à mon besoin... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quand le soleil et l'horizon S'enfuiront... quand de la maison S'enfuiront l'heure et la saison ; Quand la fenêtre sur la cour S'éteindra... quand après le jour S'éteindra la lampe à son tour ; Quand, sans pouvoir la rallumer, Tous ceux que j'avais pour m'aimer Laisseront la nuit m'enfermer ; Quand leurs voix, murmure indistinct, M'abandonnant à mon destin, S'évanouiront dans le lointain ; Quand cherchant en vain mon salut Dans un son, je n'entendrai plus Qu'au loin un silence confus ; Quand le froid entre mes draps chauds Se glissera jusqu'à mes os Et saisira mes pieds déchaux ; Quand mon souffle contre un poids sourd Se débattra... restera court Sans pouvoir soulever l'air lourd ; Quand la mort comme un assassin Qui précipite son dessein S'agenouillera sur mon sein ; Quand ses doigts presseront mon cou, Quand de mon corps mon esprit fou Jaillira sans savoir jusqu'où... Alors, pour traverser la nuit, comme une femme Emporte son enfant endormie, ô mon Dieu, Tu me prendras, tu m'emporteras au milieu Du ciel splendide en ta demeure où peu à peu Le matin éternel réveillera mon âme.
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