Charles d' ORLEANS (1394-1465)



«Dedans mon livre de pensée...»
«Que nous en faisons...»
«Fermez-lui l'huis au visage...»
«En la forêt d'ennuyeuse...»
«Dieu qu'il la fait bon regarder...»
«Jeunes amoureux nouveaux...»
«En regardant vers le pays...»
«Le temps a laissé son manteau...»

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Dedans mon Livre de Pensée,
J'ai trouvé écrivant mon coeur
La vraie histoire de douleur,
De larmes toute enluminée,

En effaçant la très aimée
Image de plaisant douceur,
Dedans mon Livre de Pensée !

Hélas ! où l'a mon coeur trouvée ?
Les grosses gouttes de sueur
Lui saillent, de peine et labeur
Qu'il y prend, de nuit et journée,
Dedans mon Livre de Pensée !



Charles d' ORLEANS



Que nous en faisons
De telles manières,
Et douces et fières,
Selon les saisons !

En champs ou maisons,
Par bois et rivières,
Que nous en faisons
De telles manières !

Un temps nous taisons,
Tenant assez chères
Nos joyeuses chères,
Puis nous apaisons.
Que nous en faisons !



Charles d' ORLEANS



Fermez-lui l'huis au visage
Mon coeur, à Mélancolie
Gardez qu'elle n'entre mie
Pour gâter notre ménage

Comme le chien plein de rage
Chassez-la, je vous en prie
Fermez-lui l'huis au visage
Mon coeur, à Mélancolie

C'est trop plus notre avantage
D'être sans sa compagnie
Car toujours nous tance, et crie,
Et nous porte grand dommage.
Fermez-lui l'huis au visage.



Charles d' ORLEANS



En la forêt d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'advint qu'à part moi cheminais,
Si rencontrai l'Amoureuse Déesse
Qui m'appela, demandant où j'allais.
Je répondis que, par Fortune, étais
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'à bon droit appeler me pouvait
L'homme égaré qui ne sait où il va.

En souriant, par sa très grande humblesse,
Me répondit : « Ami, si je savais
Pourquoi tu es mis en cette détresse,
À mon pouvoir volontiers t'aiderais ;
Car, jà piéça, je mis ton coeur en voie
De tout plaisir, ne sais qui l'en ôta ;
Or me déplaît qu'à présent je te vois
L'homme égaré qui ne sait où il va. »

- Hélas ! dis-je, souveraine Princesse,
Mon fait savez, pourquoi le vous dirais ?
C'est par la Mort qui fait à tous rudesse,
Qui m'a tollu celle que tant aimais,
En qui était tout l'espoir que j'avais,
Qui me guidait, si bien m'accompagna
En son vivant, que point ne me trouvais
L'homme égaré qui ne sait où il va.

« Aveugle suis, ne sais où aller dois ;
De mon bâton, afin que ne fourvoie,
Je vais tâtant mon chemin çà et là ;
C'est grand pitié qu'il convient que je soie
L'homme égaré qui ne sait où il va ! »



Charles d' ORLEANS


Dieu, qu'il la fait bon regarder
La gracieuse, bonne et belle !
Pour les grands biens qui sont en elle
Chacun est prêt de la louer.

Qui se pourrait d'elle lasser ?
Toujours sa beauté renouvelle.
Dieu, qu'il la fait bon regarder
La gracieuse, bonne et belle !

Par-deçà ni delà la mer
Ne sais dame ni demoiselle
Qui soit en tous biens parfaits telle.
C'est un songe que d'y penser.
Dieu, qu'il la fait bon regarder !



Charles d' ORLEANS



Jeunes amoureux nouveaux,
En la nouvelle saison,
Par les rues, sans raison
Chevauchent faisant les sauts.

Et font saillir des carreaux
Le feu, comme de charbon :
Jeunes amoureux nouveaux
En la nouvelle saison.

Je ne sais si leurs travaux
Ils emploient bien ou non ;
Mais piqués de l'éperon
Sont autant que leurs chevaux,
Jeunes amoureux nouveaux.



Charles d' ORLEANS

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